Texte intégral
Q - Bernard Kouchner, beaucoup de dossiers évidemment, beaucoup de questions internationales que nous allons essayer de traiter ensemble. : le référendum en Irlande, la situation en Afghanistan. Peut-être pourrions-nous commencer par l'Iran car vous avez eu, je crois, tout à l'heure au téléphone, Clotilde Reiss qui est retenue à l'ambassade de France en Iran, elle ne peut pas en sortir. Quelles sont les nouvelles de cette jeune femme ?
R - Je vous rappelle qu'elle a 24 ans, qu'elle a d'ailleurs connu un anniversaire difficile puisqu'elle était en prison, dans une prison très dure et qu'elle est accusée, sans fondement, d'avoir provoqué des manifestations, alors qu'elle est assistante et enseigne le français à l'Université d'Ispahan.
Je l'ai eu tout à l'heure au téléphone, il arrive souvent que nous nous parlions et elle va bien. Elle est à l'ambassade et elle a été libérée sous caution. C'est-à-dire que, théoriquement, s'il y a un jugement favorable, elle regagnera la France et retrouvera sa famille, c'est ce vers quoi nous nous dirigeons de façon très volontariste, ce que nous espérons fortement car elle est innocente. Seulement voilà, quand ? Nous ne le savons pas.
Q - N'avez-vous aucune information sur une date ?
R - Non, la semaine dernière, d'après ses avocats, il semblait que le juge soit prêt de délivrer sa sentence. J'espère, je veux absolument un non-lieu puisqu'elle n'a rien fait. Je vous rappelle qu'on lui reproche d'avoir photographié des manifestations ; il y avait des manifestations très importantes, il y avait des millions de gens dans les rues qui protestaient contre le résultat des élections et qui protestaient, en fait, contre le régime iranien. Clotilde, avec son portable, a pris des photos qu'elle a ensuite envoyées, comme tout le monde le fait.
Nous attendons donc cette décision et j'espère qu'elle interviendra et qu'elle sera influencée par ce vent d'optimisme, modéré puisque vous le savez les E3+3 (les Etats-Unis, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la France, la Russie et la Chine) ont rencontré l'envoyé iranien à Genève, il y a deux jours. Cela veut dire que quelque chose s'est passé ; depuis 18 mois, nous ne les avions pas rencontrés.
Q - Le climat a changé, comment qualifieriez-vous votre rencontre ? A-t-elle été constructive ?
R - Oui, mais il faut faire très attention.
Q - Alors, quel est le mot que vous choisiriez ?
R - Vous savez, nous avions accueilli avec bonheur la démarche américaine qui changeait de celle de l'administration précédente. Le président Obama avait souhaité dialoguer avec les Iraniens.
Cette dernière rencontre à Genève ne s'est plutôt pas mal passée puisqu'une nouvelle rencontre est prévue à la fin du mois d'octobre et, surtout, aujourd'hui, nous avons appris par Mohamed El Baradeï, le président de l'Agence internationale de l'Energie atomique, qu'il pourrait visiter, lui ou en tout cas ses experts, le 25 octobre prochain, le nouveau site de Qom, c'est-à-dire un nouveau site d'enrichissement qui était dissimulé en fait depuis environ quatre ans.
Bien entendu, cela a provoqué un émoi formidable parce que nous les accusons de ne pas dire toute la vérité sur leur programme nucléaire. Si cette activité a des fins pacifiques, nous l'acceptons, évidemment, et même nous pouvons l'encourager. Mais à des fins militaires, cela est tout à fait interdit. Pas de bombes atomiques qui, non seulement compliqueraient mais rendraient cette région déjà inflammable encore plus instable. Voilà donc, l'AIEA visitera le 25 octobre, le site de Qom qui avait été dissimulé.
Q - Etaient-ils obligés de le faire savoir ?
R - J'imagine qu'ils se sont sentis pressés comme les renseignements se précisaient, renseignements venus bien sûr des chancelleries occidentales et probablement aussi d'ailleurs, de Russie et de Chine. Je ne sais pas pourquoi ils ont décidé de le dire ce jour-là, mais enfin ils l'ont fait.
Q - Pour entrer un peu dans le détail, on a appris aujourd'hui que la France, la Russie et les Etats-Unis allaient discuter avec les Iraniens du problème de l'enrichissement de l'uranium en dehors de l'Iran. Et nous avons cru comprendre, vous allez naturellement nous éclairer, que la France ferait partie de ce processus, notamment ... de l'uranium enrichi à 19,5 %. La France fabriquerait les tubes qui permettent l'utilisation civile de l'uranium.
R - C'est exact. C'est un voeu, cela fait partie de la négociation. Tout d'abord, il faut parler de ce développement de l'énergie nucléaire civile et s'assurer de son caractère uniquement civil, en répondant aux questions de l'AIEA. Les Iraniens n'ont pas répondu aux questions de l'AIEA qui sont pourtant très simples. Oui ou non, l'enrichissement de l'uranium en Iran a-t-il eu ou a-t-il toujours une finalité militaire ?
Vous savez ce que nous proposons, c'est le gel contre le gel. Je vous rappelle que le Conseil de sécurité et les E3+3, ont déjà proposé et fait voter trois séries de sanctions au nom des Nations unies.
Nous voulons bien ne plus parler de sanctions pour le moment, mais il faut parler du coeur du sujet, c'est-à-dire : est-ce que cet enrichissement de l'uranium est dangereux ou pas ? Si nous en parlons, alors, oui, on pourra accepter - et je crois que nous le ferons, les Russes aussi d'ailleurs - d'enrichir suffisamment cet uranium qui ne l'est pas, de façon à nourrir un réacteur de recherche qu'ils ont tout à fait le droit de posséder.
Q - Cet uranium enrichi à 5 %, nous allons l'enrichir à 20 % et il est toujours à destination civile. Comment aura-t-on la garantie qu'ensuite ils ne l'enrichiront pas à 90 % pour faire du militaire ?
R - Ce qui nous le garantit, ce sera l'ouverture de tous ces sites et des inspections crédibles, des réponses apportées aux questions auxquelles, pour le moment, ils ne veulent pas répondre.
La matière se présente sous une forme gazeuse, on en ferait de la matière solide, dans les tubes qui serviront pour le réacteur de recherche, à fabriquer, par exemple, des isotopes médicaux. Cela est tout à fait naturel et nous le ferons si nous avons la garantie qu'aucune autre utilisation ne pourrait en être faite.
Q - Avez-vous le sentiment, Bernard Kouchner, que l'on peut aller vers une sortie de crise dans ce dossier du nucléaire iranien ?
R - Cela fait longtemps qu'on le dit en tout cas. Je souhaite que nous sortions de cette crise.
Q - Vous semble-t-il qu'il y ait une ouverture et que la partie iranienne est de meilleure composition qu'elle ne l'a été, peut-être plus honnête qu'elle ne l'a été ?
R - Je pense qu'il y a un mouvement. Je pense qu'il y a une petite ouverture, que la protestation dont nous avons parlé, la protestation populaire, dans les rues, toute une opposition maintenant très déterminée n'y est pas pour rien. Si c'était le cas, nous serions très heureux. Mais je voudrais vous signaler que la France, depuis deux ans et demi, parle sans cesse aux Iraniens, ce n'est pas nouveau.
Les Américains ne voulaient pas parler même s'ils étaient présents, il y a 18 mois, à la dernière réunion des E3+3 à Genève. Maintenant, les voilà qui tendent la main, nous ne pouvons que nous en réjouir. Nous même, nous le faisions depuis longtemps. Essayons, nous verrons très vite comment les choses se déroulent.
Q - Oui mais, a contrario, on parle depuis très longtemps avec les Iraniens, vos prédécesseurs ont eu eux aussi des négociations. Il y a eu la Troïka et, finalement, lorsque l'on rembobine le film, ce que l'on voit, c'est que le seul moment où ils ont stoppé leur programme, leur course à l'atome, c'est en 2003 lorsqu'ils se sont sentis sous la pression, sous la menace directe des Américains et alors que les négociations, les marchandages leur ont permis au contraire de "jouer la montre" et de persévérer en poursuivant leur programme. Ce constat n'appelle-t-il pas à davantage de fermeté, à des sanctions rapides et à des menaces plus directes ?
R -. Nous sommes très fermes et nous avons dit les choses avec une grande détermination, en particulier le président de la République, surtout à New York, au sommet du Conseil de sécurité consacré au désarmement nucléaire, alors que, devant nous, il y avait des menaces qui venaient de l'Iran et de la Corée du Nord. Nous avons été très fermes mais, en même temps, nous gardons espoir !
Vous faites allusion à six mois de moratoire qui ont eu lieu dans les années 2000. Après, nous avons voulu associer, car c'était le début, l'Europe et trois pays seulement de l'Europe. Et puis, nous avons associé les membres permanents du Conseil de sécurité.
Il y a un élément nouveau depuis cette époque, il y a une menace de frappes israéliennes qui est chaque fois évoquée. Doit-elle nous renforcer ? Oui, elle doit renforcer notre tentative, notre volonté d'apaiser les tensions, nous cherchons la paix. C'est simple et clair, nous ne voulons pas qu'il y ait plus de tensions au Moyen-Orient, car nous pensons - et cela est un autre élément, mais l'on en parlera certainement - qu'il faut absolument tout faire pour obtenir la paix au Moyen-Orient. Cette paix passera par la création d'un Etat palestinien. Nous nous attelons à cette tâche, nous sommes très clairs là-dessus. Je pense qu'aujourd'hui, et il faut s'en féliciter, la diplomatie française pèse beaucoup dans ces dossiers.
Q - La menace israélienne...
R - Oui, elle renforce les extrémistes de part et d'autres, c'est trop dangereux.
Q - La considérez-vous sérieuse cette menace israélienne ?
R - Oui.
Q - Croyez-vous qu'une frappe israélienne peut réduire à néant le programme nucléaire de l'Iran ?
R - Je crois que cela dépend de l'évolution de ce début de négociation. Mais, en tout cas, il faut prendre cela très au sérieux, bien sûr.
Le début de la négociation, c'était jeudi, quelques jours plus tôt, il y a eu des tirs de missiles, en particulier des missiles qui dépassent une portée de 2000 km. Alors, vous comprenez, on découvre à la fois un nouveau site d'enrichissement et on découvre aussi qu'il y a des missiles qui pourraient peut-être même être équipés d'armes atomiques. Nous faisons évidemment preuve de grande fermeté.
Q - Je voudrais vous dire une chose, Monsieur le Ministre il est clair, évident, patent que M. Ahmadinejad a "bourré" les urnes, qu'il a été élu de cette manière-là. Il finance le Hamas et le Hezbollah, deux mouvements terroristes. D'un côté, il nous promène en nous disant qu'il est prêt à discuter et, de l'autre, il continue comme si de rien n'était. Ma question était : Ne sommes-nous pas en train de nous faire "berner" tout simplement ?
R - Ce qui compte n'est pas d'être berné, c'est d'obtenir la paix. C'est très clair. D'autre part, je ne sais pas s'ils ont "bourré" les urnes, mais la protestation populaire, cela est un élément bien réel.
Q - Il est clair qu'ils l'ont fait.
R - En tout cas, beaucoup, au sommet de l'Etat, l'ont affirmé et c'est cela qui compte. Je vois un grand espoir dans la réaction du peuple iranien, que cela change. Si, en même temps, le sentant, les dirigeants actuels de l'Iran marquent des signes d'ouverture, eh bien, nous n'avons qu'à nous en féliciter.
Q - Il y a 400 ans de relations diplomatiques entre la France et l'Iran, mais, depuis la révolution islamique, on a toujours sous-estimé, semble-t-il, la capacité de nuisance de l'Iran et on l'a payé cher. Il y a eu des otages au Liban, il y a eu des bombes à Paris, des attentats contre des opposants iraniens, etc. Quand Clotilde Reiss, dont on parlait à l'instant, a été arrêtée, avez-vous été pris au dépourvu ou vous êtes-vous dit que c'est un avertissement et la première vengeance des mollah à qui justement on a reproché d'avoir bourré les urnes ?
R - Vous connaissez trop la politique internationale pour arrêter les choses à partir de l'arrestation de Clotilde Reiss. Il y a eu des élections et, comme le dit Etienne Moujotte, il y a eu une contestation du résultat. Nos contacts avec les Iraniens nous prouvent que ce mouvement concerne une énorme proportion de la population. On dit "les femmes et les citadins", cela représente beaucoup pour un pays surtout qu'il y a de grandes agglomérations et qu'une femme sur deux est un homme.
Q - "Une femme sur deux est un homme" : on va réfléchir au concept !
