Point de presse de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la mobilisation et la coordination des secours d'urgence à Haïti, Paris le 14 janvier 2010.

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Circonstance : Séisme à Haïti le 12 janvier 2010

Texte intégral

Bonjour, que s'est-il passé depuis hier soir ? Nos trois avions moyen-porteurs venus de Martinique avec un nombre impressionnant d'équipes de secours, se sont posés sur l'aéroport. Celui-ci n'est bien sûr pas très bien équipé, puisqu'il n'y a pas suffisamment d'électricité, de moyens de contrôle aérien, etc. Il y a une équipe de la sécurité civile avec des moyens de recherche, du matériel médical, des médecins et des infirmiers.
91 blessés ont été évacués sur la Martinique dans la soirée. Vous le savez, à Haïti, les hôpitaux fonctionnent mal puisqu'ils ont été très endommagés. L'avion gros-porteur, qui est parti hier de Paris en passant par Istres se posera à Haïti dans quelques heures. Il ne peut se poser que de jour et le jour se lève en ce moment à Port-au-Prince en Haïti. Je ne sais donc pas très bien à quel moment - dans quelques heures - notre gros-porteur sera en position de décharger notamment l'hôpital mobile qui doit être installé. Il s'agit là de l'aide immédiate. De leur côté, les ONG multiplient leurs efforts et tentent de parvenir autour de Port-au-Prince et dans la région immédiatement adjacente d'Haïti où, semble-t-il, il y a quelques dommages. Pour le reste, on n'a pas pu observer précisément l'état des lieux.
S'agissant de la coordination avec les Américains, nous avons des rapports très étroits, je vous l'ai dit, avec Mme Clinton et avec le centre d'urgence de Washington. Il y a également des contacts et un suivi très précis entre les deux ambassadeurs, l'ambassadeur Le Bret, bien sûr, et l'ambassadeur américain, dont l'ambassade n'a pas été atteinte contrairement à la nôtre. Vous savez qu'un porte-avion nucléaire américain devrait arriver dans la journée.
Nous avons également des contacts très étroits avec Mme Ashton et avec Margaud Walström pour que l'effort européen soit coordonné, en particulier en ce qui concerne les bâtiments hôpitaux - ceux-ci pourraient gagner la périphérie de la crise - et puis tout ce qui concerne les moyens militaires en terme d'avions, d'hélicoptères, etc. Il y a beaucoup de problèmes, notamment de déchargement. Pour ma part, je me suis entretenu avec mes homologues espagnol et allemand. Il y a vraiment une coordination européenne et Mme Ashton se démène. Il faut comprendre que la Haute représentante de l'Europe vient de prendre ses fonctions - par rapport au commissaire qui était responsable d'ECHO, l'organisation humanitaire européenne - mais pourtant cela ne marche pas mal.
Nous souhaitons recevoir les représentants de la communauté haïtienne aujourd'hui. Leur montrer le Centre de crise, la façon dont nous essayons de correspondre avec leurs familles. Beaucoup d'Haïtiens veulent partir. Je comprends très bien qu'ils veuillent se rendre auprès de leur famille, mais notre devoir est d'envoyer d'abord des secours. Premièrement, les Haïtiens vont devoir et faire en sorte de comprendre que le Centre de crise ici c'est leur Centre de crise.
Deuxièmement, nous souhaitons nommer un ambassadeur, Pierre Duquesne, à la tête d'une cellule interministérielle qui serait chargée de coordonner non seulement la distribution nationale et européenne, mais internationale - cela dépendra un petit peu des rapports avec les autres, c'est sûr - et surtout déjà la reconstruction. Déjà penser à la reconstruction, c'est-à-dire qu'on pourrait imaginer ensuite une collecte d'argent, une réunion des contributeurs. Pierre Duquesne est un homme qui aura un rôle interministériel, je le dis, avec Matignon, avec divers ministères en particulier la Santé, l'Intérieur, la Défense, etc. Pierre Duquesne est celui qui a organisé la Conférence sur l'Afghanistan, celle sur le Moyen-Orient, la Conférence de Paris, qui furent des succès, très grands succès d'ailleurs.
Vous savez, il va bientôt y avoir des problèmes comme dans toute catastrophe naturelle : d'assainissement de l'eau, d'hébergement, d'approvisionnement en nourriture, en médicaments, etc. Nous envoyons donc le plus possible de spécialistes de ce genre de choses.
