Interview de M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, à I-Télévision le 4 novembre 2009, sur les dissensions au sein de la majorité à propos de la taxe professionnelle, la polémique à propos de l'attitude de Rama Yade et le débat sur l'identité nationale dans les écoles.

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Intervenant(s) : 

Média : I-télévision

Texte intégral

L. Bazin.-  Bonjour, L. Chatel ! 
 
Bonjour, L. Bazin ! 
 
Ministre de l'Education nationale, porte-parole d'un gouvernement  recadré hier, assez sèchement, fermement, comme la majorité  d'ailleurs, par le Premier ministre et par le Président, qui ont  appelé les frondeurs à la solidarité, que ces frondeurs s'appellent  Guaino, conseiller du président, R. Yade, ministre, secrétaire  d'Etat en l'occurrence, ou J.-P. Raffarin, sénateur. Ça fait  beaucoup de couacs quand même. Il fallait reprendre en main, c'est  ça, il fallait dire : « Ça suffit maintenant ! » ? 
 
Vous savez, j'ai un peu l'impression d'un phénomène de loupe  grossissant et déformant sur ce qui se passe... 
 
Vous allez me refaire le coup des médias, là ! 
 
Non, non, pas du tout ! 
 
Non ? 
 
...Sur ce qui se passe dans la majorité aujourd'hui. Je m'explique. Nous  sommes à mi-mandat et je crois que nous sommes fiers, et notre  majorité peut être fière du travail qui a été accompli depuis deux ans et  demi ; travail de réforme en profondeur de notre société, de respect des  engagements du président de la République, on va y revenir, du travail  sur la scène internationale et en même temps nous avons une feuille de  route très importante sur la taxe, aujourd'hui ; réforme en profondeur  des collectivités territoriales, tout le monde l'attend, la France  localement est bloquée, nous allons débloquer la France, libérer les  énergies locales ; réforme de la taxe professionnelle, qui est un impôt  que tout le monde reconnaît comme absurde, qui nuit à la compétitivité  de notre économie... 
 
Oui, mais qui rapporte beaucoup d'argent aux collectivités locales  et c'est ce que disent les sénateurs UMP frondeurs, UMP et  Nouveau centre d'ailleurs. 
 
Oui, mais je crois que dans la vie, le rôle des politiques c'est de décider,  c'est de choisir. Et choisir c'est aussi renoncer. 
 
C'est qui les "politiques" en l'occurrence ? C'est le gouvernement ?  L'exécutif a décidé, soumettez-vous ! 
 
L'exécutif a pris une décision, il se trouve que j'y suis un petit peu, en  partie, responsable puisque j'étais secrétaire d'Etat à l'Industrie quand  j'ai proposé au président de la République au plus fort de la crise  économique, c'est-à-dire en début d'année 2009, au moment où nous  avons conçu le plan automobile, le pacte automobile, je lui ai proposé  de mettre fin à cet impôt absurde qui pénalise la production dans notre  pays. Et donc le Président a pris une décision, je me souviens ça n'a pas  été chose facile de considérer qu'il fallait supprimer la taxe  professionnelle... 
 
J'entends, mais ce que vous dites ce matin c'est ce qu'a dit, si j'ai  bien compris, le Président à J.-P. Raffarin, hier matin lors du petit-déjeuner  de la majorité, c'est-à-dire ça suffit, tu es vice-président  de l'UMP, tu es solidaire, un point c'est tout.
 
 Alors je reviens sur le prisme et sur l'effet loupe déformant... 
 
Mais vous ne me répondez toujours pas ! 
 
Si, je vais vous répondre, je vais vous répondre ! Nous ne pouvons pas,  nous qui avons fait le choix de donner davantage de pouvoir au  Parlement à travers la réforme constitutionnelle... 
 
J'allais vous le dire. 
 
...Contester le fait que l'Assemblée nationale et le Sénat sont là pour  aménager les textes, proposer des textes. Je rappelle que la moitié de  l'ordre du jour dorénavant est de la responsabilité des parlementaires... 
Mais... 
...Et d'amender, de faire vivre le débat. 
Mais... 
Donc le débat il doit exister et il existe au sein de la majorité. Il était  prévu qu'il y ait une discussion entre le groupe parlementaire à  l'Assemblée nationale, le groupe parlementaire au Sénat et le  Gouvernement sur la taxe professionnelle ; le Gouvernement n'est pas  arrivé avec un texte en disant : c'est ça, c'est à prendre ou à laisser. 
 
