Texte intégral
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, je suis heureux de revenir dans cette salle, où j'ai siégé de longues années, dans le cadre de ce qui s'appelait à l'époque la Délégation pour l'Union européenne.
Je suis aujourd'hui accompagné du nouveau directeur de l'Union européenne au ministère des affaires étrangères, M. Jean-Michel Casa, ainsi que de plusieurs membres de mon cabinet : son directeur, M. Jonathan Lacôte, son directeur adjoint, M. Pierre-Alexandre Miquel, Mme Delphine Burkli, élue parisienne qui s'occupe de la politique et de la presse, et M. Arnaud Magnier, fin connaisseur des parlementaires européens.
Le président Lequiller a fait un choix particulièrement heureux en organisant cette audition le jour de l'élection du président de la Commission européenne et la veille du dîner des chefs d'Etat et de gouvernement destiné à la préparation du sommet de Pittsburgh, consacré à la refonte du système financier mondial.
Je commencerai donc par dire un mot de ces sujets d'actualité.
M. José Manuel Barroso a été réélu par le Parlement européen président de la Commission avec une majorité de 382 voix, soit plus que la majorité absolue. Il a donc obtenu non seulement la majorité requise par le Traité de Nice, mais également celle qui lui serait exigée par le Traité de Lisbonne. Le débat politico-juridique commencé dans les coulisses est donc achevé : M. Barroso bénéficie d'une légitimité incontestée qui va lui permettre de composer son collège de commissaires et de démarrer son mandat sur des bases solides, quoi qu'il arrive à Dublin.
Au nom du gouvernement et du président de la République, je me félicite de son investiture : il était le candidat désigné à l'unanimité par le Conseil européen ; il était le candidat de M. Nicolas Sarkozy ; et il était le candidat figurant en photo sur les documents de campagne distribués en juin dernier par les listes de la majorité présidentielle.
M. Barroso avait été très attaqué, il a fait une très bonne campagne ; ceux qui ce matin encore appelaient à la radio à son renvoi se sont soit dispersés, soit effondrés. C'est un très beau succès. J'espère que sa victoire, ainsi que le vote, prévu cette semaine à Berlin, de la loi interne fixant les modalités d'exercice des nouveaux pouvoirs conférés au Bundestag et au Bundesrat - qui avait été rendue nécessaire par l'arrêt de la cour de Karlsruhe du 30 juin dernier -, contribueront à lancer une dynamique forte à la veille du rendez-vous irlandais du 2 octobre.
Quant au dîner des chefs d'Etat et de gouvernement devant préparer le G20 de Pittsburgh, il s'agit de la troisième étape d'un processus lancé durant la Présidence française de l'Union européenne : à la grande satisfaction du président de la République, cette formule de gouvernance est appelée à se pérenniser.
Une nouvelle phase dans l'histoire de l'Europe est donc en train de s'ouvrir : la question institutionnelle devrait être réglée d'ici à la fin de l'année, ce qui va enfin nous permettre de nous occuper de ce qui intéresse vraiment les Européens - à savoir leur prospérité, leur sécurité, leur bien-être, leur environnement.
J'espère que nous vivons la fin d'un très long chapitre institutionnel. L'Europe court derrière ses institutions. Depuis vingt ans que le mur de Berlin est tombé, nous n'avons cessé de chercher la boîte à outils capable de faire fonctionner l'Europe élargie : d'abord à Maastricht, sur la base d'un compromis franco-allemand, puis de traité en traité, de convention en conférence intergouvernementale, de référendum en référendum ; durant tout ce temps, nous n'avons pensé notre avenir qu'en termes institutionnels, ce qui a provoqué la désaffection d'une grande partie de nos opinions publiques. Résultat : 60 % de Français et 60 % d'Allemands ne sont pas allés voter en juin dernier ; ce sont 50 % d'abstentionnistes de plus depuis la première élection du Parlement européen au suffrage universel, il y a trente ans. Le défi qui se présente à nous est de redonner à nos concitoyens l'envie d'Europe, c'est-à-dire de rendre l'Europe pertinente dans leur vie quotidienne.
Je souhaite que le Traité de Lisbonne entre rapidement en vigueur : il donnera une légitimité démocratique renforcée non seulement au Parlement européen, mais aussi aux parlements nationaux, dans le cadre d'une collaboration nouvelle avec le pouvoir exécutif. De nouvelles institutions seront créées : un président du Conseil européen stable et, surtout, un Haut-Représentant de l'Union pour les Affaires étrangères, qui disposera du service pour l'action extérieure de l'Europe, principale novation du traité selon moi. Cette force de frappe diplomatique nouvelle sera le plus grand service diplomatique au monde. En la coordonnant avec l'aide au développement et les questions de sécurité, elle constituera un moyen essentiel pour affirmer l'existence de l'Europe sur la scène mondiale.
Nous travaillons d'ores et déjà, au Quai d'Orsay, à définir la nature, le périmètre et les missions de ce nouveau service, en étroite liaison avec nos partenaires. Nous examinerons, à l'issue du vote irlandais, les modalités de sa mise en oeuvre.
Bien entendu, l'issue du référendum n'est pas acquise.
Le gouvernement français souhaite que le "oui" l'emporte : c'est le président de la République française qui a souhaité le nouveau traité, et c'est la France qui, avec le Conseil et la Commission, a négocié les garanties dont a bénéficié le gouvernement irlandais, notamment en matière de droit de la famille et de neutralité. Je me suis rendu en Irlande fin juillet : le débat reste ouvert, nous verrons ce qu'il adviendra.
