Texte intégral
Je ne partage pas complètement, Monsieur le Président, votre opinion sur l'efficacité des secours. Pour avoir connu beaucoup de catastrophes de ce genre, même si elles n'étaient pas toutes de la même ampleur, je crois qu'il faut plutôt se féliciter de la solidarité internationale, aussi imparfaite soit-elle, comme elle l'est toujours, et aussi difficile que soit la coordination. Qui se piquerait de coordination s'infligerait d'ailleurs bien des déboires. Il arrive, du reste, que les victimes et leurs familles parviennent à improviser elles-mêmes leur prise en charge.
De ce point de vue, nous avons des leçons à recevoir du peuple haïtien : face à une catastrophe aussi considérable, dans un malheur aussi extrême, il ne s'est pas abandonné autant qu'on l'a dit à la révolte et au pillage. Mais il ne s'agit pas là de se livrer à une compétition dans le malheur : il y en a toujours trop.
La France a été la première puissance à intervenir, avant la Chine et l'Islande, et son intervention a dépassé les deux autres par son ampleur et son efficacité, grâce notamment à des sauveteurs de la sécurité civile et de la défense, très compétents et expérimentés. Nous sommes donc intervenus très rapidement - jamais assez rapidement, certes - et assez efficacement face à des ravages dont on n'avait pas soupçonné l'ampleur. Les chiffres que je vais vous indiquer sont à prendre avec prudence, car il est encore impossible de connaître avec certitude le nombre de morts. Certains parlent de 70.000 victimes enterrées : je n'y crois pas et j'espère que nous pourrons apprendre que le nombre de victimes a finalement été revu à la baisse, comme c'est souvent le cas après les tremblements de terre. Mais on peut déjà tabler sur au moins des dizaines de milliers de morts.
Les blessés seraient au nombre de 250.000, mais il est très difficile de faire la part entre les blessés les plus graves, qui nécessitent une intervention immédiate, et les autres, dont le traitement est moins urgent. Quant aux sans-abri, ils seraient plus d'un million.
Le nombre de nos sauveteurs en Haïti est passé de 641 à 920 aujourd'hui, dont au moins 580 personnels du ministère de l'Intérieur et près de cent gendarmes. Le corps d'un des deux gendarmes dont nous étions sans nouvelles a, hélas ! été retrouvé ce matin dans les décombres du bâtiment de la mission des Nations unies.
C'est donc environ 1.000 personnels français qui sont engagés en Haïti, dont près de 250 sauveteurs. Cette mobilisation n'est certes pas comparable avec celle d'autres Etats, mais je ne partage pas votre sentiment, Monsieur le Président : l'Europe s'est mobilisée très vite. Il faut rappeler que Mme Ashton n'est à la tête de la diplomatie européenne que depuis une dizaine de jours, et ne dispose pas encore d'un personnel suffisant.
Par ailleurs, la France contribuera à hauteur de dix millions d'euros à l'aide humanitaire d'urgence des Nations unies, ce qui portera à au moins vingt-quatre millions le montant de l'aide humanitaire française. En tout, l'aide humanitaire d'urgence de l'Union européenne s'élève à 122 millions d'euros, dont 30 millions débloqués par la Commission et 92 millions en provenance des Etats membres.
L'Union européenne mobilise également ses instruments financiers, en particulier le Fonds européen de développement, en vue d'une aide non humanitaire d'un montant de 100 millions d'euros. Cette aide est destinée à renforcer les capacités d'action de l'Etat et du gouvernement haïtiens, qui sont extrêmement faibles, voire inexistants. A terme, il reviendra à la réunion prévue le 25 janvier à Montréal de préciser les modalités d'une éventuelle conférence internationale des donateurs pour Haïti, laquelle devrait se tenir en mars. L'Union européenne devrait décider à cette occasion l'octroi d'une contribution supplémentaire de 200 millions d'euros pour commencer à financer la reconstruction.
Certes, cette perspective est encore éloignée, et nous ignorons quel sera le coût global de la reconstruction, d'autant qu'il n'est pas encore possible d'évaluer l'ampleur des dégâts et le nombre d'habitations détruites. On dit que certains quartiers sont détruits à 20% et que, dans d'autres, la moitié des habitations sont endommagées.
