Texte intégral
Je vous félicite, Monsieur le Président, pour votre timing : on ne pouvait rêver meilleure occasion pour une réunion consacrée au Conseil européen.
Le Conseil européen qui s'est tenu les 29 et 30 octobre, a trouvé une réponse aux demandes formulées par le président de la République tchèque : celle-ci se voit accorder une clause d'opting out et les mêmes dérogations à la Charte des Droits fondamentaux que le Royaume Uni et la Pologne.
Cette déclaration a été adoptée en contrepartie de l'engagement du président Klaus de signer le Traité de Lisbonne si la Cour constitutionnelle tchèque déclarait celui-ci conforme à la loi fondamentale du pays, ce qui a été fait dès ce matin. Le président Klaus a signé le Traité de Lisbonne cet après-midi, ce qui termine le processus de ratification.
Nous revenons de loin après bien des tribulations. Et nous avons échappé au pire, le référendum que nous promettaient les conservateurs britanniques. Nous voici donc arrivés à la dernière phase : la nomination des dirigeants des nouvelles institutions, le président du Conseil européen et le Haut représentant pour la politique étrangère, sans oublier la désignation des membres de la Commission. Une fois les nominations effectuées par le Conseil, le "paquet" sera transmis au Parlement européen pour ratification.
Les exécutifs s'étaient engagés à parvenir à la ratification du Traité avant le 1er décembre 2009. Le contrat est rempli. Si le Parlement termine le processus de ratification dans le courant de décembre, nous commencerons la nouvelle année, sous Présidence espagnole, avec une boîte à outils rénovée. Cela marquera la fin d'une séquence historique de vingt ans qui aura vu la fin de la guerre froide et la réunification de l'Europe. Dotée de nouvelles institutions, l'Europe va enfin pouvoir commencer à travailler et à traiter les lourds dossiers qu'elle a devant elle.
Le Conseil européen a fait le point des travaux préparatoires à la mise en oeuvre du traité, travaux qui s'étaient accélérés après le référendum irlandais. Les chefs d'Etat et de gouvernement ont notamment approuvé les grandes lignes du fameux service européen d'action extérieure - SEAE -, le futur service diplomatique européen. Je dois, là aussi, rendre hommage au travail réalisé par la Présidence suédoise et à l'ambition exprimée par Bernard Kouchner : ce service sera, demain, le plus grand service diplomatique du monde, avec un recrutement à trois éléments : Commission, Conseil, Etats membres. Son statut, qui reste à définir, fait déjà l'objet d'un débat avec le Parlement européen.
Le SEAE vise à assurer une double cohérence : celle de l'action extérieure de l'Union grâce à un meilleur pilotage, sous l'autorité du Haut représentant, des différents commissaires qui mènent des actions de portée internationale - négociations commerciales, énergie, aide au développement - ; et celle, d'autre part, de la mobilisation des moyens disponibles au service de nos objectifs politiques afin d'éviter les erreurs commises dans le passé : alors que l'Europe avait financé l'aéroport de Sarajevo pendant la guerre de la Yougoslavie, c'est le secrétaire d'Etat américain qui l'a inauguré ; les 500 millions de dollars donnés par l'Europe à tel pays du Proche-Orient ont servi à acheter des avions de chasse américains ; l'Europe a signé, avec l'Amérique et le Japon, pour verser une somme importante au Pakistan sans avoir la moindre idée de la stratégie suivie par ce pays ou, tout au moins, sans l'avoir vérifiée.
Il faut absolument - et je me battrai pour cela - qu'il y ait une cohérence et une synergie entre l'action extérieure de l'Union - financée pour 20% par de l'argent français - et les actions extérieures que nous menons au titre de la France ou dans le cadre d'une coalition avec d'autres pays européens, l'OTAN ou l'ONU.
Comme il était prévisible, le Conseil européen n'a pas pu se prononcer sur le paquet de nominations dans les institutions. Des consultations ont lieu, et la Commission actuelle a été prorogée, le temps d'arriver à un accord.