Tourner la page institutionnelle, c'est aussi mettre un terme au débat sur les frontières de l'Europe. L'heure est venue d'achever les derniers élargissements consécutifs à la fin de la guerre froide, qui concernent essentiellement les Balkans. S'y ajoute la question de l'Islande, qui vient de déposer sa candidature.
Vous connaissez la position de la France et le préalable que constitue pour nous l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne : il va de soi qu'une Union européenne qui n'aurait pas su réformer ses institutions ne saurait accueillir de nouveaux membres. En outre, nous souhaitons avoir une approche exigeante de l'élargissement. Il est hors de question d'accepter des adhésions au rabais ; cela vaut pour les Balkans, où le passé n'est pas totalement soldé, mais aussi pour l'Islande, dont le système financier doit impérativement être assaini.
Notre exigence doit être d'autant plus grande qu'il est désormais inscrit dans notre Constitution que tout nouveau traité d'adhésion doit en principe être soumis au référendum, la ratification par voie parlementaire - d'ailleurs considérablement durcie, puisqu'elle suppose une majorité des trois cinquièmes dans chaque assemblée - devenant l'exception. La vigilance s'impose donc.
Reste le dossier, cher à plusieurs d'entre vous, de la candidature turque. La position française est sans ambiguïté : nous souhaitons ardemment entretenir et enrichir encore une relation bilatérale pluriséculaire avec nos amis turcs - je recevrai d'ailleurs demain soir le ministre d'Etat turc chargé de la négociation avec l'Union européenne, Egemen Bagis, qui est un ami personnel -, nous sommes favorables au lien le plus fort entre la Turquie et l'Europe, mais nous sommes opposés à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Le président Nicolas Sarkozy s'y était engagé avant son élection, et les Français ont approuvé ce choix. "Nous sommes pour une association aussi étroite que possible avec la Turquie, sans aller jusqu'à l'adhésion" : c'est en ces termes qu'il s'était exprimé devant les ambassadeurs, en août 2007, au lendemain de son élection. Cette position n'a pas varié. Elle est celle du gouvernement, et je m'y tiendrai.
Nous avons accepté de poursuivre les négociations avec la Turquie sur les trente chapitres compatibles avec une issue alternative à l'adhésion ; en revanche, les cinq chapitres qui relèvent directement de la logique d'adhésion sont laissés de côté.
J'ajoute que, depuis ma nomination, j'ai rencontré de nombreux collègues européens ; la plupart m'ont confié qu'ils partageaient la position française, mais qu'ils ne pouvaient le dire publiquement.
Je voudrais également rappeler que le mandat de négociation de 2005, s'il affirme que l'objectif est bien l'adhésion, prévoit également expressément qu'au cas où celle-ci serait impossible, soit que la Turquie n'ait pas rempli toutes ses obligations, soit que "la capacité d'assimilation" de l'Union ne le permette pas, il conviendrait alors de trouver des formules alternatives permettant d'ancrer durablement la Turquie dans l'Europe.
Lorsque ces questions institutionnelles seront réglées - c'est-à-dire, comme je l'espère, à la fin de l'année -, il sera temps d'engager les grands projets pour l'avenir, à destination d'une Europe désormais réunifiée, forte de 500 millions d'habitants et du premier PIB de la planète, afin de lui permettre de peser dans les affaires mondiales au XXIème siècle. Telle est l'ambition du président de la République.
Premier grand projet : la sortie de crise. Le principal enjeu du G20 qui se réunira à Pittsburgh dans quelques jours sera la réforme du système de rémunérations dans le secteur bancaire, question qui avait été soulevée par le président de la République. Les citoyens européens ne comprennent pas pourquoi les banques, qui ont été aidées massivement par les pouvoirs publics, se sentent de nouveau autorisées à distribuer ou provisionner des bonus faramineux alors qu'elles ont parfois été responsables de faillites retentissantes.
Notre objectif est d'élargir aux pays du G20 les règles que nous appelons de nos voeux sur la transparence - obligations appropriées de publication -, la gouvernance - mise en place de comités de rémunération - et la responsabilité - encadrement et adoption de règles contraignantes pour les rémunérations variables, y compris les bonus, à la fois individuelles et collectives.
Nous devons en outre continuer à tirer les leçons de la crise et faire appliquer, au niveau mondial, les normes prudentielles de Bâle II, déjà adoptées par l'Europe en matière bancaire ; je rappelle que leur objectif est de déterminer des ratios entre les fonds propres et l'exposition aux risques, et d'appliquer ces ratios, non seulement à l'institution mère, mais aussi à l'ensemble de ses filiales.
Nous voulons réformer les normes comptables. Il s'agit d'un enjeu de sécurité financière majeur. La crise a montré les limites du système actuel de la fair value lorsque les actifs s'effondrent. Pour l'heure, les banques européennes se trouvent pénalisées.
Enfin, nous allons continuer à avancer sur le front de la lutte contre les paradis fiscaux - qui semblait impossible lorsque Nicolas Sarkozy l'a engagée, il y a moins d'un an. Des sanctions sont prévues contre les pays de la zone grise qui n'auront pas mis en oeuvre les standards de l'OCDE d'ici mars 2010.
Cette réforme du système financier engage l'Europe à prendre elle-même un certain nombre de décisions à la suite du Sommet de Pittsburgh. Certaines ont d'ores et déjà été actées. J'insisterai sur deux volets principaux.
