Déclaration de M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur les principaux sujets inscrits à l'ordre du jour du Conseil européen, notamment les institutions communautaires, le Sommet de Copenhague sur le climat et les politiques communes face à la crise économique et financière, à l'Assemblée nationale le 9 décembre 2009.

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Circonstance : Déclaration du gouvernement préalable au Conseil européen et débat sur cette déclaration, à l'Assemblée nationale le 9 décembre 2009

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Je suis heureux de venir vous présenter, au nom du gouvernement, les enjeux du Conseil européen qui se tiendra les 10 et 11 décembre, et auquel participera le président de la République. Ce Conseil sera le premier de la nouvelle Europe, celle issue de l'entrée en vigueur, le 1er décembre, du Traité de Lisbonne.
Vous le savez, le programme de ce Conseil est extrêmement chargé et donne la pleine mesure des nombreux défis que l'Europe doit relever, maintenant que la page institutionnelle qui nous a occupés pendant tant d'années est tournée.
Les chefs d'Etat et de gouvernement évoqueront en effet, au cours de cette dernière réunion conduite sous Présidence suédoise, les questions institutionnelles, le climat avec la Conférence de Copenhague qui vient de s'ouvrir, les questions économiques et financières, la préparation de la sortie de crise, l'asile et l'immigration, enfin l'élargissement et les questions internationales. Je serai donc un peu long si je veux couvrir l'ensemble des dossiers que mon collègue Bernard Kouchner et moi-même avons préparés ces deux derniers jours à Bruxelles.
Je commencerai, si vous le voulez bien, par évoquer le nouveau fonctionnement de l'Europe avec les institutions que nous sommes en train de mettre en place.
L'entrée en vigueur du nouveau Traité a en effet marqué l'aboutissement d'un long cheminement. On a vu, le 19 novembre, les chefs d'Etat et de gouvernement désigner, à l'issue d'un Conseil européen extraordinaire, le premier Président stable du Conseil européen, M. Herman Von Rompuy, et la première Haute représentante pour les Affaires étrangères, Mme Catherine Ashton.
Herman Van Rompuy, désigné à l'unanimité des chefs d'Etat et de gouvernement pour deux ans et demi au poste de président du Conseil européen, garantira la continuité de l'activité du Conseil européen et représentera l'Union européenne sur la scène internationale. En tant que Premier ministre de Belgique, M. Van Rompuy a pleinement fait la preuve des qualités requises pour exercer cette responsabilité nouvelle : fort engagement européen, sens du compromis, connaissance des dossiers, confiance des autres chefs d'Etat et de gouvernement. Le président de la République l'a reçu vendredi dernier : il lui a dit toute l'importance que nous attachons à sa fonction et à son rôle d'impulsion et l'a assuré du plein soutien de la France dans l'accomplissement de sa tâche.
J'ai, pour ma part, rencontré la nouvelle Haute représentante des Affaires étrangères, Catherine Ashton, lundi soir, à l'issue du Conseil Affaires générales "nouvelle formule". Vous le savez, le Conseil Affaires générales et Relations extérieures est désormais scindé en un Conseil Affaires générales ayant vocation à préparer le Conseil européen - il est en quelque sorte le dernier filtre avant le Conseil - et un Conseil Affaires étrangères, qui sera bientôt présidé par la Haute représentante et uniquement par elle. Mme Ashton devra, dans les semaines à venir, mettre en oeuvre les orientations ambitieuses fixées par le Conseil européen d'octobre pour le futur Service européen pour l'action extérieure et soumettre ses propositions afin que le Service soit officiellement établi, donc en ordre de fonctionnement, à partir du mois d'avril prochain.
C'est pour la France un sujet essentiel, je tiens à le dire compte tenu de ce que j'ai pu lire ici ou là dans la presse britannique. Le Service européen doit être, en effet, l'un des instruments d'une Europe politique plus influente sur la scène internationale, capable de mobiliser au service de ses objectifs, de façon efficace et cohérente, l'ensemble des outils de la politique extérieure de l'Union.
