Interview de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, à Canal Plus le 19 octobre 2009, sur le projet de loi de finances pour 2010, présenté comme un budget de sortie de crise.

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Média : Canal Plus

Texte intégral

M. Biraben et G. Delafon.- M. Biraben : Et donc, le bouclier fiscal, je pense que nous manquerons pas d'en parler à notre invité politique, E. Woerth, le ministre du Budget, qui est l'homme de la semaine. Dès mardi, il prendra ses quartiers à l'Assemblée sur le banc des ministres pour défendre son budget face à l'opposition, mais aussi face à sa propre famille politique qui s'en prend au bouclier, on vient le voir, qui rêve de recettes du côté des niches fiscales et qui risque de se faire entendre sur la taxe professionnelle. Budget en déficit qui sera difficile à défendre. E. Woerth, bonjour.

Bonjour.

M. Biraben : Soyez le bienvenu.

Merci.

G. Delafon : Bonjour.

Bonjour.

G. Delafon : E. Woerth, après une semaine plutôt difficile, la semaine dernière, marquée par des polémiques en tous genres qui ont affecté la majorité, D. Douillet a été élu ce week-end député des Yvelines avec 52,10 % des voix. Est-ce que vous êtes soulagé ?

On est heureux pour D. Douillet et puis heureux pour la majorité. On nous avait dit, toutes ces polémiques un peu ridicules de la semaine vont avoir un impact sur le résultat, pas du tout. D. Douillet est très bien élu et c'est une bonne chose. Franchement, ça montre, au fond, que les électeurs prennent un peu de distance par apport aux gesticulations qui ont eu lieu ces derniers temps.

G. Delafon : Mais vous pensez que c'est vrai au niveau national ou c'est juste un phénomène local ?

Mais je n'en sais rien ! Tout ce que je sais...

G. Delafon : ...vous pensez qu'il n'y aura pas d'impact au niveau national.

Tout ce que je sais c'est que si D. Douillet n'avait pas gagné, s'il avait fait un tout petit score, on nous aurait dit : « regardez, votre électorat a été sensibilisé aux différentes polémiques de ces derniers jours ». Bon, là, c'est pas le cas. Vous savez, les gens, ils gardent une certaine distance vis-à-vis des choses, ils ne sont pas comme l'opposition, comme un certain nombre en train de réagir au moindre truc.

G. Delafon : Vous croyez qu'ils n'ont pas été affectés par toutes les polémiques ?

Mais, je pense que tout le monde a toujours un peu d'idées sur les choses, mais c'est pas...On voit bien, le résultat d'une élection c'est un résultat, c'est tout. Donc, ce résultat il est très bon, D Douillet est élu, c'était un bon candidat, il est vrai, donc c'est vraiment une bonne nouvelle. Mais vraiment, imaginez-vous le contraire, quoi. Le contraire ça aurait été : « mon Dieu, la majorité a perdu, le président de la République est au plus bas », c'est tout ce qu'on aurait dit, mais non, ce n'est pas ça. Majorité, très bien.

G. Delafon : Alors, il y a quelque chose quand même qu'on peut dire, c'est que ça n'a pas fasciné les électeurs puisque on a un taux d'abstention qui est record de 66 %, ce qui fait qu'en gros il n'y a que 18,20 % des inscrits qui se sont portés sur le nom de D. Douillet.

Oui !

G. Delafon : Est-ce que ça ne traduit pas quand même une crise ça ?

Non, pas du tout, non ! Vous savez, c'est toujours comme ça. Moi, j'ai été candidat aussi à une élection législative partielle, ce qui est très très difficile c'est de faire savoir qu'il y a une élection législative partielle. Les gens ont beaucoup de mal à avoir l'information, et donc très souvent ils connaissent quand les résultats sont affichés dans le journal. Donc, non, non, c'est classique, dans toutes les partielles c'est comme ça. Mais au fond, il y a 20 % de gens qui votent, ils représentent le corps électoral, donc finalement un très bon échantillon. Ca n'aurait rien changé qu'il y ait 20, 40 ou 50 ou 60 % des gens qui votent. Je pense que l'échantillon est suffisamment important pour dire que tout le monde est allé voter, et que je pense en plus que l'opposition s'est sûrement beaucoup mobilisée parce qu'elle s'est dit : « on va essayer de faire chuter le candidat de l'UMP ». Eh ben, raté ! Ca n'a pas marché comme ça, D. Douillet a été élu et je l'en félicite.

G. Delafon : Alors, venons-en au sujet de la semaine, c'est-à-dire l'examen du budget. H. Mariton dit que « ce budget manque d'une vision à moyen et long terme », H. Mariton qui est de votre camp, de la majorité. Est-ce que vous craignez lors de cet examen surtout les critiques de votre camp qui se multiplient ? Est-ce que vous les craignez ?