Tout d'abord, la mise en oeuvre des décisions du Conseil européen de juin 2009 sur la supervision financière donnera à l'Europe une longueur d'avance. Sont prévues, d'une part, la création d'un Conseil européen des risques systémiques, chargé de surveiller les grands risques financiers, d'autre part, la transformation en Autorité dotée de pouvoirs contraignants des trois comités existants, qui rassemblent les superviseurs nationaux de chaque pays. La Commission présentera les textes d'application le 23 septembre, à la veille du G20. Nous soutiendrons les efforts de la Présidence suédoise pour faire adopter le plus rapidement possible ces textes, afin que le nouveau cadre institutionnel soit pleinement opérationnel dès 2010.
Ensuite, nous souhaitons que l'Europe adopte une stratégie de sortie de crise, immédiatement opérationnelle, de façon à fournir un agenda sur les grands défis de demain : l'innovation, la R & D, la politique industrielle et la maîtrise des finances publiques. En matière industrielle, nous avons l'espoir d'avancer en liaison étroite avec l'Allemagne, notamment sur les technologies vertes, la voiture électrique et ITER. Je vous renvoie sur ce point aux récentes déclarations du Premier ministre en Italie et aux "journées d'Evian" devant les hommes d'affaires français et allemands, le week-end dernier.
Le deuxième grand projet concerne l'énergie et le climat.
L'autre grand rendez-vous de cet automne, c'est la conférence de Copenhague. L'enjeu est d'obtenir une réduction d'au moins 50 % des émissions mondiales de CO2 en 2050, en prenant 1990 comme année de référence, afin de limiter le réchauffement à moins de 2 degrés par rapport à l'ère préindustrielle. Pour cela, il faut obtenir des engagements chiffrés des pays développés sur des objectifs à moyen terme d'une réduction de 25 à 40 % de leurs émissions d'ici à 2020.
En matière de climat, l'Europe a pris des engagements exemplaires : bien que ses émissions de CO2 ne représentent que 14 % du total des émissions de la planète, elle s'est engagée unilatéralement à les réduire de 20 %, voire de 30 % si les autres pays développés fournissaient un effort comparable.
La tâche est difficile, mais la situation n'est pas bloquée : nous sommes ainsi en train d'élaborer un texte commun avec les Brésiliens. Il s'agit d'un enjeu fondamental pour les conseils européens d'octobre et de décembre.
Du côté français, le président de la République a avancé une idée forte, qui servirait d'"arme de dissuasion" : il s'agit de la mettre en avant pendant la négociation. Comme il n'est pas question de pénaliser nos propres industriels en leur imposant des obligations financières alors que leurs compétiteurs n'en auraient aucune - ce serait une forme de dumping écologique -, on pourrait instaurer aux frontières de l'Union une "taxe carbone" - ou, plus exactement, un "mécanisme d'inclusion carbone" - de façon à rendre le jeu plus égal entre ceux qui continuent à polluer et ceux qui font des efforts environnementaux.
Le troisième grand projet porte sur la sécurité et la défense européennes.
En la matière, il est de bon ton de sauter sur sa chaise comme un cabri en disant "ça avance, ça avance !". Ma vision sera plus lucide : depuis le sommet de Saint-Malo, il y a dix ans, on a réalisé de bonnes choses, mais cela n'a pas beaucoup avancé. Il faut avoir le courage de l'admettre afin de prendre le problème à bras-le-corps.
A quoi sert de créer un grand service européen pour l'action extérieure si l'Europe n'a pas les moyens de défendre ses intérêts vitaux en cas de crise ? L'Europe de la défense a besoin de capacités militaires pour exister.
J'ai récemment réuni les industriels français du secteur. Le constat est grave : il n'y a jamais eu aussi peu de programmes de coopération industrielle entre Européens. Or des programmes communs supposent une analyse commune, ce qui pose le problème de la rédaction d'un éventuel Livre blanc européen sur la défense.
Il convient également de réorganiser nos industries d'armement et de mettre en place un marché européen des produits de défense. Une étape a été franchie cette année avec l'application des directives du paquet "Défense" qui, tout en tenant compte de leurs spécificités, soumettent les marchés publics de défense à des règles uniformes et transparentes.
Cela étant, il faut également saluer les réussites européennes, comme l'opération Atalante. Accompagné d'Arnaud Danjean, le nouveau président de la sous-commission "Sécurité et défense" du Parlement européen, et des parlementaires français qui le souhaiteront, je me rendrai d'ailleurs début octobre à Djibouti afin de rencontrer les ambassadeurs du COPS, promouvoir l'Europe de la défense et examiner, au-delà de l'opération maritime ATALANTE, ce qu'il est possible de faire dans cette région du monde.
Quatrième grand projet : le contrôle de l'immigration. La Turquie est la principale porte d'entrée illégale en Europe. L'an dernier, 150.000 clandestins ont été arrêtés en Grèce, qui a le plus grand mal à surveiller ses côtes et ses accès terrestres.
On note également une très forte augmentation des demandeurs d'asile, avec une hausse de 22 % en France l'année dernière. Les différences entre les législations nationales bloquent le système : chacun fait son marché et les accords de réadmission ne fonctionnent pas. Il faut impérativement prendre le problème à bras-le-corps.
