Interview de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, à "Europe 1" le 10 novembre 2009, sur la gestion des grèves à la RATP et la nécessité de dédommager les usagers, le stress au travail dans la Fonction publique et sur les déficits publics.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Eh ben, voilà ! Il est au coeur de tout ! E. Woerth, bonjour, merci d'être là.

Bonjour.

La RATP, vous l'avez entendu sur Europe 1, et vous le voyez, vous le savez, est en grève. Aujourd'hui, trafic encore perturbé : le RER B, hier le RER A e B. Le conflit porte sur les effectifs et les rémunérations. Les syndicats veulent moins de primes mais des augmentations de salaires. Est-ce que la direction de la RATP doit les accorder ?

Ecoutez, moi, je fais confiance à la direction de la RATP. Elle a, pour le moins qu'on puisse dire, une grande habitude du dialogue social.

Ça se voit !

C'est même d'ailleurs le coeur du métier de la RATP ou de la SNCF.

Ca se voit !

Il y avait moins de grèves à la RATP ces dernières années, ça été la réalité. Moi, j'ai pendant trente ans fait l'aller-retour entre Creil et Paris, donc je connais par coeur la RATP et la SNCF. Je remarque qu'il y avait plus de grèves il y a quelques années.

D'accord, mais vous ne répondez pas à la question.

Mais ça a été horrible pour les voyageurs.

Est-ce que s'il y a une négociation, il faut qu'ils acceptent d'augmenter les salaires ?

Ecoutez, le temps n'est pas vraiment à l'augmentation des salaires de cette manière-là. Je pense qu'on sort de la crise, c'est assez compliqué comme ça, mais voilà. C'est à la direction de la RATP de juger quelles sont ses possibilités. Moi, je regrette simplement qu'on laisse sur le carreau et sur les quais de gares autant de voyageurs et c'est horrible à vivre. Je l'ai vécu des centaines de fois, donc je sais exactement ce qui se passe dans la tête d'un voyageur à ce moment-là.

E. Woerth, qu'est-ce qui se passe justement, et qu'est-ce que vous dites, vous, aux 800 000 usagers clients qui sont à la peine ?

D'abord, que je le regrette, que j'espère que ça va vite passer, que la RATP a proposé de les rembourser ou d'étendre leurs différents forfaits, et que c'est très important de le faire, que aussi le service minimum lorsque tout le monde est en grève, c'est sûr, ça a du mal à fonctionner puisque le service minimum c'est un redéploiement des non grévistes. Mais là, quand tout le monde est en grève, c'est plus compliqué.

Mais vous l'avez entendu, est-ce qu'il est vraiment appliqué jusqu'au bout parce qu'il paraît insuffisant, incomplet ? Que proposez-vous ?

Il a très bien fonctionné jusqu'à présent, notamment à la SNCF, c'est une remarquable réussite. Maintenant, quand il y a un conflit de cette nature où quasiment tous les conducteurs sont en grève, il est difficile de l'appliquer puisqu'il n'y a pas de réquisitions. Vous savez qu'il n'y a pas de réquisitions. Donc, on verra avec... enfin D. Bussereau, j'imagine, tirera les conclusions de cette grève.

Est-ce qu'il faut dédommager les clients usagers et est-ce qu'il faut que la RATP le fasse ?

Oui ! Oui, oui, il faut évidemment dédommager les clients. Les gens sont des clients, c'est des gens qui paient, donc évidemment qu'il faut les dédommager, bien sûr, tout de suite.

Tout de suite ?

Ben oui, tout de suite, oui, le plus tôt possible, dès le mois prochain, enfin dès que les nouveaux forfaits rentrent en fonctionnement. La plupart des gens ont des forfaits mensuels.

J.-P. Huchon disait tout à l'heure à Marc-Olivier que la RATP devait le plus vite possible négocier.

Mais, ça, J.-P. Huchon il est dans son rôle de STIF, là. Je ne sais pas quels sont les rapports entre Monsieur Huchon et la RATP, je vois simplement qu'il faut dédommager les voyageurs, voilà. Et puis en même temps, il faut faire progresser les choses et puis que, voilà... Il faut éviter de faire emploi des grèves aussi massives parce que c'est les usagers comme toujours, les clients, qui paient les pots cassés.

