Interview de M. Martin Hirsch, Haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et à la jeunesse, à Europe 1 le 3 septembre 2009, sur les propositions pour l'emploi des jeunes, l'orientation, la formation en alternance et les 57 recommandations du Livre vert sur les jeunes.

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Média : Europe 1

Texte intégral


  
J.-P. Elkabbach.- Invité ce matin M. Hirsch, le Haut commissaire à la jeunesse et aux solidarités actives contre la pauvreté, parce qu'on parlera beaucoup d'emplois aujourd'hui. Et la vraie grande peur collective, c'est l'arrivée de 5 à 600.000 jeunes sur le marché du travail. Est-ce qu'ils trouveront un emploi, une activité. M. Hirsch, bonjour. En juillet, vous aviez annoncé des propositions pour les jeunes, on ne les voit pas encore venir. Frère Martin, c'est pour quand ?
 
Frère Martin, je ne sais pas ce que ça veut dire, j'imagine que c'est gentil. Mais je pense que ces mesures, c'est pour bientôt. Je pense que vous avez eu raison de rappeler les épisodes précédents. Qu'est-ce qui s'est passé ? On est confronté à un problème depuis vingt ans, j'imagine que vous avez vu défiler devant ce micro, au cours des gouvernements précédents, beaucoup de gens annonçant des plans "jeunes", etc...
 
Ce qui vous rend sceptique...
 
Ce qui peut vous rendre sceptique. Mais moi, je suis habitué à ce qu'on soit sceptique, et on essaie de démontrer, par l'expérimentation, par la réalité, par la conviction, qu'on peut faire quelque chose. Donc on a un problème depuis vingt ans. Et puis, on a un problème particulier, qui est un problème de crise, qui tombe sur toutes les économies mondiales, et qui ferme la porte des entreprises...
 
Alors ?
 
Du coup, deux choses. Un : quand j'ai été nommé en janvier dernier, j'ai dit au président de la République : ce dont j'ai besoin, c'est de pouvoir mettre autour de la table tous les acteurs qui s'occupent des jeunes, parce que, ils ont tous un mot à dire, que ce soit l'Education, que ce soit les entreprises, que ce soit les organisations syndicales, que ce soit les étudiants, et il a dit : "j'ai besoin d'un certain temps pour faire émerger des propositions partagées". Elles sont sorties au mois de juillet...
 
C'était le Livre vert, et vous craignez que les...
 
C'est le Livre vert, on peut ne pas parler au passé, au contraire...
 
... Il y avait 57 recommandations. Vous craignez, à ce moment-là, qu'elles finissent à la trappe ? Est-ce qu'elles vont garder leur force et leur attrait aujourd'hui pour les jeunes ?
 
Plus que jamais, c'est-à-dire que là, je suis passé d'un moment au mois de juillet, vous vous rappelez, j'ai poussé un cri d'alarme en disant : hou là, là, est-ce que je ne suis pas un petit peu seul ? Est-ce qu'on va s'appuyer sur ces propositions...
 
Alors, est-ce que les coups de gueule, c'est une nécessité en politique, et ça paie ?
 
Et je suis passé à un moment où quand on a des réunions de travail sur les jeunes, avec le président de la République, ce qui est le cas en ce moment, il est plutôt enclin à me dire : "prenez la version ambitieuse et pas la version basse de vos propositions". Donc je pense que ce que retiendront le président de la République, le Premier ministre, du Livre vert, ce sera probablement plus des trois quart des propositions qu'on a formulées, l'essentiel et la cohérence...
 
Qu'est-ce que vous appelez "jeunes " ?
 
Ceux que j'appelle "jeunes", ce sont ceux qui ont entre 16 et 25 ans, ceux qui vivent cette période de transition entre la fin de la scolarité obligatoire, le début de l'entrée [dans la vie] active, etc., etc., période très difficile d'ailleurs...
 
D'ores et déjà, quelles sont les trois ou quatre propositions auxquelles vous tenez le plus et qui ont des chances de passer ?
 
Je ne fais pas de vente à la découpe. Justement, vous avez vu des plans où on disait...
 
