Texte intégral
" Le débat sur l'avenir de l'Union européenne doit être mené dans la clarté et la franchise. Il faut se méfier des frilosités et des contorsions diplomatiques qui étouffent l'envie d'Europe, mais aussi des incantations verbales, créatrices de frustrations. Il convient d'abord de fixer les objectifs pour ensuite y mettre les moyens et les formes institutionnelles correspondantes. L'enjeu est celui de l'appropriation de la construction européenne par les opinions publiques afin de poursuivre la belle aventure de l'Union politique. L'Europe doit donc relever cinq défis majeurs
1 L'affirmation de son rôle économique et de son modèle social dans la mondialisation en cours
L'Euro sera la monnaie unique de douze Etats membres. La coordination des politiques économique, monétaire, budgétaire et structurelle -telle qu'elle est engagée depuis le traité d'Amsterdam et le Conseil européen de Lisbonne- doit permettre à l'Europe de constituer un espace de croissance durable et de stabilité. Mais cet objectif, qui doit s'accompagner du retour au plein emploi, ne pourra être atteint que par un renforcement des piliers économique et social face au pilier monétaire.
La Banque centrale européenne, garante de la stabilité des prix, doit pouvoir disposer d'un interlocuteur commun, capable de faire jouer les stabilisateurs automatiques de manière coordonnée, garants et responsables du renforcement et de la modernisation de nos systèmes de protection sociale.
De même, des progrès sont nécessaires dans la convergence, voire l'harmonisation, des politiques budgétaire et fiscale comme dans l'échange des bonnes pratiques en matière de politiques de l'emploi et de réformes structurelles.
Dans cette perspective, doit-on faire de " l'Euro groupe " le pilote économique de la zone euro, capable de régler les affaires économiques et financières d'intérêt commun aux pays participants ?
Doit-on négocier et mettre en uvre un traité social qui, sur la base de la Charte des droits fondamentaux, permette de renforcer notre modèle social et d'éviter toute tentation de dumping entre les différents systèmes de protection sociale ?
2. L'élaboration d'une véritable politique étrangère et de sécurité commune pour assurer l'avenir de l'Europe dans le monde
La mise en uvre de stratégies et d'actions communes est essentielle pour que les pays de l'Union puissent avancer vers une véritable politique étrangère européenne. Il est également nécessaire de poursuivre la construction d'une véritable politique de défense européenne dans la droite ligne des efforts engagés par les Conseils européens de Cologne, d'Helsinki et de Nice. Dans ce cadre, l'Union doit s'attacher à développer une politique globale de prévention des conflits fondée sur un système d'alerte cohérent et efficace. Elle doit aussi savoir exprimer un point de vue sur les affaires du monde, même s'il est différent de celui de nos amis américains. Ainsi nous avons apprécié le refus de Rudolph Scharping du programme NMD proposé par les Américains.
L'Union européenne doit se projeter, dans le cadre de la mondialisation, comme un modèle régulé et soucieux de redistribuer des richesses en son sein mais aussi aux pays du Sud. C'est pourquoi, il faut que l'Union puisse parler d'une seule et même voix dans l'organisation du commerce à l'échelle de la planète, et faire valoir son propre point de vue dans tous les domaines de la régulation. L'harmonisation des positions et des intérêts des Etats membres représente un préalable indispensable et des progrès doivent être rapidement réalisés en ce sens.
Ne faudrait-il pas que chaque Conseil européen de fin de présidence fixe et approuve l'agenda international pour les six mois suivants, en couvrant aussi bien les grandes négociations internationales que les négociations bilatérales ? Ainsi, les missions du Secrétaire général du Conseil seraient clairement définies ; il pourrait en rendre compte plus aisément et assurer une meilleure coordination avec le travail de la Commission. La réforme du Conseil Affaires générales, outre la meilleure coordination souhaitée entre les politiques communes, ne permettrait-elle pas à la politique étrangère et de sécurité commune d'avoir davantage de poids et d'être plus lisible pour les opinions publiques ?
3. L'élargissement de l'Union : un défi historique et structurel
Plus de dix ans après la chute du mur de Berlin et la fin la guerre froide, la réunification de l'Europe, notre mission historique ne l'oublions pas, doit être conduite à son terme. Les négociations d'adhésion avec les pays candidats progressent, afin que l'acquis communautaire reste notre base commune sur l'ensemble du continent. Le développement économique de ces pays, leur participation à part entière aux politiques communes et la mise en uvre des quatre libertés de circulation dans le cadre du marché unique seront propices au développement de chacune de nos économies.
Mais l'élargissement ne saurait être la finalité de la construction européenne. Il ne doit conduire ni à la paralysie de nos institutions, ni à la dilution de nos valeurs, ni à l'abandon du projet d'intégration voulu par les pères fondateurs. Les résultats du Conseil européen de Nice permettent d'assurer la poursuite des négociations d'adhésion dans la perspective de prochains élargissements. Ils ne peuvent à eux seuls faire de la future Union européenne une entité cohérente et efficace. Plusieurs questions sont d'ores et déjà posées :
Faut-il introduire, dans le respect des critères d'adhésion, plus de flexibilité permettant de mieux prendre en compte les spécificités des pays candidats et de favoriser leur intégration à l'Union ?
Faut-il engager rapidement une renégociation de l'Agenda 2000 sur la base du bilan d'étape, afin que les instruments structurels de la Communauté européenne n'entrent pas dans une situation de crise ?
