Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "France Inter" le 17 août 2009, sur les tarifs de l'électricité, la situation difficile de certaines entreprises, la rémunération des traders.

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Média : France Inter

Texte intégral

E. Delvaux.- Vous êtes en direct de Marseille dans les bureaux de France Inter. On va commencer avec les tarifs de l'électricité. Depuis deux jours, ils ont augmenté de 2,3 % en moyenne alors que les prix à la consommation ont baissé de 0,7 % en un an, également les salaires stagnent pour beaucoup de Français. Cette hausse du prix de l'électricité pour les particulier, c'est en moyenne 1,9, je crois. Est-ce que vous estimez que c'est beaucoup ?

La hausse effectivement pour les consommateurs particuliers est de 1,9 %. Souvenez-vous de la polémique qui avait été initiée par la proposition de M. Gadonneix d'augmenter de 20 % sur trois ans, donc on est largement, largement en dessous de ces chiffres-là. C'est une augmentation qui est nécessaire. Pourquoi ? Parce que vous savez qu'on a la chance en France de bénéficier d'un parc nucléaire très important qui fournit de l'électricité à un coût bien moins élevé que chez nos voisins, on paie à peu près moins 30 % que chez nos voisins. Mais évidemment, ce parc il faut l'entretenir, il faut que nos centrales électriques soient le plus opérationnelles dans le maximum de sécurité possible, et il faut évidemment investir. Donc EDF a besoin d'investir pour améliorer son parc nucléaire français, c'est pour ça qu'il y a une augmentation des coûts mais qui est très très mesurée. J'ajoute qu'il y a en France, vous savez, un tarif social de l'électricité pour les ménages les plus démunis, qui, lui est bien inférieur bien sûr.

Justement, il y a une analyse de la Commission de régulation de l'énergie, qui parle, en gros, de "jungle tarifaire", où la hausse d'ailleurs semble toucher surtout les petits consommateurs d'électricité. Quel commentaire faites-vous sur cette étude ?

Le mot "jungle" n'est pas totalement inapproprié, parce que c'est vrai que nous avons une multitude de tarifs. On a, je vous le disais tout à l'heure, le tarif social pour les ménages les plus démunis ; on a le tarif normal pour les consommateurs qui sont des particuliers. Et puis, on a une série de tarifs distincts pour les PME, les grandes entreprises, les très gros consommateurs ; on a un tarif particulier qui a été négocié en son temps pour les grands consommateurs d'électricité dans le domaine de l'industrie. Et nous avons demandé à la CRE, que vous évoquiez tout à l'heure donc, de nous proposer des mécanismes permettant de mieux harmoniser, de mieux organiser nos tarifs et de les rapprocher, en particulier en ce qui concerne les entreprises, c'est nécessaire, et je pense que tous les consommateurs s'y retrouveront.

Ce matin, une médiation va débuter à l'usine Molex de Villemursur- Tarn : la direction américaine veut délocaliser en Chine et aux Etats-Unis, en laissant derrière elle 300 licenciements. C'est même devenu un peu cet été l'un des symboles du combat contre la globalisation. Quel enseignement tirez-vous de ce combat des salariés pour garder leur entreprise ?

Deux enseignements. Le premier, c'est qu'il ne faut jamais interrompre le dialogue social. Ce qui s'est passé dans l'affaire Molex, c'est qu'à un moment - pour des raisons d'ailleurs sur lesquelles on pourra revenir plus tard, ce n'est pas le moment -, le dialogue s'est interrompu. La direction américaine, qui négociait de manière assez correcte, tous les dispositifs en place au plan social, à un certain moment a décroché dans la négociation, et je crois que ça nous sert de leçon. Je suis heureuse qu'avec C. Estrosi, nous ayons pu désigner un médiateur qui va permettre de renouer les fils de ce dialogue. Mais la première leçon que j'en tire, c'est surtout maintenir en permanence, le dialogue et éviter des excès de part et d'autre, parce qu'il y a eu des excès de part et d'autre dans cette affaire-là. Deuxième enseignement, c'est qu'il faut absolument essayer de maintenir l'activité des salariés. Je dis "activité" à dessein parce qu'il y a des cas dans lesquels on ne peut pas maintenir l'emploi ; l'emploi, l'investissement étranger en France, ils sont décidés par les investisseurs. Mais maintenir l'activité, cela veut dire, soit maintenir l'emploi, chaque fois que c'est possible, et nous nous efforçons avec l'Agence pour les investissements internationaux, qui est une agence qui dépend de mon ministère, d'amener des investisseurs étrangers quand il n'y en a pas en France. Mais si on n'arrive pas à trouver le maintien de l'emploi par la reprise de l'établissement, il faut trouver une activité. Ça veut dire une formation professionnelle, une formation qualifiante, qui permette de rebondir et de retrouver de l'activité derrière. Ce n'est pas seulement le chèque qu'il faut aller chercher, c'est aussi une activité.