J'ai compris. Donc c'est la méthode de J.-P. Raffarin qui est  critiquée, cette tribune ; c'est ça, en gros ? On ne se parle pas  comme ça au sein d'une famille ? 
 
... Alors ensuite, ce qu'ont dit hier un certain nombre de responsables  de la majorité, moi j'ai entendu, par exemple, G. Longuet, le président  du groupe UMP au Sénat, dire à ses collègues : quand on a des choses à  se dire, on évite de le dire à l'extérieur, on le dit plutôt au sein du  groupe. Voilà. Mais ça c'est l'analyse des différents acteurs, des  groupes parlementaires de la majorité. 
 
Et ça, ça vaut pour le Gouvernement, ça vaut pour R. Yade, elle  s'est désolidarisée, je cite F. Fillon, c'est devant le groupe  parlementaire UMP hier matin à l'Assemblée, "il faudra en tirer  les conséquences". Ça veut dire quoi, qu'elle est virée du  Gouvernement, mais que ce sera lors du prochain remaniement ?  C'est un licenciement décalé dans le temps ? 
 
Vous savez que j'ai été DRH dans une vie passée... 
 
Oui, c'est pour ça que je vous pose la question en ces termes. 
 
Je ne suis pas DRH du Gouvernement, donc je suis le porte-parole... 
 
Qu'est-ce que ça veut dire ? Ce matin, R. Yade est secrétaire d'Etat  aux Sports ou pas ? 
 
Attendez, d'abord ce n'est pas le porte-parole du Gouvernement qui fait  le Gouvernement, qui défait le Gouvernement. 
 
Non, mais vous pouvez me confirmer si elle est toujours secrétaire  d'Etat aux Sports ce matin ? 
 
Bien sûr qu'elle est secrétaire d'Etat aux Sports. 
 
Pour combien de temps ? 
 
Ecoutez, c'est au président de la République et au Premier ministre d'en  décider. 
 
Le Premier ministre il a dit « Il faudra en tirer les conséquences »,  ça peut être autre chose qu'un départ ? 
 
Le Premier ministre il a rappelé un certain nombre de principes ; les  principes c'est qu'il y a un cap. Le cap c'est, par exemple, la  suppression de la taxe professionnelle. Dans le cadre de ce cap, il y a un  débat entre l'exécutif... 
 
Oui, là, pardon, je vous parle de R. Yade. 
 
Et quand il y a débat, il y a aussi un certain nombre de lignes rouges.  Les lignes rouges c'est en particulier que les arbitrages qui ont été  rendus en interministériel, c'est-à-dire entre les ministres, validés par le  Premier ministre et par le président de la République. C'était le cas sur  ce sujet, eh bien ensuite ils doivent être respectés. Mais ça c'est la  règle... 
 
Donc elle a fait faute R. Yade en contestant l'arbitrage rendu sur  les droits à l'image collectifs des sportifs ? 
 
Si vous me permettez... 
 
Oui ou non ? 
 
Cessons de personnaliser les choses. 
 
Oui, mais, si vous le permettez, répondez à mes questions ! 
 
Oui, je réponds à vos questions. 
 
Alors est-ce que, oui ou non, elle a fait une faute ? 
 
J'y réponds. Encore une fois lorsqu'il y a un cap qui est fixé, lorsqu'il y  a un débat qui est engagé, il y a un moment où on rend un arbitrage et  cet arbitrage il doit être respecté par les membres du Gouvernement.  Mais ce que je vous dis là, excusez-moi de vous le dire... 
 
Donc elle a fauté ! 
 
Ça me paraît une évidence. 
 
Ça va de soi, oui. Donc elle a fauté !
 
J'ai été secrétaire d'Etat, j'ai travaillé... Encore une fois, ce n'est pas à  moi de décerner des bons et des mauvais points. Ce qui est important  c'est que le Gouvernement maintienne le cap, le Gouvernement  continue à réformer et qu'il continue à dialoguer avec cette majorité. Je  vais vous dire une chose, L. Bazin, si aujourd'hui vous me parlez  beaucoup de ce qui se passe dans la majorité, c'est parce que le débat il  a lieu chez nous. Et, je dirais, il faudrait presque s'en réjouir parce que  moi j'aimerais que le débat il ait aussi lieu au Parlement avec les autres  groupes parlementaires. Sur ces grands sujets si importants : la réforme  des collectivités territoriales, la réforme de la taxe professionnelle, moi  je n'entends pas beaucoup le Parti socialiste s'exprimer, je n'entends  pas beaucoup l'opposition. Donc j'évoquais tout à l'heure la loupe,  l'effet loupe déformant et amplifiant, c'est aussi parce qu'il ne se passe  pas grand-chose en face et parce que nous n'avons pas beaucoup de  contre-propositions. C'est en quelque sorte l'UMP, la majorité qui crée  le débat. C'est une bonne chose, en même temps sachons faire le pas... 
 
