Texte intégral
N. Demorand .- Une cinquantaine d'agriculteurs qui manifestent devant l'Elysée ce matin, avant d'être dispersés par la police, paille et fumier déversés sur la chaussée... Ils se disent en colère. Vous comprenez leur colère ?
Je comprends parfaitement, et la colère et le désarroi de tous les agriculteurs français. Je crois que quand on se lève chaque matin dans une exploitation agricole, qu'on soit une exploitation laitière ou d'élevage, et qu'on sait que chaque jour, même si on travaille 12 ou 14 heures par jour, on va perdre de l'argent à la fin de sa journée, il y a de quoi effectivement être dans une détresse profonde. Et je pense que chacun doit avoir conscience en France que nous traversons la crise agricole la plus grave depuis trente ans, c'est ce que j'avais indiqué dès le mois d'août ; que le revenu des agriculteurs a retrouvé le revenu moyen des années 90, c'est-à-dire que nous avons pris vingt ans de recul cette année, en 2009. Donc il y a urgence à sortir de cette situation et surtout à ouvrir des perspectives de long terme pour l'agriculture française. C'est ce à quoi je m'emploie.
On va y venir. Comment expliquez-vous cette crise, "la plus grave", vous venez de le redire, depuis trente ans ?
Je crois que le coeur de la crise c'est la variabilité des prix. On a des prix qui sont totalement instables d'une année sur l'autre. Fin 2008, un éleveur de lait pouvait vendre son lait 390-400 euros la tonne ; en 2009, il va le vendre 220-230 euros la tonne, presque moins 50 %. Un producteur de céréales, il y a un an, il vendait sa tonne de céréales 300 euros la tonne, aujourd'hui il la vend 120-130 euros la tonne, avec en plus, je rajoute ce point important, une parité euro-dollar qui lui est totalement défavorable à l'exportation. Il faut impérativement stabiliser les prix pour stabiliser le revenu des agriculteurs.
Vous allez le pouvoir de le faire, ça ?
Ca, je crois que c'est vraiment l'objectif de long terme. On est aujourd'hui en plein sommet de Copenhague, on s'attaque à l'échelle mondiale à réguler le climat. On a essayé, cette année, sous l'impulsion d'A. Merkel et de N. Sarkozy, de réguler la finance mondiale. Je crois qu'il est urgent de s'attaquer à la régulation des marchés agricoles mondiaux. Ils sont aussi importants en volume et en prix que les marchés financiers, et il n'y a, autour de ces marchés agricoles mondiaux, aucune régulation. Si nous ne y attaquons pas, et nous avons commencé à le faire dans l'Union européenne, nous aurons toujours des prix volatiles et donc des revenus instables pour les agriculteurs. C'est intenable pour les agriculteurs français, intenable pour les agriculteurs européens. Et prenons conscience aussi que c'est intenable pour tous les agriculteurs des pays en voie de développement qui doivent pourtant s'orienter vers l'indépendance alimentaire.
Entre réformer le capitalisme financier et la réforme effective, un certain nombre de mois voire d'années vont peut-être se dérouler. Combien de temps pour réguler les marchés des matières premières ? Avoir les outils pour le faire, déjà ?
Je pense que c'est une affaire d'années. Ça prendra du temps. C'est pour ça qu'il faut impérativement commencer par soutenir la trésorerie des producteurs et des exploitants agricoles en France, c'est l'objet du plan d'urgence qui a été annoncé par le président de la République, 1,6 milliard pour aider dans l'urgence la trésorerie des producteurs. Il faut en même temps prendre un certain nombre de décisions à l'échelle nationale pour mieux répartir la valeur ajoutée, faire en sorte que les producteurs s'y retrouvent mieux, c'est l'objet de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, qui sera présentée en début de l'année prochaine au Parlement français, avec notamment des contrats entre producteurs et industriels. Et ensuite, troisième étape, mais ce sont des étapes conduites en parallèle, il faut que l'Europe donne l'exemple.
En faisant quoi ?