Nous avons donc une coordination de l'ensemble des volets de l'action extérieure de l'Union, d'un côté, une coordination de l'action avec les Etats, de l'autre, Mme Ashton étant à la fois vice-présidente de la Commission et représentante du Conseil. Nous nous félicitons également - car il s'agit d'un poste stratégique - que Pierre de Boissieu demeure secrétaire général du Conseil, ce qui est important durant la phase de mise en forme des nouvelles institutions.
Le deuxième temps fort du mois de novembre a été la désignation par le président Barroso des nouveaux membres de la Commission et la répartition des portefeuilles au sein de la Commission Barroso II.
Nous nous réjouissons que le président Barroso ait attribué à Michel Barnier le portefeuille du marché intérieur et des services. C'est un portefeuille important que la France n'avait jamais obtenu dans le passé. Les attributions dont Michel Barnier aura la responsabilité sont au coeur de la construction européenne et représentent un enjeu crucial pour la vie quotidienne des 500 millions de citoyens de l'Union européenne. Le dossier du marché intérieur, notamment dans sa dimension relative à la régulation des services financiers, est fondamental pour contribuer à la sortie de crise, préparer les conditions du retour à la croissance en Europe, et préserver le rôle moteur que l'Europe a acquis au sein du G20 à l'initiative du président de la République pendant la Présidence française de l'Union européenne.
Les nouveaux commissaires devront être auditionnés par le Parlement européen à la première session plénière de janvier, afin que la Commission soit pleinement opérationnelle le 1er février prochain. Je me félicite également de la nomination d'un commissaire à l'agriculture roumain favorable à la PAC. Comme vous le savez, nous sommes en ce moment même engagés dans une opération consistant à regrouper les vingt-deux Etats de l'Union qui sont attachés à la pérennisation de la Politique agricole commune.
Concernant l'augmentation du nombre de sièges au Parlement européen, la future Présidence espagnole vient de manifester son intention de demander au Conseil européen de convoquer une conférence intergouvernementale pour apporter les modifications nécessaires au traité. Le nombre de députés européens devrait ainsi être de 754 jusqu'en 2014, puis de 751 après les élections de 2014, conformément au traité de Lisbonne, les Allemands perdant trois eurodéputés.
A titre transitoire, en attendant la ratification de cet acte modificatif par chacun des vingt-sept Etats membres et son entrée en vigueur, les Etats qui voient leur nombre de sièges augmenter sont invités par le Parlement européen à y désigner des "observateurs". Ces dispositions transitoires se traduiront pour la France par la désignation de deux observateurs issus des bancs de l'Assemblée nationale, qui deviendront députés européens de plein exercice lorsque toutes les procédures de ratification nationale seront achevées. Il appartient au président de l'Assemblée nationale d'organiser les modalités de cette désignation.
La décision du Premier ministre de demander à l'Assemblée nationale de procéder à la désignation de ces deux députés permet à la fois de respecter le principe constitutionnel de la sincérité du scrutin de juin dernier et de profiter de cette opportunité offerte par la décision du Conseil européen de décembre 2008 pour rapprocher parlementaires nationaux et parlementaires européens.
J'en viens à la négociation climatique. La lutte contre le changement climatique sera, naturellement, au coeur des échanges du Conseil des chefs d'Etat et de gouvernement, mais aussi, pendant les dix jours qui viennent, des négociations de Copenhague.
C'est peut-être la première fois dans l'histoire que tous les pays de la planète sont appelés à prendre conscience, collectivement, de leur communauté de destin, et de faire le choix, ensemble, du salut ou du naufrage. Pour tous les pays de l'Union européenne, le changement climatique est une question grave, qui menace nos territoires, notre agriculture, notre mode de vie, mais, pour de nombreux pays, notamment des Etats insulaires comme les Seychelles ou les Maldives, lutter contre le changement climatique est une question de vie ou de mort.