L'un des enjeux majeurs du Conseil était la préparation de la Conférence qui se tiendra à Copenhague du 7 au 18 décembre, et qui coïncidera d'ailleurs, avec un Conseil européen.
Les objectifs à atteindre sont connus. Ils ont été définis par les travaux du GIEC - groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat. Il s'agit d'obtenir une réduction d'au moins 50% des émissions mondiales de CO2 en 2050, en prenant 1990 comme année de référence, afin de limiter le réchauffement climatique à moins de 2 degrés par rapport à l'ère préindustrielle. En dehors de M. Allègre, tous les scientifiques estiment qu'une augmentation de la température de plus de 2 degrés causerait des dégâts irréversibles, entraînant des conflits et des mouvements de populations ingérables.
Pour limiter le réchauffement climatique, il faut obtenir des engagements des pays développés en vue d'une réduction de 25 à 40% de leurs émissions d'ici à 2020, comparable à ce qu'a décidé l'Union européenne. Il faut également obtenir un engagement des pays émergents, l'idée étant que leurs émissions atteignent un pic vers 2020-2025 pour ensuite rejoindre le niveau de celles des pays aujourd'hui développés.
L'Union européenne a pris très tôt le leadership de cette négociation, notamment sous Présidence française, avec l'adoption du paquet "énergie-climat", et elle a formulé des propositions ambitieuses de réduction de ses émissions de CO2 : 20% d'ici à 2020, 30% dans le cas d'un accord international global et satisfaisant.
Cette position de force acquise sous présidence française doit être préservée. La discussion de Bruxelles a porté sur la manière d'arriver unis à la Conférence de Copenhague, compte tenu des engagements pris et des problèmes de répartition financière à régler.
Quatre grands paramètres sont à prendre en compte dans cette négociation.
Le premier, et le plus délicat, porte sur la contribution financière de l'Union européenne à l'effort international des pays en développement et sur les modalités de calcul de cet effort.
De nombreux points sensibles étaient sur la table, qu'il s'agisse de l'évaluation des besoins de financement d'ici à 2020, de la contribution de l'Union à ce financement, de la répartition de cette contribution entre les pays de l'Union ou encore de la possibilité d'utiliser des financements innovants - en particulier, la future taxe sur les mouvements de capitaux.
Le Conseil européen a pris acte des estimations de la Commission européenne : le surcoût de la réduction des émissions de gaz à effet de serre des pays en développement pourrait s'élever à environ 100 milliards d'euros par an d'ici à 2020, à financer en partie par les efforts de ces pays, en partie par le marché international du carbone et en partie par le financement public international. L'importance des financements novateurs en faveur du développement durable, en particulier au profit des pays les plus pauvres et les plus vulnérables, a clairement été soulignée par les chefs d'Etat et de gouvernement, à la demande de plusieurs Etats, dont la France.
Le Conseil européen a également convenu que tous les pays, à l'exception des moins développés, devraient contribuer au financement public international sur la base d'une clé de répartition globale et mondiale, fondée sur les niveaux d'émission et sur le PIB, le poids des niveaux d'émission devant augmenter au fil du temps. Cette position est soutenue à la fois par la France et par l'Allemagne.
Le deuxième paramètre est la définition des conditions dans lesquelles nous pourrions accepter de porter notre taux de réduction d'émission de gaz à effet de serre de 20% à 30%. Cet effort supplémentaire est soumis à la double condition que les autres grands pays développés s'engagent de façon comparable et que les pays en développement s'engagent également sur une déviation chiffrée de leurs émissions de gaz à effet de serre. Les rôles de Mme Merkel et de M. Sarkozy dans la négociation ont, là aussi, été très importants.
Le troisième paramètre est le "mécanisme d'inclusion carbone", c'est-à-dire la taxe carbone aux frontières de l'Union. Nous devons pouvoir la mettre en oeuvre si certains de nos partenaires internationaux refusent de jouer le jeu à Copenhague. Ce mécanisme, destiné à empêcher les "fuites de carbone", fait partie des options retenues par le paquet "énergie-climat".