Je crois que l'Union européenne a été relativement efficace. Les pays européens ont ainsi envoyé un grand nombre d'hôpitaux mobiles, nécessaires à la chirurgie d'urgence - je pense notamment à l'Italie, à l'Espagne et aux Pays-Bas. Ces efforts nationaux ont précédé l'effort européen, parce que les réactions nationales ont été spontanées, avant d'être coordonnées. La réunion extraordinaire des ministres européens de l'Aide au développement qui s'est tenue lundi, sous la présidence de Mme Ashton et en présence de Miguel Angel Moratinos, représentant la Présidence espagnole de l'Union européenne, nous a permis de déterminer une ligne d'action commune. L'Union européenne poursuit, au moins pour quelques jours, son aide humanitaire d'urgence, et manifeste sa volonté d'aider à la reconstruction, afin de donner de l'espoir aux Haïtiens. L'Office d'aide humanitaire de l'Union européenne, ECHO, était d'ailleurs sur le terrain dès vendredi, ce qui n'est pas mal.
Nous étions, quant à nous, présents dès mardi soir ; le Centre de crise du ministère a été sollicité de tous côtés, et pas seulement par les autres pays européens. Il est vrai que nous avons assuré une excellente coordination avec le ministère de la Défense, celui de la Santé, celui de l'Intérieur et tous les ministères concernés.
Certes, ce ne sera jamais entièrement satisfaisant, mais c'est beaucoup mieux que ce qu'on pouvait faire il y a dix ans. Imparfait, incomplet, mais fraternel.
Q - (à propos de la rapidité de l'intervention française et de la situation des Haïtiens en France)
R - Beaucoup de vos questions se recoupent, même si chacune d'elles est originale. Je voudrais, avant de vous répondre, remercier tous ceux qui ont manifesté leur satisfaction devant l'efficacité du centre de crise et de la coordination française.
M. Lecoq, le premier avion à arriver en Haïti venait de la Martinique. Ce département compte d'ailleurs un grand nombre de Haïtiens : 20.000, voire 40.000 si on tient compte des clandestins. Cela va d'ailleurs poser des problèmes : le Conseil des ministres a évoqué ce matin la question des visas, notamment dans le cas où, comme cela serait légitime, un certain nombre des demandeurs voudraient assister aux funérailles de membres de leur famille. Pour le moment, nous faisons preuve d'une souplesse absolue en ce qui concerne les Haïtiens qui sont arrivés en France ou ceux qui devaient s'en aller avant la catastrophe : ceux-là verront leur visa prolongé.
Q - (à propos du rôle de la France et du mandat des Nations unies en Haïti)
R - Vous nous enjoignez de nous mettre à la disposition des Haïtiens : nous sommes déjà à la disposition de la représentation des Haïtiens, que vous êtes quand même un certain nombre à juger plus démocratique qu'auparavant : comment faire autrement ? Voudriez-vous une mainmise sur le pays ? Selon quel mandat ? Le seul mandat, c'est celui des Nations unies, fixé par les résolutions du Conseil de sécurité. C'est plutôt au risque de compétition entre les Nations unies et les Etats-Unis que nous devons prendre garde. En effet, 9.500 Casques bleus étaient déjà présents en Haïti, 3.000, puis 4.000 à Port-au-Prince, sous la direction aujourd'hui décapitée, de nos amis, de Marc Plum en particulier. Ce sont en effet 43 cadres des Nations unies qui ont péri dans le séisme, et plus de 600 ont disparu.
Le mandat existe donc bien : nous n'allons pas le réinventer. A mon avis, c'est l'occasion de renforcer le système des Nations unies. Je ne vois pas d'autre solution.
Notre excellent ambassadeur en Haïti - j'avais été l'installer il y a deux mois et demi, et j'avais rencontré à cette occasion Hedi Annabi, représentant spécial pour Haïti, et son adjoint Luis da Costa, M. Coates et bien sûr M. Plum - a pris contact avec le Premier ministre, Jean-Max Bellerive, M. Préval n'étant pas encore accessible, pour se mettre à la disposition de ce qui subsistait de l'autorité et de la réalité du gouvernement haïtien.
