Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "Les Echos" le 17 septembre 2009, sur la taxe sur les transactions financières pour le développement.

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Texte intégral

Q - Vous aviez lancé l'idée d'une taxe sur les transactions financières pour le développement. Défendez-vous toujours cette idée ?
R - Je crois beaucoup dans cette contribution solidaire internationale sur les mouvements d'actifs mobiliers pour financer le développement et je défends ce principe depuis longtemps, depuis Médecins sans frontières. Lorsque j'étais ministre dans le gouvernement de Lionel Jospin, c'est même une proposition que j'avais faite.

Q - En France, Christine Lagarde avait indiqué, en mai dernier, que le projet n'était pas à l'étude.
R - Depuis lors nous nous sommes parlés. Christine Lagarde, en accord sur le fond, craint que son travail urgent sur les paradis fiscaux et les autres propositions au G20 de Pittsburgh soit gêné si l'on faisait cette proposition tout de suite. Je comprends sa position concernant la séquence et le calendrier. Mais j'ai parlé avec mon homologue britannique, David Miliband. Le Royaume-Uni est d'accord pour travailler avec nous sur le principe de cette contribution financière internationale dès octobre à Paris, avec le groupe pilote sur les financements innovants qui réunit 58 pays.

Q - Le président Nicolas Sarkozy soutient-il cette idée ?
R - Oui ! Il pense que la France doit se faire entendre et que l'ONU doit lancer l'idée. Il met en garde, comme Christine Lagarde, sur le calendrier. Les financements innovants ne sont d'ailleurs plus une nouveauté. L'Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination (GAVI), dont la France est le deuxième contributeur, a vacciné plus de 100 millions d'enfants. Lancé en 2006 par la France et le Brésil et soutenu maintenant par 13 pays, UNITAID, qui est financé notamment par un prélèvement de solidarité sur les billets d'avion, permet de traiter 100.000 enfants par an avec des médicaments contre le sida, la tuberculose et la malaria. Le président Sarkozy défend, à l'image de la taxe carbone, de nombreuses d'initiatives qui changent la donne. S'il enracinait la France dans ses certitudes anciennes, je ne serais pas là.

Q - Votre proposition sera-t-elle discutée lors de l'Assemblée générale des Nations unies qui s'ouvre juste avant le G20 de Pittsburgh ?
R - Je ne crois pas qu'elle sera discutée à l'Assemblée générale des Nations unies cette fois-ci. Il faut plus de temps, d'approche et de patience. Mais j'attends depuis 20 ans !

Q - Y aura-t-il une proposition à l'ONU néanmoins ?
R - Oui, bien sûr ! Non seulement une contribution de ce genre doit se justifier par elle-même, mais aussi rien ne peut être fait sans une concertation et une décision mondiale. Elle impactera en effet les investissements, les transports de fonds et toutes les transactions. Une initiative des Nations unies avec un vote des 192 pays de l'Assemblée générale aura donc plus de poids que celle d'un groupement géographique, fût-il une union aussi solide que l'Europe.

Q - Combien pourrait rapporter la taxe sur les transactions financières ?
R - Sur 1 000 euros, il ne s'agirait que de 5 centimes. Appliquée à l'échelle mondiale, cette contribution pourrait rapporter de 20 à 30 milliards d'euros, selon la nature des transactions concernées et en vertu de premières estimations qu'il nous faut actualiser et préciser. Cela dépend évidemment du montant total des transactions dans le monde. Je crois que la somme sera bien supérieure.

Q - Mais pourquoi ces financements innovants ?
R - Parce qu'il n'y a plus assez d'argent pour le développement. Ces financements doivent être consensuels, innovants et fraternels. Nous atteindrons bien un jour le 0,7 % du PIB consacré à l'aide publique au développement. Mais cela même sera insuffisant car nous sommes dépassés par les besoins dans les domaines du développement et du changement climatique. Il faut partager plus encore pour soutenir les pays pauvres.

Q - Qui doit prélever cette taxe ?
R - Ce sont les banques qui doivent faire ce prélèvement de 0,005 %. C'est facile pour elles de le mettre ensuite sur un compte pour le reverser à une échéance donnée. C'est là d'ailleurs où le responsable de l'autorité britannique de surveillance des marchés, Lord Adair Turner, en soutenant le principe d'une taxe financière pour prévenir une nouvelle bulle bancaire, a raison : un tel prélèvement participerait de la moralisation du système financier. Il faudra une direction éthique et que les projets financés soient contrôlés par les bénéficiaires eux-mêmes. Il faudra aussi créer un contrôle pour savoir quel pays doit en bénéficier, quelle est sa capacité d'absorption pour ce financement et sur quel projet et qui doit en bénéficier.

Q - L'une des questions que la France veut porter à l'ONU et au G20, c'est un projet de limitation des bonus. Est-ce du populisme ?
R - Ce n'est pas du tout du populisme. A des niveaux si élevés, c'est scandaleux qu'un jeune homme ou une jeune femme se déplaçant de Paris à Londres gagne autant d'argent sur si peu de risques finalement ou, plutôt, sur des risques que d'autres devront assumer pour lui pendant que les pays en développement stagnent.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 septembre 2009