Soyons donc très clairs sur l'objectif : l'accord de Copenhague doit permettre de limiter le réchauffement mondial à moins de 2 degrés par rapport à l'époque pré-industrielle. Cet objectif signifie qu'il faut atteindre le plus tôt possible un "pic mondial des émissions", et réduire celles-ci d'au moins 50 % par rapport à 1990 d'ici à 2050. Pour ce faire, nous devons parvenir à rallier tous les pays partageant nos ambitions, pour peser à Copenhague sur les Etats qui sont aujourd'hui les plus réticents à s'engager.
C'est le sens de la démarche commune très active engagée par le président de la République avec le président brésilien Lula. C'est aussi le sens de la démarche engagée par Jean-Louis Borloo, avec son plan "justice-climat" pour les pays en voie de développement.
En termes de propositions concrètes, la lettre commune du président de la République française et du président brésilien, publiée le 14 novembre dernier, est susceptible de constituer un point d'équilibre entre toutes les parties, dans la perspective d'un accord politique mondial à Copenhague. Ce raisonnement s'articule autour des sept propositions suivantes.
Premièrement, la réduction au plan mondial des émissions de CO2, qui se décline en trois types d'engagements.
Pour les pays développés : une réduction de leurs émissions d'au moins 80 % en 2050 par rapport à 1990, avec un objectif chiffré de réduction de leurs émissions à moyen terme - 2020-2030 -, dans une fourchette comprise entre moins 25 % et moins 40 %.
Pour les pays en développement les plus avancés, dits émergents : un engagement sur une déviation " significative ", après une période de croissance et de rattrapage économique - ce qui est normal -, dans une fourchette comprise entre moins 15 % et moins 30 % de leurs émissions par rapport à la tendance actuelle.
Pour tous les pays : des plans nationaux de croissance à faible intensité en carbone permettant une réduction substantielle des émissions.
Deuxièmement, l'adaptation au changement climatique : un paquet "adaptation" doit permettre de répondre rapidement aux besoins des pays en développement. Le plan "justice-climat", présenté par Jean-Louis Borloo, propose à ce titre un dispositif d'appui spécifique aux pays les plus vulnérables - Afrique, pays les moins avancés, pays insulaires en développement -, sur la base de projets identifiés, avec un financement dédié pouvant provenir notamment de mécanismes innovants.
Troisièmement, la coopération technologique : l'accord de Copenhague doit permettre le déploiement accéléré des technologies bas-carbone - captage et stockage du carbone, énergies renouvelables, nucléaire - et le partage des meilleures pratiques, notamment en matière d'efficacité énergétique.
Quatrièmement, de nouveaux financements pour les actions de lutte contre le changement climatique : nous défendons le principe d'une contribution universelle, proposée par le Mexique, et le développement de mécanismes de financement innovants pour lutter contre le changement climatique. Un financement public spécifique pour les années 2010-2012, dites période de fast start, à destination des pays les plus pauvres et les plus vulnérables, devrait, par ailleurs, accompagner les actions immédiatement entreprises sur la base de l'accord signé à Copenhague.
Cinquièmement, un engagement global sur un objectif de réduction de moitié de la déforestation d'ici à 2020, et un arrêt de celle-ci d'ici à 2030. Nous souhaitons que 20 % des sommes consacrées au fast start 2010-2012 soient consacrées à cet objectif.
Sixièmement, la création d'un mécanisme de mesure, de communication et de vérification des actions engagées. Les pays qui ne prendraient pas des engagements comparables doivent être dissuadés de se comporter en "passagers clandestins". A cet égard, l'Union européenne ne doit pas s'interdire de recourir à un "mécanisme d'inclusion carbone" aux frontières, qui évitera à nos entreprises d'être injustement concurrencées par la production de pays moins regardants sur les normes environnementales.
Enfin, septièmement, la création d'une organisation mondiale de l'environnement, à laquelle la France tient beaucoup, qui aurait notamment vocation à assurer le suivi et le respect des engagements pris.