R - Figurez-vous que cela a été un élément décisif. Je pense que dans les éléments que vous venez de citer, tout ne vient pas de l'Iran. Il y a aussi une tension au Moyen-Orient dont il faut tenir compte et en particulier les groupes extrémistes qui voient, dans la personnalité du président iranien, Robin des bois, Che Guevara ! C'est aussi cela qu'il faut prendre en compte. Lorsqu'il dit aussi fermement qu'il le fait, de façon inacceptable bien entendu, qu'il veut rayer de la carte l'Etat d'Israël, lorsqu'il parle des dirigeants arabes, il apparaît évidemment, dans ce que l'on appelle "la rue arabe", comme quelqu'un qui n'a pas peur. Il faut dégonfler tout cela. Il faut créer un Etat palestinien. C'est certain, ce n'est pas 90 % des résultats, mais c'est forcément quelque chose qui compterait. Nous nous attachons à régler ces deux problèmes qui sont liés : le conflit au Proche Orient et l'Iran.
Regardez ce que nous avons fait avec la Syrie. Nous avons renoué les relations avec la Syrie qui est un allié plus ou moins fidèle de l'Iran. Au début, les Américains nous ont dit que c'était une honte et, maintenant, ils suivent notre exemple.
Je vous assure que la diplomatie française compte dans le monde maintenant.
Je ne sais pas à quel moment on enverra à nouveau le sénateur Mitchell à Damas, mais c'est en train de se faire. Nous essayons - la Syrie l'a bien compris - d'ouvrir un peu le jeu et d'apaiser les tensions et nous y arriverons. Et s'il faut être fermes, je vous assure que nous le serons.
Q - Y a-t-il au sommet de l'Etat français, entre vous et le président de la République, une divergence d'approche sur le dossier iranien ?
R - Ne plaisantons pas avec ces choses sérieuses. Le président de la République et moi-même avons des rapports qui reposent, de ma part, sur la liberté et la loyauté. L'un ne va pas sans l'autre et, d'ailleurs, je ne serais pas très intéressant pour le président si je n'avais pas cette liberté de ton. Maintenant, ce à quoi vous faites allusion, ce dont la presse s'est occupée plutôt que du fond des dossiers, ce sont deux secondes d'échange à propos d'éventuelles sanctions.
Q - C'était la tonalité de l'interview que vous aviez donnée au New York Times qui avait été jugée par le président de la République comme trop conciliante ?
R - Non, c'était une question d'un journaliste alors que le président et moi étions là et que l'on a parlé à la fois de la Birmanie et de l'Iran. Mais, cela n'a pas d'importance, ce qui compte c'est cette liberté et cette loyauté. J'ai connu, j'ai servi plusieurs présidents de la République, je n'ai jamais eu auparavant cette liberté d'échanges qui existe entre le président Nicolas Sarkozy et moi-même. Il est évident que c'est lui qui prend les décisions et que je les applique. Si je ne les appliquais pas, je devrais m'en aller.
Q - J'étais tenté de vous poser la question car tout à l'heure, au détour d'une réponse, vous avez dit que les Iraniens ne répondent pas à la question de savoir ou ne répondent pas franchement et avec honnêteté à la question de savoir si leur activité d'enrichissement de l'uranium est faite à des fins militaires ou pas. Dans Le Parisien de jeudi, Hervé Morin ministre de la Défense, dit ceci : "Tous les indices démontrent que l'Iran poursuit un programme nucléaire d'enrichissement de l'uranium à des fins militaires". Le diriez-vous ainsi ou non, Bernard Kouchner ?
R - Je le dirais comme le dit M. El Baradeï lui-même mercredi dernier. S'ils ne répondent pas aux questions élémentaires qu'on leur pose sur une période particulière, où ils auraient commencé de développer un programme militaire, on soupçonne bien entendu qu'ils l'aient fait. Voilà, c'est évident.
Tout porte donc à croire qu'au moins ils ont été tentés de le faire et nous essayons de désamorcer tout cela en étendant les investigations, les inspections de l'Agence et en étant sûr que maintenant, ils ne peuvent plus le faire. Je ne suis pas naïf mais on ne va pas mettre de l'huile sur le feu dans cette région du Moyen-Orient où tout peut exploser.
Q - Mais, le fond du problème, c'est 30 ou 40 ans que l'Iran cherche à avoir la bombe. Déjà, du temps du Shah, il y avait cette idée. Il y a donc peu de chance que cette idée ne sorte de la tête des dirigeants iraniens et de M. Ahmadinejad.
R - Tentons de l'en faire sortir. On verra bien à ce moment-là. Mais, il y a trente ou quarante ans, il y a de nombreux pays qui ont fait cela. Eux, ils ont signé le Traité de non-prolifération et ils ont des obligations. On leur rappelle simplement ces obligations. La tentative extrêmement nécessaire pour mettre ces choses à plat vient également du président Obama, puisqu'il veut un désarmement et il en a fait, par exemple la semaine dernière à New York, l'objet de la réunion du Conseil de sécurité. Je sais que le monde est dangereux. Nous le savons tous. Il est très dangereux, tout particulièrement là-bas.
Bien sûr que je ne méconnais pas ce danger très précis, le président de la République non plus. Mais il y a aussi le déséquilibre au Moyen-Orient, le déséquilibre de l'injustice, le déséquilibre de la misère, etc. Je ne parle par seulement de l'Iran. De façon générale, tout cela nourrit cette vindicte de M. Ahmadinejad.
Q - Le président de la République a dit que dans son esprit, en décembre, il fallait que les choses soient claires sinon on irait vers de nouvelles sanctions. Le calendrier vous va Bernard Kouchner ?
R - Oui, il me va. C'est le président de la République qui l'a fixé, donc il me va. Ce qui a été très spectaculaire, c'est que, ensemble, le président Obama, le président Sarkozy et M. Gordon Brown ont parlé très fermement du dossier iranien - Mme Merkel n'était pas là parce qu'elle n'était pas encore arrivée - à Pittsburgh, alors que la réunion du G20 était davantage consacrée à l'économie et à la réponse à la crise. Nous sommes d'accord. On va ouvrir les négociations, elles ont été ouvertes jeudi. Nous allons continuer, avec beaucoup de bonne volonté mais avec vigilance.
Avant de parler de l'Europe, je voudrais rendre un hommage très personnel à un homme qui est mort il y a trois jours. Il s'appelait Marek Eldeman, un grand Polonais qui était le dernier survivant du soulèvement du ghetto de Varsovie. Il était resté en Pologne et il a combattu. C'était un militant de la tolérance, alors que lui-même avait fait preuve d'une grande force et d'une grande intolérance à l'égard des injustices. Il était cardiologue, il est resté en Pologne et il a servi son pays, la Pologne. Je crois que c'est un morceau d'histoire qui passe devant nous. Il n'y a plus de survivant de la révolte du ghetto de Varsovie. C'était un très grand Européen. Quand Solidarnosc est né, il a milité, il a été emprisonné. Il est allé dans les Balkans, en Bosnie. C'est un grand homme et je suis très fier que la France l'ait élevé au rang de commandeur de la Légion d'Honneur. C'était un modèle.
Q - Nous sommes heureux que vous ayez pu lui rendre hommage dans ce Grand Jury. Ce sont aussi ces parcours-là qui nous rappellent pourquoi on a fait l'Europe. Les Irlandais dans la prospérité l'année dernière avaient repoussé le Traité de Lisbonne et aujourd'hui dans la crise, parce qu'ils se disent : "si jamais on met l'Europe en panne cela n'ira pas", ils votent oui. Cet égoïsme irlandais, vous en dites quoi ?
R - Vous savez, nous avons voté "non" aussi, heureusement que l'on a changé.
Q - On passe du "non" au "oui" parce que la crise est là en Irlande.
R - C'est une bonne raison. Peut-être qu'ils se sentent défendus en Europe. En tout cas ils étaient défendus par l'euro et l'euro vient de l'Europe. Il était temps qu'ils le voient. Ne boudons pas notre plaisir et soyons heureux de ce résultat massif, près de 67 %. Apparemment, ils étaient inquiets tant la surprise avait été grande lorsque, l'année dernière, ils ont voté "non". Mais nous n'avons pas de leçon à leur donner. Nous avions nous-mêmes voté "non" par référendum et nous avons corrigé le tir en ratifiant le Traité de Lisbonne.
Q - Le Traité est sauvé ou bien prenez-vous au sérieux la menace des conservateurs britanniques, s'ils reviennent au pouvoir au printemps, de faire un référendum à leur tour, dont on connaît déjà le résultat ? Ce sera sans aucun doute "non". Est-ce qu'à votre avis c'est une spéculation et on verra bien le jour venu ? Ou est-ce que vous pensez qu'il y a encore une torpille qui peut pulvériser cet édifice du Traité de Lisbonne ?
R - Oui, c'est fragile. Tout d'abord je prends très au sérieux les conservateurs britanniques, s'ils gagnent les élections de l'an prochain au Royaume-Uni. Ils sont venus nous voir, nous les avons rencontrés. J'ai rencontré M. Cameron et M. Haig, qui serait ministre des Affaires étrangères. En gros, ils disent "tout avec vous, rien avec l'Europe". Et ils sont prêts, vous avez raison, à un référendum qui, sans aucun doute, verrait les Britanniques sortir du Traité de Lisbonne et ne pas accepter ce qu'ils ont accepté au Parlement. Tout cela repose sur un homme, pour le moment.
Vous avez remarqué que le président tchèque, M. Vaclav Klaus, est un anti-européen constitutionnel, je n'ai pas dit pathologique. Sa personnalité, son intelligence ne sont pas en cause. Il est profondément anti-européen, il pense qu'il rendrait service à l'Europe - ces 500 millions d'habitants, le plus grand marché du monde, les pays les plus riches du monde qui enfin s'entendent, après 15 ans d'activité constitutionnelle. Depuis Maastricht, on n'arrête pas, les gens n'y comprennent plus rien.
Enfin on va pouvoir se consacrer aux vrais problèmes et, en particulier, à la politique extérieure commune de l'Europe. Je ne peux pas imaginer que les Tchèques accepteraient qu'un homme bloque le processus. Il faut aussi savoir qu'il y a des sénateurs qui ont déposé un recours devant la Cour constitutionnelle. Il faut attendre le résultat de tout cela. On ne peut pas être anti-démocratique au nom de l'Europe et de la démocratie, mais quand même, c'est dur à supporter. Je ne souhaite pas que cela se fasse trop vite. Nous sommes rassurés par nos amis irlandais qu'il faut encore remercier. Je crois qu'il ne faut pas se précipiter parce que cela mettrait M. Klaus dans une position d'arbitre insupportable. Il y a un Conseil européen à la fin du mois d'octobre, je pense qu'il faut laisser passer cela tranquillement.
Q - Vous espérez quoi avec le recours constitutionnel en République tchèque ?
R - J'espère qu'il ne sera pas accepté et qu'enfin M. Klaus sera obligé de ratifier le Traité qui a été voté par le parlement.
Q - Mais lui ne veut pas le ratifier. Le président polonais ne l'a pas ratifié non plus.
R - Il prend tous les prétextes pour ne pas le ratifier.
Q - Faisons un rêve. Si l'horizon se dégage. On a bien vu que vous aviez pris goût aux affaires européennes, notamment pendant la Présidence française du Conseil de l'Union européenne. Dans six mois il va falloir trouver, si le Traité de Lisbonne est appliqué, un ministre des Affaires étrangères de l'Europe. Vous l'avez évoqué à l'instant. Est-ce que vous vous sentez l'envie, l'ambition, l'énergie, l'expérience d'être cet homme-là le jour venu ?
R - C'est un poste intéressant. Pour le moment il n'y a pas de candidature. Il n'y en a même pas d'ailleurs à la présidence du Conseil, et il faudra aller dans l'ordre, n'est-ce pas ? C'est un poste magnifique et je pense qu'avoir enfin une expression politique pour ces 27 pays, c'est-à-dire que l'Europe joue enfin un rôle au Moyen-Orient, en Afghanistan, égal à celui des Etats-Unis, en toute amitié avec les Etats-Unis, ce ne serait pas mal ! Nous l'avons demandé, sous la présidence de M. Bush. Nous avons fait, à 27, un texte, que l'on a appelé le document transatlantique, pour dire : "on ne va pas se contenter toujours de payer". Nous voulons participer au processus politique. C'est passionnant, il y aura un haut-représentant de l'Europe mais les candidatures ne sont pas ouvertes.
Q - En restant positif, et en prenant le "oui" irlandais comme une bonne nouvelle, revenons quand même à la manière dont cela marche à 27. Quelquefois, cela ne marche pas. Est-ce que vous pensez que le moteur franco-allemand reste un axe essentiel pour faire marcher cette Europe à 27 ?
R - Oui. Mais il y a d'autres axes et il y en aura d'autres. Encore une fois, l'entente entre Mme Merkel et le président Sarkozy est excellente - j'ai été témoin de tout cela. D'ailleurs j'en étais très honoré. Nous avons des modèles un tout petit peu différents et, surtout, nous sommes concurrents en termes d'industrie. L'Allemagne nous "taille parfois des croupières". Alors, même si nous ne sommes pas tout de suite d'accord avec les propositions des uns et des autres, regardez ce qui s'est passé pour le G20, création française tout de même, c'est une idée de Nicolas Sarkozy, tout au long du processus : Washington, Londres, Pittsburgh, etc. Avec les Allemands, nous nous sommes merveilleusement entendus, mais pas seulement avec eux. Nous craignions en particulier le libéralisme de la City de Londres qui est quand même très connu, n'est-ce pas ? Eh bien, ils ont été d'accord. Il faut aussi travailler avec les Espagnols, avec les Italiens, avec les Polonais. Mais c'est difficile et j'espère que l'on va enfin parler d'autre chose, avoir une stabilité. C'est très important d'avoir un président.