Et ne pas pousser le bouchon trop loin. 
 
Pousser vers l'extrême. 
 
Vous l'avez dit, ne pas pousser le bouchon trop loin. R. Yade vous  lui conseillez... alors c'est confraternellement, d'une certaine  manière que je vous pose la question, de vous vis-à-vis d'elle ; vous  lui conseillez d'être tête de liste dans le Val-d'Oise aux régionales,  ce serait une bonne chose ? 
 
Mais moi je n'ai pas à lui conseiller. Mon rôle, si vous voulez... Que  chacun fasse son travail. 
 
Elle fait un peu la moue, elle semble ne pas vouloir y aller et ça  semble agacer l'Elysée. 
 
Non, mais interrogez-la, c'est une responsable politique, vous avez le  droit de l'interroger, elle répondra. 
 
C'est vrai, on le prend régulièrement d'ailleurs. 
 
Ce n'est pas à moi de décider pour tel ou tel de mes collègues du  Gouvernement s'ils doivent être candidats, pas candidats, être jugés sur  leurs actions. Encore une fois, qui juge de l'action des membres du  Gouvernement ? C'est le président de la République, dont je rappelle  que c'est lui qui nomme les ministres sur proposition du Premier  ministre. 
 
Oui, ça ne nous a pas échappé, c'est la lecture des textes  constitutionnels. 
 
C'est la Constitution. 
 
Vous serez, vous, tête de liste en Haute-Marne, comme on le lit ce  matin dans un journal, Le Figaro ? 
 
Ce que je crois c'est que c'est une élection très importante pour nous,  pour la majorité. Moi je souhaite que dans ma région, la Champagne-  Ardenne, la majorité nationale parlementaire reprenne la majorité au  Conseil régional. Donc je trouve légitime qu'en tant que responsable  politique, je m'engage dans cette aventure, dans ce combat pour aider  J.-L. Warsmann qui va être notre chef de file aux régionales. 
 
Au niveau régional. 
 
Alors maintenant la nature, la façon dont je vais m'engager est en  discussion avec mes camarades au sein du Mouvement populaire, à la  fois au niveau national et au niveau local. 
 
Vous vous engagerez... 
 
D'une manière ou d'une autre. 
 
Mais vous n'avez pas l'air d'être, pardon de l'expression, chaud  bouillant pour être tête de liste pour quitter le ministère demain ? 
 
Je m'engagerai, parce que quand on est responsable politique, son rôle  c'est d'aller au combat, de porter les valeurs de notre famille politique.  La nature de l'engagement elle reste à discuter et les têtes de liste, les  chefs de file départementaux ils seront choisis le 28 novembre par notre  famille politique. 
 
D'accord. Les régionales, on va en reparler avec F. Hollande mais  de manière détournée ; il considère que le débat sur l'identité  nationale, et F. Hollande il était ce matin sur France Inter, c'est une  manière de préparer cette élection. (Extrait document France Inter /  F. Hollande, député (PS) de Corrèze). Il participera au débat, il l'a  dit également ce matin et on l'a entendu, c'est une bonne chose ? Le  ministre de l'Education veut se saisir de ce débat de l'identité  nationale ? 
 
Bien sûr ! 
 
Comment ? 
 
Je crois que c'est le rôle de tous les responsables politiques de se saisir  de ce débat. 
 
On peut l'organiser dans les écoles ? 
 
Alors nous allons voir sous quelle forme. Je crois que c'est un très bon  débat. Pourquoi ? Tous les grands pays du monde aujourd'hui se posent  cette question : qui nous sommes, d'où venons-nous, où allons-nous,  quelles sont nos valeurs ? Un pays, comme le nôtre, qui s'ouvre en  permanence, qui s'enrichit de la différence, c'est très important qu'il se  pose un moment et qu'il réfléchisse sur ses valeurs, sur son identité, sur  son avenir. Donc c'est un bon débat, qui n'est pas une surprise.  D'ailleurs N. Sarkozy avait évoqué cette question pendant sa campagne  présidentielle. 
 