Au plan européen, le Conseil des 10 et 11 décembre doit permettre de construire, sur l'ensemble de ces points, une position commune. Trois sujets restent, à ce stade, encore en débat et feront l'objet de négociations finales entre les chefs d'Etat et de gouvernement.
Premier sujet, la conditionnalité du passage de 20 % de réduction des émissions de CO2 en 2020 à 30 % de réduction. L'Europe doit, dans ce domaine, avoir une approche généreuse, mais aussi réaliste. Pour passer à 30 % de réduction, il faut que les engagements pris par les autres parties soient réellement comparables. Ne nous laissons pas leurrer par des effets d'annonce. Les Etats-Unis ont, par exemple, annoncé le 25 novembre une réduction de leurs émissions de CO2 de 17 % en 2020, mais ce pourcentage est calculé par rapport à 2005. Ramené à l'année de référence 1990, cet engagement ne correspond, en fait, qu'à une baisse de l'ordre de 4 % de leurs émissions. L'Union doit rester ferme sur ses ambitions pour la planète et les conditions d'un relèvement éventuel de l'objectif européen, conformément aux conclusions du Conseil européen de mars 2007, devront être examinées, après Copenhague, sur la base d'une analyse précise de l'accord, en liaison étroite avec le Parlement européen.
Deuxième sujet, le montant que la communauté internationale, en général, et l'Union européenne en particulier, consacreront au financement fast start des actions à conduire dans les pays en développement entre 2010 et 2012. Le président de la République, lors de son récent déplacement à Trinidad et Tobago, a souhaité que la communauté internationale mobilise 7 milliards d'euros de crédits publics, dont 20 % seraient consacrés à la lutte contre la déforestation.
Troisième sujet, la référence explicite, dans les conclusions du Conseil, à la constitution d'une organisation mondiale de l'environnement.
La Conférence de Copenhague s'est ouverte lundi et se clôturera le 18 décembre sur un ultime segment de négociation. Y participeront cent douze chefs d'Etat et de gouvernement, y compris le président Obama, ce que le Président de la République, qui s'était entretenu de ce sujet avec lui il y a une semaine, a accueilli avec satisfaction.
Les négociations seront conduites à la fois pendant la conférence, mais aussi en marge, avec une réunion ad hoc sur l'articulation entre politique de développement et climat le 14 décembre et, aussi, le sommet sur la forêt en Afrique centrale, qui se tiendra le 16 décembre à Paris à l'initiative du président de la République, à la veille du dernier segment de la négociation.
Nous pensons aujourd'hui qu'un accord politique ambitieux à Copenhague est un objectif pleinement atteignable. La multiplication, ces derniers jours, d'annonces majeures, comme les annonces récentes par la Chine et l'Inde de réductions chiffrées de l'intensité carbone de leur économie, sont autant de signaux politiques importants et qu'il faut prendre très au sérieux.
J'en viens aux questions économiques et financières et à la préparation de la sortie de crise qui seront également à l'ordre du jour du Conseil européen.
Dans le domaine financier, la Présidence suédoise a tenu l'agenda ambitieux qui lui avait été fixé par le Conseil européen de juin, qui consistait à dégager, au sein du Conseil, un accord complet sur la réforme de la supervision européenne, pour permettre au nouveau système d'être pleinement opérationnel en 2010 et tirer les leçons de l'immense crise financière que nous avons connue en 2008. C'est un pas décisif pour renforcer la solidité du système financier en Europe.
A la veille du précédent Conseil européen d'octobre, la Présidence suédoise était déjà parvenue à dégager un accord sur le volet macrofinancier, qui prévoit la création d'un Comité européen du risque systémique, chargé de prévenir l'apparition des très grands risques de marché comme nous en avons connu en 2007 et surtout en 2008.