Je me suis battu pour lancer l'appel de Paris, qu'on a lancé il y a une semaine, avec 22 Etats membres de l'Union européenne, et ça n'a pas été facile à obtenir, pour que nous affirmions haut et fort, que la PAC est une politique de régulation du marché. Il faut impérativement mettre en place à l'échelle européenne, des instruments de régulation du marché plus efficaces que ceux qui existent aujourd'hui. Je vous donne juste un exemple sur le lait : on sait très bien qu'on peut faire remonter le prix du lait en intervenant sur les marchés, en stockant le beurre et la poudre lorsqu'ils sont en excédent. Nous avons mis des mois avant de le faire à l'échelle européenne. Il a fallu que la France se batte avec l'Allemagne pour obtenir cette décision de la Commission et des autorités européennes. Ayons des instruments de régulation qui au lieu de réagir au bout de trois mois, en laissant les producteurs en grande difficulté, interviennent du jour au lendemain, plus rapidement et plus massivement sur les marchés.
Mais qu'est-ce que vous dites ce matin aux agriculteurs qui ont perdu 34 % de leurs revenus en 2009 ? Qu'est-ce que vous pouvez faire pour eux, dans les jours...je ne vais pas dire dans les heures, mais peut-être dans les heures aussi, dans les heures, dans les jours, dans les semaines qui viennent ?
Je leur dis que je m'occupe chaque jour, je dis bien chaque jour, de la situation de tous les agriculteurs de France, en prenant évidemment ceux qui ont les difficultés les plus importantes, pour essayer de leur trouver une solution adaptée à leur situation, parce que les situations sont évidemment très variables suivant qu'on est éleveur, producteur de lait, céréalier, ou producteur de fruits et légumes. Chaque jour, je fais le point. Chaque semaine, je vois N. Forissier, le médiateur nommé par le Premier ministre et par le président de la République, pour m'assurer que toutes les difficultés concrètes sur le terrain sont levées. Il faut que chaque agriculteur ait une solution à ses difficultés. Cela peut être un report de charges d'intérêts d'emprunt ; ça peut être un report de cotisations à la Mutualité sociale agricole ; ça peut être un nouveau besoin de trésorerie ; ça peut être un rééchelonnement de la dette ; ça peut être un accompagnement pour les exploitations les plus en difficulté - c'est le dispositif "agriculteurs en difficulté" qui a été doté de 100 millions d'euros. Il y a l'argent nécessaire pour apporter des réponses concrètes. Maintenant, je m'assure tous les jours que cet argent va bien directement dans les exploitations des agriculteurs qui en ont besoin.
Ce n'est pas évident que les pays aient une agriculture, certains pays qui en avaient n'en ont plus, la France a gardé la sienne. Estelle en danger de mort l'agriculture française ?
Je crois que c'est une excellente question, qu'on a un peu oublié de se poser. Je veux insister sur le fait que l'agriculture, comme l'industrie, est délocalisable, et que si nous n'y prenons pas garde, si nous ne soutenons pas nos agriculteurs, si nous n'avons pas une politique agricole commune forte, nous verrons les exploitations fermer, ces exploitations ne rouvriront pas, nous perdrons des compétences, et nous perdrons une vitalité économique essentielle pour le pays, qui est l'agriculture française. Ce n'est pas donné, que dans dix ans ou dans vingt ans, nous continuerons à produire des tomates, des pommes de terre, des fruits en France. Ce n'est pas donné que nous garderons un élevage en France pour fournir de la viande pour tous les Français ou pour tous les Européens. Tout ça, c'est un choix politique. Ce choix politique, il faut l'assumer, et il faut donner les moyens aux agriculteurs de continuer leur activité dans de bonnes conditions.
Mais on entend la volonté politique, si j'ose dire, on entend également que vous êtes un ministre démuni, que vous n'avez pas les leviers nécessaires pour réguler les choses, que vous n'avez, au fond, donc pas les moyens de vos ambitions, ou en tout cas, pas le pouvoir de faire des choses.
Si on entend ça monsieur Demorand, c'est qu'on m'a mal compris.