Le secrétariat de l'OMC a indiqué qu'un tel système peut être compatible avec les règles du commerce international s'il remplit les conditions requises et, dans une lettre commune, adressée le 18 septembre dernier, par le président de la République et la chancelière allemande à M. Ban Ki-moon, la France et l'Allemagne ont rappelé leur détermination à user de cette "arme de dissuasion" si cela était nécessaire. Nous ne pouvons pas accepter de pénaliser nos industriels en leur imposant des obligations supérieures à celles de leurs compétiteurs. L'Europe ne sera pas la variable d'ajustement de la négociation. Il y a eu, sur ce point, un accord général de l'ensemble des Européens et une mention de cette idée d'inclusion carbone figure dans les conclusions du Conseil européen.
Quatrième et dernier paramètre : nous devons mieux faire connaître le message politique de l'Union. Alors qu'elle était leader en ce domaine, l'Union a réussi le tour de force, à Bangkok, de faire l'unanimité contre elle pour la bonne raison qu'elle n'a pas de porte-parole dans la négociation climat. Lorsque le négociateur américain ou chinois quitte la salle des négociations, il organise immédiatement une conférence de presse. L'Union européenne souffre, quant à elle, d'un problème de communication.
Les négociations sont aujourd'hui difficiles avec nos partenaires sur ce sujet. Les paniers énergétiques sont très variés en Europe, certains pays nouvellement arrivés étant, par exemple, très dépendants du charbon.
Le problème de la clé de répartition à l'échelle internationale est également très difficile. Le mois de novembre sera, de ce point de vue, décisif : après Bangkok en octobre, la session internationale de négociation aura lieu cette semaine à Barcelone.
Il faut mettre à profit tous les grands événements pour faire avancer nos positions et nous concerter avec les autres grands pôles économiques de la planète. Je pense, notamment, au sommet intermédiaire des chefs d'Etat, que le président de la République a appelé de ses voeux à Pittsburgh. Je pense aussi aux sommets UE-Etats-Unis - qui a lieu aujourd'hui même -, UE-Inde, le 6 novembre, UE-Chine, le 30 novembre. Le sommet US-Chine sera également très important pour la négociation climat. Nous avons besoin, pour réussir, d'un engagement renouvelé de l'ensemble des partenaires de la négociation, et ce au plus haut niveau.
L'idée du président de la République est d'essayer de réunir tout le monde avant que débute le Sommet de Copenhague. Je ne sais pas s'il y parviendra en une fois ou si la concertation se fera par morceaux à l'occasion de ces différentes réunions.
Nous sommes encore loin d'un accord, mais l'espoir est permis car des partenaires importants, comme le Japon ou le Brésil, ont déjà commencé à bouger. M. Borloo fait une campagne très active dans les pays en développement. Côté américain, un vote déterminant sur le Clean Energy Act est attendu du Sénat avant Copenhague. Les discussions entre démocrates et républicains sont en cours, avec une cristallisation des débats sur le financement du nucléaire, la taxe aux frontières, les avantages accordés aux énergies renouvelables.
Un autre volet important de la discussion à Bruxelles a porté sur la situation économique. La reprise est là, mais elle reste fragile comme l'atteste la montée du chômage dans l'Union européenne. Il est donc indispensable de ne pas mettre fin prématurément aux mesures de soutien à l'économie. Le Conseil européen a pleinement soutenu cette approche, en soulignant la nécessité "d'élaborer une stratégie coordonnée de sortie des politiques de relance généralisées une fois la reprise assurée". Le Conseil européen a souligné l'importance de préparer l'avenir en créant de nouvelles sources de croissance. C'est tout l'enjeu, à l'échelon européen, de la révision de la stratégie de Lisbonne et, à l'échelon de la France, du grand emprunt.
Je tiens à souligner les bons résultats de la Présidence suédoise en matière de supervision financière. Dès octobre, une orientation politique a été dessinée sur le volet "macrofinancier", qui prévoit la création d'un comité européen du risque systémique.