La Présidence a remporté un nouveau succès lors du Conseil Ecofin du 2 décembre, en dégageant un accord sur le volet microfinancier. Conformément aux conclusions du Conseil européen de juin, cet accord prévoit la création de trois nouvelles autorités de surveillance respectivement chargées des banques, des assurances et des marchés et valeurs mobilières.
Comme nous le souhaitions, ces autorités pourront exercer, sous certaines conditions, des pouvoirs contraignants sur les superviseurs nationaux. Elles pourront, par exemple, intervenir en cas de désaccord entre ces derniers et jouiront de pouvoirs accrus en cas d'urgence ou en situation de crise. Ce succès est d'autant plus important que des sensibilités différentes, selon la formule consacrée, étaient réunies autour de la table. Nous disposons donc désormais d'un système de régulation financière.
Dans le domaine économique, le Conseil européen était convenu, il y a un an, d'un plan de relance européen destiné à soutenir une activité économique profondément ébranlée par la crise. Ce plan, ainsi que les mesures nationales, nous permettent d'assister aux premiers signes, certes fragiles, de la reprise, et au retour à une croissance positive au second semestre de cette année.
Cette évolution favorable doit encore être consolidée : il est trop tôt pour mettre fin aux mesures de soutien. Lorsque la croissance sera à nouveau solidement installée, nous devrons supprimer graduellement ces dernières et engager un effort majeur de consolidation des finances publiques.
Cela étant, nous devons également préparer l'avenir. Car ce n'est pas sur nos institutions que les peuples nous jugeront, mais bien sur nos résultats. En la matière, l'Europe doit être visionnaire si elle veut "faire le XXIe siècle et non le subir", selon les termes du président de la République.
Le débat sur la stratégie dite "UE 2020", appelée à prendre la suite de la stratégie de Lisbonne pour la croissance et l'emploi, est, de ce point de vue, absolument fondamental : nous avons besoin, avec l'appui de la nouvelle Commission européenne et de tous les Etats membres, de construire maintenant, ensemble, une Europe plus forte, parce que l'Europe sort de la crise économique et financière la plus grave que le monde ait connue depuis 1929 et qu'il faut donner à nos entreprises, en particulier aux PME, les moyens de retrouver rapidement une croissance élevée et durable, et parce que l'Europe doit, à l'heure où émerge un monde multipolaire, être capable de lutter à armes égales contre les autres grands pôles de développement économique de la planète.
Si nous voulons réussir demain là où la stratégie de Lisbonne a échoué hier, nous devons doter la nouvelle stratégie européenne d'une véritable colonne vertébrale, bien plus solide. Concrètement, cela revient à dire que la stratégie de l'Europe ne doit pas se réduire à la somme de vingt-sept stratégies nationales. La Commission doit également apporter toute sa contribution à cette démarche.
A ce propos, j'insisterai particulièrement sur six points jugés essentiels par la France et auxquels la future stratégie "UE 2020" devrait faire écho. J'en ai fait part à Mario Monti, chargé par le président Barroso d'une mission sur la relance du marché intérieur et que j'ai rencontré mercredi dernier, comme aux vingt-six autres Etats membres, le 4 décembre, à Bruxelles, lors du Conseil "compétitivité" de l'Union européenne.
Premier point : l'Europe doit impérativement, pour rester compétitive, chercher de nouvelles sources de croissance, en se tournant sans hésitation vers l'économie de la connaissance, l'innovation et les technologies vertes. Cet objectif rejoint exactement les priorités identifiées en France par la commission sur le grand emprunt. Du reste, la démarche menée en France, qui consiste à déterminer les priorités d'avenir, pourrait parfaitement être européanisée, et nombre de projets privilégiés au titre de cette réflexion stratégique sont appelés à trouver un puissant écho en Europe.
Deuxième point : l'Europe doit parvenir à réconcilier ses 500 millions de citoyens avec son marché intérieur, dont ils se méfient souvent, craignant de voir leurs droits sociaux affaiblis, la qualité des biens ou des prestations servis atténuée et, en définitive, d'être moins protégés. Je souhaite un marché intérieur qui parvienne à concilier un fonctionnement efficace, un niveau de protection élevé du consommateur et un respect de la cohésion sociale de l'Union.