Vous l'avez dit, "le marché n'est pas régulable", or le marché est au coeur de tout.
Non, je dis que à l'échelle mondiale, parce que je ne suis pas là pour vendre des illusions, le marché à l'échelle mondiale ne sera pas régulé en l'espace de six mois. Regardez le temps qu'on a mis pour mettre en place une régulation sur le climat, et on n'y est pas encore. Mais nous ne sommes pas démunis. A l'échelle européenne, lorsque nous nous battons avec l'Allemagne pour obtenir une intervention massive sur les marchés du lait, à partir du début du mois de juillet, et pour obtenir une régulation des marchés du lait, nous obtenons 600 millions d'euros d'intervention de la Commission européenne pour stocker le beurre et la poudre, et faire en sorte que les prix remontent. Les prix ont remonté aujourd'hui. J'avais un contrat avec les agriculteurs et les producteurs de lait, qui était de faire remonter les prix à l'échelle internationale sur le marché, nous avons fait remonter les prix. Les prix du lait sont aujourd'hui 30 % supérieurs au prix d'intervention sur le marché, ils étaient inférieurs de 20 % il y a encore quelques mois. Donc, nous avons fait bouger les choses, nous avons une capacité d'intervention. Ce que je veux dire c'est que j'aimerais bien ne pas avoir à intervenir, précisément. J'aimerais que les prix soient suffisamment stables et rémunérateurs pour tous les agriculteurs, qu'ils n'aient pas à aller toquer à la porte du ministre. Cela ne plaît aux agriculteurs d'aller toquer à la porte du ministre pour réclamer, soit des subventions soit une intervention sur les marchés. Ce qu'ils souhaiteraient, et c'est parfaitement légitime, c'est que nous soyons suffisamment habiles et suffisamment déterminés pour arriver à stabiliser les prix à l'échelle européenne et à l'échelle mondiale.
Le président de la République a explicitement inscrit l'agriculture dans l'identité nationale française autour de l'idée de la terre. Ce débat sur l'identité est en train de déraper d'après vous ?
Je crois que c'est un débat utile. Je pense quand on s'occupe d'agriculture et de pêche, on sait que ce sont des parties de l'identité nationale, importantes. Je vois d'ailleurs que chez les agriculteurs, chez les pêcheurs, il y a une vraie interrogation sur l'évolution du monde, vous le disiez vous-même, est-ce que finalement on va garder notre agriculture, notre pêche ? Ma réponse est oui, clairement oui, avec beaucoup de détermination, mais il y a une interrogation.
Sur le débat alors ?
Simplement, moi je mets deux conditions au bon déroulement de ce débat. La première condition, c'est que chacun garde sa sérénité, fasse attention aux mots qu'il emploie et sache bien que dans ces débats, on touche à l'histoire de chacun, à la mémoire de chacun. Et donc que ce débat ne peut marcher que s'il y a un vrai respect de part et d'autres de la part de chaque personne qui s'exprime.
Vous trouvez que ce n'est pas le cas ?
Je dis que c'est une condition du succès de ce débat utile. La deuxième condition qui me paraît importante, c'est que nous n'oublions pas qu'une partie de plus en plus importante de notre identité se joue à l'échelle européenne. Je le vois là aussi comme ministre de l'Agriculture et de la Pêche, la grande question pour nous c'est qu'est- ce que nous allons faire de notre identité nationale en Europe ? Et qu'est-ce que nous allons construire comme identité européenne dans les années à venir ? Je souhaiterais que cette partie du débat, qui est parfois un peu occultée, occupe une place plus importante, parce que je crois que c'est là que se joue une part essentielle de l'avenir de chaque Français.
Voilà pour les propositions de recadrage. Si vous deviez faire un bilan d'étape de ce débat, tel qu'il s'est déroulé aujourd'hui, il vous navre, il vous inquiète ? Quel est votre sentiment ?
Je pense que, une fois encore, c'est un débat utile, un vrai débat de fond.
Mais ce qu'il fait ressortir ?
