Interview de Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat à l'écologie, à Canal Plus le 27 octobre 2009, sur les quotas d'émissions de gaz à effet de serre au sein de l'Union européenne, le stockage de matières nucléaires et le plan de soutien à l'agriculture.

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Média : Canal Plus

Texte intégral

C. Roux et M. Biraben.- M. Biraben : Notre invitée politique est là. C. Jouanno, la secrétaire d'Etat chargée de l'Ecologie, qui a été choisie par N. Sarkozy pour conduire la liste à Paris aux régionales. Elle est l'atout vert de la droite pour ne pas laisser les voix écolos à la gauche. Elle a même produit une note pour définir l'écologie de droite. Et pendant ce temps, N. Sarkozy présente aujourd'hui un plan de sauvetage de l'agriculture. C. Jouanno, bonjour.
 
Bonjour.
 
M. Biraben : Soyez la bienvenue !
 
Merci.
 
C. Roux : Alors, on a va parler effectivement de la Une de La Tribune, qui revient sur les passe-droits accordés par l'Europe aux entreprises, une espèce de droit à polluer, pour 164 secteurs d'activité sur 250. Est-ce que le but, au final, c'est de lutter pour ne pas éviter la fuite des entreprises vers des paradis environnementaux ? Est-ce qu'on en est là ?
 
Alors, ça, effectivement, c'est des décisions qui ont été prises l'année dernière au moment où on a bouclé le système de quota. C'est des échanges de "droit à polluer", entre guillemets. Et à l'époque, il avait été décidé que les secteurs très exposés à la concurrence internationale auraient des quotas gratuits pour la première période, au début. Pourquoi ? Parce que l'Europe est le seul continent au monde à s'imposer de telles restrictions contre sa pollution. Donc le principe, c'est qu'au départ ils ont des quotas gratuits, par contre ils n'ont qu'un volume limité de quotas. Donc s'ils ne tiennent pas leurs engagements, de toute façon, ils sont obligés de les acheter ensuite. Donc il y a quand même un système qui en plus est un système évolutif. Ce n'est que la première période, mais ça avait été décidé l'année dernière.
 
C. Roux : Alors, ça veut dire que vous reconnaissez qu'il y a un risque que s'installent des paradis environnementaux, comme on a vu s'installer des paradis fiscaux ? C'est possible ?
 
Si Copenhague échoue, et c'est pour ça que Copenhague est absolument prioritaire, si Copenhague échoue, le risque est important qu'il y ait du dumping environnemental. Et ceci d'autant plus qu'il y a l'OMC pour les questions de commerce mais il n'y a pas son équivalent pour l'environnement.
 
C. Roux : C'est une façon de parier sur un échec de Copenhague.
 
C'est une façon d'éviter que s'il y a un échec à Copenhague, on se trouve dans une situation très difficile. C'est aussi la raison pour laquelle nous plaidons pour une taxe carbone aux frontières, pour éviter aussi cette forme de dumping environnemental.
 
C. Roux : Ils seraient où ces paradis environnementaux ? Vous les connaissez déjà ceux qui pourraient s'installer comme paradis environnementaux ?
 
Malheureusement, en dehors de l'Europe, il n'y a pas de continent qui se soit imposé de telles règles d'émission de gaz à effet de serre, aujourd'hui. Maintenant, Copenhague - croisons les doigts -, Copenhague c'est à la fin de l'année, on se bouge autant que possible pour que les choses évoluent. On a des évolutions très positives en Chine par exemple, et les Etats-Unis, on compte vraiment sur les Etats- Unis. Donc tout n'est pas perdu, loin de là.
 
C. Roux : Vous dites, « croisons les doigts », c'est de la superstition, ça veut dire que vous êtes moyennement confiante quand même pour Copenhague.
 
C'est une négociation qui est très lourde, je veux dire c'est un...
 
C. Roux : Et qui s'engage comment ?
 
Comme les enfants, petit accord, petit problème ; gros accord, gros problème. Donc, c'est normal que ce soit compliqué. Qui s'engage comment ? C'était plutôt mal parti, notamment à la fin de l'été, les choses évoluent un peu plus rapidement aujourd'hui.
 