Sur le volet "microfinancier", qui prévoit la transformation des comités de superviseurs en "autorités" dotées de pouvoirs contraignants, les négociations se poursuivent avec, en ligne de mire, une orientation politique au Conseil européen de décembre.
Nous espérons formaliser, l'année prochaine, un accord en première lecture avec le Parlement européen, la plupart des textes, dans ce domaine, étant régis par la codécision.
Les migrations sont un sujet prioritaire, non seulement pour nous, mais également pour nos partenaires du Sud. Le Conseil européen était convenu, en juin dernier, de revenir, lors de sa session d'octobre, sur les réponses apportées à l'urgence migratoire en Méditerranée, qui menace la stabilité de pays comme la Grèce. C'est un sujet fondamental pour lequel doit jouer la solidarité de tous les pays européens. Le Pacte européen sur l'immigration et l'asile a posé des principes ; ils doivent être pleinement mis en oeuvre.
Il y a quelques jours, le président de la République et le président du Conseil italien ont adressé une lettre commune à la Présidence suédoise comportant toute une série de propositions - que je tiens à la disposition de votre commission. Le Conseil européen a entendu cet appel et a adopté des conclusions ambitieuses, demandant, par exemple, un accord en vue de la création d'un bureau européen en matière d'asile, et le renforcement des capacités opérationnelles de FRONTEX, à partir de propositions concrètes comme celle d'affréter régulièrement des vols de retour communs financés par l'agence, ou encore le renforcement de la coopération entre l'agence, les pays d'origine et les pays de transit. Cela concerne notamment la Libye et la Turquie, avec lesquels il y a un vrai problème d'accord de réadmission.
Le président de la République a insisté sur le fait que le Conseil européen de décembre devra prendre des décisions sur le droit d'asile : on ne peut plus garder un système comptant autant de guichets que d'Etats membres. "Lorsque la réponse sera oui dans un Etat membre", a-t-il déclaré, "ce sera oui partout. Quand ce sera non, ce sera non partout." Les filières d'immigration clandestine font, actuellement, "leur marché" en fonction des différentes législations sur le droit d'asile. Il est temps que nous ayons une législation commune.
Dernier point que j'aborderai : la crise du lait. Comme vous le savez, le gouvernement a pris l'initiative dès juillet, non sans mal, d'une nouvelle régulation européenne du marché du lait. Un signal fort a été envoyé, mon collègue Bruno Le Maire ayant beaucoup "ramé" avant d'obtenir une majorité de 21 Etats pour amener la Commission à se réunir sur une crise qui ne touchait pas uniquement la France mais beaucoup de pays.
Lors des Conseils "Agriculture" et "Ecofin" des 19 et 20 octobre, 22 Etats membres ont obtenu de la Commission, d'une part, la mise en place de mesures supplémentaires - en particulier une amélioration des dispositifs de stockage, une extension du programme de distribution de lait dans les écoles - et, d'autre part, l'inscription, dans le projet de budget 2010, d'une enveloppe exceptionnelle de 280 millions d'euros, en écho aux propositions du Parlement européen.
Le Conseil européen a pris la pleine mesure du sujet : il a, notamment, entériné les mesures d'urgence et de stabilisation engagées par la Commission et a encouragé le Conseil et la Commission à rechercher des solutions de moyen et long termes pour l'avenir du secteur.
Malheureusement, le secteur du lait n'est pas le seul dont le système de prix soit remis en question. Le problème est général. D'où le discours du président de la République, il y a quelques jours, sur ce sujet.
Tels sont, Mesdames, Messieurs les Députés, les grands défis que l'Union doit relever. Le Traité de Lisbonne va l'y aider. L'objectif, comme l'a rappelé le Conseil européen, est une entrée en vigueur la plus rapide possible de l'ensemble des institutions. Le moment est venu de clore une bonne fois le chapitre institutionnel - c'est-à-dire les négociations sur nous-mêmes - et de commencer à travailler sur l'essentiel. La tâche n'est pas facile à vingt-sept mais elle est indispensable si nous voulons que l'Europe pèse sur les grandes négociations mondiales, qu'il s'agisse du commerce, du climat ou de la finance internationale.