Le cinquième grand projet, c'est l'Union pour la Méditerranée. Dans mon cabinet, j'ai nommé, outre un conseiller militaire, un conseiller chargé de cette question. Les relations entre l'Europe est sa face sud entrent en effet pleinement dans mes attributions. Des thèmes très concrets de solidarité ont été définis, comme les autoroutes de la mer, les autoroutes terrestres, la protection civile, les énergies de substitution, le plan solaire méditerranéen, la dépollution de la Méditerranée, l'enseignement supérieur et la recherche ou l'université euro-méditerranéenne.
L'Union pour la Méditerranée peut également être un facteur de paix : une initiative française vise à accompagner les efforts de l'ambassadeur Mitchell et les structures de l'Union sont susceptibles de procurer un cadre pour accompagner le règlement du conflit israélo-palestinien.
L'Europe fait face à un continent africain dont la population va quasiment doubler dans les trente prochaines années, atteignant 2 milliards d'habitants. Nous devons nous donner les moyens de nouer avec lui une relation de partenariat et de co-développement, seule réponse possible aux transferts massifs de population. L'Union pour la Méditerranée en est le premier jalon : pour la première fois se trouvent réunis autour d'une même table l'ensemble des pays riverains de la Méditerranée.
Pour terminer, je voudrais exposer la méthode que je compte employer pour mener à bien ces projets.
Dans une Europe réunifiée et un monde globalisé, la relation franco-allemande est appelée à évoluer, mais elle restera aussi essentielle que par le passé. La réconciliation franco-allemande fut la base de la construction européenne pendant la Guerre froide. Depuis la réunification, une relation franco-allemande forte est indispensable si l'on veut que l'Europe ait la volonté et la capacité de peser sur les affaires du monde.
Cela n'exclut pas pour autant d'autres relations bilatérales ; le Royaume-Uni est ainsi un partenaire indispensable sur les questions stratégiques ; de même, nos relations avec les pays d'Europe centrale et orientale, avec lesquels nous avons signé des "partenariats stratégiques", sont très importantes - je me rends d'ailleurs demain en Pologne.
Cela dit, faute de coopération franco-allemande, il semble difficile de rallier le reste de l'Europe et de peser sur le monde. D'ailleurs, le succès de la gestion de la crise financière est d'abord à mettre au crédit de l'action commune franco-allemande ; cela se vérifie à nouveau pour la préparation du sommet de Pittsburgh.
Il convient de nous préparer aux lendemains des élections législatives allemandes du 27 septembre. Dès ma nomination, j'ai lancé un exercice interministériel sur un "nouvel agenda franco-allemand pour l'Europe", afin que l'on puisse proposer dès le mois d'octobre des propositions concrètes au nouveau gouvernement allemand.
Par ailleurs, je souhaiterais associer la France à la préparation du vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin, événement symbolique extrêmement important qui coïncidera avec la commémoration du 11 novembre - qui devra, cette année, changer de signification. En 1989, nous avions donné l'impression d'hésiter devant ce rendez-vous de l'histoire ; faisons en sorte de le réussir vingt ans plus tard. Il y va de la solidité de tout l'ensemble européen.
Deuxième remarque de méthode : je n'hésiterai pas à prendre à bras-le-corps les problèmes laissés en suspens, car ils peuvent, comme l'expérience nous l'a montré, ressurgir à tout moment. En ce qui concerne la transposition des directives communautaires, la France a rattrapé son retard, mais elle traîne encore trop de contentieux, qui sont très mauvais pour l'image de l'Europe. S'ils concernent des collectivités territoriales ou des élus, je demanderai aux préfets de prendre contact avec eux. Je souhaite qu'un effort de transparence soit réalisé en ce domaine.
Un autre effort de transparence concernera le coût de l'Europe. Le Premier ministre a eu le courage de dire publiquement que nous sommes désormais devenus le premier contributeur net ex aequo, avec un solde de 5 milliards d'euros. Dans le même temps, la France subit une situation de sous-consommation des crédits des fonds structurels devant revenir à ses collectivités locales. Cela fait des années que le dossier traîne et que chacun se renvoie la balle.
J'ai donc pris langue avec mon collègue M. Michel Mercier et j'ai demandé au Premier ministre de nommer M. Pierre Lequiller en mission d'information sur le sujet, en liaison avec une députée européenne, Mme Sophie Briard-Auconie. Nous aurons donc, d'ici à la fin de l'année, deux visions, l'une nationale, l'autre européenne, sur le sujet, ainsi que le rapport de trois inspections - des finances, de l'administration et des affaires sociales - sur d'éventuels dysfonctionnements.
J'ai également été saisi par certains élus, notamment le président de l'Assemblée nationale, de la situation de nos régions frontalières, lesquelles, par exemple celles qui sont au contact de la Suisse, rencontrent des problèmes. Je me suis aperçu à cette occasion qu'il n'existait pas véritablement de politique frontalière nationale - en dépit de la présence au Quai d'Orsay d'un ambassadeur chargé des problèmes frontaliers.
Je souhaite par ailleurs constituer, avec le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et la délégation française au Parlement européen, une "équipe de France de l'Europe" qui veillera à ce que l'Union européenne soit un multiplicateur d'influences pour notre pays. J'ai déjà mis en place, avec la direction de l'Union européenne au ministère des Affaires étrangères, le secrétariat général des affaires européennes, les conseillers à l'Elysée, au cabinet du ministre des Affaires étrangères et européennes, mon équipe, ainsi qu'Hubert Haenel et Pierre Lequiller, un comité de pilotage européen hebdomadaire, afin de faire circuler les informations et de favoriser la "coproduction" en matière de politique européenne.