Il faut se féliciter de la réaction nationale de chacun des vingt-sept membres de l'Union européenne, d'autant que certaines ont été très efficaces, même si nous ne nous sommes coordonnés que dans un deuxième temps. La coordination des secours, c'est bien sûr notre objectif à tous, mais c'est aussi la bouteille à l'encre, et si vous avez une solution pour accorder les ONG entre elles, allez-y, ne vous gênez pas ! Je pense, moi, que ce n'est pas possible. Si on parvient à assurer leur complémentarité, c'est déjà un succès formidable.
En tout état de cause, on ne peut pas les coordonner par avance, s'agissant de catastrophes par nature imprévisibles. Il est vrai que ce n'est pas la première fois, comme vous avez raison de le remarquer, Monsieur Muselier, que nous devons faire face à de telles catastrophes, et une expérience de quarante ans me fait penser que nous faisons des progrès en la matière.
Q - (à propos de l'influence française en haïti)
Je pense que les Haïtiens ne se font pas d'illusion sur nos intentions. Ils ont besoin de secours : on ne crache pas sur la main qui se tend. Il n'y a aucune arrière-pensée dans notre soutien. Mais il est vrai que l'influence française n'est pas absente d'une région où la France compte deux départements. Cela nous a été utile : tous les avions sont passés par la Martinique pour rallier la métropole, et l'accueil de la Martinique a été formidable.
Q - (à propos de la réaction des autorités haïtiennes)
Je ne vais pas établir un classement des Premiers ministres haïtiens, mais Michèle Pierre-Louis, qui a précédé Jean-Max Bellerive à ce poste et que nous avons reçue il y a quelque temps, était une représentante exceptionnelle de la société civile. Et si cette dernière s'est d'emblée mobilisée, l'intervention dès les premiers jours de Mme Pierre-Louis n'y est pas étrangère.
Q - (à propos de la constitution d'équipes susceptibles d'intervenir en Haïti, sur le terrain, sur le modèle des "Médecins sans frontières")
R - "Fonctionnaires sans frontières" existe déjà, de même qu'"Architectes sans frontières", "plombiers sans frontières", tout ce que vous voulez "sans frontières" : encore faut-il qu'ils soient acceptés. Ils le seront, mais pour l'instant, l'urgence est de parer au plus pressé, c'est-à-dire soigner. Nous sommes à quelques jours près : ensuite, il est déjà trop tard.
Q - (à propos de la coordination entre les différents acteurs de l'intervention en Haïti)
R - Je viens de recevoir un appel téléphonique de mon homologue brésilien, Celso Amorim, qui m'a demandé de venir à Montréal, alors que cette conférence ne devait théoriquement réunir que des experts : il semble vouloir être conforté dans son approche, sans doute quelque peu différente de celle des Américains. Je pense que je me rendrai au moins à la première réunion, dite "technique". Mais il y a une réalité géographique : l'Europe est loin, tandis que le Canada, les Etats-Unis et le Brésil sont aux avant-postes.
J'étais le seul représentant de l'Europe dans les conférences téléphoniques que nous avons tenues avec Mme Clinton, Lawrence Cannon, ministre canadien des Affaires étrangères, Celso Amorim et beaucoup d'autres ministres des Affaires étrangères d'Amérique Latine, notamment des Caraïbes : quoi d'étonnant, puisque c'est chez eux que cela se passe ? Cela ne veut pas dire que nous nous effaçons : certains pensent même que nous avons tendance à nous imposer.
Le manque de coordination que vous soulignez, Monsieur Janquin, nous le dénonçons à chaque catastrophe. Reconnaissons cependant que les choses s'améliorent. Il fut un temps où l'épidémiologie des désastres, discipline que j'ai eu l'honneur d'enseigner, qualifiait les secours de deuxième catastrophe, tant ceux-ci étaient marqués par la concurrence, le chaos et la précipitation.
Je ne dis pas que ceux-ci étaient totalement absents en Haïti, d'autant que le seul accès était l'aéroport dévasté de Port-au-Prince, dont le personnel avait été décimé par le tremblement de terre. Atterrir dans de telles conditions était quand même un exploit !