Faut-il prévoir un plan structurel pour les pays candidats, afin d'assurer leur adhésion dans les meilleures conditions ?
4. Une Communauté de projet : l'enjeu des politiques communes
La Communauté européenne, principal pilier de notre projet pour l'Union, souffre actuellement de multiples maux qu'il convient de guérir. Un déficit démocratique endémique lié à un manque de transparence, un budget communautaire inadapté aux enjeux communs auxquels il faut répondre, des politiques communes qui n'ont pas été rénovées depuis trop longtemps en sont les principaux symptômes. Pour ce qui concerne la légitimité et l'efficacité des institutions communautaires à agir, il est impératif de rapprocher l'action de l'Europe des attentes et préoccupations des citoyens de l'Union. Une Europe légitime est avant tout une Union efficace.
Les politiques communes, au premier rang desquelles figurent la politique agricole, la politique structurelle et la politique de cohésion, doivent être réformées afin de faire face aux enjeux nouveaux.
La promotion d'une nouvelle agriculture, davantage fondée sur des critères de qualité que de quantité, le financement d'infrastructures nouvelles (en particulier dans le domaine de la recherche et des nouvelles technologies qui ne peuvent être assumées qu'ensemble), la réforme des critères de la cohésion sont autant d'impératifs pour l'avenir de l'Union.
Parallèlement, le plafonnement actuel du budget communautaire à 1,27 % ne paraît plus adapté aux besoins. Ne faudrait-il pas envisager son augmentation et/ou le développement de nouvelles ressources, afin de donner à notre projet commun les moyens de sa réalisation ?
5. L'intégration européenne par l'adoption d'un pacte constitutionnel dans la perspective de 2004
Il nous faut dire pourquoi et comment nous voulons vivre ensemble. La méthode de construction d'une Union politique importe autant que sa finalité. Or, le sommet de Nice a montré que la construction européenne avait sans doute atteint ses limites dans deux domaines : la méthode fonctionnaliste et la dynamique intergouvernementale.
La méthode fonctionnaliste, née de la volonté des pères fondateurs pour bâtir la paix, a permis, par des délégations de compétence successives de la CECA à l'UEM, de créer le plus grand espace commercial du monde. Certes, il existe aussi des dispositifs de redistribution et de solidarité entre ses membres, mais ils ne permettent aucun passage " naturel " ni mécanique de la communauté économique à l'Union politique. Si " l'Europe espace " est aujourd'hui la condition nécessaire de " l'Europe puissance ", elle n'est pas suffisante.
Parallèlement, l'inter gouvernementalisme a permis de faire avancer l'Europe dans le contexte particulier de la division des blocs et de la guerre froide. Même si des crises ou des blocages ont pu émailler cette période, ils ont pu être surmontés " grâce " à cette contrainte extérieure. Les questions abordées au Conseil européen de Nice étaient en suspens depuis l'adoption du traité de Maastricht. La réforme engagée à Nice est sans doute moins ambitieuse qu'il n'aurait fallu face à la perspective d'une Europe élargie, et surtout les négociations ont fait apparaître une certaine " renationalisation " du débat européen avec des Etats cherchant plutôt à préserver leur influence et leurs acquis qu'à élaborer les meilleures conditions possibles de leur avenir commun. Et le passage de 6 à 15 Etats membres (demain à 27) ne représente pas un atout en ce sens. S'il ne peut y avoir d'Europe sans Etats qui la fondent, ceux-ci ne peuvent garder l'exclusivité de sa dynamique d'intégration : il n'y a pas d'Europe sans Etats, mais pas d'union politique sans citoyens.
Ne peut-on pas, dès lors, travailler à l'élaboration de la Constitution fédérale de l'Union, ou plus précisément un pacte constitutionnel, respectueux des identités nationales, acte fondateur d'une véritable fédération d'Etats-nations entre tous les pays qui sont prêts à mettre en commun de larges champs de compétence ? Bien sûr, l'usage simplifié et facilité des coopérations renforcées permettrait de répondre thème par thème aux enjeux communs qui sont posés.
Tous les pays membres de l'Union européenne ne sont aujourd'hui pas prêts à avancer dans ce sens. Plutôt que de laisser freiner cette dynamique d'intégration par les moins engagés, ne conviendrait-il pas, sans attendre, de constituer une avant-garde d'essence fédérale avec toutes les communautés nationales qui le veulent, et ouverte à toutes celles qui désireraient la rejoindre ultérieurement ? Cette avant-garde pourrait regrouper les pays qui sont prêts à mettre en commun de nouveaux champs de compétence en utilisant, partout où cela est possible, la méthode communautaire et en ne recourant à la méthode intergouvernementale qu'à titre subsidiaire.
Pour aboutir à ce pacte qui devra être soumis au pouvoir constituant de chaque Etat membre, la méthode de la convention, qui a présidé à l'élaboration de la charte des droits fondamentaux, a peut-être ouvert une voie. Peut-on dès lors envisager un processus similaire avec la participation active des acteurs concernés pour préparer le pacte répartissant les compétences entre les Etats et l'Union ?
Ce processus constituant, ouvert et transparent, aurait enfin l'avantage de sortir la construction européenne du seul jeu diplomatique pour la faire entrer dans une ère plus démocratique. À cette fin, il faudrait également envisager une validation référendaire de cette démarche dans tous les Etats engagés.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 15 mars 2001).