Q - (A propos du fonctionnement des nouvelles institutions européennes)
Q - (Concernant les pouvoirs respectifs du président du Conseil européen, du Haut représentant pour la politique étrangère et du président de la Commission européenne)
R - Concernant le fonctionnement des institutions, je vais être très franc avec vous. Il existe un risque politique qui consiste à survendre le nouveau paquet institutionnel en faisant croire que, grâce à lui, tout est maintenant réglé.
Personnellement, cela fait longtemps que j'attends ces institutions. Mais je n'irai pas jusqu'à prétendre que le paquet institutionnel résout tous les problèmes. Les institutions ne valent que s'il y a une volonté et un projet. Or, cette volonté et ce projet existent, et la force d'impulsion se trouve dans les relations franco-allemandes. J'y reviendrai quand je répondrai à M. Gaymard. Cette force est-elle capable d'entraîner tout le monde ? A côté du paquet institutionnel, il faut considérer la volonté des autres Etats et le contexte international.
Les nouvelles institutions peuvent être une bénédiction comme un système incompréhensible. D'un côté, tout est en place pour que l'Union à vingt-sept, et bientôt à trente ou plus, fonctionne mieux.
Mais elles peuvent se transformer en usine à gaz si elles démarrent mal. Quand on lui parlait de l'Europe, Henry Kissinger demandait : "L'Europe ! Quel numéro de téléphone ?". S'il n'y en avait pas avant, il risque d'y en avoir quatre demain : celui du président stable du Conseil européen, celui du président tournant, celui du président de la Commission et celui du Haut représentant pour la politique étrangère, voire cinq si le président du Parlement a envie de s'imposer.
La responsabilité politique des gouvernants sera très importante dans les jours qui viennent parce que, comme vous l'avez souligné, Monsieur Herbillon, le choix des hommes et des femmes va largement colorer le fonctionnement du système. Ce choix appartenant aux chefs d'Etat et de gouvernement, je ne vais pas entrer dans le petit jeu du qui fait quoi
Il y a un paquet politique entre le président du Conseil et le Haut représentant pour la politique étrangère. Martin Schulz a demandé, au nom des socialistes, que, si le premier est de droite, le second soit de gauche.
Il y a aussi une négociation entre les "grands Etats" et les "petits Etats". Si un grand Etat "a" la politique étrangère et donc le poste de Haut représentant, comme cela devrait être le cas, compte tenu de la tradition des grands Etats en matière de politique étrangère, de diplomatie et de défense - je préférerais, en effet, que ce ne soit pas la neutralité qui s'affiche à l'extérieur de l'Union alors que celle-ci est minoritaire au sein de l'Union -, les autres Etats demanderont à "avoir" le poste de président stable du Conseil. A cette équation, s'en ajoutent deux autres selon le genre homme-femme et la provenance : Nord, Sud, Est, Ouest.
Tous ces éléments sont sur la table. Dans les tout prochains jours, le Premier ministre suédois convoquera les chefs d'Etat et fabriquera une liste à partir de ce qu'il va entendre. Puis il réunira tout le monde afin de procéder à un choix. Je ne sais pas qui sera nommé. Mais il est important que ces nominations n'entraînent pas de complication supplémentaire. Des tensions risquent de se produire entre le président nouvellement élu et la présidence semestrielle, qui continuera de tourner. L'esprit du Traité, c'est que la présidence tournante dirige les conseils techniques, comme ceux de l'agriculture ou de la recherche, mais pas le Conseil européen ni le conseil RELEX, qui relèveront du président stable et du haut représentant. Ce système s'imposera-t-il dès le 1er janvier ? Je pense plutôt qu'il sera mis en oeuvre au terme d'un processus de tuilage, sous la Présidence tournante espagnole.
Qui présidera le Conseil ? C'est aux chefs d'Etat et de gouvernement de trouver un consensus pour déterminer qui assurera le continuum pendant une période de deux ans et demi renouvelable une fois, c'est-à-dire cinq ans, une législature du Parlement européen.