Q - Croyez-vous à ce moteur franco-allemand ? Oui ou non ?
R - J'ai répondu oui. Mais je crois aussi qu'il faut mettre du carburant dans le moteur. Il faut que cela avance, pas seulement avec l'Allemagne même si avec l'Allemagne cela a une importance majeure et s'il faut commencer par cela.
Q - Huit soldats américains ont perdu la vie en Afghanistan aujourd'hui, dans des affrontements avec les Taliban. Ce sont les plus lourdes pertes de l'OTAN depuis un an. Les forces de l'OTAN sont-elles en train de perdre la bataille en Afghanistan ?
R - Pensons avant tout aux soldats qui sont très courageux, très inventifs et qui appliquent maintenant une stratégie un peu différente dont nous parlerons tout à l'heure. Je pense avant tout à ces difficultés et à ces souffrances. Sommes-nous en train de perdre ? Non. Sommes-nous en train de gagner ? Non.
Q - Alors, que fait-on ?
R - Ni la victoire, ni la défaite ne seront militaires.
Q - C'est un peu facile, si je puis me permettre. La victoire sur les Taliban doit être militaire.
R - Non, elle ne le sera pas non plus. Cela est peut être de plus en plus difficile dans certaines zones. Je pense qu'il faut considérer l'Afghanistan, gigantesque pays montagneux, dans sa diversité, et non pas simplement à travers ce qui se passe à Kaboul. Depuis la Conférence de Paris, qui est une idée française, nous considérons qu'il faut mettre les Afghans au centre de notre dispositif. C'est un dispositif tourné vers les Afghans. Nous ne faisons pas la guerre aux Afghans, nous leur permettons au contraire de s'opposer au mieux aux Taliban. C'est difficile, mais il n'est pas question que nous nous retirions.
Q - Pas question de se retirer, mais l'état-major américain dit : "nous ne ferons pas face aux missions qui sont les nôtres, sans un renforcement important de militaires".
R - C'est autre chose. Il s'agit du rapport du général McChrystal, par ailleurs très intéressant parce qu'il montre que les Américains se rendent enfin compte de la nécessité de se rapprocher de la population. La stratégie américaine est donc en train de changer.
Q - Huit ans après le début de la guerre, n'est-ce pas trop tard ?
R - Je ne le crois pas. Je le répète, il n'y aura pas de victoire militaire. Il y aura une victoire si nous essayons - et si nous y parvenons - à aider les Afghans à se défendre eux-mêmes, c'est-à-dire en renforçant la police, et surtout en renforçant l'armée parce que jusqu'à présent ce n'est pas un succès. Il faudrait passer de 120.000 à 240.000 soldats afghans.
Je vais vous donner des exemples avec ce qui se passe du côté français, c'est-à-dire au nord de Kaboul. A l'est, il y a deux vallées qui sont sous la responsabilité des soldats français et il y a la vallée d'Alasay qui a été conquise pour la première fois par les soldats français. Après des batailles acharnées, les insurgés ont été défaits mais nous ne sommes pas restés - c'est une erreur que de rester dans ces vallées. On ne peut pas occuper tout l'Afghanistan, en revanche l'armée afghane s'y trouve. Il faut croire en l'armée afghane, lui donner suffisamment de matériel et la renforcer. Cette vallée d'Alasay est un exemple de ce qui fonctionne !
Q - L'effort militaire en Afghanistan va-t-il durer longtemps à votre avis ?
R - Plusieurs années...
Q - Plusieurs années.
R - Sûrement, plusieurs années cela veut dire deux ou dix ans.
Q - Serons-nous confrontés, nous Français pour ce qui nous concerne, à la nécessité d'augmenter aussi le contingent, si par exemple les Etats-Unis font cet effort ?
R - Non ! Le président de la République a été très clair, nous avons renforcé notre présence. On peut opérer des petits changements.
Q - Aux Américains de se débrouiller ?
R - Non ! Pourquoi dites-vous cela ? Il y a trente mille soldats européens.
Q - Parce qu'ils font encore des efforts pour envoyer des soldats.
R - La réponse n'a pas encore été apportée à ce que demandait justement le général McChrystal. On lui donne une mission, il pense que pour l'accomplir il faut plus de forces, mais le président Obama a sagement répondu : "Il me faut d'abord une stratégie". Il a raison. Nous avons offert une stratégie nouvelle qui était de ne pas seulement poursuivre les Taliban, cela ne marchait pas, mais de donner confiance aux Afghans notamment concernant le choix d'un régime différent, leur permettant d'avoir de l'espoir. Je vous rappelle que l'Afghanistan est le pays le plus pauvre du monde.
On ne va pas bouleverser l'agriculture tout de suite, il faut mettre en place des systèmes d'irrigation, de surveillance et pour cela, on ne va pas se retirer tout de suite, on ne peut pas ne pas sécuriser des zones, parce que les Taliban se vengent.
Je vais vous donner un exemple. Il y a un hôpital français à Kaboul, personne ne doute que c'est le meilleur hôpital du pays. Cet hôpital français, qui s'occupe des enfants, n'est pas gardé militairement. Ce sont les Afghans qui le contrôlent, le personnel soignant est afghan : c'est cela le modèle. Il faut que cela marche ainsi !
Vous me direz que ce n'est pas militaire mais c'est exactement notre modèle et il y en aura d'autres. Dans la vallée de Kapisa, et notamment dans la ville de Surobi, nous voulons installer un hôpital et nous continuons dans cette démarche. Ce n'est pas extraordinairement inventif mais, vous savez, personne n'a jamais occupé l'Afghanistan, personne n'a remporté de victoire militaire sur ce pays, alors tirons-en les leçons.
Q - Ce n'est pas inventif mais c'est très intéressant que cette stratégie que l'on appelle de contre-insurrection et à laquelle les Américains adhérent dont le général McChrystal. Cela me rappelle, si vous me le permettez, ce que l'on a connu il y a très longtemps malheureusement en Algérie. On a eu cette belle idée de dire "plutôt que de faire seulement la guerre, il faut aller vers les populations civiles" et on avait créé ces fameuses sections administratives spéciales où les militaires étaient à la fois des instituteurs, des enseignants, des formateurs et l'on sait comment cela s'est terminé. Ce que l'on peut redouter en Afghanistan c'est que cette théorie, qui est séduisante, se termine aussi malheureusement comme cela ?
R - Oui, on peut le regretter si cela arrive, mais je pense que cela n'arrivera pas.
Q - C'était la même idée ?
R - C'était la même idée mais ce n'était pas le même pays ! Il s'agissait d'un département français, d'une colonie française qui réclamait son indépendance. C'était complètement différent de la situation actuelle en Afghanistan. En Afghanistan, nous ne voulons pas rester, nous ne voulons pas coloniser, nous ne voulons rien faire d'autre que d'apporter aux Afghans un choix qui ne soit pas celui de l'extrémisme musulman qu'ils réprouvent, et qu'ils ont pu exprimer lors des dernières élections.
Q - Parlons-en, quand aurons-nous la réponse ?
R - Probablement au début de la semaine nous aurons un premier chiffre et au début du mois d'octobre, on aura les résultats de deux commissions, une commission afghane indépendante du gouvernement et une commission internationale dirigée par un Canadien. Quelque soit le résultat, nous en tiendrons compte.
Q - Elections manifestement truquées !
R - Il y avait d'autres élections truquées. Croyez-vous que l'on va installer une démocratie à la française immédiatement en Afghanistan ?
Q - Mais un Etat de droit au minimum ?
R - Un Etat de droit au minimum, c'est fait.
Q - C'est comme au parti socialiste...
R - Je n'aurais pas risqué cette comparaison, d'ailleurs le pourcentage des votes au parti socialiste me paraît supérieur à celui de l'Afghanistan !
Q - Les élections sont manifestement truquées en Afghanistan, on peut le dire ainsi ou pas ?
R - Non, on ne peut pas le dire comme cela !
Q - Comment le dites-vous alors ?
R - Laissons-les dire, ils l'ont fait. Il y a un comptage et une commission des fraudes est en train de statuer. Quelque soit le résultat, nous en tiendrons compte. Néanmoins, pensez aux gens qui sont venu voter. Pensez aux femmes qui majoritairement sont venues voter, et qui non seulement ont risqué leur vie mais ont risqué leur vie au sein même de leur famille. Ce pourcentage est un signe formidable.
Q - Donc, c'est d'autant plus scandaleux que leur vote soit volé...
R - C'est peut-être scandaleux mais il ne faut pas tout changer. Vous n'allez pas me dire que l'on peut changer toute une culture millénaire, tout un comportement qui n'a rien à voir avec la démocratie européenne en une nuit, ce n'est pas possible. Nous voulons que ce gouvernement s'amende, nous voulons lui proposer non pas un calendrier - parce que cela voudrait dire qu'un jour l'on se retirera - mais un échéancier politique. Cet échéancier politique doit améliorer la démocratie, et cela doit se faire. Qui a élu M. Karzaï ? Les Afghans en 2004, personne ne l'a contesté. Donc attendons un peu.
Q - Vous avez dit, Bernard Kouchner, que la victoire ne peut pas être militaire, ce que chacun peut comprendre.
R - La victoire ne peut pas être militaire, ni la défaite. Il n'y aura pas de défaite...
Q - Ce que chacun peut comprendre c'est qu'elle ne peut être que politique et comment obtenir une victoire politique sur un système politique aussi manifestement mensonger, c'est quand même une impasse dans laquelle vous vous trouvez en Afghanistan ?
R - Il y a des différences dans le monde dont il faut tenir compte si vous faites de la politique ou alors il faut être dans une ONG et vous pensez que le monde va vous tomber sur la tête, ce n'est pas pareil. Dans le cas présent, il y a un Afghanistan réel qui change et qui évolue dans le bon sens.
Je pense qu'en offrant aux Afghans la responsabilité des projets - ce qui est l'impulsion donnée par la Conférence de Paris, et c'est ce que les Américains, une fois de plus, ont accepté de la part des Français - et la direction des projets, en modifiant leur vie quotidienne extraordinairement pauvre - où les taux de mortalité infantile et maternelle sont extrêmement élevés- nous améliorerons leurs choix. Du moins, nous pensons que le choix de cette civilisation, qui n'est pas celle des Taliban, pourra être fait par les Afghans eux-mêmes. Bien sûr, il y a des problèmes avec le Pakistan, des problèmes de frontières.
Q - Tout le monde est conscient que c'est compliqué et que des centaines de milliards de dollars ont été investis depuis huit ans en pure perte parce que la portée au combat de l'armée afghane fait débat, la culture du pavot est assez répandue, la révolte pachtoune aussi. Pour parler simple et très concrètement, vous êtes vous-même partisan d'un deuxième tour de la présidentielle ou pas ?
R - Je ne veux pas répondre à cette question parce que ce n'est pas la mienne. Je connais bien l'Afghanistan pour y avoir été médecin pendant 7 ans, je sais donc de quoi je parle.
On ne change pas les gens ainsi. Il faut les convaincre et gagner leur amitié. C'est dur et cela ne se fait pas avec des soldats qui se promènent en casque lourd et avec des gilets pare-balles. Regardez ce qui se passe à Surobi, les Français sont désormais présents dans les rues et sur les marchés de cette ville sans casque lourd, ni gilet pare-balles, c'est très important ! Ils sont très courageux, je leur rends hommage, c'est la démarche qu'il faut suivre. Même si je ne me fais pas d'illusions.
Quant à un deuxième tour, ce n'est pas à moi de le dire. C'est ce qu'une partie des Américains a fait et à tort. On ne peut pas à la fois avoir un candidat qui est M. Karzai - ce n'est pas moi qui l'ai choisi et je le connais depuis très longtemps - et dire que ce n'est pas le bon et que l'on va le changer. C'est de l'impérialisme et c'est fini.
D'ailleurs, je viens de voir arriver Pierre Lellouche qui a été longtemps notre représentant en Afghanistan et qui a fait un travail formidable et qui, je pense, est d'accord avec moi !
Q - Conakry cette semaine, 150 morts, plus de 1.000 blessés, l'armée qui tue, qui terrorise, qui viole et l'opposition qui réclame à corps et à cri une intervention. Que peut-on faire pour freiner, pour conjurer la menace d'une guerre civile, de règlements de compte entre les gens de la forêt et les Peuls ? Que peut-on faire pour stabiliser la situation ?