Alors si c'est un bon débat, est-ce qu'on doit l'avoir à l'école ? C'est  la question que je vous pose. 
 
Oui, alors... 
 
Et comment ? 
 
D'abord, ce débat il a lieu à l'école. L'école est sans doute la meilleure  incarnation de ce qu'est notre modèle républicain, avec l'apprentissage  de la liberté, avec l'égalité des chances, qui est sans doute à l'école  l'endroit où ça se développe, qui se justifie... 
 
Mais vous savez combien c'est difficile... 
 
Oui, c'est difficile, c'est un combat permanent. 
 
Ce n'est pas le cas aujourd'hui. 
 
Et donc l'école c'est sans doute la plus grande incarnation aujourd'hui  des valeurs de cette République. Donc, oui, nous allons participer au  débat. Moi-même je vais participer... 
 
Je veux dire concrètement, ça veut dire que dans les classes, on va  parler identité nationale, on va demander aux professeurs d'en  parler ? 
 
Ça veut dire que dans le cadre de ce qu'on appelle l'ECJS, c'est-à-dire  l'éducation civique, j'imagine que les enseignants, et je leur fais totale  confiance en la matière... 
 
Mais vous ne leur demandez pas explicitement... 
 
Non, mais ce débat il doit aussi... ce n'est pas d'en haut qu'on va  impulser le débat. Il faut l'initier, mais il va être porté par l'ensemble de  la population. Moi j'ai été très frappé, E. Besson a ouvert un site  Internet, le premier jour 7 000 contributions, 7 000 contributions, alors  qu'il y a huit jours un certain nombre d'autres responsables du Parti  socialiste nous expliquaient que c'était un débat décalé, inutile. 
 
Et un certain nombre de modérations, un certain nombre  d'internautes qui se plaignent de ne pas pouvoir déposer leurs  messages, notamment le Front national qui crée son propre site. 
 
Ce qui est clair c'est qu'E. Besson est très vigilant à ce que sur ce site, il  n'y ait pas de dérive dans les propos qui sont présentés sur le site. Mais  encore une fois, 7 000 contributions le premier jour ça prouve que ce  débat il doit venir de la base, il doit venir du terrain, c'est ce que nous  allons faire. 
 
Je vais vous parler encore une fois des enfants qui vont à l'école,  mais qui quand ils ne sont pas à l'école traînent parfois dans les  rues. B. Hortefeux s'en émeut régulièrement, un certain nombre de  députés de droite également et le ministre de l'Intérieur a évoqué  hier un couvre-feu pour les moins de treize ans, c'est une idée qui a  été évoquée lors des rencontres de Beauvau et sur laquelle revient  M. Aubry ce matin, elle n'est pas tout à fait d'accord, c'est le moins  que l'on puisse dire. (Extrait document RTL / M. Aubry, première  secrétaire du PS). Pas de couvre-feu mais des moyens... 
 
C'est intéressant parce que l'intervention de M. Aubry démontre à quel  point sur les questions de sécurité il y a encore des archaïsmes terribles  dans la pensée du Parti socialiste. Oui, moi je revendique le fait que  nous nous adaptons en permanence à l'évolution de la délinquance. Et si  nous voulons être efficaces contre l'insécurité, il nous faut en  permanence nous adapter. B. Hortefeux... 
 
Quitte à passer par la loi, par exemple, pour imposer ce type de  couvre-feu ? 
 
Alors nous verrons quel est le mode le plus approprié. 
 
Mais vous ne l'excluez pas ? 
 
B. Hortefeux qu'est-ce qu'il fait aujourd'hui ? Il constate qu'il y a une  augmentation de la délinquance des mineurs, + 5 %. Eh bien il adapte,  il fait des propositions pour répondre à cela. Aujourd'hui, il y a des  maires en France qui prennent des arrêtés précisément pour faire en  sorte que des jeunes de moins de treize ans sortent le soir accompagnés  de leurs parents, c'est aussi pour leur sécurité à eux... 
 
Ça nous semble légitime. 
 
Donc il lance le débat, c'est un bon débat, il y répondra et nous verrons  de quelle manière on peut mettre en oeuvre ou non cette mesure, mais  c'est une proposition qui est sur la table. 
 
Merci, Monsieur le Ministre de l'Education nationale... 
 
Merci à vous. 
 
Et porte-parole du Gouvernement - on l'a entendu ce matin  largement - d'avoir été notre invité ce matin.    
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 novembre 2009