E. Woerth, vous annoncez des économiques, or Force ouvrière accuse la RGPP, c'est-à-dire le programme d'économie de réorganisation de l'Etat, d'être aujourd'hui responsable d'un nombre de plus en plus élevé de suicides dans la fonction publique.

Moi, je suis horrifié par ce que j'ai lu, effectivement, là-dessus, de la part de FO. Je ne sais pas qui a dit ça, mais je suis horrifié par ces propos qui ont été repris hier, mais vraiment horrifié. Enfin, un suicide c'est une telle...

Mais pourquoi horrifié ?

Mais parce que, vous voyez bien cette instrumentalisation des suicides, de cette décision de se suicider qui est une décision tellement intime, tellement terrible, enfin vraiment horrifié par ça. Et je voudrais quand même dire, parce que la révision des politiques publiques c'est la réforme de l'Etat au fond. Est-ce qu'il y a des mutations d'office de fonctionnaires ? Non. Est-ce qu'il y a des réductions ou de gels de salaires ? Non.

... ou de services, oui, d'effectifs, on dit. De mobilité ?

Est-ce qu'il y a des licenciements de fonctionnaires ? Non, bien évidemment. Donc, il faut arrêter d'instrumentaliser comme ça les choses. Evidemment, l'administration française elle doit bouger, elle doit changer, évidemment le rôle d'un fonctionnaire n'est plus le même que celui d'il y a dix ans...

... mais éviter le stress, éviter le stress au travail.

Mais le stress... Mais écoutez, ce n'est pas une question de stress. Tout le monde travaille depuis bien longtemps, il y a évidemment du stress dans tout le travail. Mais enfin, on ne peut pas parler de suicide comme ça. Je trouve que c'est une horreur absolue de dire des choses pareilles.

Alors, les sénateurs commencent dans une heure, et vous allez y aller, au Sénat, au Palais du Luxembourg, le budget de la Sécurité Sociale. A l'initiative de certains sénateurs de la majorité, ils ont modifié le texte du Gouvernement et ils ont voté une augmentation de la CRDS. Est-ce que c'est une bonne idée ?

Non, c'est une mauvaise idée. Le Gouvernement, vous le savez, a dit à plusieurs reprises, le président de la République en tête, que nous n'augmenteront pas les impôts. Il n'y a pas de chemin d'augmentation d'impôts, il n'y a pas de possibilité d'augmentation d'impôts dans un pays qui est déjà largement imposé.

Mais qu'est-ce que qui passe dans la tête...

... donc, il ne faut pas faire ça parce que ça c'est le signe d'une augmentation d'impôts. Alors, les sénateurs sont libres de proposer ce qu'ils souhaitent, il y a un dialogue, la loi c'est le fruit d'un dialogue entre le Parlement et le Gouvernement, mais c'est tout à fait inopportun. Donc, en tant que ministre des Comptes sociaux, je m'opposerai à cet amendement voté par les sénateurs. Nous ne sommes pas favorables à l'augmentation de la CRDS, voilà.

Mais pourquoi cela vient-il de la part d'élus de la majorité ? Qu'est-ce qui leur prend ?

Mais parce que d'abord il y a beaucoup d'élus, les gens pensent un certain nombre de choses et ils sont le droit de le faire. Ils considèrent que la dette sociale doit être remboursée par la CRDS. Nous, on pense qu'au contraire, dans cette période de sortie de crise, il faut faire très attention à accompagner cette sortie de crise, et tout signal à l'économie qui est un signal d'augmentation d'impôts, tout signal de cette nature est de nature à ralentir la sortie de crise, à empêcher la sortie de crise. Et tout ce qui empêche la sortie de crise augmente les déficits. Donc, vous voyez que il y a une logique de la part du Gouvernement qui est imparable, et donc je vais ré-expliquer bien évidemment aux sénateurs la position du Gouvernement et j'espère qu'on arrivera à une bonne conclusion. Nous sommes tout à fait défavorables à l'augmentation de la CRDS et nous sommes tout à fait défavorables et nous sommes tout à fait défavorable à toute nature d'augmentation d'impôts.