Non mais, vous allez chercher dans notre camp toujours les gens qui sont en frange des choses, ce qui est assez normal d'ailleurs, vous faites la même chose avec le Parti socialiste.

G. Delafon : On pourrait aller chercher ceux qui vous soutiennent...

... vous pourriez aller chercher, vous en trouveriez d'ailleurs beaucoup plus au fond, énormément plus.

G. Delafon : Mais enfin, vous reconnaîtrez que là, quand même, il y en a quelques-uns qui s'interrogent.

Mariton il est très bien mais Mariton il s'interroge sur tout, tout le temps, il faut voir ça quand même. Ce sont des gens qui sont... Ce sont des individus - ce n'est pas les membres d'une majorité - qui disent ce que pense toute la majorité, c'est des gens spécifiques.

G. Delafon : Il n'y a donc pas de crise au sein de votre majorité ?

Non !

G. Delafon : Et votre budget ne pose pas question à votre majorité ?

Attendez, attendez, dans des textes comme ça, il y a toujours plein d'expressions, et c'est normal d'ailleurs, l'UMP elle est très grande, elle est très large, donc c'est plus c'est grand, plus c'est large, et plus il y a de idées différentes. C'est quand vous êtes un tout petit parti qu'il y a une seule idée. Donc, là, ce n'est pas ça du tout. Et il y a plein de questions sur un texte comme le budget, sur plein de sujets. Il y a mille amendements, donc il y a plein de sujets. J'ai fait les jeux en ligne, il y avait 7 ou 800 amendements sur un seul texte comme ça. Nous, on est là pour y répondre, mais ce n'est pas une remise en cause, c'est une discussion avec l'opposition et avec la majorité.

G. Delafon : Oui, mais, reconnaissez que sur le bouclier fiscal il y a quand même un malaise au sein de votre majorité.

M. Biraben : Vous venez de le voir !

G. Delafon : La position que tient le Président met mal à l'aise quand même des gens au sein de votre majorité qui réclament plus de justice fiscale.

Cela met mal à l'aise, non, pas tant de gens que cela. Il y a des gens qui disent... d'ailleurs, ils ne sont pas mal à l'aise, ils disent : « vous pourriez changer un peu les choses » ; ils sont pas mal à l'aise avec le bouclier. Regardez bien ce qu'ils disent, ils ne sont pas mal à l'aise, ils disent : « vous devriez retirer ça, plutôt ci, plutôt ça », mais c'est très peu de monde. Sur le bouclier comme sur plein d'autres sujets, nous on est très fermes, et moi je vous le dis très calmement...

G. Delafon : ... c'est quand même le président de la Commission des lois, J.-L. Warsmann, qui demande que on aménage...

Oui, enfin J.-L. Warsmann il fait un rapport très large sur la dépense dans lequel il parle d'ailleurs très peu de la dépense, au fond, et dans lequel il donne un certain nombre d'idées qui pour la plupart sont déjà appliquées. Donc, en ce qui concerne le bouclier fiscal, je le dis très calmement et très simplement, nous ne changerons pas les choses parce que le bouclier c'est un principe, et en France c'est toujours comme ça.

G. Delafon : Oui, mais on a l'impression que la crise remet pas en cause vos principes, que vous aviez des principes qui étaient valables avant la crise, et que la crise financière ne remet pas en cause certains de vos principes. Pourquoi ?

Mais elle ne doit pas remettre en cause...la crise c'est un élément conjoncturel. Cet élément conjoncturel, on doit y r??pondre de façon conjoncturelle.

G. Delafon : Ah, ce n'est pas une crise structurelle du système, c'est uniquement conjoncturel ?

On parle de relance, le plan de relance c'est un élément conjoncturel qu'on retire au fur et à mesure du temps. Les mesures que nous avons prises pour soutenir la consommation ou l'investissement c'est des mesures conjoncturelles. Et puis après, il y a de mesures structurelles pour que ça ne se repasse pas et que ça ne revienne pas. Ca, c'est les mesures sur les banques, c'est les mesures sur les traders, c'est les mesures sur les paradis fiscaux. Ca, c'est des mesures structurelles ou des réformes structurelles que nous menons, mais pas des principes qui tiennent à notre équité fiscale. Et l'équité fiscale c'est que quelqu'un ne paie pas plus que la moitié de ses revenus en termes d'impôts. C'est déjà considérable.

G. Delafon : Alors, parlons de la fiscalité et de l'équité fiscale. N. Sarkozy affirme qu'il n'augmentera pas les impôts. Il n'empêche qu'en 2010, ça vous devez le reconnaître, les ménages paieront plus de prélèvements sociaux et bénéficieront de moins d'avantages sociaux qu'en 2010 (sic). Donc, la pression fiscale elle augmente.