Non, ça, ça va, c'est le passé, mais qu'est-ce que vous nous annoncez pour demain...
 
Je vous annonce pour - pas demain - mais pour dans quelques jours ou dans quinze jours, dans trois semaines, c'est au président de la République de décider, que vous aurez pour la première fois je crois, un président de la République qui s'engage, de manière cohérente, sur tout, depuis la formation, l'Education, avant même qu'il soit jeune, sur le système d'orientation tant décrié. - cela veut dire quoi ? Ce sont les jeunes auxquels on dit d'aller là où ils ne veulent pas aller, qu'on ne peut pas réorienter après trois mois de première tentative -, sur les mesures d'emplois, et sur des manières originales de les faire rentrer dans l'entreprise, sans les faire entrer par la petite porte, mais en les faisant entrer par la grande porte, sur le déverrouillage de l'alternance, un cran supplémentaire, le déverrouillage de l'alternance, non seulement dans les entreprises, mais dans les collectivités locales, l'hôpital - il faut qu'une infirmière, qu'une aide-soignante puissent se former en alternance -, sur l'engagement civique, sur des tas de choses, je ne vous en donnerai pas trois ou quatre, il faudrait que je vous en donne plus. Il faudra peut-être que vous me réinvitiez ; il faudra peut-être qu'on en reparle pendant longtemps...
 
Oui, mais il faut que ce soit concret, que ce ne soit pas un ensemble des mesures générales...
 
Mais vous me connaissez ! J'ai une tête d'abstrait ? Mais attendez, le concret, le concret... Excusez-moi, parce que là, vous me piquez au vif. Qu'est-ce que je fais depuis que... Je ne suis pas en train, dans un bureau, le dossier, il est tout fin, qu'est-ce qu'on fait ? Moi, j'ai commencé par dire : "j'ai besoin d'un peu d'argent, pour expérimenter et pour voir". Qu'est-ce que j'ai fait tout l'été ? On a lancé un programme de 150 expérimentations. À quoi ça ressemble ces expérimentations ?
 
Les mesures que vous préconisez, elles absorberont combien de...
 
Attendez, vous m'avez cherché sur le concret, laissez-moi répondre donc ! Quand je vais dans la région Nord-pas-de-Calais...
 
Ne vous sentez pas agressé, ce n'est pas le cas...
 
Je ne me sens pas agressé, je me sens piqué au vif, c'est différent, je me sens piqué au vif. Quand je vais dans la région Nord-pas-de-Calais, que grâce à notre programme expérimental, on arrive à mettre autour de la table l'école, la région, l'enseignement agricole, les missions locales, tous les acteurs, pour s'occuper de tous les jeunes en continuité, je me dis : "boulot accompli".
 
Vous dites : c'est une révolution des jeunes, et je sais que ce ne sont pas des grands mots pour faire plaisir, ça va déboucher. À votre avis, ça absorbera combien de ces jeunes qui ne trouvent pas d'emploi ?
 
Moi, je pense qu'on va réussir à renverser les choses, c'est-à-dire, à faire en sorte que le chômage des jeunes redevienne inférieur au chômage général. C'est ça, les pays qui ont réussi cela, alors, on a le droit de regarder... Le Danemark, avant 96, taux de chômage des jeunes, deux fois plus élevé que le taux de chômage général, ensuite, deux fois plus faible. La France n'a pas le droit d'avoir un taux de chômage des jeunes plus élevé, et on peut y arriver...
 
Et on peut trouver des emplois dans tous les secteurs de l'économie ?
 
Mais oui, parce qu'il va se passer quelque chose, c'est-à-dire qu'on est à un moment qu'on n'a pas le droit de rater, le moment où la démographie joue en faveur des jeunes : 100.000 départs à la retraite supplémentaires chaque année, 80.000 arrivées en moins de jeunes sur le marché du travail. 200.000 besoins. Donc avant la crise, c'était frappant, les entreprises en avaient besoin, elles en auront bientôt besoin ; on s'occupera des jeunes, et on fera des jeunes bien formés ayant envie de s'investir.
 