Le Traité de Lisbonne étend en effet considérablement les compétences du Parlement européen, qui décidera à égalité de droit avec le Conseil. Cela suppose de nouvelles méthodes de travail. En outre, la réforme constitutionnelle impose aux membres du gouvernement d'être davantage présents dans les commissions et les soumet à un plus grand contrôle de votre part. J'ai donc l'intention de travailler en liaison permanente avec les parlementaires nationaux et de faire en sorte que certains d'entre eux m'accompagnent dans mes déplacements.
Je suis par ailleurs en train de mettre en place un forum susceptible de regrouper les 250 à 270 eurodéputés francophones au Parlement européen.
Je ferai tout pour que Strasbourg soit confortée en tant que capitale européenne. J'étais hier à la Cour européenne des droits de l'Homme. Je sais combien le Conseil de l'Europe est important dans notre politique, notamment vis-à-vis de l'Europe de l'est et de la Russie. Ce sont autant de dossiers sur lesquels je compte m'impliquer.
Enfin, je garde en mémoire le rapport de M. Michel Herbillon sur le divorce entre l'Europe et les opinions publiques. Certaines de ses propositions ont déjà été appliquées, mais je compte poursuivre leur mise en oeuvre.
A compter de la semaine prochaine, tous les quinze jours, vous serez tous cordialement invités au Quai d'Orsay aux "matinées de l'Europe", pour un petit-déjeuner de travail sur les questions européennes.
Q - (à propos des partenariats avec le pays d'Europe de l'Est)
R - Me rendant régulièrement en Europe de l'Est, je ne dirais pas qu'un mur la sépare de l'Europe de l'ouest.
Certes, l'écart reste important et il y a beaucoup à faire dans certains pays, notamment en matière d'Etat de droit et de lutte contre la mafia. Des systèmes d'assistance ont d'ailleurs été mis en place à destination de la Roumanie et de la Bulgarie.
Certes, la France doit être plus présente. C'est pourquoi le président de la République a signé des partenariats stratégiques avec ces pays : au-delà de la relation franco-allemande et de mon travail hebdomadaire à Bruxelles et à Strasbourg, ma priorité est de renouer le fil avec ces pays, non pour faire pièce au rayonnement de l'Allemagne, mais parce qu'ils attendent beaucoup de la France, non seulement en matière culturelle, mais aussi dans le domaine économique et énergétique. J'ai ainsi été le premier entre les ministres européens à rencontrer, la semaine dernière, le nouveau Premier ministre bulgare. Celui-ci m'a fait comprendre que, lorsque la Bulgarie s'est vu privée de gaz, en janvier dernier, personne n'est venu à son secours. Il faudrait s'arranger pour être là !
La Commission a pris des mesures d'urgence - réversibilité des tuyaux, stockage - afin de gérer les prochaines crises. Nous devons aider ces pays, qui dépendent à 100 % du gaz provenant de Russie - à l'inverse, la péninsule ibérique ne dépend pas du tout de la Russie pour son approvisionnement en gaz. De même, la solidarité devra jouer, dans les prochains mois, dans le domaine de la santé. Soyez assuré, Monsieur Luca, que cela fait partie de mes priorités.
Q - (à propos de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne)
R - Pourquoi les autres Etats membres n'expriment-ils pas publiquement leur opposition à l'adhésion de la Turquie ? Ils connaissent le droit international et savent qu'il suffit que l'un des Vingt-sept ne ratifie pas le traité d'adhésion pour que cela ne se fasse pas - sans qu'ils aient à payer le prix économique d'un durcissement de leurs relations avec la Turquie. Je dois admettre que la position affirmée par la France n'a pas été sans conséquence sur un certain nombre de grands contrats, dont ont bénéficié d'autres nations.
Il est de notre intérêt, politique et stratégique, d'entretenir les meilleures relations avec la Turquie. Personne au gouvernement ne souhaite de tensions avec elle : c'est un pays ami, non un adversaire. Il existe un différend sur le devenir de la construction européenne et le fait de savoir si ce grand pays, qui serait le plus peuplé d'Europe, doit faire partie de la machinerie européenne. Cela peut se discuter, à condition qu'on le veuille. Ce que je souhaite, c'est que l'on évite des crises, et que l'on crève cette bulle d'hypocrisie qui entoure la question depuis 1963. Au moins, du côté français, les choses sont claires. J'ai entendu Mme Merkel se prononcer à son tour, durant sa campagne électorale, contre l'adhésion de la Turquie. On verra ce qui se passera après les élections. Ce sujet concerne tous les Européens, et je ne le traite pas avec légèreté.
Monsieur Caresche, s'agissant de la Turquie, je vous rappelle que, dès juin 2007, le président de la République a suspendu l'ouverture du chapitre sur l'intégration économique et monétaire. Au total, nous nous opposons à l'ouverture de cinq chapitres, mais ne sommes pas les seuls à le faire - huit ayant été bloqués par Chypre. Pour autant, nous n'avons pas interrompu les négociations, qui sont très importantes politiquement. Il ne faut pas fermer la porte à la Sublime Porte ! Nous avons besoin de relations aussi étroites que possibles, mais, selon nous, elles ne passent pas par l'adhésion.
Q - (à propos de l'OTAN et de l'Europe de la défense)
R - Monsieur Garrigue, je vous trouve bien sévère : personne n'a dit qu'en réintégrant complètement l'OTAN, on permettrait du jour au lendemain à la défense européenne d'exister !