Qu'est-ce que nous imaginons ? Nous imaginons que de plus en plus et de plus en plus vite, on parlera de l'après-crise, de l'après-drame, qui demeurera un drame mais il faut donner de l'espoir aux gens. Cet espoir ne réside pas seulement dans la recherche des disparus, dans l'acharnement - bien sûr - à rechercher les disparus. Très vite, il faudra procurer une vision un peu plus optimiste sur les conditions faites à la vie quotidienne en Haïti après le tremblement de terre. Nous nous concertons avec les ONG aujourd'hui. Nous organiserons pour le groupe d'amitié parlementaire France-Caraïbes une visite du Centre de crise. De nombreuses idées flottent dans l'air : comment par exemple trouver des contributeurs au forum de Davos ?
Nous n'avons pas d'autres nouvelles à propos des victimes ou des rescapés parce que c'était la nuit. On imagine avec beaucoup d'émotions les personnes sur place, à la recherche de nourriture, d'un endroit où dormir, à la recherche des leurs, une espèce d'errance pénible. Nous n'avons pas plus de chiffres ; ceux que nous avons sont variables.
Q - Juste une question concernant l'hôpital mobile, le porte-parole m'avait dit ce matin qu'il devait partir plus tard, le confirmez-vous ou pas ? Et concernant le nombre de blessés ?
R - Il va partir dans la journée
Q - J'avais compris qu'il partait avec les trois moyens porteurs qui sont déjà partis, c'est cela qui n'était pas clair ?
R - Non, l'hôpital mobile doit partir dans la journée parce qu'il doit se poser de jour comme je vous l'ai dit. Il faut qu'il parte vers 20h00 (ou 22h00, 23h00) afin d'arriver en plein jour en Haïti. On a maintenant l'expérience avec le gros-porteur qui n'a pas pu atterrir.
Q - Concernant les personnes qui ont été rapatriées sur les Antilles françaises ? Vous confirmez qu'il y a 91 blessés ou c'est 91 personnes parmi lesquelles des blessés ?
R - Sur les 91 personnes, il y a sept blessés graves. Les autres sont légèrement blessées, choquées. Il y a également des familles avec de très jeunes enfants.
Q - Il s'agit de ressortissants français ?
R - Oui, ce sont des ressortissants français qui ont été évacués. Ce sont désormais près de 260 personnes qui sont regroupées aux deux points de rassemblement. Les gens regagnent l'ambassade, la résidence.
N'oubliez pas que vous pouvez téléphoner à nos agents du Centre de crise du Quai d'Orsay. Certes, ils sont débordés parce qu'il y a des centaines d'appels, mais il faut absolument répondre clairement aux questions que tout le monde se pose légitimement.
Malgré la rapidité avec laquelle la France, mais aussi les Etats-Unis ont réagi, il était encore difficile hier soir, avec Mme Clinton, de savoir comment on allait coordonner, comment cela allait se passer. Néanmoins, ce qui est formidable, c'est qu'avant même que l'on soit sur le terrain, les choses se sont harmonisées. Il y a des efforts faits de la part d'autres pays, que ce soit les Espagnols, les Allemands... Ils envoient des avions, ils sont eux-mêmes en alerte. Tout cela va se poursuivre. Ce qui est probable cependant c'est un engorgement de l'aéroport parce qu'il n'y a pas assez de camions pour évacuer, il n'y a pas d'essence, pas de chemins... les choses les plus élémentaires manquent.
Q - Vous avez dit, il y a les secours français qui sont sur place, il y a 50 Chinois qui sont arrivés, il y a les Américains, les Espagnols, les Allemands. Comment peut-on assurer sur place, comment peut-on coordonner dans le domaine de la coopération, non pas chacun de son côté, je sais que c'est dur de le faire mais il faut quelqu'un sur place ?
R - Cela pourrait être les Chinois qui ont l'habitude de coordonner beaucoup de monde, d'une façon particulière et réussie... C'est en effet toujours le problème. Il y a une espèce de compétition des secouristes qui parfois peut se transformer en obstacle, je vous l'ai dit hier.
Ne faisons pas de cette présence sur les lieux, de cet acharnement à y être, un obstacle pour nos amis haïtiens parce que leurs services sont désorganisés et de toute façon les nôtres aussi!
Déjà la coordination entre les ONG, c'est quelque chose de rêvé, vous comprendrez que la coordination entre les Etats, les ONG et un Etat en période de catastrophe naturelle est vraiment très difficile.