R - Les Peuls, les Soussous et toutes les communautés ont été particulièrement malmenés. Je veux tout d'abord dire qu'il ne faut pas cesser de s'indigner, qu'il ne faut pas se résigner, qu'il ne faut pas se dire que les Africains une fois de plus se battent et s'entretuent. Il ne faut pas réagir comme une partie de la presse internationale qui n'a même pas parlé de ce massacre sauvage !
Alain Joyandet qui est là, s'occupe au Quai d'Orsay de l'Afrique. Il a rencontré plusieurs fois le capitaine Moussa Dadis Camara. Ce dernier a pris le pouvoir à la suite d'un coup d'Etat que tout le monde a accepté au début parce qu'après 29 ans de dictature, cela paraissait stabilisant. Même Amin Dada n'avait pas fait cela, même le souvenir horrible de ce stade au Chili, ce n'est pas comparable. Là, on égorgeait les femmes sous les yeux de leur mari, on les violait, on les tuait. Vous savez le nombre de blessés et de morts ? Nous en sommes d'ailleurs accusés - la communauté internationale aurait provoqué tout cela ! Mais comment peut-on l'accepter ?
Il ne faut pas réfréner son indignation, sinon on ne fait plus rien. Avant, il y avait la responsabilité de protéger venue du droit d'ingérence français ; maintenant on l'oublie et on recule, cela ne va pas. Ce n'est pas à la France de prendre des décisions sur ce sujet. Nous ne sommes pas au temps de la France-Afrique
Q - C'est peut-être à la France d'éviter de recevoir le n°2 de la junte, c'est peut-être à la France de ne pas donner le mauvais exemple en, finalement, bénissant. Il y a un autre exemple récent en Afrique, la Mauritanie. Là encore un officier qui renverse un président...
R - Vous n'avez pas tort
Q - Vous regrettez que...
R - Non, mais tout cela s'est passé avant le lundi tragique. Tout le monde avait accepté le coup d'Etat de M. Camara. Nous, notre position est : nous soutenons l'Union africaine. Nous l'avons fait du début jusqu'à la fin. L'Union africaine était d'accord et avait envoyé une mission. Il y avait d'ailleurs un groupe de contact qui venait de se rendre en Guinée. C'est cela que nous avons fait, pas plus, et le contact se faisait.
Q - Mais maintenant est-ce que l'on va faire plus que l'Union africaine ?
R - J'espère beaucoup, mais qui a fait cela ? Nous avons alerté le Conseil de sécurité de des Nations unies, personne n'était au courant. Nous avons eu une séance dite de renseignements à ce propos parce qu'il s'agit d'un problème interne. Voilà ce que je n'accepte pas. Les massacres collectifs ne sont pas des problèmes internes, je me suis battu toute ma vie pour cela ; je n'accepterai pas cette fois-ci.
Nous avons obtenu l'étude de sanctions de la part des 27 à Bruxelles la semaine dernière. J'ai reçu hier très longuement le président de la Commission de l'Union africaine. Nous avons été en contact avec les protagonistes, c'est-à-dire M. Wade au Sénégal et M. Blaise Compaoré au Burkina Faso. M. Blaise Compaoré s'y rend demain. Attendons demain soir au moins. Mais vous avez raison, le danger de guerre intra-communautaire est immense.
Q - On a eu tort de recevoir le n°2 de Dadis Camara à l'Elysée ?
R - Non, pas avant le lundi parce que tout le monde allait leur rendre visite. Mais malheureusement il s'est passé cette chose effrayante et sauvage et nous ne pouvons pas l'accepter. Qu'est ce que cela veut dire ? Peut-on faire une mission internationale ? Nous avons alerté la CEDEAO, vous savez c'est l'organisation sous-régionale qui s'occupe de cela. Il faut que le Nigeria soit d'accord, nous y travaillons. Il me semble que maintenant on ne peut plus travailler avec M. Camara et qu'il faut qu'il y ait une intervention internationale. Nous travaillons à cela.
Q - Dépêche AFP, 19h12, de hauts responsables français ont rencontré dimanche à Damas le président El-Assad, il s'agit de Claude Guéant, le secrétaire général de l'Elysée et Jean-David Levitte, conseiller diplomatique.
R - Oui, je le sais, bien sûr ! D'ailleurs je verrai Claude Guéant.
Q - Il y a des diplomaties en France ou il y en a une ?
R - Non, mais vous avez remarqué, il y a un président de la République qui est à l'Elysée entouré de conseillers, cela dure depuis longtemps et puis il y a un ministre des Affaires étrangères.
Q - Est-ce normal qu'un secrétaire général de l'Elysée se trouve dans un endroit comme Damas ?
R - Non, il s'est arrêté à Damas parce qu'il se rendait aux Emirats pour des raisons qui sont des raisons de rapports que nous entretenons entre ces pays depuis longtemps. Je suis au courant, vous ne m'avez rien appris, je sais qu'ils allaient en Syrie.
Q - Vous avez l'impression de maîtriser toute la diplomatie ou une partie de la diplomatie vous échappe ?
R - Je fais ce que je peux. On ne peut pas me reprocher à la fois de parler librement au président et de ne rien maîtriser, cela est un peu contradictoire. Je fais ce que je peux, c'est déjà pas mal !
Q - Mais une partie de la diplomatie vous échappe ?
R - Je pense que la diplomatie française ne m'échappe pas et je pense que l'on a tout lieu de se féliciter du retour dans l'arène mondiale de cette diplomatie française. Je pense que vous vous en félicitez tous les trois ou alors je ne comprendrai rien. Est-ce que c'est suffisant ? Jamais !
Q - Un secrétaire général de l'Elysée qui fait comme cela des voyages...
R - Le secrétaire général de l'Elysée a toujours effectué des missions pour le compte de son président.
Q - Non.
R - Bien sûr que si ! J'ai été souvent impliqué dans tout cela.
Q - Je ne suis pas sûr que, par exemple, Dominique de Villepin quand il était à l'Elysée, allait...
R - Je ne suis pas sûr que ce soit le bon exemple.
Q - ...ou celui de Gourdault-Montagne...
R - Non, ils n'ont pas tous la même capacité. Je vous signale que M. Gourdault-Montagne était le conseiller diplomatique. Que Jean-David Levitte ait effectué ou continue à effectuer des missions avec Claude Guéant ne me paraît pas anormal du moment que nous en parlons, du moment que je suis au courant - et je suis au courant-. Je vous rappelle que cela ne s'est jamais fait ni avec M. Gourdault-Montagne, ni avec les autres. Toutes les semaines, je rencontre Claude Guéant et Jean-David Levitte qui vient avec son n°2 au Quai d'Orsay pour que l'on parle de leurs projets et de la complémentarité de ces deux démarches. Cela ne s'est jamais fait. Vous voulez dire que je ne suis pas dictateur ? Non, je ne le suis pas !
Q - Roman Polanski toujours détenu en Suisse. Quelles sont les dernières nouvelles si vous en avez ?
R - Notre consul général lui rend visite au moins une heure par jour, ce qui relève de la protection consulaire normale que nous assurons aux citoyens français. Oui, j'ai des nouvelles.
Q - La demande d'extradition a été faite par la justice californienne ?
R - Non, elle n'a pas été faite. Nous avons écrit, le ministre polonais des Affaires étrangères et moi-même, à Mme Clinton pour lui demander son avis.
Q - Vous a -t-elle répondu ?
R - Oui, elle nous a répondu que c'était quelque chose - ce dont nous nous doutions - qui regardait la justice. Mais, c'est par le State department que la demande d'extradition passera.
Je voudrais seulement rajouter quelque chose parce que ceci a été très mal interprété. J'ai beaucoup d'admiration pour Roman Polanski, mais je ne peux pas m'élever contre le circuit d'Interpol et les justices qui ont à gérer des demandes d'extraditions qui sont acceptées parce qu'il y a des accords d'extraditions. Il n'en est pas question. Cela a été très mal interprété.
Q - Qu'est-ce qui a été très mal interprété ?
R - La soudaineté de l'arrestation de Roman Polanski, un homme qui vivait très souvent en Suisse dans sa maison et qui a été arrêté à sa descente d'avion alors qu'un festival officiel en Suisse allait lui décerner un grand prix. C'est tout de même surprenant.
Q - C'est très choquant, mais sans être polémique, est-ce qu'un homme qui a fait boire une fille de 13 ans, qui la drogue, qui la sodomise ensuite, mérite vraiment que les plus hautes autorités de l'Etat en France et aux Etats-Unis se mobilisent pour lui éviter un procès ?
R - Ces détails ne me sont pas connus. Il y a eu en effet un procès avec de nombreux autres éléments avec en particulier la maman de la jeune fille, mais je ne veux pas entrer dans ces détails.
Nous avons la nécessité de défendre tous nos citoyens français et de leur fournir une protection consulaire, ce que nous avons fait. Nous avons exprimé, certains d'entre nous, dont je fais partie, notre admiration personnelle. Mais j'ai ajouté - je vous prie de le noter - que la justice était la même pour tout le monde et que là-dessus nous n'avions pas à prendre position.
Q - Et quand vous dites que cela a été mal interprété, vous voulez dire que cette partie là de votre phrase n'a pas été entendue ?
R - Tout le monde s'est exprimé en France parce que Roman Polanski représente, par son immense talent, tout un secteur qui est celui des intellectuels et du cinéma français, c'est légitime. Je l'aurais fait pour n'importe qui et je ne veux pas que l'on se méprenne, je n'ai rien contre la justice qui se manifeste de cette façon. Je n'ai pas à entrer dans les détails, ceux scabreux que vous avez évoqués ou le fait qu'il n'y a pas prescription. Je sais qu'il s'agit d'un crime imprescriptible pour la Californie.
Q - Tout à fait autre chose : les 101 membres du Fonds monétaire international viennent aujourd'hui de dire qu'il fallait continuer les plans de relance. Question simple : est-ce que c'est compatible avec les énormes déficits publics qu'il y a dans de très nombreux pays ?
R - Question compliquée, réponse simple : oui, hélas ! c'est compatible. Je vous rappelle par exemple que M. Stiglitz a rédigé un papier dans Le Monde, il y a 15 jours, dans lequel il disait : il y a des déficits qui sont extrêmement profitables, il y a des déficits nécessaires, il y a des déficits qui soutiennent la croissance et donc l'emploi
Q - On en a de la chance de dire que le déficit est profitable !
R - Nous n'avons pas les plus gros déficits et la crise a frappé tout le monde. Cette crise était inimaginable et "inimaginée" par vous en particulier. Les observateurs ne l'attendaient pas. Que fallait-il faire ? Donnez-moi la recette ! Tous les pays européens ont proposé des plans de relance, ce qui a été formidable, et ce que les Irlandais - que nous devons encore une fois féliciter - permettront de meilleure manière, c'est qu'il y ait une cohérence entre les plans de relance européens.
Creuser le déficit n'est pas bien en terme d'orthodoxie, mais défendre l'emploi en France est nécessaire. La prime à la casse, tout le monde nous a critiqué, surtout les Allemands qui vendaient de plus grosses voitures que nous et après qu'ont-ils fait ? La même chose et tout le monde l'a fait.
Ce n'est pas bien au début, ce n'est pas orthodoxe, mais la crise non plus n'est pas orthodoxe. Ce qui était moins orthodoxe encore, c'était cette utilisation de la finance en permanence, c'était scandaleux, ce n'est pas cela le capitalisme, enfin tel que je le connais, corrigé par l'Etat. Vous rendez-vous compte de ce qui s'est passé ! Le sommet du capitalisme s'appelait General Motors. Or, General Motors a été nationalisé par les Américains ! Ce n'est quand même pas une petite crise !
Q - Une dernière question, qu'est parti faire Jack Lang en Corée du Nord ?
R - Il veut parler avec la Corée du Nord. Vous savez, il s'est aussi rendu à Cuba. J'en suis informé et il vient m'en rendre compte. Cela ne peut être que bénéfique si l'on peut désamorcer cette crise. Il était à Moscou, j'ai demandé à ce qu'il soit reçu puisque j'ai vu M. Medvedev et M. Serguei Lavrov, il a été reçu et il prépare ce voyage. J'espère qu'il aura un petit soupçon de réussite. Ce n'est pas mystérieux tout cela. Vous voulez dire : qui est le ministre des Affaires étrangères ? Moi.
Q - Vous vous sentez bien deux ans après ?
R - Je n'avais pas envie d'aller en Corée du Nord. Il n'y a pas de concurrence là-dessus.
Q - On a l'impression que ce n'est pas facile tous les jours pour vous.
R - C'est beaucoup plus beau quand c'est difficile. J'y parviens et voulez-vous que je vous dise ? Je répète : vous plaignez-vous de la diplomatie française ? Vous rendez-vous compte de ce qui s'est passé à New York, au G20, à Pittsburgh, demain en Europe ? Vous rendez-vous compte de ce que nous avons fait bouger, je veux dire le président Sarkozy et moi-même ? Vous rendez-vous compte des réformes que l'on fait à l'intérieur du Quai d'Orsay ? De la réforme de la culture que l'on amorce ?
Q - Sans vous, le monde marcherait plus mal, c'est cela que vous voulez dire ?