Q - (à propos de la rapidité de l'intervention française en Haïti)
R - Nous sommes arrivés le mercredi 13 janvier à douze heures cinq locales. Le 14 janvier notre deuxième vol est arrivé une demi-heure après les Chinois - je ne sais s'ils venaient de Cuba, de Saint-Domingue ou de la Guyane. Ils étaient cinquante, et je ne pense pas que leurs conditions d'installation égalaient celles dont nous avons bénéficié grâce à l'admirable travail de notre ambassadeur, Didier Le Bret. Celui-ci, dans l'énorme pagaille qui suit tout tremblement de terre et bien que lui-même blessé, a assuré la centralisation des secours et le regroupement des Français, alors que la résidence et l'ambassade de France étaient entièrement détruites, et avant que nous parvenions à rétablir la communication téléphonique avec lui.
Il est vrai que le Brésil, le Canada et l'Amérique constituent pour le moment l'armature. Mais les pays nous ont conviés et nous comptons bien faire entendre notre voix. Il ne s'agit pas de faire preuve d'arrogance et de jouer les "techniciens de la catastrophe", mais de rappeler les rapports historiques et affectifs qui nous lient au peuple haïtien.
Q - (à propos de la gouvernance en Haïti)
R - Je ne qualifierai pas de gouvernement d'opérette le gouvernement que s'est choisi le peuple haïtien : c'est toujours mieux qu'avant.
Quant aux Américains, que vous critiquez tant, n'oubliez pas que la dernière fois que nous sommes intervenus dans ce pays, pour mettre fin à la dictature d'Aristide en attendant l'intervention de l'ONU, c'était avec eux. Le président Obama n'ayant rien d'un impérialiste, nous ne pouvons que nous féliciter que ceux qui sont le plus capables d'assurer la coordination l'imposent. Cela ne veut pas dire que nous partageons les mêmes vues politiques. Nous, nous sommes venus de loin pour coloniser ; eux de plus près. Mais je ne crois pas qu'il faille leur jeter la pierre.
Quand Régis Debray recommande de faire d'Haïti la "pupille de l'humanité", il enjolive d'un beau nom la tutelle que les Nations unies exercent depuis des années sur Haïti, même si on peut s'interroger sur son efficacité. On peut remettre en cause les méthodes employées - fallait-il passer par les gangs ? - mais on ne peut nier les progrès accomplis par la MINUSTAH sous la direction d'Hedi Annabi, notamment en matière de sécurité. La France a ainsi fourni, en moins de trois semaines, des armes aux policiers formés par les Nations unies. On avait le sentiment que tout irait mieux, avant cette double catastrophe du séisme et de la décapitation de la mission des Nations unies.
Q - (à propos du soutien aux familles des victimes du séisme en Haïti)
R - Le centre de crise a reçu 11 500 appels hier soir, qui ont été traités par cinquante personnes travaillant jour et nuit à apporter une réponse personnalisée à chaque appel.
Demain matin, l'avion qui transporte en Tunisie la dépouille d'Hedi Annabi, accompagnée par Alain Leroy, secrétaire général adjoint des Nations unies, faisant escale à Roissy, je m'y rendrai pour la saluer.
Quant à notre ami Marc Plum, sa mort, qui fait partie du lourd tribut payé à la mission des Nations unies, nous concerne au premier chef, et j'ai été en contact permanent avec son épouse.
Q - (à propos des enfants haïtiens adoptés)
R - Je tiens très largement compte de la douleur des familles adoptantes. Mais je vous en prie : tous les bébés se ressemblent, et la souffrance est la même, qu'il s'agisse d'un bébé sans nom, d'un bébé en voie d'adoption, ou d'un bébé dont la famille est haïtienne. Je vous le dis très sereinement : la seule manifestation populaire suscitée par ce drame a eu lieu devant les grilles du Quai d'Orsay, non pour nous féliciter d'avoir été rapides ou nous reprocher d'avoir été incompétents : il s'agissait pour les familles adoptantes de se plaindre de ne pas recevoir leur bébé immédiatement...