C. Roux : Grâce à qui ?
 
Grâce à l'ensemble des pays, grâce à l'action des Nations unies, grâce à l'Europe aussi. L'Europe a été très volontaire dans ce dossier.
 
C. Roux : Alors, il y a un autre dossier que vous avez eu à gérer récemment, c'est celui de l'uranium. On a découvert, ça fait bizarre de dire ça, mais on a découvert qu'il y avait des stocks de matières nucléaires françaises qui étaient stockées en Russie. Est-ce que c'est normal que les autorités françaises découvrent ce genre d'information ?
 
Premier point, c'est totalement anormal. J'ai dit même que c'était scandaleux. Je n'ai pas le nucléaire dans mon portefeuille, mais c'est scandaleux. Pourquoi ? C'est une question de transparence, c'est une question de confiance. Parce que sur le fond qu'est-ce qui s'est passé ? Ils ont démantelé une usine, c'était la première fois qu'on démantelait ce type d'usine, et ils ont "constaté", entre guillemets, que dans leurs résidus, il y avait plus d'uranium que ce qu'ils pensaient. Mais le problème c'est qu'ils ont juste mis quatre mois avant de prévenir les autorités. Alors chacun se renvoie la balle aujourd'hui, « c'est pas moi, c'est toi, tu m'as appelé, non je t'ai pas appelé »... Ce n'est pas ça le problème, c'est le problème de transparence. Quand on parle de nucléaire, on ne parle pas de petite cuillère, donc on a vraiment besoin d'avoir un système complètement bordé.
 
C. Roux : On a besoin d'avoir un système complet ; qu'est-ce que vous prenez comme décision au lendemain de cette découverte ?
 
Alors, le Gouvernement, parce que là, il y a une commission d'enquête, il y a une enquête préliminaire qui est ouverte par le Parquet d'Aix déjà. Deuxième point, il y a des auditions à l'Assemblée nationale de tous les responsables, ça va permettre de faire la lumière sur cette affaire pour voir où ça a dysfonctionné.
 
C. Roux : Est-ce qu'il y a des officiels français qui vont aller sur place pour voir les conditions de stockage ou pas ?
 
Alors vous me parlez de Russie, là ?
 
C. Roux : Oui, oui !
 
C'est encore autre chose. Là, sur la Russie, c'est une affaire interne à EDF. EDF a vendu du combustible aux Russes et effectivement, c'est une affaire interne à EDF. Donc, on a demandé à EDF...
 
C. Roux : C'est de la matière nucléaire française...
 
C'est de l'uranium qui a été utilisé dans les centrales, qui peut encore être réutilisé puisqu'il peut être ré-enrichi, donc c'est du combustible qui est vendu ensuite aux Russes pour être ré-enrichi, très simplement. Donc, ce n'est pas ce qu'on appelle du déchet qui ne sert plus à rien, ça peut être ré-enrichi. Là, la question c'est qu'EDF nous dit, « moi, je ne suis pas au courant », eh bien qu'EDF sache et qu'il fasse leur enquête interne.
 
C. Roux : L'agriculture, c'est le dossier du jour. N. Sarkozy va annoncer des mesures dans le Jura en faveur de l'agriculture, "la plus grave crise de l'agriculture depuis trente ans", a dit B. Le Maire. Est-ce qu'ils vous a consultée sur ce plan ?
 
On travaille main dans la main parce que les enjeux de l'agriculture sont des enjeux énormes. Certains ne voient ça que comme une question financière, mais la question alimentaire, c'est vraiment la question d'avenir dans un monde en croissance, et surtout à cause des changements climatiques et de la disparition de la biodiversité.
 
C. Roux : Il vous a consultée pour ce plan ou pas ?
 
Donc on travaille ensemble. On travaille ensemble tous les jours, et il nous a consultés sur ce plan, évidemment, parce que la question environnementale est une question centrale aussi.
 
C. Roux : Donc, ça veut dire que ce sera un plan de soutien à l'agriculture qui sera un plan de soutien vert ?
 
Ecoutez, on va voir ça tout à l'heure.
 