R - Non, mais ce n'est pas moi que j'implique là-dedans, c'est une volonté de changer les choses et il y avait de quoi. Le conservatisme nous étouffait, il y en a moins.
Merci.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 octobre 2009
R - Je vous rappelle qu'elle a 24 ans, qu'elle a d'ailleurs connu un anniversaire difficile puisqu'elle était en prison, dans une prison très dure et qu'elle est accusée, sans fondement, d'avoir provoqué des manifestations, alors qu'elle est assistante et enseigne le français à l'Université d'Ispahan.
Je l'ai eu tout à l'heure au téléphone, il arrive souvent que nous nous parlions et elle va bien. Elle est à l'ambassade et elle a été libérée sous caution. C'est-à-dire que, théoriquement, s'il y a un jugement favorable, elle regagnera la France et retrouvera sa famille, c'est ce vers quoi nous nous dirigeons de façon très volontariste, ce que nous espérons fortement car elle est innocente. Seulement voilà, quand ? Nous ne le savons pas.
Q - N'avez-vous aucune information sur une date ?
R - Non, la semaine dernière, d'après ses avocats, il semblait que le juge soit prêt de délivrer sa sentence. J'espère, je veux absolument un non-lieu puisqu'elle n'a rien fait. Je vous rappelle qu'on lui reproche d'avoir photographié des manifestations ; il y avait des manifestations très importantes, il y avait des millions de gens dans les rues qui protestaient contre le résultat des élections et qui protestaient, en fait, contre le régime iranien. Clotilde, avec son portable, a pris des photos qu'elle a ensuite envoyées, comme tout le monde le fait.
Nous attendons donc cette décision et j'espère qu'elle interviendra et qu'elle sera influencée par ce vent d'optimisme, modéré puisque vous le savez les E3+3 (les Etats-Unis, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la France, la Russie et la Chine) ont rencontré l'envoyé iranien à Genève, il y a deux jours. Cela veut dire que quelque chose s'est passé ; depuis 18 mois, nous ne les avions pas rencontrés.
Q - Le climat a changé, comment qualifieriez-vous votre rencontre ? A-t-elle été constructive ?
R - Oui, mais il faut faire très attention.
Q - Alors, quel est le mot que vous choisiriez ?
R - Vous savez, nous avions accueilli avec bonheur la démarche américaine qui changeait de celle de l'administration précédente. Le président Obama avait souhaité dialoguer avec les Iraniens.
Cette dernière rencontre à Genève ne s'est plutôt pas mal passée puisqu'une nouvelle rencontre est prévue à la fin du mois d'octobre et, surtout, aujourd'hui, nous avons appris par Mohamed El Baradeï, le président de l'Agence internationale de l'Energie atomique, qu'il pourrait visiter, lui ou en tout cas ses experts, le 25 octobre prochain, le nouveau site de Qom, c'est-à-dire un nouveau site d'enrichissement qui était dissimulé en fait depuis environ quatre ans.
Bien entendu, cela a provoqué un émoi formidable parce que nous les accusons de ne pas dire toute la vérité sur leur programme nucléaire. Si cette activité a des fins pacifiques, nous l'acceptons, évidemment, et même nous pouvons l'encourager. Mais à des fins militaires, cela est tout à fait interdit. Pas de bombes atomiques qui, non seulement compliqueraient mais rendraient cette région déjà inflammable encore plus instable. Voilà donc, l'AIEA visitera le 25 octobre, le site de Qom qui avait été dissimulé.
Q - Etaient-ils obligés de le faire savoir ?
R - J'imagine qu'ils se sont sentis pressés comme les renseignements se précisaient, renseignements venus bien sûr des chancelleries occidentales et probablement aussi d'ailleurs, de Russie et de Chine. Je ne sais pas pourquoi ils ont décidé de le dire ce jour-là, mais enfin ils l'ont fait.
Q - Pour entrer un peu dans le détail, on a appris aujourd'hui que la France, la Russie et les Etats-Unis allaient discuter avec les Iraniens du problème de l'enrichissement de l'uranium en dehors de l'Iran. Et nous avons cru comprendre, vous allez naturellement nous éclairer, que la France ferait partie de ce processus, notamment ... de l'uranium enrichi à 19,5 %. La France fabriquerait les tubes qui permettent l'utilisation civile de l'uranium.
R - C'est exact. C'est un voeu, cela fait partie de la négociation. Tout d'abord, il faut parler de ce développement de l'énergie nucléaire civile et s'assurer de son caractère uniquement civil, en répondant aux questions de l'AIEA. Les Iraniens n'ont pas répondu aux questions de l'AIEA qui sont pourtant très simples. Oui ou non, l'enrichissement de l'uranium en Iran a-t-il eu ou a-t-il toujours une finalité militaire ?
Vous savez ce que nous proposons, c'est le gel contre le gel. Je vous rappelle que le Conseil de sécurité et les E3+3, ont déjà proposé et fait voter trois séries de sanctions au nom des Nations unies.
Nous voulons bien ne plus parler de sanctions pour le moment, mais il faut parler du coeur du sujet, c'est-à-dire : est-ce que cet enrichissement de l'uranium est dangereux ou pas ? Si nous en parlons, alors, oui, on pourra accepter - et je crois que nous le ferons, les Russes aussi d'ailleurs - d'enrichir suffisamment cet uranium qui ne l'est pas, de façon à nourrir un réacteur de recherche qu'ils ont tout à fait le droit de posséder.
Q - Cet uranium enrichi à 5 %, nous allons l'enrichir à 20 % et il est toujours à destination civile. Comment aura-t-on la garantie qu'ensuite ils ne l'enrichiront pas à 90 % pour faire du militaire ?
R - Ce qui nous le garantit, ce sera l'ouverture de tous ces sites et des inspections crédibles, des réponses apportées aux questions auxquelles, pour le moment, ils ne veulent pas répondre.
La matière se présente sous une forme gazeuse, on en ferait de la matière solide, dans les tubes qui serviront pour le réacteur de recherche, à fabriquer, par exemple, des isotopes médicaux. Cela est tout à fait naturel et nous le ferons si nous avons la garantie qu'aucune autre utilisation ne pourrait en être faite.
Q - Avez-vous le sentiment, Bernard Kouchner, que l'on peut aller vers une sortie de crise dans ce dossier du nucléaire iranien ?
R - Cela fait longtemps qu'on le dit en tout cas. Je souhaite que nous sortions de cette crise.
Q - Vous semble-t-il qu'il y ait une ouverture et que la partie iranienne est de meilleure composition qu'elle ne l'a été, peut-être plus honnête qu'elle ne l'a été ?
R - Je pense qu'il y a un mouvement. Je pense qu'il y a une petite ouverture, que la protestation dont nous avons parlé, la protestation populaire, dans les rues, toute une opposition maintenant très déterminée n'y est pas pour rien. Si c'était le cas, nous serions très heureux. Mais je voudrais vous signaler que la France, depuis deux ans et demi, parle sans cesse aux Iraniens, ce n'est pas nouveau.
Les Américains ne voulaient pas parler même s'ils étaient présents, il y a 18 mois, à la dernière réunion des E3+3 à Genève. Maintenant, les voilà qui tendent la main, nous ne pouvons que nous en réjouir. Nous même, nous le faisions depuis longtemps. Essayons, nous verrons très vite comment les choses se déroulent.
Q - Oui mais, a contrario, on parle depuis très longtemps avec les Iraniens, vos prédécesseurs ont eu eux aussi des négociations. Il y a eu la Troïka et, finalement, lorsque l'on rembobine le film, ce que l'on voit, c'est que le seul moment où ils ont stoppé leur programme, leur course à l'atome, c'est en 2003 lorsqu'ils se sont sentis sous la pression, sous la menace directe des Américains et alors que les négociations, les marchandages leur ont permis au contraire de "jouer la montre" et de persévérer en poursuivant leur programme. Ce constat n'appelle-t-il pas à davantage de fermeté, à des sanctions rapides et à des menaces plus directes ?
R -. Nous sommes très fermes et nous avons dit les choses avec une grande détermination, en particulier le président de la République, surtout à New York, au sommet du Conseil de sécurité consacré au désarmement nucléaire, alors que, devant nous, il y avait des menaces qui venaient de l'Iran et de la Corée du Nord. Nous avons été très fermes mais, en même temps, nous gardons espoir !
Vous faites allusion à six mois de moratoire qui ont eu lieu dans les années 2000. Après, nous avons voulu associer, car c'était le début, l'Europe et trois pays seulement de l'Europe. Et puis, nous avons associé les membres permanents du Conseil de sécurité.
Il y a un élément nouveau depuis cette époque, il y a une menace de frappes israéliennes qui est chaque fois évoquée. Doit-elle nous renforcer ? Oui, elle doit renforcer notre tentative, notre volonté d'apaiser les tensions, nous cherchons la paix. C'est simple et clair, nous ne voulons pas qu'il y ait plus de tensions au Moyen-Orient, car nous pensons - et cela est un autre élément, mais l'on en parlera certainement - qu'il faut absolument tout faire pour obtenir la paix au Moyen-Orient. Cette paix passera par la création d'un Etat palestinien. Nous nous attelons à cette tâche, nous sommes très clairs là-dessus. Je pense qu'aujourd'hui, et il faut s'en féliciter, la diplomatie française pèse beaucoup dans ces dossiers.
Q - La menace israélienne...
R - Oui, elle renforce les extrémistes de part et d'autres, c'est trop dangereux.
Q - La considérez-vous sérieuse cette menace israélienne ?
R - Oui.
Q - Croyez-vous qu'une frappe israélienne peut réduire à néant le programme nucléaire de l'Iran ?
R - Je crois que cela dépend de l'évolution de ce début de négociation. Mais, en tout cas, il faut prendre cela très au sérieux, bien sûr.
Le début de la négociation, c'était jeudi, quelques jours plus tôt, il y a eu des tirs de missiles, en particulier des missiles qui dépassent une portée de 2000 km. Alors, vous comprenez, on découvre à la fois un nouveau site d'enrichissement et on découvre aussi qu'il y a des missiles qui pourraient peut-être même être équipés d'armes atomiques. Nous faisons évidemment preuve de grande fermeté.
Q - Je voudrais vous dire une chose, Monsieur le Ministre il est clair, évident, patent que M. Ahmadinejad a "bourré" les urnes, qu'il a été élu de cette manière-là. Il finance le Hamas et le Hezbollah, deux mouvements terroristes. D'un côté, il nous promène en nous disant qu'il est prêt à discuter et, de l'autre, il continue comme si de rien n'était. Ma question était : Ne sommes-nous pas en train de nous faire "berner" tout simplement ?
R - Ce qui compte n'est pas d'être berné, c'est d'obtenir la paix. C'est très clair. D'autre part, je ne sais pas s'ils ont "bourré" les urnes, mais la protestation populaire, cela est un élément bien réel.
Q - Il est clair qu'ils l'ont fait.
R - En tout cas, beaucoup, au sommet de l'Etat, l'ont affirmé et c'est cela qui compte. Je vois un grand espoir dans la réaction du peuple iranien, que cela change. Si, en même temps, le sentant, les dirigeants actuels de l'Iran marquent des signes d'ouverture, eh bien, nous n'avons qu'à nous en féliciter.
Q - Il y a 400 ans de relations diplomatiques entre la France et l'Iran, mais, depuis la révolution islamique, on a toujours sous-estimé, semble-t-il, la capacité de nuisance de l'Iran et on l'a payé cher. Il y a eu des otages au Liban, il y a eu des bombes à Paris, des attentats contre des opposants iraniens, etc. Quand Clotilde Reiss, dont on parlait à l'instant, a été arrêtée, avez-vous été pris au dépourvu ou vous êtes-vous dit que c'est un avertissement et la première vengeance des mollah à qui justement on a reproché d'avoir bourré les urnes ?
R - Vous connaissez trop la politique internationale pour arrêter les choses à partir de l'arrestation de Clotilde Reiss. Il y a eu des élections et, comme le dit Etienne Moujotte, il y a eu une contestation du résultat. Nos contacts avec les Iraniens nous prouvent que ce mouvement concerne une énorme proportion de la population. On dit "les femmes et les citadins", cela représente beaucoup pour un pays surtout qu'il y a de grandes agglomérations et qu'une femme sur deux est un homme.
Q - "Une femme sur deux est un homme" : on va réfléchir au concept !
R - Figurez-vous que cela a été un élément décisif. Je pense que dans les éléments que vous venez de citer, tout ne vient pas de l'Iran. Il y a aussi une tension au Moyen-Orient dont il faut tenir compte et en particulier les groupes extrémistes qui voient, dans la personnalité du président iranien, Robin des bois, Che Guevara ! C'est aussi cela qu'il faut prendre en compte. Lorsqu'il dit aussi fermement qu'il le fait, de façon inacceptable bien entendu, qu'il veut rayer de la carte l'Etat d'Israël, lorsqu'il parle des dirigeants arabes, il apparaît évidemment, dans ce que l'on appelle "la rue arabe", comme quelqu'un qui n'a pas peur. Il faut dégonfler tout cela. Il faut créer un Etat palestinien. C'est certain, ce n'est pas 90 % des résultats, mais c'est forcément quelque chose qui compterait. Nous nous attachons à régler ces deux problèmes qui sont liés : le conflit au Proche Orient et l'Iran.