Je pense que la responsabilité des politiques, c'est précisément de donner des directions. Moi, j'en donne deux : le respect et l'Europe.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 janvier 2009
Je comprends parfaitement, et la colère et le désarroi de tous les agriculteurs français. Je crois que quand on se lève chaque matin dans une exploitation agricole, qu'on soit une exploitation laitière ou d'élevage, et qu'on sait que chaque jour, même si on travaille 12 ou 14 heures par jour, on va perdre de l'argent à la fin de sa journée, il y a de quoi effectivement être dans une détresse profonde. Et je pense que chacun doit avoir conscience en France que nous traversons la crise agricole la plus grave depuis trente ans, c'est ce que j'avais indiqué dès le mois d'août ; que le revenu des agriculteurs a retrouvé le revenu moyen des années 90, c'est-à-dire que nous avons pris vingt ans de recul cette année, en 2009. Donc il y a urgence à sortir de cette situation et surtout à ouvrir des perspectives de long terme pour l'agriculture française. C'est ce à quoi je m'emploie.
On va y venir. Comment expliquez-vous cette crise, "la plus grave", vous venez de le redire, depuis trente ans ?
Je crois que le coeur de la crise c'est la variabilité des prix. On a des prix qui sont totalement instables d'une année sur l'autre. Fin 2008, un éleveur de lait pouvait vendre son lait 390-400 euros la tonne ; en 2009, il va le vendre 220-230 euros la tonne, presque moins 50 %. Un producteur de céréales, il y a un an, il vendait sa tonne de céréales 300 euros la tonne, aujourd'hui il la vend 120-130 euros la tonne, avec en plus, je rajoute ce point important, une parité euro-dollar qui lui est totalement défavorable à l'exportation. Il faut impérativement stabiliser les prix pour stabiliser le revenu des agriculteurs.
Vous allez le pouvoir de le faire, ça ?
Ca, je crois que c'est vraiment l'objectif de long terme. On est aujourd'hui en plein sommet de Copenhague, on s'attaque à l'échelle mondiale à réguler le climat. On a essayé, cette année, sous l'impulsion d'A. Merkel et de N. Sarkozy, de réguler la finance mondiale. Je crois qu'il est urgent de s'attaquer à la régulation des marchés agricoles mondiaux. Ils sont aussi importants en volume et en prix que les marchés financiers, et il n'y a, autour de ces marchés agricoles mondiaux, aucune régulation. Si nous ne y attaquons pas, et nous avons commencé à le faire dans l'Union européenne, nous aurons toujours des prix volatiles et donc des revenus instables pour les agriculteurs. C'est intenable pour les agriculteurs français, intenable pour les agriculteurs européens. Et prenons conscience aussi que c'est intenable pour tous les agriculteurs des pays en voie de développement qui doivent pourtant s'orienter vers l'indépendance alimentaire.
Entre réformer le capitalisme financier et la réforme effective, un certain nombre de mois voire d'années vont peut-être se dérouler. Combien de temps pour réguler les marchés des matières premières ? Avoir les outils pour le faire, déjà ?
Je pense que c'est une affaire d'années. Ça prendra du temps. C'est pour ça qu'il faut impérativement commencer par soutenir la trésorerie des producteurs et des exploitants agricoles en France, c'est l'objet du plan d'urgence qui a été annoncé par le président de la République, 1,6 milliard pour aider dans l'urgence la trésorerie des producteurs. Il faut en même temps prendre un certain nombre de décisions à l'échelle nationale pour mieux répartir la valeur ajoutée, faire en sorte que les producteurs s'y retrouvent mieux, c'est l'objet de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, qui sera présentée en début de l'année prochaine au Parlement français, avec notamment des contrats entre producteurs et industriels. Et ensuite, troisième étape, mais ce sont des étapes conduites en parallèle, il faut que l'Europe donne l'exemple.
En faisant quoi ?