Cela se met en place. Il faudra le faire, je ne doute pas d'ailleurs, à la suite de ma conversation avec Hillary Clinton, que la secrétaire d'Etat soit assez encline à demander aux Américains de le faire parce qu'ils seront plus nombreux que les autres avec l'arrivée de leur porte-avion. Il est possible qu'ils puissent s'organiser sur le terrain mieux que les autres. Nous, nous n'avons pas les effectifs, mais ce qui existe déjà et qui marche bien ce sont les soldats des Nations unies. Il y a près de 10.000 soldats des Nations unies, ils ne se trouvent pas tous à Port-au-Prince mais de nombreux y sont, comme des gendarmes français. Ils ont, pour le moment, déjà particulièrement facilité l'accès. Comment voulez-vous qu'ils déblaient tout cela ? Il faut des engins mécaniques...
Nous avons aussi parlé avec M. Ban Ki-moon, qui me rappellera ce soir. Il a une douleur et une conscience de ce malheur très vives. Dans le bâtiment des Nations unies, il y avait de nombreuses personnes, membres de la MINUSTAH, qui n'ont pas encore été retrouvées.
Q - Vous aviez évoqué une cinquantaine de ressortissants français disparus. Avez-vous pu entrer en contact avec eux ?
R - Nous ne sommes pas entrés en contact avec chacun d'entre eux. Je constate simplement que des Français en plus grand nombre ont pu regagner les points de rassemblement. Il y en a probablement d'autres mais, vous le savez, notre ambassadeur et ses agents sont complètement débordés. On ne peut pas leur demander l'impossible - ils font d'ailleurs déjà l'impossible. Nous avons évidemment renforcé le personnel de l'ambassade. Ces renforts arriveront avec l'avion d'aujourd'hui. Dès qu'ils seront sur place, Didier Lebret et ses amis seront soulagés. On ne peut pas leur demander des résultats immédiats sur les recherches : ils ne peuvent pas se déplacer, ils ne connaissent pas les adresses précises, les rues ont disparu... C'est très difficile.
R - M. Mostura, directeur du Centre de crise - On retrouve un certain nombre de Français mais, en même temps, on nous signale d'autres disparitions. L'ordre de grandeur du nombre de Français disparus demeure d'une cinquantaine.
Q - D'autres opérations sont-elles prévues depuis la Martinique ?
R - Bien sûr, à partir de gros-porteur et d'autres avions. Il y a également trois bâtiments de la Marine nationale qui sont prêts, dans la région, à gagner Haïti si c'est utile et si on peut utiliser à quai les installations qui sont certainement endommagées.
Q - Pourrez-vous intervenir rapidement ?
R - S'il y a des blessés, on ne pourra pas les traiter tout de suite. Je connais bien l'hôpital de campagne, il faut quand même un certain nombre d'heures pour le monter. De plus, la résidence de France est très en pente et il faut dégager une surface plane.
Q- Avez-vous des informations concernant l'état actuel du gouvernement haïtien ? On dit qu'une bonne partie des responsables sont décédés ?
R - Je n'ai pas encore un état précis. Nous avons entendu le Premier ministre s'exprimer, demandant de l'aide. De nombreuses personnes proposent de l'aide et demandent de s'embarquer sur nos avions. Pour le moment, nous ne pouvons pas apporter de réponse précise. Le président Préval s'est manifesté dans la soirée mais je ne connais pas l'état exact de son gouvernement. Haïti est, avec le Burkina Faso, le pays le plus fréquenté par les ONG. Toutes veulent se précipiter pour aider ce pays qu'elles connaissent bien.
Q - La gestion de la crise va t-elle s'organiser de l'Elysée ?
R - La gestion de la crise s'organise au ministère des Affaires étrangères. La réunion que tiendra le président de la République est indispensable, mais nous ne l'avons pas attendue pour gérer la crise. Nous lui ferons le récit des services mis en place. Il y aura une position nationale, ne serait-ce que pour l'organisation future.
Q - Qu'en est-il du Lycée français ? Est-il épargné ?
R - Il a été épargné. De nombreux Français s'y sont donné rendez-vous, puis on les a redirigés vers l'ambassade et la résidence, puisque c'est là qu'un certain nombre de moyens sont concentrés. On avait pensé au Lycée français pour installer l'hôpital mobile ; l'ambassadeur Le Bret a préféré que ce soit ailleurs, sans doute pour des raisons de sécurité.
Q - Avez-vous le nombre de personnes rassemblées sur le site de l'ambassade et de la résidence de l'ambassadeur ?
R - Le dernier chiffre que nous avons eu est de 260 personnes, mais ce chiffre varie. Certains partent parce qu'ils peuvent retourner chez eux, d'autres pour éviter que leurs biens soient pillés.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 janvier 2010