Regardez ce que nous avons fait avec la Syrie. Nous avons renoué les relations avec la Syrie qui est un allié plus ou moins fidèle de l'Iran. Au début, les Américains nous ont dit que c'était une honte et, maintenant, ils suivent notre exemple.
Je vous assure que la diplomatie française compte dans le monde maintenant.
Je ne sais pas à quel moment on enverra à nouveau le sénateur Mitchell à Damas, mais c'est en train de se faire. Nous essayons - la Syrie l'a bien compris - d'ouvrir un peu le jeu et d'apaiser les tensions et nous y arriverons. Et s'il faut être fermes, je vous assure que nous le serons.
Q - Y a-t-il au sommet de l'Etat français, entre vous et le président de la République, une divergence d'approche sur le dossier iranien ?
R - Ne plaisantons pas avec ces choses sérieuses. Le président de la République et moi-même avons des rapports qui reposent, de ma part, sur la liberté et la loyauté. L'un ne va pas sans l'autre et, d'ailleurs, je ne serais pas très intéressant pour le président si je n'avais pas cette liberté de ton. Maintenant, ce à quoi vous faites allusion, ce dont la presse s'est occupée plutôt que du fond des dossiers, ce sont deux secondes d'échange à propos d'éventuelles sanctions.
Q - C'était la tonalité de l'interview que vous aviez donnée au New York Times qui avait été jugée par le président de la République comme trop conciliante ?
R - Non, c'était une question d'un journaliste alors que le président et moi étions là et que l'on a parlé à la fois de la Birmanie et de l'Iran. Mais, cela n'a pas d'importance, ce qui compte c'est cette liberté et cette loyauté. J'ai connu, j'ai servi plusieurs présidents de la République, je n'ai jamais eu auparavant cette liberté d'échanges qui existe entre le président Nicolas Sarkozy et moi-même. Il est évident que c'est lui qui prend les décisions et que je les applique. Si je ne les appliquais pas, je devrais m'en aller.
Q - J'étais tenté de vous poser la question car tout à l'heure, au détour d'une réponse, vous avez dit que les Iraniens ne répondent pas à la question de savoir ou ne répondent pas franchement et avec honnêteté à la question de savoir si leur activité d'enrichissement de l'uranium est faite à des fins militaires ou pas. Dans Le Parisien de jeudi, Hervé Morin ministre de la Défense, dit ceci : "Tous les indices démontrent que l'Iran poursuit un programme nucléaire d'enrichissement de l'uranium à des fins militaires". Le diriez-vous ainsi ou non, Bernard Kouchner ?
R - Je le dirais comme le dit M. El Baradeï lui-même mercredi dernier. S'ils ne répondent pas aux questions élémentaires qu'on leur pose sur une période particulière, où ils auraient commencé de développer un programme militaire, on soupçonne bien entendu qu'ils l'aient fait. Voilà, c'est évident.
Tout porte donc à croire qu'au moins ils ont été tentés de le faire et nous essayons de désamorcer tout cela en étendant les investigations, les inspections de l'Agence et en étant sûr que maintenant, ils ne peuvent plus le faire. Je ne suis pas naïf mais on ne va pas mettre de l'huile sur le feu dans cette région du Moyen-Orient où tout peut exploser.
Q - Mais, le fond du problème, c'est 30 ou 40 ans que l'Iran cherche à avoir la bombe. Déjà, du temps du Shah, il y avait cette idée. Il y a donc peu de chance que cette idée ne sorte de la tête des dirigeants iraniens et de M. Ahmadinejad.
R - Tentons de l'en faire sortir. On verra bien à ce moment-là. Mais, il y a trente ou quarante ans, il y a de nombreux pays qui ont fait cela. Eux, ils ont signé le Traité de non-prolifération et ils ont des obligations. On leur rappelle simplement ces obligations. La tentative extrêmement nécessaire pour mettre ces choses à plat vient également du président Obama, puisqu'il veut un désarmement et il en a fait, par exemple la semaine dernière à New York, l'objet de la réunion du Conseil de sécurité. Je sais que le monde est dangereux. Nous le savons tous. Il est très dangereux, tout particulièrement là-bas.
Bien sûr que je ne méconnais pas ce danger très précis, le président de la République non plus. Mais il y a aussi le déséquilibre au Moyen-Orient, le déséquilibre de l'injustice, le déséquilibre de la misère, etc. Je ne parle par seulement de l'Iran. De façon générale, tout cela nourrit cette vindicte de M. Ahmadinejad.
Q - Le président de la République a dit que dans son esprit, en décembre, il fallait que les choses soient claires sinon on irait vers de nouvelles sanctions. Le calendrier vous va Bernard Kouchner ?
R - Oui, il me va. C'est le président de la République qui l'a fixé, donc il me va. Ce qui a été très spectaculaire, c'est que, ensemble, le président Obama, le président Sarkozy et M. Gordon Brown ont parlé très fermement du dossier iranien - Mme Merkel n'était pas là parce qu'elle n'était pas encore arrivée - à Pittsburgh, alors que la réunion du G20 était davantage consacrée à l'économie et à la réponse à la crise. Nous sommes d'accord. On va ouvrir les négociations, elles ont été ouvertes jeudi. Nous allons continuer, avec beaucoup de bonne volonté mais avec vigilance.
Avant de parler de l'Europe, je voudrais rendre un hommage très personnel à un homme qui est mort il y a trois jours. Il s'appelait Marek Eldeman, un grand Polonais qui était le dernier survivant du soulèvement du ghetto de Varsovie. Il était resté en Pologne et il a combattu. C'était un militant de la tolérance, alors que lui-même avait fait preuve d'une grande force et d'une grande intolérance à l'égard des injustices. Il était cardiologue, il est resté en Pologne et il a servi son pays, la Pologne. Je crois que c'est un morceau d'histoire qui passe devant nous. Il n'y a plus de survivant de la révolte du ghetto de Varsovie. C'était un très grand Européen. Quand Solidarnosc est né, il a milité, il a été emprisonné. Il est allé dans les Balkans, en Bosnie. C'est un grand homme et je suis très fier que la France l'ait élevé au rang de commandeur de la Légion d'Honneur. C'était un modèle.
Q - Nous sommes heureux que vous ayez pu lui rendre hommage dans ce Grand Jury. Ce sont aussi ces parcours-là qui nous rappellent pourquoi on a fait l'Europe. Les Irlandais dans la prospérité l'année dernière avaient repoussé le Traité de Lisbonne et aujourd'hui dans la crise, parce qu'ils se disent : "si jamais on met l'Europe en panne cela n'ira pas", ils votent oui. Cet égoïsme irlandais, vous en dites quoi ?
R - Vous savez, nous avons voté "non" aussi, heureusement que l'on a changé.
Q - On passe du "non" au "oui" parce que la crise est là en Irlande.
R - C'est une bonne raison. Peut-être qu'ils se sentent défendus en Europe. En tout cas ils étaient défendus par l'euro et l'euro vient de l'Europe. Il était temps qu'ils le voient. Ne boudons pas notre plaisir et soyons heureux de ce résultat massif, près de 67 %. Apparemment, ils étaient inquiets tant la surprise avait été grande lorsque, l'année dernière, ils ont voté "non". Mais nous n'avons pas de leçon à leur donner. Nous avions nous-mêmes voté "non" par référendum et nous avons corrigé le tir en ratifiant le Traité de Lisbonne.
Q - Le Traité est sauvé ou bien prenez-vous au sérieux la menace des conservateurs britanniques, s'ils reviennent au pouvoir au printemps, de faire un référendum à leur tour, dont on connaît déjà le résultat ? Ce sera sans aucun doute "non". Est-ce qu'à votre avis c'est une spéculation et on verra bien le jour venu ? Ou est-ce que vous pensez qu'il y a encore une torpille qui peut pulvériser cet édifice du Traité de Lisbonne ?
R - Oui, c'est fragile. Tout d'abord je prends très au sérieux les conservateurs britanniques, s'ils gagnent les élections de l'an prochain au Royaume-Uni. Ils sont venus nous voir, nous les avons rencontrés. J'ai rencontré M. Cameron et M. Haig, qui serait ministre des Affaires étrangères. En gros, ils disent "tout avec vous, rien avec l'Europe". Et ils sont prêts, vous avez raison, à un référendum qui, sans aucun doute, verrait les Britanniques sortir du Traité de Lisbonne et ne pas accepter ce qu'ils ont accepté au Parlement. Tout cela repose sur un homme, pour le moment.
Vous avez remarqué que le président tchèque, M. Vaclav Klaus, est un anti-européen constitutionnel, je n'ai pas dit pathologique. Sa personnalité, son intelligence ne sont pas en cause. Il est profondément anti-européen, il pense qu'il rendrait service à l'Europe - ces 500 millions d'habitants, le plus grand marché du monde, les pays les plus riches du monde qui enfin s'entendent, après 15 ans d'activité constitutionnelle. Depuis Maastricht, on n'arrête pas, les gens n'y comprennent plus rien.
Enfin on va pouvoir se consacrer aux vrais problèmes et, en particulier, à la politique extérieure commune de l'Europe. Je ne peux pas imaginer que les Tchèques accepteraient qu'un homme bloque le processus. Il faut aussi savoir qu'il y a des sénateurs qui ont déposé un recours devant la Cour constitutionnelle. Il faut attendre le résultat de tout cela. On ne peut pas être anti-démocratique au nom de l'Europe et de la démocratie, mais quand même, c'est dur à supporter. Je ne souhaite pas que cela se fasse trop vite. Nous sommes rassurés par nos amis irlandais qu'il faut encore remercier. Je crois qu'il ne faut pas se précipiter parce que cela mettrait M. Klaus dans une position d'arbitre insupportable. Il y a un Conseil européen à la fin du mois d'octobre, je pense qu'il faut laisser passer cela tranquillement.
Q - Vous espérez quoi avec le recours constitutionnel en République tchèque ?
R - J'espère qu'il ne sera pas accepté et qu'enfin M. Klaus sera obligé de ratifier le Traité qui a été voté par le parlement.
Q - Mais lui ne veut pas le ratifier. Le président polonais ne l'a pas ratifié non plus.
R - Il prend tous les prétextes pour ne pas le ratifier.
Q - Faisons un rêve. Si l'horizon se dégage. On a bien vu que vous aviez pris goût aux affaires européennes, notamment pendant la Présidence française du Conseil de l'Union européenne. Dans six mois il va falloir trouver, si le Traité de Lisbonne est appliqué, un ministre des Affaires étrangères de l'Europe. Vous l'avez évoqué à l'instant. Est-ce que vous vous sentez l'envie, l'ambition, l'énergie, l'expérience d'être cet homme-là le jour venu ?
R - C'est un poste intéressant. Pour le moment il n'y a pas de candidature. Il n'y en a même pas d'ailleurs à la présidence du Conseil, et il faudra aller dans l'ordre, n'est-ce pas ? C'est un poste magnifique et je pense qu'avoir enfin une expression politique pour ces 27 pays, c'est-à-dire que l'Europe joue enfin un rôle au Moyen-Orient, en Afghanistan, égal à celui des Etats-Unis, en toute amitié avec les Etats-Unis, ce ne serait pas mal ! Nous l'avons demandé, sous la présidence de M. Bush. Nous avons fait, à 27, un texte, que l'on a appelé le document transatlantique, pour dire : "on ne va pas se contenter toujours de payer". Nous voulons participer au processus politique. C'est passionnant, il y aura un haut-représentant de l'Europe mais les candidatures ne sont pas ouvertes.
Q - En restant positif, et en prenant le "oui" irlandais comme une bonne nouvelle, revenons quand même à la manière dont cela marche à 27. Quelquefois, cela ne marche pas. Est-ce que vous pensez que le moteur franco-allemand reste un axe essentiel pour faire marcher cette Europe à 27 ?
R - Oui. Mais il y a d'autres axes et il y en aura d'autres. Encore une fois, l'entente entre Mme Merkel et le président Sarkozy est excellente - j'ai été témoin de tout cela. D'ailleurs j'en étais très honoré. Nous avons des modèles un tout petit peu différents et, surtout, nous sommes concurrents en termes d'industrie. L'Allemagne nous "taille parfois des croupières". Alors, même si nous ne sommes pas tout de suite d'accord avec les propositions des uns et des autres, regardez ce qui s'est passé pour le G20, création française tout de même, c'est une idée de Nicolas Sarkozy, tout au long du processus : Washington, Londres, Pittsburgh, etc. Avec les Allemands, nous nous sommes merveilleusement entendus, mais pas seulement avec eux. Nous craignions en particulier le libéralisme de la City de Londres qui est quand même très connu, n'est-ce pas ? Eh bien, ils ont été d'accord. Il faut aussi travailler avec les Espagnols, avec les Italiens, avec les Polonais. Mais c'est difficile et j'espère que l'on va enfin parler d'autre chose, avoir une stabilité. C'est très important d'avoir un président.