Je me suis battu pour lancer l'appel de Paris, qu'on a lancé il y a une semaine, avec 22 Etats membres de l'Union européenne, et ça n'a pas été facile à obtenir, pour que nous affirmions haut et fort, que la PAC est une politique de régulation du marché. Il faut impérativement mettre en place à l'échelle européenne, des instruments de régulation du marché plus efficaces que ceux qui existent aujourd'hui. Je vous donne juste un exemple sur le lait : on sait très bien qu'on peut faire remonter le prix du lait en intervenant sur les marchés, en stockant le beurre et la poudre lorsqu'ils sont en excédent. Nous avons mis des mois avant de le faire à l'échelle européenne. Il a fallu que la France se batte avec l'Allemagne pour obtenir cette décision de la Commission et des autorités européennes. Ayons des instruments de régulation qui au lieu de réagir au bout de trois mois, en laissant les producteurs en grande difficulté, interviennent du jour au lendemain, plus rapidement et plus massivement sur les marchés.
Mais qu'est-ce que vous dites ce matin aux agriculteurs qui ont perdu 34 % de leurs revenus en 2009 ? Qu'est-ce que vous pouvez faire pour eux, dans les jours...je ne vais pas dire dans les heures, mais peut-être dans les heures aussi, dans les heures, dans les jours, dans les semaines qui viennent ?
Je leur dis que je m'occupe chaque jour, je dis bien chaque jour, de la situation de tous les agriculteurs de France, en prenant évidemment ceux qui ont les difficultés les plus importantes, pour essayer de leur trouver une solution adaptée à leur situation, parce que les situations sont évidemment très variables suivant qu'on est éleveur, producteur de lait, céréalier, ou producteur de fruits et légumes. Chaque jour, je fais le point. Chaque semaine, je vois N. Forissier, le médiateur nommé par le Premier ministre et par le président de la République, pour m'assurer que toutes les difficultés concrètes sur le terrain sont levées. Il faut que chaque agriculteur ait une solution à ses difficultés. Cela peut être un report de charges d'intérêts d'emprunt ; ça peut être un report de cotisations à la Mutualité sociale agricole ; ça peut être un nouveau besoin de trésorerie ; ça peut être un rééchelonnement de la dette ; ça peut être un accompagnement pour les exploitations les plus en difficulté - c'est le dispositif "agriculteurs en difficulté" qui a été doté de 100 millions d'euros. Il y a l'argent nécessaire pour apporter des réponses concrètes. Maintenant, je m'assure tous les jours que cet argent va bien directement dans les exploitations des agriculteurs qui en ont besoin.
Ce n'est pas évident que les pays aient une agriculture, certains pays qui en avaient n'en ont plus, la France a gardé la sienne. Estelle en danger de mort l'agriculture française ?
Je crois que c'est une excellente question, qu'on a un peu oublié de se poser. Je veux insister sur le fait que l'agriculture, comme l'industrie, est délocalisable, et que si nous n'y prenons pas garde, si nous ne soutenons pas nos agriculteurs, si nous n'avons pas une politique agricole commune forte, nous verrons les exploitations fermer, ces exploitations ne rouvriront pas, nous perdrons des compétences, et nous perdrons une vitalité économique essentielle pour le pays, qui est l'agriculture française. Ce n'est pas donné, que dans dix ans ou dans vingt ans, nous continuerons à produire des tomates, des pommes de terre, des fruits en France. Ce n'est pas donné que nous garderons un élevage en France pour fournir de la viande pour tous les Français ou pour tous les Européens. Tout ça, c'est un choix politique. Ce choix politique, il faut l'assumer, et il faut donner les moyens aux agriculteurs de continuer leur activité dans de bonnes conditions.
Mais on entend la volonté politique, si j'ose dire, on entend également que vous êtes un ministre démuni, que vous n'avez pas les leviers nécessaires pour réguler les choses, que vous n'avez, au fond, donc pas les moyens de vos ambitions, ou en tout cas, pas le pouvoir de faire des choses.
Si on entend ça monsieur Demorand, c'est qu'on m'a mal compris.
Vous l'avez dit, "le marché n'est pas régulable", or le marché est au coeur de tout.