Le troisième point concerne justement la dimension sociale. La crise l'a bien montré : l'Europe de demain doit se montrer plus soucieuse de la cohésion sociale, en anticipant les restructurations, en investissant dans nos systèmes éducatifs, en soutenant la formation et la reconversion des travailleurs. Dans ce domaine, il ne faut pas négliger l'extérieur. Il est inconcevable qu'une multinationale étrangère comme General Motors impose à toute l'Europe un chantage sur des milliers d'emplois, en jouant d'une stratégie de division entre Etats de l'Union et de surenchère sur les aides d'Etat, comme le firent, jadis, les Horaces contre les Curiaces, ou, si l'on préfère, en appliquant la tactique du salami.
Quatrième point : nous devons nous interroger collectivement sur la place que l'Europe entend occuper au cours des dix ou vingt ans à venir. Le risque principal, nous le savons, est la marginalisation de l'Europe et l'accentuation de sa dépendance à l'égard des pôles industriels émergents.
Soyons clairs : le mythe de l'Europe post-industrielle a vécu. Nous avons besoin d'un socle industriel et d'emplois industriels, car une économie fondée sur les seuls services n'est pas viable à long terme.
Je note du reste que de nombreux pays, même parmi les plus libéraux de l'Union, prennent conscience du fait que la désindustrialisation est le risque majeur. Nous devons donc être capables de mettre collectivement au point une véritable politique industrielle et énergétique commune qui relève le défi de la désindustrialisation européenne.
Cinquième point : l'Union européenne est aujourd'hui l'espace économique le plus ouvert au monde.
Il n'est pas question de revenir sur cet acquis. Toutefois, nous devons faire preuve de pragmatisme à l'égard de tous nos partenaires. Les combats idéologiques appartiennent au passé ; mais à quoi sert-il d'être vertueux entre nous si, en dehors de l'Europe, d'autres ne respectent pas les règles - parfois les plus restrictives au monde - que nous nous imposons ?
Nous devons bien évidemment nous appliquer à nous-mêmes des règles justes et équitables. Néanmoins, comme le souligne le Premier ministre François Fillon, la question n'est pas seulement de savoir si la concurrence est parfaitement assurée entre Français et Allemands ou entre Français et Italiens : il s'agit aussi de savoir si l'Europe dispose des instruments nécessaires pour lutter contre la concurrence extrêmement forte des pays du Sud-Est asiatique, de la Chine, de l'Inde et du continent américain.
Ne soyons pas naïfs : comme le président Barroso le dit lui-même, l'Europe doit savoir se défendre, faire respecter ses normes et promouvoir ses intérêts et ses valeurs en matière industrielle, sociale et environnementale. Je songe naturellement à l'affaire récente du contrat relatif aux ravitailleurs que nous devions livrer aux Etats-Unis, dans laquelle nous nous sommes heurtés à un mur s'agissant des marchés publics.
En sixième et dernier lieu, l'ouverture européenne doit obéir à un esprit de réciprocité, y compris en matière de marchés publics. Alors que les plans de relance européens sont totalement ouverts aux entreprises étrangères, comme l'illustre la manière dont Hitachi vient de remporter en Grande-Bretagne un marché de près de 8,5 milliards d'euros que briguaient également Alstom et Siemens, nos entreprises européennes se heurtent à un mur dans plusieurs pays qui nous imposent un traitement discriminatoire. Cette situation n'est pas acceptable, et ce n'est pas être protectionniste que d'insister sur la nécessité de rétablir l'équité et la réciprocité.
La France transposera donc en droit interne les dispositions dérogatoires à l'accord sur les marchés publics de l'OMC de 1994, tout en appelant une démarche européenne. Voilà pourquoi j'ai demandé vendredi dernier à la Commission, au nom de la France, de proposer les mesures réglementaires qui s'imposent pour faire appliquer les dispositions de cet accord au niveau européen, dans un esprit de parfaite réciprocité.