Q - Croyez-vous à ce moteur franco-allemand ? Oui ou non ?
R - J'ai répondu oui. Mais je crois aussi qu'il faut mettre du carburant dans le moteur. Il faut que cela avance, pas seulement avec l'Allemagne même si avec l'Allemagne cela a une importance majeure et s'il faut commencer par cela.
Q - Huit soldats américains ont perdu la vie en Afghanistan aujourd'hui, dans des affrontements avec les Taliban. Ce sont les plus lourdes pertes de l'OTAN depuis un an. Les forces de l'OTAN sont-elles en train de perdre la bataille en Afghanistan ?
R - Pensons avant tout aux soldats qui sont très courageux, très inventifs et qui appliquent maintenant une stratégie un peu différente dont nous parlerons tout à l'heure. Je pense avant tout à ces difficultés et à ces souffrances. Sommes-nous en train de perdre ? Non. Sommes-nous en train de gagner ? Non.
Q - Alors, que fait-on ?
R - Ni la victoire, ni la défaite ne seront militaires.
Q - C'est un peu facile, si je puis me permettre. La victoire sur les Taliban doit être militaire.
R - Non, elle ne le sera pas non plus. Cela est peut être de plus en plus difficile dans certaines zones. Je pense qu'il faut considérer l'Afghanistan, gigantesque pays montagneux, dans sa diversité, et non pas simplement à travers ce qui se passe à Kaboul. Depuis la Conférence de Paris, qui est une idée française, nous considérons qu'il faut mettre les Afghans au centre de notre dispositif. C'est un dispositif tourné vers les Afghans. Nous ne faisons pas la guerre aux Afghans, nous leur permettons au contraire de s'opposer au mieux aux Taliban. C'est difficile, mais il n'est pas question que nous nous retirions.
Q - Pas question de se retirer, mais l'état-major américain dit : "nous ne ferons pas face aux missions qui sont les nôtres, sans un renforcement important de militaires".
R - C'est autre chose. Il s'agit du rapport du général McChrystal, par ailleurs très intéressant parce qu'il montre que les Américains se rendent enfin compte de la nécessité de se rapprocher de la population. La stratégie américaine est donc en train de changer.
Q - Huit ans après le début de la guerre, n'est-ce pas trop tard ?
R - Je ne le crois pas. Je le répète, il n'y aura pas de victoire militaire. Il y aura une victoire si nous essayons - et si nous y parvenons - à aider les Afghans à se défendre eux-mêmes, c'est-à-dire en renforçant la police, et surtout en renforçant l'armée parce que jusqu'à présent ce n'est pas un succès. Il faudrait passer de 120.000 à 240.000 soldats afghans.
Je vais vous donner des exemples avec ce qui se passe du côté français, c'est-à-dire au nord de Kaboul. A l'est, il y a deux vallées qui sont sous la responsabilité des soldats français et il y a la vallée d'Alasay qui a été conquise pour la première fois par les soldats français. Après des batailles acharnées, les insurgés ont été défaits mais nous ne sommes pas restés - c'est une erreur que de rester dans ces vallées. On ne peut pas occuper tout l'Afghanistan, en revanche l'armée afghane s'y trouve. Il faut croire en l'armée afghane, lui donner suffisamment de matériel et la renforcer. Cette vallée d'Alasay est un exemple de ce qui fonctionne !
Q - L'effort militaire en Afghanistan va-t-il durer longtemps à votre avis ?
R - Plusieurs années...
Q - Plusieurs années.
R - Sûrement, plusieurs années cela veut dire deux ou dix ans.
Q - Serons-nous confrontés, nous Français pour ce qui nous concerne, à la nécessité d'augmenter aussi le contingent, si par exemple les Etats-Unis font cet effort ?
R - Non ! Le président de la République a été très clair, nous avons renforcé notre présence. On peut opérer des petits changements.
Q - Aux Américains de se débrouiller ?
R - Non ! Pourquoi dites-vous cela ? Il y a trente mille soldats européens.
Q - Parce qu'ils font encore des efforts pour envoyer des soldats.
R - La réponse n'a pas encore été apportée à ce que demandait justement le général McChrystal. On lui donne une mission, il pense que pour l'accomplir il faut plus de forces, mais le président Obama a sagement répondu : "Il me faut d'abord une stratégie". Il a raison. Nous avons offert une stratégie nouvelle qui était de ne pas seulement poursuivre les Taliban, cela ne marchait pas, mais de donner confiance aux Afghans notamment concernant le choix d'un régime différent, leur permettant d'avoir de l'espoir. Je vous rappelle que l'Afghanistan est le pays le plus pauvre du monde.
On ne va pas bouleverser l'agriculture tout de suite, il faut mettre en place des systèmes d'irrigation, de surveillance et pour cela, on ne va pas se retirer tout de suite, on ne peut pas ne pas sécuriser des zones, parce que les Taliban se vengent.
Je vais vous donner un exemple. Il y a un hôpital français à Kaboul, personne ne doute que c'est le meilleur hôpital du pays. Cet hôpital français, qui s'occupe des enfants, n'est pas gardé militairement. Ce sont les Afghans qui le contrôlent, le personnel soignant est afghan : c'est cela le modèle. Il faut que cela marche ainsi !
Vous me direz que ce n'est pas militaire mais c'est exactement notre modèle et il y en aura d'autres. Dans la vallée de Kapisa, et notamment dans la ville de Surobi, nous voulons installer un hôpital et nous continuons dans cette démarche. Ce n'est pas extraordinairement inventif mais, vous savez, personne n'a jamais occupé l'Afghanistan, personne n'a remporté de victoire militaire sur ce pays, alors tirons-en les leçons.
Q - Ce n'est pas inventif mais c'est très intéressant que cette stratégie que l'on appelle de contre-insurrection et à laquelle les Américains adhérent dont le général McChrystal. Cela me rappelle, si vous me le permettez, ce que l'on a connu il y a très longtemps malheureusement en Algérie. On a eu cette belle idée de dire "plutôt que de faire seulement la guerre, il faut aller vers les populations civiles" et on avait créé ces fameuses sections administratives spéciales où les militaires étaient à la fois des instituteurs, des enseignants, des formateurs et l'on sait comment cela s'est terminé. Ce que l'on peut redouter en Afghanistan c'est que cette théorie, qui est séduisante, se termine aussi malheureusement comme cela ?
R - Oui, on peut le regretter si cela arrive, mais je pense que cela n'arrivera pas.
Q - C'était la même idée ?
R - C'était la même idée mais ce n'était pas le même pays ! Il s'agissait d'un département français, d'une colonie française qui réclamait son indépendance. C'était complètement différent de la situation actuelle en Afghanistan. En Afghanistan, nous ne voulons pas rester, nous ne voulons pas coloniser, nous ne voulons rien faire d'autre que d'apporter aux Afghans un choix qui ne soit pas celui de l'extrémisme musulman qu'ils réprouvent, et qu'ils ont pu exprimer lors des dernières élections.
Q - Parlons-en, quand aurons-nous la réponse ?
R - Probablement au début de la semaine nous aurons un premier chiffre et au début du mois d'octobre, on aura les résultats de deux commissions, une commission afghane indépendante du gouvernement et une commission internationale dirigée par un Canadien. Quelque soit le résultat, nous en tiendrons compte.
Q - Elections manifestement truquées !
R - Il y avait d'autres élections truquées. Croyez-vous que l'on va installer une démocratie à la française immédiatement en Afghanistan ?
Q - Mais un Etat de droit au minimum ?
R - Un Etat de droit au minimum, c'est fait.
Q - C'est comme au parti socialiste...
R - Je n'aurais pas risqué cette comparaison, d'ailleurs le pourcentage des votes au parti socialiste me paraît supérieur à celui de l'Afghanistan !
Q - Les élections sont manifestement truquées en Afghanistan, on peut le dire ainsi ou pas ?
R - Non, on ne peut pas le dire comme cela !
Q - Comment le dites-vous alors ?
R - Laissons-les dire, ils l'ont fait. Il y a un comptage et une commission des fraudes est en train de statuer. Quelque soit le résultat, nous en tiendrons compte. Néanmoins, pensez aux gens qui sont venu voter. Pensez aux femmes qui majoritairement sont venues voter, et qui non seulement ont risqué leur vie mais ont risqué leur vie au sein même de leur famille. Ce pourcentage est un signe formidable.
Q - Donc, c'est d'autant plus scandaleux que leur vote soit volé...
R - C'est peut-être scandaleux mais il ne faut pas tout changer. Vous n'allez pas me dire que l'on peut changer toute une culture millénaire, tout un comportement qui n'a rien à voir avec la démocratie européenne en une nuit, ce n'est pas possible. Nous voulons que ce gouvernement s'amende, nous voulons lui proposer non pas un calendrier - parce que cela voudrait dire qu'un jour l'on se retirera - mais un échéancier politique. Cet échéancier politique doit améliorer la démocratie, et cela doit se faire. Qui a élu M. Karzaï ? Les Afghans en 2004, personne ne l'a contesté. Donc attendons un peu.
Q - Vous avez dit, Bernard Kouchner, que la victoire ne peut pas être militaire, ce que chacun peut comprendre.
R - La victoire ne peut pas être militaire, ni la défaite. Il n'y aura pas de défaite...
Q - Ce que chacun peut comprendre c'est qu'elle ne peut être que politique et comment obtenir une victoire politique sur un système politique aussi manifestement mensonger, c'est quand même une impasse dans laquelle vous vous trouvez en Afghanistan ?
R - Il y a des différences dans le monde dont il faut tenir compte si vous faites de la politique ou alors il faut être dans une ONG et vous pensez que le monde va vous tomber sur la tête, ce n'est pas pareil. Dans le cas présent, il y a un Afghanistan réel qui change et qui évolue dans le bon sens.
Je pense qu'en offrant aux Afghans la responsabilité des projets - ce qui est l'impulsion donnée par la Conférence de Paris, et c'est ce que les Américains, une fois de plus, ont accepté de la part des Français - et la direction des projets, en modifiant leur vie quotidienne extraordinairement pauvre - où les taux de mortalité infantile et maternelle sont extrêmement élevés- nous améliorerons leurs choix. Du moins, nous pensons que le choix de cette civilisation, qui n'est pas celle des Taliban, pourra être fait par les Afghans eux-mêmes. Bien sûr, il y a des problèmes avec le Pakistan, des problèmes de frontières.
Q - Tout le monde est conscient que c'est compliqué et que des centaines de milliards de dollars ont été investis depuis huit ans en pure perte parce que la portée au combat de l'armée afghane fait débat, la culture du pavot est assez répandue, la révolte pachtoune aussi. Pour parler simple et très concrètement, vous êtes vous-même partisan d'un deuxième tour de la présidentielle ou pas ?
R - Je ne veux pas répondre à cette question parce que ce n'est pas la mienne. Je connais bien l'Afghanistan pour y avoir été médecin pendant 7 ans, je sais donc de quoi je parle.
On ne change pas les gens ainsi. Il faut les convaincre et gagner leur amitié. C'est dur et cela ne se fait pas avec des soldats qui se promènent en casque lourd et avec des gilets pare-balles. Regardez ce qui se passe à Surobi, les Français sont désormais présents dans les rues et sur les marchés de cette ville sans casque lourd, ni gilet pare-balles, c'est très important ! Ils sont très courageux, je leur rends hommage, c'est la démarche qu'il faut suivre. Même si je ne me fais pas d'illusions.
Quant à un deuxième tour, ce n'est pas à moi de le dire. C'est ce qu'une partie des Américains a fait et à tort. On ne peut pas à la fois avoir un candidat qui est M. Karzai - ce n'est pas moi qui l'ai choisi et je le connais depuis très longtemps - et dire que ce n'est pas le bon et que l'on va le changer. C'est de l'impérialisme et c'est fini.
D'ailleurs, je viens de voir arriver Pierre Lellouche qui a été longtemps notre représentant en Afghanistan et qui a fait un travail formidable et qui, je pense, est d'accord avec moi !
Q - Conakry cette semaine, 150 morts, plus de 1.000 blessés, l'armée qui tue, qui terrorise, qui viole et l'opposition qui réclame à corps et à cri une intervention. Que peut-on faire pour freiner, pour conjurer la menace d'une guerre civile, de règlements de compte entre les gens de la forêt et les Peuls ? Que peut-on faire pour stabiliser la situation ?
R - Les Peuls, les Soussous et toutes les communautés ont été particulièrement malmenés. Je veux tout d'abord dire qu'il ne faut pas cesser de s'indigner, qu'il ne faut pas se résigner, qu'il ne faut pas se dire que les Africains une fois de plus se battent et s'entretuent. Il ne faut pas réagir comme une partie de la presse internationale qui n'a même pas parlé de ce massacre sauvage !