M. Daniel Garrigue. C'était pourtant l'argument avancé !
M. le secrétaire d'Etat. Ce n'était qu'un argument parmi d'autres !
Ainsi, dans le livre que j'ai publié sur le sujet, je soulignais que beaucoup de nos partenaires européens mettaient en avant la non-appartenance de la France à l'OTAN pour faire planer un doute sur nos véritables intentions, en nous soupçonnant de vouloir construire la défense européenne dans le but d'affaiblir l'OTAN. Nous sommes désormais sortis de la polémique : plus personne ne peut nous faire de mauvais procès.
Si l'Europe de la défense ne progresse pas, ce n'est pas le fait de l'OTAN ; c'est parce que les dépenses militaires communes sont insuffisantes et qu'il n'y a pas de volonté politique ! Voilà ce qui freine l'émergence d'une défense européenne, bien davantage que l'appartenance ou la non-appartenance à l'OTAN. A nous de jouer les locomotives ; dans certains domaines, comme Atalante ou les opérations civilo-militaires, on arrive bien à obtenir des résultats.
Pour faire progresser l'Europe de la défense, il ne faut pas que les dépenses liées à la sécurité soient complètement étrangères aux perspectives financières de l'Union. Pourquoi trois Etats membres contribueraient-ils à hauteur des deux tiers aux dépenses militaires des Vingt-sept ? Y aurait-il une spécificité de ces pays ? Il convient de mettre ces questions sur la table, au même titre que la politique agricole, l'innovation technologique ou l'environnement.
Certes, la non-appartenance de la France avait un effet dissuasif pour certains de nos partenaires. C'était notamment le cas de la Pologne, qui, pour évoluer vers une défense européenne, devait avoir la garantie qu'il ne s'agissait pas d'une machine antiaméricaine. Désormais, elle est l'un de nos principaux partenaires en matière de défense.
Q - (à propos de la régulation des marchés financiers)
R - De même, en matière économique, nous avons beaucoup avancé en un an. Vouloir mettre fin aux paradis fiscaux apparaissait à l'époque comme un doux rêve ; ce n'est plus le cas aujourd'hui, même s'il reste du chemin à parcourir. Quant à la limitation des bonus, si ce ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt, elle va permettre de progresser en matière de régulation, de nouvelles normes comptables, de mise en place d'agences de notation. Le système financier qui découlera de la crise ne sera plus aussi dérégulé.
Ce sont la dérégulation et la cupidité des hommes qui, en 2008 comme en 1929, ont entraîné la crise. On ne changera pas la seconde, mais on peut essayer d'introduire une régulation intelligente. Beaucoup des idées retenues étaient à l'origine françaises ; elles ont été partagées par les Allemands, elles ont convaincu les Anglais, et elles ont fini par peser sur Wall Street. Je crois que nous pouvons être fiers de ce qui a été accompli, même si cela reste insuffisant : toutes les décisions prises vont dans la bonne direction.
Q - (à propos des transferts de technologie et de l'aide financière en direction des pays en développement)
R - Monsieur Deflesselles, s'agissant des transferts de technologie et de l'aide financière en direction des pays en développement, la difficulté est de faire les annonces au moment opportun : il faut pouvoir obtenir, en retour, des concessions. Des chiffres commencent à circuler. Promoteurs de l'énergie nucléaire et, avec les Allemands, de l'énergie solaire, nous faisons déjà beaucoup d'efforts en matière de transferts de technologie, notamment en direction de l'Afrique. Toutefois, il ne faudrait pas que cela serve d'alibi à de très grands pays qui ont décidé, pour des raisons de compétitivité, de ne faire aucun effort, ni en matière d'environnement, ni en matière monétaire.
Certes, l'exercice est difficile. Toutefois, les esprits commencent à évoluer. Nous verrons si les Américains adoptent le Clean Energy and Security Act. Ils ont déjà annoncé leur arme de dissuasion, puisqu'ils prévoient d'instaurer une taxe carbone automatique, alors même qu'ils n'ont pas fait, de leur côté, les efforts nécessaires. La négociation s'annonce donc complexe.
Quant à la proposition de Vincent Peillon, elle est issue d'un rapport d'initiative, qui n'a pas valeur législative. C'est une idée qui mérite d'être discutée. Je ne crois pas que le Parlement européen ait la possibilité de créer, seul, de nouvelles taxes, mais les transferts de technologies posent un vrai problème.
Q - (à propos de l'élargissement de l'Union européenne)
R - Monsieur Geoffroy, la Croatie échappe aux dispositions de l'article 88-5 de la Constitution. La position française est de conditionner tout nouvel élargissement à la mise en oeuvre du Traité de Lisbonne. La Croatie a déjà engagé le processus d'adhésion, l'Islande vient de déposer sa candidature, l'Albanie souhaite la déposer rapidement. L'adhésion de la Croatie permettrait de consolider la paix dans les Balkans - paix qui, comme vient de le montrer le différend slovéno-croate, demeure fragile. Elle ranimerait également l'espoir de la Serbie de retrouver sa place dans l'Europe - sous réserve d'une amélioration de ses relations avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, car il convient que les règles de droit soient respectées : il est hors de question d'admettre dans l'Union des pays qui font preuve de tolérance envers des criminels de guerre. Il nous faut donc concilier notre souhait de voir ces pays régler les problèmes qui les ont conduits au drame des années 1990 avec la nécessité d'être très fermes sur le respect des règles de droit - comme nous l'avons été envers la Croatie lors de l'affaire Gotovina.
