Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, dans "Le Monde" le 10 décembre 2009, sur l'avenir de la politique agricole commune (PAC).

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Q - Pourquoi une telle réunion ?
R - Il s'agit d'affirmer haut et fort que nous sommes favorables à une Politique agricole commune forte. Le Traité de Rome, en 1957, lui a fixé comme objectif d'assurer la sécurité alimentaire en Europe. Et ce but est encore plus stratégique aujourd'hui qu'hier. Avec 1 milliard de personnes souffrant de la faim dans le monde, ce n'est certainement pas le moment d'abandonner la sécurité alimentaire en Europe, un bien essentiel et fragile. Si jamais nous renoncions à la PAC, nous prendrions un risque majeur pour les Européens. Il faut donc reprendre le chemin de la réflexion pour redonner son sens à la PAC. Cela ne veut pas dire que la France refuse toute évolution. Nous sommes ouverts à toute proposition de refondation de la PAC, du moment qu'elle nous permette de répondre à des objectifs essentiels, notamment celui de nourrir 500 millions d'Européens.
Q - Un document de travail de la Commission juge que la part du budget européen consacrée à la PAC, passée de 61 % en 1988 à 32 % en 2013, doit continuer à diminuer dans les mêmes proportions après cette date pour développer d'autres politiques.
R - La Commission elle-même a dit que ce document n'avait pas de caractère officiel. Il faut penser les choses dans le bon sens : se poser les questions politiques puis réfléchir aux instruments financiers nécessaires. Cette méthode a convaincu de plus en plus d'Etats : nous sommes partis à deux avec l'Allemagne en juillet et serons vingt-deux ce jeudi. C'est une très mauvaise méthode de se dire que pour faire d'autres politiques dont je reconnais le caractère stratégique - comme l'éducation ou la recherche... -, il suffit d'aller prendre de l'argent à la PAC.
Q - Votre initiative signifie-t-elle que la PAC a pris de mauvaises orientations ?
R - Les défauts de la PAC, on les connaît. Ce sont d'abord des instruments de régulation trop faibles et trop peu réactifs face aux situations de crise de plus en plus fréquentes et à la volatilité extrême des prix. Autre problème : quelle légitimité y a-t-il à avoir les mêmes dotations par hectare en période de crise et en situation de prix élevés ? Enfin, le système de répartition des subventions, notamment entre nouveaux et anciens Etats membres, peut être amélioré pour aller vers davantage d'équité.
Q - Quels instruments faut-il créer ou améliorer pour renforcer cette régulation ?
R - La question n'est pas qu'européenne. L'extrême volatilité des cours de certains biens agricoles, comme ceux des céréales, qui ont varié de 30 % à 50 % en douze mois, ou les achats de terres dans les pays en voie de développement par des investisseurs étrangers, montrent qu'il est indispensable de bâtir une régulation mondiale. C'est à l'Europe de montrer l'exemple. Cela passe par des contrats écrits producteurs-industriels pour que les agriculteurs aient une visibilité sur leurs revenus. Il faut ouvrir la réflexion sur la mise en place de marchés à terme : ce ne sont pas des instruments miracles mais ils permettent de lisser la spéculation. On ne doit pas s'interdire de réfléchir à la surveillance des volumes, même si on ne reviendra pas à des quotas administrés car ils figent les capacités de production des Etats.
Q - S'il aboutit, le cycle de Doha ouvert à l'Organisation mondiale du commerce amènera une nouvelle libéralisation. N'est-ce pas paradoxal alors que de plus en plus de voix réclament un renforcement des cultures vivrières plutôt que les cultures d'exportation afin de lutter contre la faim et le réchauffement climatique ?
R - Sur Doha, nous sommes allés au maximum de ce que nous pouvions faire en matière de concessions. Il faut faire attention à l'idée fausse selon laquelle la concurrence par les prix réglera tous les problèmes agricoles dans le monde. Un produit agricole n'est pas un produit comme les autres, il doit remplir des objectifs alimentaires, sanitaires, de développement durable et d'aménagement du territoire. Je ne crois pas à un modèle dans lequel le libre-échange de biens permettra de garantir la sécurité alimentaire dans le monde, mais à un système où ce sont les régions qui construisent, à partir d'une régulation collective, leur sécurité alimentaire. C'est aussi le moyen de mieux lutter contre l'impact sur le climat de la production agricole. Dans un modèle de libre-échange pur, si les pommes ou la poudre de lait que nous consommons en France ne viennent plus que du bout du monde, l'impact environnemental sera bien plus important que si nous les produisons en Europe. L'Europe a fixé les règles plus strictes en matière sanitaire et environnementale. Si nous renonçons à la PAC, nous renonçons aussi à cela.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 décembre 2009