Quatrièmement, le Conseil européen sera également appelé à approuver le nouveau plan pluriannuel sur l'espace de liberté, de sécurité et de justice, dit "programme de Stockholm".
Ce programme, qui succède à ceux de Tampere et de La Haye, définit nos objectifs pour les cinq années à venir. Il correspond aux priorités que nous nous étions fixées. Tout d'abord, appliquer concrètement les engagements du Pacte européen sur l'immigration et l'asile, adopté à l'initiative de Brice Hortefeux sous la Présidence française. Ensuite, renforcer la coopération opérationnelle en matière policière et judiciaire : il s'agit de bâtir une architecture européenne en matière de sécurité, et nous formulerons d'importantes propositions dans ce domaine, en matière de lutte contre la drogue.
La troisième priorité consiste à accroître l'efficacité de l'Europe de la justice au profit des citoyens, notamment en appliquant le principe de reconnaissance mutuelle. Enfin, il s'agit de développer la dimension extérieure de la justice et des affaires intérieures, en faisant des relations extérieures un facteur de renforcement de la sécurité de l'espace européen de libre circulation.
L'application de ce nouveau programme sera l'une des priorités de la Présidence espagnole qui débutera le 1er janvier prochain. Je puis vous assurer qu'il s'agit également d'une priorité absolue pour la France. A cette fin, la Présidence espagnole pourra bénéficier des nouvelles règles établies par le Traité, qui facilite notamment le processus de décision dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. Vous savez que nous faisons partie du groupe de pays pionniers qui peuvent recourir à la coopération renforcée.
Enfin, l'actualité internationale chargée rejaillira sur le programme du Conseil européen.
S'agissant tout d'abord de l'Afghanistan, rappelons, au lendemain du discours prononcé par le président Obama le 1er décembre, que le renforcement militaire de la coalition n'a pas de sens si le volet civil de notre assistance n'est pas couronné de succès. Grâce à une aide annuelle de près de 950 millions d'euros - il s'agit du montant consolidé de l'aide des Etats membres et de la Commission -, l'Union européenne peut jouer un rôle majeur dans la stabilisation de la situation et apporter une contribution décisive à la définition des priorités de la communauté internationale.
A ce propos, la conférence internationale de Londres, le 28 janvier prochain, aura pour but de redéfinir les termes de la relation entre la communauté internationale et l'Afghanistan. Il s'agira de créer les conditions d'une appropriation croissante des responsabilités par les Afghans eux-mêmes.
En second lieu, le programme nucléaire iranien constitue un problème très grave. Vous le savez, l'Iran continue d'accumuler de l'uranium faiblement enrichi, violant ainsi les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, sans objectif civil identifiable. Le 27 novembre dernier, le conseil des gouverneurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique lui a demandé de se conformer sans délai à ses obligations internationales et de cesser immédiatement ses travaux sur le site de Qom. Cette résolution, la dixième en ce sens, venait s'ajouter aux cinq résolutions du Conseil de sécurité.
Malheureusement, l'Iran continue de rester sourd à nos inquiétudes sur la finalité de son programme nucléaire. Je rappelle qu'il n'existe aucune centrale électronucléaire dans le pays ! Non seulement celui-ci ne répond pas aux offres de dialogue, mais il défie la communauté internationale en continuant de fabriquer de l'uranium enrichi : le président iranien vient d'annoncer la construction de dix nouvelles usines d'enrichissement.
Notre offre de négociation reste sur la table, mais il doit être clair que nous attendons de l'Iran des gestes concrets et un changement profond de comportement sur le dossier nucléaire. Si l'Iran persiste à refuser de coopérer avec la communauté internationale, nous devrons prendre des mesures plus fortes, à la mesure de l'enjeu, de l'urgence, de l'inquiétude des pays de la région et des efforts de dialogue que nous avons consentis.