Q- (à propos de la ratification du Traité de Lisbonne)
R - Concernant la Pologne et la République tchèque, je me refuse à toute spéculation. Laissons les Irlandais se prononcer.
J'ai bon espoir que l'on obtienne que la Pologne dépose ses instruments de ratification, mais j'évoquerai la question demain à Varsovie.
La situation est plus compliquée avec la République tchèque, la confusion politique actuelle étant largement utilisée par son président. Toutefois, si l'Irlande ratifiait le traité, tous les Etats membres l'auraient fait. La situation politique serait totalement différente, puisqu'il ne resterait qu'un instrument de ratification à déposer.
Q - (à propos du statut de la ville de Strasbourg)
R - Monsieur Schneider, nous nous battrons pour Strasbourg : son statut européen est garanti par les traités ; nous ne craindrons pas de parler de coûts, dans la mesure où nous sommes contributeurs nets, avec un solde de moins 5 milliards d'euros ; et son rôle international est fondamental. Je crois savoir que la conférence des présidents des Parlements de l'Union européenne a réglé la question. Quant au statut de métropole, il faut que vous en parliez directement au Premier ministre.
Q - (à propos de l'élection du président de la Commission européenne et de la stabilisation des institutions européennes qui "redonnerait l'envie de l'Europe à nos concitoyens")
R - Ce n'est pas ce que j'ai dit : j'ai dit qu'une fois que ce dossier sera réglé, on pourra enfin faire ce que nos concitoyens attendent.
Q - M. Philippe Tourtelier. D'ordinaire, on négocie comme on joue au poker : en gardant sa mise. Comme l'a écrit un ancien négociateur international, en matière d'énergie et de climat, les choses sont un peu différentes : il faut que l'Europe mette sa mise sur la table. Elle l'a fait s'agissant des objectifs à atteindre - et, en la matière, elle est crédible. En revanche, elle ne l'est pas en ce qui concerne les transferts de technologie et l'aide financière. A Pozna?, Jean-Louis Borloo avait affirmé que le Conseil de mars établirait les propositions de l'Europe : il ne s'est rien passé. La semaine dernière, quelques vagues chiffres ont circulé, mais sans véritable portée politique. L'ONU et d'autres organismes internationaux évaluent les sommes nécessaires à l'adaptation et l'atténuation à plusieurs centaines de milliards de dollars ; l'Union européenne parle en milliards ; or les fonds d'adaptation actuels s'élèvent à quelques centaines de millions ! Nous ne sommes pas crédibles. Il faut y remédier avant Copenhague, sinon nous courons à l'échec.
Les transferts de technologie se heurtent au droit de la propriété intellectuelle. Il existe plusieurs possibilités : on peut élaborer ensemble de nouvelles technologies et en partager les bénéfices ; on peut accorder des cessions par contrat ; et l'on peut, comme le demande l'Inde, transférer gratuitement certaines d'entre elles - il faudra creuser cette dernière piste si l'on veut obtenir l'accord de l'Inde, notamment en ce qui concerne l'énergie solaire.
A Pozna?, on a avancé que certains pays ne pouvaient, d'un point de vue constitutionnel, pré-affecter des ressources, que celles-ci proviennent de ventes aux enchères ou de taxes. Toutefois, si nous voulons être crédibles, il faut que les pays en voie de développement bénéficient de transferts de technologies propres ou acquièrent la possibilité de les obtenir. On parle à ce sujet de "dette écologique" - que l'on peut évaluer, le carbone ayant désormais un prix. Or, dans le même temps, les pays industrialisés perçoivent le remboursement d'une dette avec intérêts. Partant de cette observation, ne pourrait-on, sans déséquilibrer nos finances publiques, affecter une part des ressources nationales provenant des enchères à l'effacement de la dette des pays en voie de développement ?
R - C'est une très bonne suggestion, qui mériterait d'être étudiée ; je soumettrai la question à Jean-Louis Borloo et à la Commission.
Il convient en effet, monsieur Tourtelier, d'avancer des chiffres. Toutefois, nous devons aussi jouer le jeu de la négociation ! Il existe dans le monde d'autres pays développés, à commencer par les Etats-Unis et les grands Etats d'Asie : pour l'instant, personne n'a fait de proposition. S'il est important d'évoquer la question entre nous, Européens, nous devons aussi être capables d'exiger la pareille de la part des autres grands pays, sous peine de condamner nos économies. Déjà, les taxes carbones ne sont pas populaires - celle qu'a proposée le Gouvernement est très critiquée dans votre propre camp ; si, de surcroît, on annonce que l'on doit donner des centaines de milliards au tiers-monde, ce sera politiquement ingérable, à moins d'annoncer, en parallèle, des concessions américaines ou japonaises.
Nous sommes au début d'un processus, voire d'une révolution mentale. Pour la première fois, l'environnement, dont on ne parlait pas il y a encore deux ou trois ans, fait l'objet d'un processus de négociation potentiellement aussi important que les accords de Bretton Woods ou la création des grandes institutions de l'après-guerre. L'humanité cherche à s'organiser pour sauver la planète : c'est un immense défi, auquel nous ne répondrons pas en une réunion ! Reste à poser les bonnes questions, fixer les bons objectifs et se doter des bonnes armes de dissuasion - ainsi que, vous avez raison de l'ajouter, à transférer des technologies. Je n'ai pas le sentiment que la France et l'Allemagne aient été particulièrement égoïstes en la matière : nous sommes prêts à partager les technologies solaires et nucléaires, peut-être pas gratuitement comme le souhaiteraient nos amis indiens, mais un terrain d'entente peut certainement être trouvé.