C. Roux : Mais si vous avez travaillé avec lui vous devriez le savoir, non ?
 
Je ne connais pas tous les détails du plan.
 
C. Roux : Mais vous le souhaitez que ce soit un plan de soutien à l'agriculture qui soit vert, et si ce n'est pas le cas qu'est-ce que vous ferez ?
 
Mais il ne peut pas y avoir d'avenir pour une agriculture qui ne soit pas plus respectueuse de l'environnement, ce n'est pas possible. Pourquoi ? Parce qu'on ne peut pas passer notre temps à exiger des agriculteurs qui mettent plus de produits chimiques ou plus de... Même pour eux, ce n'est pas tenable. Ce n'est pas tenable, ce n'est pas économiquement rentable, et puis la planète ne peut plus le supporter. Donc, ça, c'est très simple. Et on a pris des engagements dans le cadre du Grenelle, ils sont très clairs, ne serait-ce que la division par deux des produits chimiques utilisés dans l'agriculture, par deux en dix ans, c'est considérable.
 
C. Roux : Comment est-ce que on réconcilie agriculture et écologie, concrètement ? C'est-à-dire ce qui se passe avec les algues vertes, par exemple, en Bretagne, montre que ce n'est pas évident, il y a la filière porcine avec une agriculture intensive d'une certaine manière, et de l'autre côté des algues vertes toxiques. Comment est-ce qu'on fait pour réconcilier les deux ? Est-ce que vous avez la solution ?
 
M. Biraben : Qui seraient dues, donc, à cet élevage intensif...
 
Alors, qui sont dues, effectivement, à l'azote et à l'élevage intensif, entre guillemets, pas uniquement d'ailleurs et c'est important de le souligner, il y a aussi les rejets issus des communes. Donc la question est comment est-ce qu'on fait ?
 
C. Roux : Voilà !
 
Au-delà des mesures d'urgence, qui sont la prise en charge par l'Etat du ramassage des algues, parce qu'elles sont toxiques justement, c'est comment, sur le fond, on change les pratiques agricoles ? Il faut changer les pratiques agricoles, ça veut dire des élevages effectivement probablement moins intensifs, ou en tout cas qui soient hors sol. On a une mission interministérielle qui doit nous rendre ses propositions, maintenant dans deux mois, parce qu'elle a commencé il y a un mois à peu près. Donc laissons cette mission faire son travail. Mais il est clair maintenant dans l'esprit de tous que cela nécessite profondément de changer les pratiques.
 
C. Roux : C'est acquis pour les éleveurs de Bretagne qu'il faut changer les pratiques ? Vous pensez qu'ils vont y aller comme ça, les yeux fermés ?
 
Mais vous savez, les éleveurs de Bretagne c'est assez dommage d'ailleurs qu'on les pointe autant du doigt parce que qu'est-ce qui s'est passé ? On a dit aux éleveurs de Bretagne « vous êtes l'avenir de la Bretagne, allez-y, faites à fond de l'élevage de porcs en Bretagne, on vous soutient », et maintenant on leur dit, « ah oui, mais franchement, non, c'est pas bien ». Donc, il y a ça aussi. Il faut vraiment se remettre dans le contexte de ce qu'ont vécu ces éleveurs, parce que c'est les mêmes, c'est les mêmes à qui on a dit, « allez-y, foncez, faites de l'élevage ! », et puis maintenant on leur dit, « non, vos pratiques ne sont pas bonnes ». Donc, il faut clairement les accompagner. Dans leur esprit, c'est clair, enfin je veux dire c'est des gens qui ont déjà pas mal évolué. Il faut quand même rappeler qu'ils ont déjà baissé de 18 % justement les nitrates qui se déversent dans les rivières. Ce n'est pas suffisant, on est tout à fait d'accord. Ce n'est pas suffisant pour traiter les algues vertes mais je crois important de ne pas humilier les agriculteurs dans ce débat.
 
M. Biraben : Cela annonce peut-être une nouvelle taxe pour soutenir les éleveurs ?
 
Pourquoi voulez-vous toujours des taxes ? Si on peut éviter, c'est quand même mieux, non ?
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 12 novembre 2009