Alain Joyandet qui est là, s'occupe au Quai d'Orsay de l'Afrique. Il a rencontré plusieurs fois le capitaine Moussa Dadis Camara. Ce dernier a pris le pouvoir à la suite d'un coup d'Etat que tout le monde a accepté au début parce qu'après 29 ans de dictature, cela paraissait stabilisant. Même Amin Dada n'avait pas fait cela, même le souvenir horrible de ce stade au Chili, ce n'est pas comparable. Là, on égorgeait les femmes sous les yeux de leur mari, on les violait, on les tuait. Vous savez le nombre de blessés et de morts ? Nous en sommes d'ailleurs accusés - la communauté internationale aurait provoqué tout cela ! Mais comment peut-on l'accepter ?
Il ne faut pas réfréner son indignation, sinon on ne fait plus rien. Avant, il y avait la responsabilité de protéger venue du droit d'ingérence français ; maintenant on l'oublie et on recule, cela ne va pas. Ce n'est pas à la France de prendre des décisions sur ce sujet. Nous ne sommes pas au temps de la France-Afrique
Q - C'est peut-être à la France d'éviter de recevoir le n°2 de la junte, c'est peut-être à la France de ne pas donner le mauvais exemple en, finalement, bénissant. Il y a un autre exemple récent en Afrique, la Mauritanie. Là encore un officier qui renverse un président...
R - Vous n'avez pas tort
Q - Vous regrettez que...
R - Non, mais tout cela s'est passé avant le lundi tragique. Tout le monde avait accepté le coup d'Etat de M. Camara. Nous, notre position est : nous soutenons l'Union africaine. Nous l'avons fait du début jusqu'à la fin. L'Union africaine était d'accord et avait envoyé une mission. Il y avait d'ailleurs un groupe de contact qui venait de se rendre en Guinée. C'est cela que nous avons fait, pas plus, et le contact se faisait.
Q - Mais maintenant est-ce que l'on va faire plus que l'Union africaine ?
R - J'espère beaucoup, mais qui a fait cela ? Nous avons alerté le Conseil de sécurité de des Nations unies, personne n'était au courant. Nous avons eu une séance dite de renseignements à ce propos parce qu'il s'agit d'un problème interne. Voilà ce que je n'accepte pas. Les massacres collectifs ne sont pas des problèmes internes, je me suis battu toute ma vie pour cela ; je n'accepterai pas cette fois-ci.
Nous avons obtenu l'étude de sanctions de la part des 27 à Bruxelles la semaine dernière. J'ai reçu hier très longuement le président de la Commission de l'Union africaine. Nous avons été en contact avec les protagonistes, c'est-à-dire M. Wade au Sénégal et M. Blaise Compaoré au Burkina Faso. M. Blaise Compaoré s'y rend demain. Attendons demain soir au moins. Mais vous avez raison, le danger de guerre intra-communautaire est immense.
Q - On a eu tort de recevoir le n°2 de Dadis Camara à l'Elysée ?
R - Non, pas avant le lundi parce que tout le monde allait leur rendre visite. Mais malheureusement il s'est passé cette chose effrayante et sauvage et nous ne pouvons pas l'accepter. Qu'est ce que cela veut dire ? Peut-on faire une mission internationale ? Nous avons alerté la CEDEAO, vous savez c'est l'organisation sous-régionale qui s'occupe de cela. Il faut que le Nigeria soit d'accord, nous y travaillons. Il me semble que maintenant on ne peut plus travailler avec M. Camara et qu'il faut qu'il y ait une intervention internationale. Nous travaillons à cela.
Q - Dépêche AFP, 19h12, de hauts responsables français ont rencontré dimanche à Damas le président El-Assad, il s'agit de Claude Guéant, le secrétaire général de l'Elysée et Jean-David Levitte, conseiller diplomatique.
R - Oui, je le sais, bien sûr ! D'ailleurs je verrai Claude Guéant.
Q - Il y a des diplomaties en France ou il y en a une ?
R - Non, mais vous avez remarqué, il y a un président de la République qui est à l'Elysée entouré de conseillers, cela dure depuis longtemps et puis il y a un ministre des Affaires étrangères.
Q - Est-ce normal qu'un secrétaire général de l'Elysée se trouve dans un endroit comme Damas ?
R - Non, il s'est arrêté à Damas parce qu'il se rendait aux Emirats pour des raisons qui sont des raisons de rapports que nous entretenons entre ces pays depuis longtemps. Je suis au courant, vous ne m'avez rien appris, je sais qu'ils allaient en Syrie.
Q - Vous avez l'impression de maîtriser toute la diplomatie ou une partie de la diplomatie vous échappe ?
R - Je fais ce que je peux. On ne peut pas me reprocher à la fois de parler librement au président et de ne rien maîtriser, cela est un peu contradictoire. Je fais ce que je peux, c'est déjà pas mal !
Q - Mais une partie de la diplomatie vous échappe ?
R - Je pense que la diplomatie française ne m'échappe pas et je pense que l'on a tout lieu de se féliciter du retour dans l'arène mondiale de cette diplomatie française. Je pense que vous vous en félicitez tous les trois ou alors je ne comprendrai rien. Est-ce que c'est suffisant ? Jamais !
Q - Un secrétaire général de l'Elysée qui fait comme cela des voyages...
R - Le secrétaire général de l'Elysée a toujours effectué des missions pour le compte de son président.
Q - Non.
R - Bien sûr que si ! J'ai été souvent impliqué dans tout cela.
Q - Je ne suis pas sûr que, par exemple, Dominique de Villepin quand il était à l'Elysée, allait...
R - Je ne suis pas sûr que ce soit le bon exemple.
Q - ...ou celui de Gourdault-Montagne...
R - Non, ils n'ont pas tous la même capacité. Je vous signale que M. Gourdault-Montagne était le conseiller diplomatique. Que Jean-David Levitte ait effectué ou continue à effectuer des missions avec Claude Guéant ne me paraît pas anormal du moment que nous en parlons, du moment que je suis au courant - et je suis au courant-. Je vous rappelle que cela ne s'est jamais fait ni avec M. Gourdault-Montagne, ni avec les autres. Toutes les semaines, je rencontre Claude Guéant et Jean-David Levitte qui vient avec son n°2 au Quai d'Orsay pour que l'on parle de leurs projets et de la complémentarité de ces deux démarches. Cela ne s'est jamais fait. Vous voulez dire que je ne suis pas dictateur ? Non, je ne le suis pas !
Q - Roman Polanski toujours détenu en Suisse. Quelles sont les dernières nouvelles si vous en avez ?
R - Notre consul général lui rend visite au moins une heure par jour, ce qui relève de la protection consulaire normale que nous assurons aux citoyens français. Oui, j'ai des nouvelles.
Q - La demande d'extradition a été faite par la justice californienne ?
R - Non, elle n'a pas été faite. Nous avons écrit, le ministre polonais des Affaires étrangères et moi-même, à Mme Clinton pour lui demander son avis.
Q - Vous a -t-elle répondu ?
R - Oui, elle nous a répondu que c'était quelque chose - ce dont nous nous doutions - qui regardait la justice. Mais, c'est par le State department que la demande d'extradition passera.
Je voudrais seulement rajouter quelque chose parce que ceci a été très mal interprété. J'ai beaucoup d'admiration pour Roman Polanski, mais je ne peux pas m'élever contre le circuit d'Interpol et les justices qui ont à gérer des demandes d'extraditions qui sont acceptées parce qu'il y a des accords d'extraditions. Il n'en est pas question. Cela a été très mal interprété.
Q - Qu'est-ce qui a été très mal interprété ?
R - La soudaineté de l'arrestation de Roman Polanski, un homme qui vivait très souvent en Suisse dans sa maison et qui a été arrêté à sa descente d'avion alors qu'un festival officiel en Suisse allait lui décerner un grand prix. C'est tout de même surprenant.
Q - C'est très choquant, mais sans être polémique, est-ce qu'un homme qui a fait boire une fille de 13 ans, qui la drogue, qui la sodomise ensuite, mérite vraiment que les plus hautes autorités de l'Etat en France et aux Etats-Unis se mobilisent pour lui éviter un procès ?
R - Ces détails ne me sont pas connus. Il y a eu en effet un procès avec de nombreux autres éléments avec en particulier la maman de la jeune fille, mais je ne veux pas entrer dans ces détails.
Nous avons la nécessité de défendre tous nos citoyens français et de leur fournir une protection consulaire, ce que nous avons fait. Nous avons exprimé, certains d'entre nous, dont je fais partie, notre admiration personnelle. Mais j'ai ajouté - je vous prie de le noter - que la justice était la même pour tout le monde et que là-dessus nous n'avions pas à prendre position.
Q - Et quand vous dites que cela a été mal interprété, vous voulez dire que cette partie là de votre phrase n'a pas été entendue ?
R - Tout le monde s'est exprimé en France parce que Roman Polanski représente, par son immense talent, tout un secteur qui est celui des intellectuels et du cinéma français, c'est légitime. Je l'aurais fait pour n'importe qui et je ne veux pas que l'on se méprenne, je n'ai rien contre la justice qui se manifeste de cette façon. Je n'ai pas à entrer dans les détails, ceux scabreux que vous avez évoqués ou le fait qu'il n'y a pas prescription. Je sais qu'il s'agit d'un crime imprescriptible pour la Californie.
Q - Tout à fait autre chose : les 101 membres du Fonds monétaire international viennent aujourd'hui de dire qu'il fallait continuer les plans de relance. Question simple : est-ce que c'est compatible avec les énormes déficits publics qu'il y a dans de très nombreux pays ?
R - Question compliquée, réponse simple : oui, hélas ! c'est compatible. Je vous rappelle par exemple que M. Stiglitz a rédigé un papier dans Le Monde, il y a 15 jours, dans lequel il disait : il y a des déficits qui sont extrêmement profitables, il y a des déficits nécessaires, il y a des déficits qui soutiennent la croissance et donc l'emploi
Q - On en a de la chance de dire que le déficit est profitable !
R - Nous n'avons pas les plus gros déficits et la crise a frappé tout le monde. Cette crise était inimaginable et "inimaginée" par vous en particulier. Les observateurs ne l'attendaient pas. Que fallait-il faire ? Donnez-moi la recette ! Tous les pays européens ont proposé des plans de relance, ce qui a été formidable, et ce que les Irlandais - que nous devons encore une fois féliciter - permettront de meilleure manière, c'est qu'il y ait une cohérence entre les plans de relance européens.
Creuser le déficit n'est pas bien en terme d'orthodoxie, mais défendre l'emploi en France est nécessaire. La prime à la casse, tout le monde nous a critiqué, surtout les Allemands qui vendaient de plus grosses voitures que nous et après qu'ont-ils fait ? La même chose et tout le monde l'a fait.
Ce n'est pas bien au début, ce n'est pas orthodoxe, mais la crise non plus n'est pas orthodoxe. Ce qui était moins orthodoxe encore, c'était cette utilisation de la finance en permanence, c'était scandaleux, ce n'est pas cela le capitalisme, enfin tel que je le connais, corrigé par l'Etat. Vous rendez-vous compte de ce qui s'est passé ! Le sommet du capitalisme s'appelait General Motors. Or, General Motors a été nationalisé par les Américains ! Ce n'est quand même pas une petite crise !
Q - Une dernière question, qu'est parti faire Jack Lang en Corée du Nord ?
R - Il veut parler avec la Corée du Nord. Vous savez, il s'est aussi rendu à Cuba. J'en suis informé et il vient m'en rendre compte. Cela ne peut être que bénéfique si l'on peut désamorcer cette crise. Il était à Moscou, j'ai demandé à ce qu'il soit reçu puisque j'ai vu M. Medvedev et M. Serguei Lavrov, il a été reçu et il prépare ce voyage. J'espère qu'il aura un petit soupçon de réussite. Ce n'est pas mystérieux tout cela. Vous voulez dire : qui est le ministre des Affaires étrangères ? Moi.
Q - Vous vous sentez bien deux ans après ?
R - Je n'avais pas envie d'aller en Corée du Nord. Il n'y a pas de concurrence là-dessus.
Q - On a l'impression que ce n'est pas facile tous les jours pour vous.
R - C'est beaucoup plus beau quand c'est difficile. J'y parviens et voulez-vous que je vous dise ? Je répète : vous plaignez-vous de la diplomatie française ? Vous rendez-vous compte de ce qui s'est passé à New York, au G20, à Pittsburgh, demain en Europe ? Vous rendez-vous compte de ce que nous avons fait bouger, je veux dire le président Sarkozy et moi-même ? Vous rendez-vous compte des réformes que l'on fait à l'intérieur du Quai d'Orsay ? De la réforme de la culture que l'on amorce ?
Q - Sans vous, le monde marcherait plus mal, c'est cela que vous voulez dire ?
R - Non, mais ce n'est pas moi que j'implique là-dedans, c'est une volonté de changer les choses et il y avait de quoi. Le conservatisme nous étouffait, il y en a moins.
Merci.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 octobre 2009