Et jusqu'à présent, on proposait souvent aux jeunes diplômés des stages qu'ils enchaînaient. Dans le journal Le Monde, L. Parisot trouve inadmissible de n'en faire que des stagiaires ; qu'est-ce que vous demandez aux chefs d'entreprise et du MEDEF, qui sont réunis aujourd'hui à Jouy-en-Josas ?
 
D'abord, là-dessus, c'est du concret, du concret, du concret. Quand j'ai commencé le travail sur la jeunesse, la première chose que m'a dite le MEDEF, c'est : "continuez, laissez-nous prendre des jeunes en stage, on prend des diplômés, trois mois de stage, c'est bien pour eux, et puis, on n'a pas à les payer". C'était faux ! Pendant la commission, entre MEDEF, CFDT, FO, CGT, UNEF, Génération précaire, tout le monde était d'accord pour dire que quand on embauche un jeune, on lui donne un salaire comme à quelqu'un de plus âgé, et on ne lui donne pas un faux stage, pas au lance-pierre. Je ne sais pas comment ça se passe dans toutes les entreprises...
 
Donc moins de stages et de vrais emplois...
 
Et de vrais emplois. Le stage, c'est pendant la formation, dans le cursus, quand vous faites une thèse, un master, etc. ; il faut des stages partout, pendant la formation ; une fois qu'on est formé, il faut un emploi. C'est simple et c'est comme ça que ça se passera...
 
Votre révolution "jeunes"...
 
Et, pardon, si, là-dessus, je le disais tout seul, on se dirait : "il est peut-être gentil, mais les entreprises ne vont pas suivre". Quand c'est L. Parisot qui le dit, après avoir dit l'inverse il y a quelques mois, cela veut dire que la priorité "jeunes", elle existe, elle est partagée, elle sera concrétisée.
 
Alors, votre révolution "jeunes", qui serait lancée pour plusieurs années, ce n'est pas un plan à la va vite et à la sauvette, il aura un coût, lequel ?
 
Je ne peux pas vous le dire précisément, parce que ça dépendra de...
 
Il y a une fourchette ?
 
Il y a un processus de décision, sur lequel on verra à quel rythme monter en charge...
 
Vous avez peur, dans cette période de déficits, de nous effrayer peut-être ?
 
Pas du tout, je n'ai pas peur de vous effrayer du tout ; moi, j'ai peur d'autre chose, mais je n'ai absolument pas peur de cela. Mais je ne pense pas que ce soit l'essentiel, et je suis sûr qu'on est en train de franchir le cap, où on sait qu'il peut y avoir du bon investissement en argent sur les jeunes. Tout le monde en est convaincu. Ce n'est pas pour creuser les déficits. Je vous rappelle juste un fondamental : aujourd'hui, sur les jeunes, qu'est-ce qu'on leur transmet, la dette des plus anciens. Et qu'on puisse consacrer un peu d'argent pour faire en sorte que cette fois, ce soit les jeunes qui en profitent, qui aient accès aux choses, qu'ils puissent déployer leurs talents, c'est la révolution que je propose...
 
Votre plan, est-ce qu'il peut être financé en partie par les quatre milliards qui vont être récupérés par la taxe carbone ?
 
Non, les 4 milliards de la taxe carbone, ils vont être redonnés directement aux ménages et aux entreprises.
 
Vous êtes favorable à la taxe carbone, vous ?
 
Ah oui, j'y suis favorable, comme j'étais favorable à ce que la CSG remplace les cotisations sur les salaires, je suis favorable à ce genre de mécanisme.
 
Donc vous avez été entendu, vous avez été très rassuré...
 
On travaille surtout beaucoup, beaucoup...
 
Il n'y a plus de raison de vous en aller ?
 
Mais on s'en fiche de cela, il y a une raison de travailler, tous les matins...
 
Vous restez ?
 
Vous me parliez de mes dossiers tout à l'heure, matin, midi et soir, de travailler... eh bien, là, je vais vous quitter pour aller re-travailler. Cet après-midi, je vais aller montrer que le RSA, ça marche à Elbeuf, contrairement aux "zozos" qui expliquaient que ça ne marchait pas, etc..
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 3 septembre 2009