Voilà, c'est clair ! E. Woerth, sans être inélégant à votre égard, attention à vos oreilles.

Comment ?

Attention à vos oreilles.

Pourquoi ?

Parce que dès demain la Commission de Bruxelles va vous tirer les oreilles pour que la France accélère la réduction de ses déficits.

Oui.

Elle a prévu de vous donner un an de plus pour vous ramener dans les clous des 3 % dès 2013. Est-ce que le délai vous convient ?

Ecoutez, le délai il a été... le Premier ministre a indiqué que nous serons à 3 % en 2014 et pas en 2013. Donc, la Commission donne 2013... je pense qu'en fait c'est très difficile aujourd'hui de savoir cela. Il faut sortir de la crise.

Donc, vous rejetez les recommandations de la...

... je ne vais pas commenter ce que dit la Commission, je dis simplement que c'est très difficile. Nous sommes aujourd'hui à 8 et quelques pourcents de déficit. C'est moins que beaucoup de pays, je tiens aussi à le dire quand même et à le redire. Et en même temps, à partir de 2011, on considère qu'il n'y aura plus de croissance. Hier, d'ailleurs le Premier ministre a réactualisé la croissance française en hausse, donc on n'a plein d'indicateurs qui montrent que la France est en train de sortir de la crise. Il ne faut pas jouer avec ça. Il ne faut pas remplir ça.

Soyons clair : vous dites : il nous faut un délai, à la rigueur 2014-2015, 2016 comme disent peut-être les Allemands, mais pas 2013.

En tout cas, nous disons qu'en 2011, on passera de 8,5 à 7 %, et nous gagnons 1 % par rapport au PIB, 1 % par an, donc ça nous amène à 6 % en 2012 et 5 % en 2013. C'est ainsi que nous avons construit notre chemin. C'est déjà un effort considérable. Un point de PIB c'est 20 milliards d'euros, donc 20 milliards à gagner. Donc, c'est déjà tout à fait considérable, et nous allons faire, nous allons assainir nos finances publiques.

Et quand vous commencez à les assainir, justement, et à réduire ?

Mais on réduit la dépense tous les jours, tous les jours, et en même temps aujourd'hui on a besoin de croissance, et la croissance c'est la sortie de crise, quoi. Il ne faut pas se tromper d'objectif. Sortir de la crise c'est réduire les déficits publics, c'est assainir les finances publiques.

Naturellement, vous confirmez ce qu'a dit hier F. Fillon, ce serait une performance si on arrivait à atteindre 1,5 % ?

1,5 % de croissance ?

De croissance en 2010.

Si on arrive à 1,5 en 2010, on espérait 0,75, donc ça veut dire qu'on a déjà doublé nos espérances. Donc, c'est déjà pas mal.

Est-ce que ça veut dire qu'on pourrait atteindre 2 % ou un peu plus même en 2011 si ça continue ?

Nous, on a prévu 2,5 en 2011, c'est-à-dire dans nos objectifs de finances publiques, on a prévu une croissance de 2,5, c'est-à-dire un monde qui repart et une France qui repart plus vite qu'elle ne l'était auparavant par les réformes de structures que nous menons. On mène un nombre incroyable de réformes de structures, elles doivent accélérer le potentiel de croissance de la France. Ce n'est pas par l'augmentation d'impôts qu'on aura des recettes. C'est par l'augmentation de l'activité.

Il faut vous croire ?

Evidemment ! Mais bien évidemment, parce que si on ne croit pas ça et si les Français ne se mobilisent pas autour de ça...

On se flingue !

...Eh ben, le pays il perd de la compétitivité et il perd des emplois.

M.-O. Fogiel : Allez, on va se flinguer !

Evidemment qu'on y croit et on y croit à fond.

Allez, à la prochaine !

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 17 novembre 2009