Le président de la Commission a été élu avec une majorité confortable de 382 voix. Il détient la légitimité pour composer la liste des commissaires mais le fera en concertation avec les Etats. A nous de veiller aux noms des commissaires et au contenu de leurs portefeuilles. Le président de la République a annoncé que Michel Barnier sera notre candidat à la Commission, mais aucune nation n'est propriétaire d'un portefeuille. Je précise que ces choix seront effectués en parfaite harmonie entre l'Allemagne et la France : Angela Merkel et Nicolas Sarkozy arriveront avec un paquet de propositions communes.
Le président de la République porte le souhait - partagé maintenant, je crois, par le Conseil européen - que l'action extérieure de l'Union ait une vraie cohérence, ne soit pas saucissonnée. Le Haut représentant représentera le Conseil tout en occupant la fonction de vice-président de la Commission. Il travaillera donc en synergie avec les Etats ainsi qu'avec les commissaires et le Parlement européen. Un enjeu consistera à éviter que celui-ci marque son territoire de façon excessive. Songez que mon ami eurodéputé Elmar Brock a proposé, dans un rapport, de mutualiser le Haut représentant et le service européen d'action extérieure !
La discussion politique implique les parlements nationaux, le Parlement européen et les Etats ; le système se mettra en place progressivement. J'ignore comment il fonctionnera demain mais une chose est sûre : sa coloration dépendra des choix de personnes.
Prenons toutefois garde à ne pas survendre le paquet institutionnel comme la solution miracle. Il faut certes s'adresser au grand public mais je préfère communiquer sur les résultats concrets de l'Europe - par exemple si nous parvenons à des avancées en matière de climat ou d'énergie - plutôt que sur ses institutions. En revanche, ceux qui font marcher la mécanique européenne - syndicats, partis politiques, députés, eurodéputés, ministres, fonctionnaires - doivent la connaître parfaitement.
A cet effet, mon équipe travaille depuis deux mois à la fabrication d'un "eurokit", composé de fiches techniques expliquant la nouvelle répartition des pouvoirs, les sujets à problèmes et ceux sur lesquels il convient de s'appuyer. Cet outil s'adresse à la droite, à la gauche comme au centre, pour que l'équipe de France soit la plus influente possible dans l'Europe à vingt-sept.
C'est aussi pourquoi nos eurodéputés doivent parler à nos députés et à nos sénateurs nationaux. J'ai récemment invité le président, français, de la commission du budget du Parlement européen à venir parler du budget et des perspectives financières de l'Union devant des députés français. Nous organiserons très régulièrement des échanges thématiques de ce genre, avec des eurodéputés ou des commissaires européens, qui doivent prendre conscience de l'existence des parlementaires nationaux. Mais je retiens votre idée : nous demanderons également au service d'information du Gouvernement, le SIG, d'intervenir.
Q - (A propos du couple franco-allemand)
R - Dans le même ordre d'idées, j'ai demandé à Pierre Lequiller et à une eurodéputée française de réfléchir à la sous-consommation des crédits communautaires. Nous sommes aussi en train de constituer, en liaison étroite avec Michel Mercier, un groupe de travail commun, comprenant eurodéputés et parlementaires nationaux, sur le dossier extrêmement sensible des affaires transfrontalières.
Q - (Au sujet d'un accord de principe sur les répartitions financières au sein de l'Europe dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique)
R - Si nous ne sommes pas parvenus à fixer une clé de répartition, c'est que certains pays n'avaient pas envie de s'engager sur des chiffres. Le groupe de travail constitué sur proposition du président de la République et de la chancelière devrait aboutir rapidement. Il faut encore traiter quelques problèmes techniques, notamment avec des pays particulièrement concernés par le charbon. En tout cas, il faut solder l'affaire avant le Sommet de Copenhague.
