Texte intégral
A. Caron.- L'année 2009 aura été une année très dure pour les agriculteurs français, mais ça a aussi une année difficile pour vous. Syndicaliste, président de la FNSEA, le premier syndicat agricole, puisque vous avez été contesté, bousculé physiquement, à Rennes, en septembre, par les producteurs de lait en colère, la même chose s'est reproduite un peu plus tard au Salon de l'élevage dans le Puy-de-Dôme, là, c'était les producteurs de viande bovine. Vous avez été surpris par ces manifestations d'hostilité ?
Oui et non, parce que je comprends que les producteurs expriment leur colère. Je pense que quand ils s'adressent au président de la FNSEA, ils se trompent de cible. D'ailleurs, au sommet de l'élevage, c'est plus le ministre de l'Agriculture qui était visé que le président de la FNSEA. Mais c'est vrai que...
Certains ont réclamé votre démission dans les cris, les slogans...
Certains oui, mais c'est facile de réclamer la démission du président de la FNSEA quand on n'est pas adhérent à la FNSEA.
Dans les manifestants, il y avait des adhérents de la FNSEA aussi.
Bien sûr, il y avait aussi des adhérents de la FNSEA parce que... Je comprends la colère des producteurs qui n'ont pas pu appréhender comme ils devraient la situation nouvelle des marchés parce qu'ils n'ont pas mesuré à quel point, malgré tout ce que j'ai pu dénoncer au fil des années passées, la manière dont l'Union européenne, puisque la politique agricole est européenne, a abandonné tout système de gestion des marchés. C'est pour ça d'ailleurs que le ministre actuel se bat autant pour remettre de la régulation dans les marchés.
On va en reparler dans un instant. Mais d'abord pour finir sur ce sujet, certains vous ont reproché d'être trop proche du pouvoir, vous avez failli être tête de liste UMP pour les européennes...
Oui, mais tout le monde sait très bien que je n'ai pas d'engagement politique, et que la demande ou plutôt la proposition qui m'avait été faite, c'était pour aller défendre l'agriculture au niveau européen. J'aurais pu faire ce choix, j'ai fait le choix de...
Cela veut dire que si le PS vous l'avait proposé, vous auriez réfléchi de la même manière ?
Mais absolument. Pourquoi je...
Vous ne vous sentez pas plus proche de l'UMP que du PS, ou d'un autre parti ?
Mais Attendez ! Dans la mission que je conduis, j'ai travaillé avec le PS au pouvoir, je pense qu'on ne peut pas me reprocher un manque d'objectivité, je pense que je me bats pour les agriculteurs, par rapport à tout ce qui peut se décider les concernant, que ce soit sur le plan national ou sur le plan européen. Et l'action que je mène a permis aussi d'obtenir un plan d'accompagnement auprès du Gouvernement, et il a fallu être compris de la part du chef du Gouvernement, F. Fillon, comme de l'Elysée, du chef de l'Etat, pour obtenir le plan de soutien, qui est insuffisant, permettez-moi...
Une dernière question sur votre cas personnel, et évidemment, on va parler évidemment de la situation des agriculteurs, si un jour vous deviez vous lancer en politique, vous choisiriez quel parti ?
Non, mais la question ne se pose pas. C'est tout simple, j'ai fait, j'ai choisi très clairement...
Vous y pensez un petit peu quand même ?
Pas du tout, la question ne se pose pas. Je vais terminer mon mandat à la FNSEA, tout le monde sait que je suis élu jusqu'en mars 2011, que j'ai l'intention de terminer ce mandat mais de ne pas en faire un autre. Maintenant, vous savez, il y a tant de choses à faire.
Ce ne sera pas la politique après ?
Non, non, je n'ai pas fait ce choix.
On revient à la situation des agriculteurs en France, vous avez réussi une opération d'envergure en septembre, en mobilisant 50.000 agriculteurs dans toute la France ; quelques jours plus tard, N. Sarkozy a annoncé un plan d'urgence important : 650 millions d'euros d'aides, 1 milliard d'euros de prêts bonifiés. Deux mois après ces promesses, on en est où ? Est-ce que ces aides ont réussi à faire respirer les agriculteurs ?
Elles sont en train de se mettre en place, et je pense que c'est plutôt assez efficace dans sa mise en place, parce que, tant au niveau des charges qui pèsent sur les agriculteurs, je pense en particulier aux charges sociales mais surtout au ballon d'oxygène que j'ai réclamé, c'est-à-dire, toute une dynamique de prêts, les choses sont bien en route, et je pense que le calendrier tel qu'il a été prévu pour la fin février pour les prêts de trésorerie, les quelques mois complémentaires pour des prêts de consolidation, tout cela sera en place. J'ajoute même que s'il y a besoin de plus de moyens, le Gouvernement ne devra pas hésiter à les mettre, je pense en particulier à tout ce qui est soutien à la trésorerie, parce qu'on va s'apercevoir au printemps, lorsque dans l'ensemble des productions, il y aura besoin de faire ses achats pour l'année 2010, que la trésorerie va être extrêmement tendue, et qu'il va y avoir certainement besoin de la compléter.