Q - (à propos de la Présidence espagnole du conseil de l'Union européenne)
R - Pour répondre à la question initiale du président Lequiller, nous considérons la présidence espagnole comme stratégique : si, comme je l'espère, les questions institutionnelles sont réglées d'ici à la fin de l'année, il s'agira de la première présidence tournante de la nouvelle Europe, désormais dotée d'une présidence stable. Elle marquera donc une période de transition entre les deux systèmes. L'objectif de mon déplacement sur place, au début du mois, était de coordonner les positions de nos deux pays sur les priorités stratégiques : la sortie de crise, l'énergie, la défense européenne.
Q - (à propos du bilan européen de ces dernières années)
R - M. Pierre Forgues s'est montré dubitatif. Certes, le bilan européen de ces dernières années n'a pas été le plus brillant. Toutefois, la présidence française a donné espoir. Au-delà de toute considération partisane, elle aura prouvé que, quand il existe un leadership, des idées fortes et une volonté politique relayée par le couple franco-allemand, il est possible d'entraîner le reste de l'Europe, qui, à son tour, peut peser sur le reste du monde. A l'inverse, quand cette volonté politique manque, rien ne bouge et les Européens se détournent d'un système qui leur paraît à la fois lointain et trop présent sur certains sujets.
Lors de la crise financière, l'Europe a prouvé son utilité : la BCE a pris les bonnes décisions pour endiguer l'effondrement financier, et les plans de relance, bien que différents, ont été relativement coordonnés. Personne n'a prétendu que la France et l'Allemagne menaient la même politique économique, même si nos objectifs sont très proches en matière de contrôle de déficit. Le contrôle des dépenses de l'Etat est toujours d'actualité pour nous, avec la réduction du nombre de fonctionnaires, la réforme des retraites et la simplification de l'administration de notre pays.
Le programme d'investissement appelé "grand emprunt" va permettre de lancer un grand débat entre politiques, hommes d'affaire et syndicats pour déterminer les secteurs stratégiques pour les vingt ans qui viennent. Cet aspect très important de la sortie de crise, nous aimerions le voir traité à l'échelle européenne, à travers une politique industrielle commune, assortie d'un plus grand pouvoir d'initiative de la Commission. Dans son programme, M. Barroso a commencé à évoquer cette ambition. Nous y sommes totalement favorables.
Je ne prétends pas, Monsieur Forgues, vous guérir en si peu de temps de votre euroscepticisme, mais je vous assure que la volonté politique existe ; or, comme le prouve l'expérience de l'année écoulée, quand elle existe, l'Europe arrive à peser dans les affaires du monde.
Réussira-t-on dans tous domaines ? Cela reste à voir, mais les Américains ont leurs propres problèmes de politique intérieure, avec un Congrès sujet à la tentation du protectionnisme et une opinion publique qui ne comprend pas que les 700 milliards de dollars accordés par le Congrès servent à financer des bonus. Le résultat dépendra du rapport de force politique. Ce qui est sûr, c'est que le président de la République est déterminé à avancer sur ces dossiers ; il a téléphoné hier à Barack Obama, a rencontré ces jours derniers José Luis Zapatero, Jan Peter Balkenende et Gordon Brown : on devrait aboutir à une position commune.
Q - (à propos de l'idée d'un ministre franco-allemand)
R - L'idée d'un ministre franco-allemand circule. Il faudrait toutefois que l'éventuel titulaire du poste ait la double nationalité. Je vous rappelle par ailleurs que le secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes est également secrétaire général pour la coopération franco-allemande, et je n'écarte pas l'idée de nommer des personnalités pour développer la coopération franco-allemande dans certains domaines, comme la culture ou l'industrie.
Q - (à propos du contrôle du processus décisionnel au sein de l'Union européenne)
R - Monsieur Voisin, la comitologie doit être contrôlée. Le Traité de Lisbonne et la réforme de la Constitution donnent au Parlement français le pouvoir d'intervenir très tôt dans le processus décisionnel. A nous d'en user. Avec Pierre Lequiller et Hubert Heanel, nous allons mettre en place un système de veille - et la prochaine fois qu'un sous-comité d'experts décidera d'inventer en douce une nouvelle méthode de fabrication du vin rosé, nous interviendrons suffisamment tôt pour que cela ne devienne pas une affaire politique.
Q - (à propos d'Areva)
R - Quant à Areva, je n'ai pas suffisamment d'éléments d'appréciation pour me prononcer : je vous répondrai ultérieurement.
Q - (à propos des candidatures françaises à des postes européens)
R - Monsieur Lambert, je n'ai pas à faire des conjectures sur les éventuels candidats français aux postes européens. De surcroît, c'est au président de la république, et à lui seul, qu'il revient de négocier avec ses collègues chefs d'Etat et de gouvernement le nom, la provenance géographique et le sexe de ceux qui les occuperont. S'agissant de la Commission, aucun poste n'appartient à aucun Etat : son président est souverain pour la composer. José Manuel Barroso bénéficie d'une légitimité suffisante pour le faire en toute liberté, au terme de négociations avec les Etats membres. Le collège ainsi composé sera ensuite soumis à l'approbation du Parlement européen.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 septembre 2009