Les relations franco-allemandes entrent dans une période très importante, avec la séquence du 9 au 11 novembre. Le 9 novembre à dix-huit heures trente, place de la Concorde, j'organise une grande célébration, en présence du Premier ministre et de mon homologue allemand, afin de montrer que cette fête allemande est aussi la nôtre, que nous sommes heureux de voir leur pays réunifié. Cette fête sera télévisée et les images seront croisées avec celles de la fête qui se déroulera au même moment à Berlin. J'y travaille depuis ma nomination et, grâce aux fonds privés que j'ai levés, pas un sou d'argent public ne devrait être dépensé. Avec mon homologue allemand, nous oeuvrerons à l'approfondissement de cette relation, déjà extrêmement bien portante, en vue de la réunion du Conseil des ministres franco-allemand qui devrait se tenir début 2010. Beaucoup d'idées concrètes circulent ; le président de la République et la chancelière trancheront.
Sur le volet économique, essentiel dans la relation franco-allemande, plusieurs options étaient effectivement possibles. L'Allemagne a décidé de mettre sa puissance économique - la première d'Europe - au service de la croissance européenne, d'en faire une locomotive. Je constate que beaucoup de mesures favorables à la relance prises par l'Allemagne rejoignent celles adoptées en France depuis deux ans : baisse de l'impôt sur les revenus, bouclier fiscal, baisse de la TVA sur la restauration et l'hôtellerie, baisse de la fiscalité sur les successions, suppression de la taxe professionnelle... A travers ces deux paquets fiscaux, nos politiques économiques sont en phase, malgré quelques différences. La chute considérable des rentrées fiscales en France, par exemple, explique que le taux de déficit français soit plus élevé.
Même si les deux économies diffèrent, même si nous avons beaucoup de retard à rattraper en matière d'investissement - d'où le grand emprunt - nos deux économies cheminent en parallèle dans la bonne direction, ce qui constitue une bonne nouvelle pour l'Europe. Il reste beaucoup à faire, nous ne sommes pas sortis de la crise, mais je n'irai pas au-delà, pour ne pas empiéter sur le domaine de ma collègue Christine Lagarde.
Q - (A propos de la préparation du Sommet de Copenhague)
Q - (A propos du dossier de l'immigration et de l'asile)
Q - (Concernant la politique étrangères de l'Union européenne)
Q - (Au sujet du dossier Afghanistan)
Q - (Concernant la nomination du futur Haut représentant)
Q - (A propos de la Politique agricole commune)
R - Vos questions sont très intéressantes, parfois très taquines, mais je ne puis entrer dans les détails, à moins de provoquer de nombreux problèmes diplomatiques ! J'essaierai de vous répondre le plus précisément possible mais la ligne de crête n'est pas évidente à tenir.
Les divergences entre Etats membres portent évidemment sur la clé de répartition entre PIB et émissions car certains pays produisent très peu d'émissions tandis que d'autres manquent de moyens pour rendre plus propre leur production d'énergie. Nous devons trouver une solution car il ne faut pas que la position de l'Union à Copenhague se trouve affaiblie.
Dans la partie de poker menteur sur les transferts de technologies, il convient d'éviter de tomber dans le piège de la naïveté, d'autant que l'Europe ne dispose franchement pas de surplus financiers. Tous les pays ne sont pas dans la même situation en termes de croissance et de développement. Des pays émergents vont très vite, à commencer par la Chine et l'Inde, où certaines régions parfaitement compétitives voisinent avec d'autres très sous-développées. L'aide doit donc être calibrée différemment selon que le pays est émergent ou reste très pauvre. Il faut aussi que les autres pays développés annoncent des aides. Cette affaire peut constituer un formidable levier de développement économique pour l'Afrique mais aussi pour nous. Nous ne devons pas la vivre comme une punition, les transferts de technologies sont aussi source de richesse pour l'humanité. Nous vivons le début d'une révolution mentale.