Nous chercherons à privilégier l'adoption de nouvelles mesures, en priorité au Conseil de sécurité. Mais il appartient aux Européens de prendre leurs responsabilités, et nous souhaitons que l'Union s'y prépare dès maintenant. Il s'agit d'un enjeu essentiel pour l'avenir de la sécurité internationale et régionale ; le temps presse.
En ce qui concerne le Proche-Orient, le Conseil Affaires étrangères a rappelé hier la priorité absolue de l'Europe - la reprise des négociations de paix -, mais aussi plusieurs principes, dont la sécurité d'Israël et le soutien des négociations conduisant à l'établissement d'un Etat palestinien. Il a également qualifié la récente décision du gouvernement israélien relative au moratoire sur la colonisation en Cisjordanie de "premier pas dans la bonne direction", soulignant néanmoins que Jérusalem avait vocation à devenir la capitale des deux Etats.
Je souhaite enfin évoquer l'état d'avancement des négociations avec la Turquie et plusieurs Etats des Balkans.
Avec la clôture du débat institutionnel, le long processus de stabilisation et d'intégration européenne des Balkans sera, grâce à la perspective offerte aux pays de la région depuis les sommets de Zagreb en 2000 et de Thessalonique en 2003, l'une des priorités de l'Union. La France y est attachée ; il s'agit d'un enjeu majeur pour la sécurité de notre continent.
C'est grâce à elle que les Etats concernés ont accompli d'importants progrès, qui ont été positivement relevés par la Commission européenne dans son dernier rapport sur l'élargissement. De plus, dans l'ensemble de la région, des accords de facilitation des visas avec l'Union européenne vont entrer en vigueur ou sont prévus prochainement.
Mais ces progrès restent à consolider et beaucoup reste encore à faire : l'accord slovéno-croate, tout récemment signé, devrait faire l'objet de procédures référendaires en Slovénie ; la Croatie doit trouver une solution à la transmission d'éléments de preuve exigés par le tribunal de La Haye et plus encore réformer son système judiciaire, encore lent et corrompu ; la Serbie ne pourra poursuivre son rapprochement avec l'Union européenne que si elle sait se montrer irréprochable et régler ses comptes avec l'histoire en arrêtant le général Mladic et M. Hadzic, en livrant ces criminels de guerre au tribunal de La Haye et en produisant des éléments de preuve sur ces dossiers ; le différend entre la Grèce et l'ancienne république yougoslave de Macédoine sur le nom de cet Etat ne permet pas pour l'heure de fixer une date pour le début des négociations d'adhésion de ce pays, repoussées au 1er semestre 2010, sous la Présidence espagnole.
Je n'oublie ni le Kosovo dont, en dépit des progrès enregistrés, la reconnaissance de l'indépendance demeure une question ouverte pour cinq des Etats membres de l'Union, ni la Bosnie-Herzégovine, dont les responsables politiques restent encore incapables de faire aboutir les réformes qui doivent permettre de démanteler le quasi-protectorat en place depuis quinze ans dans ce pays et dont le maintien interdit tout nouveau progrès au-delà de l'accord de stabilisation et d'association que nous allons soumettre à votre assemblée.
Enfin, l'absence de progrès réels de la Turquie dans le respect de ses engagements de 2005 au titre du Protocole d'Ankara, qui prévoyait l'ouverture des ports et aéroports du pays au commerce chypriote ainsi que la normalisation des relations avec la République de Chypre, est un autre sujet de préoccupation pour le Conseil européen qui devrait conclure à la reconduite des mesures restrictives adoptées par l'Union européenne en 2006 aussi longtemps que ces conditions n'auront pas été remplies par Ankara.
Pardonnez-moi, Mesdames, Messieurs les Députés, d'avoir été un peu long pour exposer les principaux sujets inscrits à l'ordre du jour du prochain Conseil européen./.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 décembre 2009