Justement, si on voit ce qui se passe dans d'autres usines, Continental par exemple, quand les salariés licenciés se battent pour repartir avec des chèques plutôt que du reclassement, est-ce que vous n'y voyez pas un peu l'échec de vos contrats de transition professionnelle, par exemple ?

Les contrats de transition professionnelle, je ne tirerais pas un bilan si tôt, parce qu'ils sont en place depuis moins d'un an de manière généralisée. On s'est vraiment battus avec L. Wauquiez pour en élargir le champ, parce qu'il y en avait sept au début à titre expérimental, on en a 25 en place maintenant, on en aura 40. Je rappelle très vite ce que c'est : le contrat de transition professionnelle, ça veut dire que dans un bassin d'emploi sinistré, cela permet à un salarié qui est licencié pour motif économique de conserver tout son salaire pendant 12 mois et d'acquérir en même temps une formation qualifiante. Donc c'est une belle démarche et je crois qu'il faut absolument la maintenir, surtout pas la condamner à l'avance, et engager les salariés dans cette voie-là.

Dans une semaine vous allez recevoir les patrons des banques pour préparer leur rendez-vous le lendemain avec le chef de l'Etat. Qu'allez-vous leur demander, de ne plus échauder l'opinion avec le retour annoncé des bonus ?

Je vais leur demander deux choses. Première chose, je vais leur demander quel est leur plan de marche, quelles sont leurs prévisions, quelles sont les consignes qu'ils vont donner à leurs réseaux pour financer l'économie française. C'est un objectif prioritaire. La rentrée, on le sait, bénéficie de la reprise économique que l'on perçoit dans ce chiffre de croissance positif de la France, + 0,3 % au deuxième trimestre, des signes de reprise, de frémissement ici ou là, des redémarrages de chaînes de fabrication, des aciéries qui se remettent en marche. Il faut impérativement que les banques soient au rendez-vous pour financer l'économie, pour financer les besoins en fonds de roulement des entreprises qui vont se trouver avec à nouveau peut-être des commandes et des trésoreries qui seront sans doute un peu à plat. Première chose.

Et la deuxième chose que vous allez leur demander ?

Deuxième chose, je vais leur demander quelles mesures elles proposent de prendre en matière de rémunération variable pour en particulier les tables de traders. On eu ce chiffre, vous vous souvenez, d'1 milliard d'euros de provision par la BNP ; on a, en Angleterre, aux Etats-Unis, en Allemagne, le même débat. La France, à l'initiative du président de la République, a été pionnière pour mettre cette question des rémunérations sur la table du G20, c'est-à-dire les pays qui représentent 80 % du PIB du monde. Il faut impérativement qu'on aille plus loin et qu'on mette fin aux excès et aux abus qui ne sont, d'une part, pas tolérables par l'opinion publique, et c'est bien légitime, et d'autre part qui incitent à la prise du risque.

Et votre commentaire justement sur les informations du Monde, selon lesquelles BNP-Paribas a versé en 2008 près de 50 millions d'euros à ses dix salariés les mieux payés, ça fait 5 millions d'euros par personne. Quel commentaire cela vous inspire ?

Je ne veux pas m'arrêter sur un chiffre. Je vais vous dire pourquoi. Parce que, d'abord, ce sera toujours trop, et deuxièmement, je crois que quand on a des situations à risque, on a évidemment besoin d'avoir les meilleurs. Et ce que nous devons éradiquer collectivement, c'est cette course à l'échalote, aux bonus. Il faut que toutes les banques arrivent à trouver un chemin commun qui permette d'éviter d'être en concurrence systématique où elles vont mettre de plus en plus d'argent sur la table pour attirer les meilleurs et garder les meilleurs. Donc il faut véritablement trouver un mode d'emploi collectif dans le secteur financier qui permette d'éviter des abus.

Vous parler de "collectivité, de "travail collectif", vous savez bien que la France ne peut rien. Comment la France...

Je ne suis pas d'accord avec vous, parce que la France seule, et je peux vous dire que j'ai participé aux réunions du G20 lorsque le président de la République s'est battu sur la question des paradis fiscaux, sur la question des normes comptables et sur la question des rémunérations, la France était très seule pour commencer la discussion. Et puis, petit à petit, il a réussi, nous avons ensemble réussi, à convaincre l'ensemble des partenaires de la justesse de nos vues sur ces trois questions-là. Il va falloir continuer à Pittsburgh.

Comment allez-vous convaincre justement à Pittsburgh, à la fin du mois de septembre je crois, 23 septembre, par exemple les Britanniques qui n'aiment pas trop qu'on vienne le nez dans la City ?

Vous avez bien raison. On a commencé le travail et j'en vois un signe évident dans deux choses. La semaine dernière, les banquiers de la City disaient "oh la, la, changer les bonus, ce n'est pas bon pour la City". Vendredi, à A. Darling, mon homologue, a dit...

"Pourquoi pas légiférer ?"...

...Pourquoi ne pas légiférer, si jamais les banquiers risquent de retomber dans leurs mauvaises habitudes ? Vous voyez, les choses arrivent à changer.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 17 août 2009