Le problème, c'est que l'horizon se situe à cinquante ans, comme pour les questions démographiques, alors que, dans notre société démocratique, nous raisonnons en fonction de l'élection suivante. Pour annoncer à ses électeurs des sacrifices massifs, à hauteur de 100 milliards par an, alors qu'ils n'en verront pas les résultats, il faut posséder une sacrée force d'âme ! La prise de conscience sera évolutive ; il faut faire partager l'idée de ce processus. D'où l'effort du gouvernement en direction du Brésil, des pays en voie de développement comme de l'Union européenne. Nous n'avons pas à nous flageller : nous pourrions certes faire mieux mais nous sommes déjà largement leaders, notamment par rapport aux Etats-Unis.
Que l'on passe par l'étape d'un forum ou pas, la France considère qu'il faudra bien un jour créer une organisation mondiale de l'environnement, ne serait-ce que pour agir comme arbitre dans la gestion des taxes aux frontières. C'est un peu la même logique que pour le Traité de non-prolifération : sans règles du jeu, sans organisation de contrôle, la communauté internationale se contenterait de dire aux Iraniens qu'ils devraient mieux ne pas enrichir de l'uranium.
Nous sommes pour l'instant les seuls à avoir accompli un geste vis-à-vis de Malte. Il serait bon que les autres Etats membres fassent preuve de la même solidarité et acceptent d'accueillir des immigrants afin de partager le fardeau subi par ce territoire d'arrivée. La solution passe aussi par la signature d'accords de réadmission avec les pays de transit, à commencer par la Libye et la Turquie. Le problème de l'immigration ne doit pas être laissé à l'extrême droite, ne doit pas être considéré comme un sujet tabou. Tous les grands pays d'immigration de la planète, Etats-Unis, Canada et Australie, se dotent de règles. L'immigration ne doit pas être subie mais choisie et gérée. Dans l'espace européen, elle doit être gérée avec nos partenaires. Nous ne demandons rien qui ne soit totalement démocratique. Sur ce dossier si difficile, j'aimerais vraiment que nous bénéficiions d'un soutien unanime de votre part ; la question n'a rien d'idéologique et, plus nous serons unis, plus nous aurons de chance d'obtenir des règles communes, notamment en matière de droit d'asile.
S'il s'agit de réclamer des progrès s'agissant de l'action de l'Europe vis-à-vis de l'Afghanistan ou de l'Iran, je vote oui des deux mains.
Nous avons aussi d'énormes progrès à accomplir en vue de mener une politique commune à l'égard de la Chine et, pour commencer, à l'égard de notre voisin, la Russie, qui est également notre premier fournisseur d'énergie. C'est aussi vrai pour les pays du Sud, avec l'Union pour la Méditerranée.
Je souhaite ardemment que les Européens communiquent davantage à propos du dossier afghan. J'ai été choqué de constater que, dans des casernes de l'OTAN, les officiers français et leurs homologues européens ne se parlaient pas. Les contingents actuellement déployés par les Européens dans des zones différentes ne se parlent pas non plus. Et d'immenses progrès doivent être accomplis en matière de gestion politique commune. Le partenaire américain ne semble guère à l'aise mais la voix européenne ne se fait pas entendre. Une concertation s'impose pour gérer cette crise, l'une des deux ou trois plus graves du monde actuellement, dans laquelle nous engageons 35.000 hommes au sein des contingents allemand, espagnol, britannique et français. Mais je ne voudrais pas empiéter sur le domaine de mon excellent ami Bernard Kouchner.
Je ne suis pas l'agent électoral de M. Juppé ou de M. Jospin. S'ils sont candidats, qu'ils le fassent savoir. J'ai du reste cru comprendre qu'Elisabeth Guigou était candidate au poste de Haut représentant. Mais le président de la République n'a pas tort : les premiers partis ne sont pas sûrs d'arriver les premiers ! Cela dit, comme ce poste devrait échoir à la gauche, si vous avez des idées de candidats, allez-y !
La question de la Politique agricole commune sera l'une des plus ardues des mois et des années à venir. D'abord, un problème de régulation se pose pour le marché du lait comme pour tous les autres marchés agricoles. Ensuite, le dossier est inséparable de celui de l'OMC c'est-à-dire des négociations en cours du Cycle de Doha. Enfin, cela sera un point central des négociations sur les perspectives financières de l'Europe.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 novembre 2009