La future loi de modernisation de l'agriculture sera présentée en janvier en Conseil des ministres, une loi qui doit notamment préparer les agriculteurs à passer le cap de la nouvelle PAC, avec cette idée, que les agriculteurs doivent être moins dépendants des aides. Est-ce que vous partagez la philosophie générale de cette loi de modernisation de l'agriculture ?
En tout cas, il faut préparer les agriculteurs à l'évolution de la politique européenne, on ne peut pas envisager l'avenir des producteurs sur la base des politiques d'aides. Des aides, il y en a besoin, mais il y a d'abord besoin de mieux nous organiser sur le plan économique, au niveau de notre offre, vis-à-vis aussi de la grande distribution, pour tirer un maximum de valeur ajoutée et assurer l'essentiel de notre revenu par les prix, donc par la vente de nos produits. Et j'espère que cette loi permettra d'avancer sur le plan de l'organisation des producteurs.
Votre bilan de l'année 2009, on en parlait tout à l'heure, est vraiment très difficile pour les agriculteurs. Est-ce que, selon vous, la France est en train de perdre ses agriculteurs et son modèle agricole ?
En tout cas, je ne l'espère pas, mais elle perd des parts de marché. Parce que, lorsque nous nous battons contre des prix très bas et avec, vous avez rappelé la manifestation du 16 octobre pour obtenir aussi des compléments d'aides aux revenus, malheureusement nous avons des concurrents européens qui, avec certaines facilités - je pense en particulier dans le secteur des fruits et légumes et un coût du travail moins élevé- nous prennent des parts de marché, et ça ce n'est pas tenable. Donc il faut impérativement redonner de la compétitivité à nos producteurs français, c'est l'objet aussi de la loi de modernisation ; et faire en sorte qu'il n'y ait pas de distorsion de concurrence à l'intérieur de l'Union européenne. Notre politique agricole elle est commune et en même temps on est amenés à constater que sur le plan de l'utilisation des produits phytosanitaires, des médicaments, du coût du travail, il y a des avantages dans d'autres pays de l'Union européenne que nous n'avons pas en France.
Quel est votre pronostic pour 2010 ? Est-ce qu'il est sombre ?
L'année ne peut pas être pire que celle que nous avons vécue en 2009. Donc, j'espère que les prix vont remonter, ils ont commencé à remonter quelque peu dans le secteur laitier. Nous allons surtout avoir la mise en place d'un nouveau commissaire européen à l'Agriculture. J'espère que la politique agricole européenne ne va pas attendre 2013 pour changer d'orientation pour être moins libérale. Il faut remettre de la régulation dans le marché agricole. On ne peut pas laisser les producteurs à la volatilité des marchés et donc à une forte volatilité des prix. Ce que nous constatons en 20009, des prix extrêmement bas et insupportables.
Plusieurs fois cette année, N. Sarkozy a défendu l'idée que l'agriculture fait partie de l'identité nationale française, à cause, a-t-il dit, du rapport singulier des Français avec la terre. Est-ce que vous avez surpris d'être mêlés au débat sur l'identité nationale ?
Je pense qu'on est une partie du patrimoine, en tout cas culturel de notre pays, parce que quand on parle des vins français à travers le monde, ou d'autres produits dont on parle beaucoup d'ailleurs pendant ces fêtes de Noël et de fin d'année, je pense qu'on ne doit pas être dans le débat de l'idée nationale telle qu'on le vit actuellement. Je crois que c'est l'affaire des politiques mais pas du domaine agricole.
Donc, selon vous, l'agriculteur ne fait pas partie de ce débat, on est d'accord ?
Elle n'a pas à faire partie de ce débat, mais en revanche, je pense que notre agriculture, et d'ailleurs les millions d'étrangers qui visitent notre pays chaque année, qui goûtent au savoir-faire de l'agriculture française et aux excellents produits de nos terroirs, goûtent à la culture française mais ce n'est tout de même pas un élément d'identité comme on peut le soutenir.
Une dernière question sur cette vague d'écologie qui a gagné la France en 2009. Récemment, vous avez déclaré que vous étiez pour le développement durable, mais pas trop. Vous avez ajouté que vous étiez confronté à des distorsions à l'intérieur même du marché européen et que du coup, il fallait être pas trop exigeant en matière de développement durable. Ca veut dire qu'aujourd'hui vous êtes obligé de vous prononcer politiquement en faveur de l'environnement, mais qu'au fond, vous dites : il ne faut pas trop en faire ?
Je n'ai pas attendu d'ailleurs 2009, parce que j'ai soutenu la démarche du Grenelle de l'Environnement, mais ce que je dis en même temps, c'est qu'il faut entraîner les pays voisins dans la même dynamique, parce que si les producteurs français font des efforts, s'obligent à un ensemble de règlementations supplémentaires et que le concurrent allemand, italien, espagnol ou des derniers pays entrés dans l'Union - je pense à la Pologne en particulier - ne viennent pas à avoir les mêmes exigences, c'est la production agricole française qui va être mise à mal. Donc, ce que je veux, moi, c'est aller de l'avant et que les autres nous suivent.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 janvier 2010