Non, je dis que à l'échelle mondiale, parce que je ne suis pas là pour vendre des illusions, le marché à l'échelle mondiale ne sera pas régulé en l'espace de six mois. Regardez le temps qu'on a mis pour mettre en place une régulation sur le climat, et on n'y est pas encore. Mais nous ne sommes pas démunis. A l'échelle européenne, lorsque nous nous battons avec l'Allemagne pour obtenir une intervention massive sur les marchés du lait, à partir du début du mois de juillet, et pour obtenir une régulation des marchés du lait, nous obtenons 600 millions d'euros d'intervention de la Commission européenne pour stocker le beurre et la poudre, et faire en sorte que les prix remontent. Les prix ont remonté aujourd'hui. J'avais un contrat avec les agriculteurs et les producteurs de lait, qui était de faire remonter les prix à l'échelle internationale sur le marché, nous avons fait remonter les prix. Les prix du lait sont aujourd'hui 30 % supérieurs au prix d'intervention sur le marché, ils étaient inférieurs de 20 % il y a encore quelques mois. Donc, nous avons fait bouger les choses, nous avons une capacité d'intervention. Ce que je veux dire c'est que j'aimerais bien ne pas avoir à intervenir, précisément. J'aimerais que les prix soient suffisamment stables et rémunérateurs pour tous les agriculteurs, qu'ils n'aient pas à aller toquer à la porte du ministre. Cela ne plaît aux agriculteurs d'aller toquer à la porte du ministre pour réclamer, soit des subventions soit une intervention sur les marchés. Ce qu'ils souhaiteraient, et c'est parfaitement légitime, c'est que nous soyons suffisamment habiles et suffisamment déterminés pour arriver à stabiliser les prix à l'échelle européenne et à l'échelle mondiale.
Le président de la République a explicitement inscrit l'agriculture dans l'identité nationale française autour de l'idée de la terre. Ce débat sur l'identité est en train de déraper d'après vous ?
Je crois que c'est un débat utile. Je pense quand on s'occupe d'agriculture et de pêche, on sait que ce sont des parties de l'identité nationale, importantes. Je vois d'ailleurs que chez les agriculteurs, chez les pêcheurs, il y a une vraie interrogation sur l'évolution du monde, vous le disiez vous-même, est-ce que finalement on va garder notre agriculture, notre pêche ? Ma réponse est oui, clairement oui, avec beaucoup de détermination, mais il y a une interrogation.
Sur le débat alors ?
Simplement, moi je mets deux conditions au bon déroulement de ce débat. La première condition, c'est que chacun garde sa sérénité, fasse attention aux mots qu'il emploie et sache bien que dans ces débats, on touche à l'histoire de chacun, à la mémoire de chacun. Et donc que ce débat ne peut marcher que s'il y a un vrai respect de part et d'autres de la part de chaque personne qui s'exprime.
Vous trouvez que ce n'est pas le cas ?
Je dis que c'est une condition du succès de ce débat utile. La deuxième condition qui me paraît importante, c'est que nous n'oublions pas qu'une partie de plus en plus importante de notre identité se joue à l'échelle européenne. Je le vois là aussi comme ministre de l'Agriculture et de la Pêche, la grande question pour nous c'est qu'est- ce que nous allons faire de notre identité nationale en Europe ? Et qu'est-ce que nous allons construire comme identité européenne dans les années à venir ? Je souhaiterais que cette partie du débat, qui est parfois un peu occultée, occupe une place plus importante, parce que je crois que c'est là que se joue une part essentielle de l'avenir de chaque Français.
Voilà pour les propositions de recadrage. Si vous deviez faire un bilan d'étape de ce débat, tel qu'il s'est déroulé aujourd'hui, il vous navre, il vous inquiète ? Quel est votre sentiment ?
Je pense que, une fois encore, c'est un débat utile, un vrai débat de fond.
Mais ce qu'il fait ressortir ?
Je pense que la responsabilité des politiques, c'est précisément de donner des directions. Moi, j'en donne deux : le respect et l'Europe.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 janvier 2009