C'est faux ! C'est faux ! C'est complètement faux. Les ménages ne paieront pas plus de prélèvements fiscaux, au sens large du terme, en 2010, bien au contraire.

G. Delafon : Taxe carbone, assurance vie plus taxée, plus-values immobilières plus taxées, hausse de la taxe patronale sur la participation à l'intéressement, à l'épargne salariale.

Mais oui, mais attendez, attendez, vous ne voyez pas à quel niveau se développent les prestations sociales. Les prestations sociales, elles se développent beaucoup plus vite, j'aurais tendance à dire malheureusement pour le ministre des comptes, beaucoup plus vite que les recettes, beaucoup plus vite, beaucoup plus vite. Vous savez que nous rendrons... nous avons rendu entre 2007 et 2010 aux ménages, nous avons rendu près de dix milliards, dix milliards d'euros en termes de fiscalité, dix milliards d'euros en termes de fiscalité et six milliards sur les entreprises. Sur ce budget, on supprime la taxe professionnelle, on supprime l'imposition forfaitaire annuelle, ça c'est pour les entreprises ; et en ce qui concerne les ménages, il y a la taxe carbone, mais on rend l'ensemble de la taxe carbone par une diminution de l'impôt sur le revenu. Il n'y a pas d'augmentation des prélèvements sur les ménages, bien au contraire. Et il n'y a qu'une seule France, il n'y a qu'un seul bateau France, il y a des entreprises qui donnent du travail aux ménages qui consomment, c'est comme ça que ça fonctionne. Il ne faut pas opposer les deux. Quand vous opposez les deux, vous ne comprenez plus rien à la France, ni à son économie. D'ailleurs, les gens quand ils ont des problèmes, au fond ils prennent le nom de leur entreprise, quand vous avez un problème dans une entreprise majeure, vous dites « les Conti, les Molex », donc il y a bien une osmose totale entre l'entreprise et les ménages. S'il n'y a pas de boulot, s'il n'y a pas d'entreprise, il n'y a pas de boulot, il n'y a pas de répartition de richesse. On est là pour essayer d'aider l'ensemble de la France à essayer de sortir de la crise, et le budget c'est un budget de sortie de crise.

G. Delafon : Oui, enfin c'est surtout le budget du déficit record, 141 milliards, je crois.

Budget : 116 l'année prochaine.

G. Delafon : 116 milliards ! Et qu'est-ce ça vous fait d'être le ministre du déficit record ?

Mais moi, je suis ministre du Budget dans des circonstances qu'on n'a jamais vécues, avec une crise considérable, et le déficit il est dû, à 75 % il est dû aux problèmes de recettes. C'est parce que la crise fait que les recettes elles chutent, parce que l'impôt sur les sociétés il va chuter de 30 milliards d'euros, parce que la TVA chute, etc., parce que les recettes chutent. On a perdu plus de 50 milliards d'euros de recettes en tout, et la Sécurité Sociale c'est la même chose.

G. Delafon : Et on les récupérera sans augmenter les impôts !

On peut les récupérer parce que la réponse elle est, au fond, conjoncturelle, c'est-à-dire que quand vous sortez de crise et que vous vous retrouvez au niveau...

G. Delafon : ... quel niveau de croissance il faudrait pour récupérer ?

En fait, il faut que l'année prochaine soit une année de transition, qu'on sorte de la crise.

G. Delafon : Combien !

L'année prochaine, on espère avoir entre 0,75 et 1 % de croissance, et les années suivantes...

G. Delafon : ...ça suffira pour les recettes ça ?

...comment on revient sur les déficits ? En continuant à réduire la dépense. Nous n'avons jamais aussi bien tenu la dépense, l'Assurance maladie la dépense est tenue, c'est la première fois depuis quinze ans. C'est vrai aussi pour les dépenses de l'Etat. Et puis, en même temps, il faut de la croissance pour développer les recettes. Les recettes de l'Etat comme de la Sécurité Sociale, elles viendront de l'activité. Elles ne viendront pas de l'augmentation des impôts dans un pays qui est dans les cinq pays au monde les plus taxés, les plus taxés. Ce n'est pas du libéralisme que de dire ça. J'entends Madame Buffet ou je ne sais pas dire que ce n'est pas du libéralisme, on est au contraire dans un pays qui n'est pas libéral, on est dans un pays social, dans un pays dans lequel il y a 500 milliards de prestations sociales qui sont délivrées chaque année. Donc, on est dans un pays où très largement on assure une équité sociale par un système de Sécurité Sociale extraordinairement développé. (.../...)

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 19 octobre 2009