Il faut distinguer entre l'adoption internationale et l'adoption individuelle. Nous avons amélioré la première : plus de 200 enfants vont arriver très vite en France parce que dossiers sont au stade du jugement et que les autorités haïtiennes y consentent. Mais les adoptions individuelles passent par des circuits qui sont exactement le contraire de ce que nous souhaitons. Ceux qui ont choisi cette voie protestent aujourd'hui parce qu'ils n'ont aucune garantie. Je comprends l'émotion d'adoptants qui sont parfois restés plusieurs semaines auprès de l'enfant. Nous nous efforcerons de retrouver le plus rapidement possible les documents en cause.
Q - (à propos du gouvernement haïtien)
Tout autant que vous, je déplore de voir le malheur s'acharner sur ce pays. Que reste-t-il du gouvernement ? Je l'ignore encore. J'espère que beaucoup de disparus vont réapparaître.
Q - (à propos de la coordination des actions avec les Etats-Unis en Haïti)
R - Je suis en contact avec Hillary Clinton depuis mercredi, et depuis jeudi l'"Operations Center" de Washington et notre Centre de crise sont en contact une bonne dizaine de fois par jour pour coordonner leurs actions. C'est ainsi que nous pouvons joindre la tour de contrôle de l'aéroport de Port-au-Prince dès que nous en avons besoin. Tout n'est certes pas parfait et nous avons été débordés. Mais 650 avions sont quand même parvenus à se poser sur l'aéroport de Port-au-Prince.
Il n'y a évidemment pas de compétition entre nous. Mais vous reconnaîtrez que le Centre de crise est bien utile et que, dans cette affaire, le mouvement diplomatique était déconnecté des réalités.
Q - (à propos du rôle des Nations unies dans le processus de reconstruction en Haïti)
R - Haïti se reconstruira sur la base du pouvoir haïtien, mais ce serait une erreur d'exclure les Nations unies du processus. Par ailleurs, les Nation unies ne s'opposent pas à la prise en charge technique par les Américains. Il s'agit maintenant de distribuer les rôles, mais on ne pourra pas, de toute façon, se passer d'un leadership : en l'occurrence il est sans aucun doute exercé par les Etats-Unis. Cela ne signifie pas que la France est absente, pas plus que le Brésil.
Q - (à propos des sites prévus pour la reconstruction en Haïti)
R - Quant à savoir sur quels terrains on reconstruira, mon expérience m'a enseigné qu'après un séisme on reconstruisait toujours au même endroit, tout simplement parce que les gens ne veulent pas renoncer à leur terre. On a voulu déplacer les villes qui avaient été détruites par les tremblements de terre les plus récents, au Pérou ou au Honduras, mais on s'est vite aperçu que ce projet était une vue de l'esprit. Les personnes qui ont un peu de terres, et a fortiori celles qui en possèdent beaucoup, reconstruisent au même endroit, même si c'est sur une faille.
Q - (à propos d'un projet de tutelle-assistanat en Haïti)
R - Votre projet de tutelle-assistanat est déjà réalisé, Monsieur Myard : comment voulez-vous qu'on assiste davantage un pays, sauf à tomber dans l'impérialisme absolu ? Par ailleurs, il ne faut pas confondre avec le Kosovo, où deux communautés luttent pour un territoire. Il valait mieux les séparer, au moins dans un premier temps, en espérant que l'Europe les réunirait. Ici, la rivalité ancestrale oppose les deux Etats d'Haïti et de Saint-Domingue, qui se partagent la même île, et les deux ont connu la dictature. Par parenthèses, Saint-Domingue s'est immédiatement proposée pour accueillir la conférence des donateurs, alors que nous avons proposé la Martinique.
Q - (à propos de l'utilité des conférences internationales)
R - Certaines conférences internationales ont été couronnées de succès : les deux conférences internationales des donateurs qui se sont tenues à Paris, celle pour les Territoires palestiniens et celle en faveur de l'Afghanistan ont rapporté des sommes considérables. Si nous n'avons pas encore dépensé les fonds destinés à la Palestine, c'est pour les raisons que vous imaginez, et qui ne sont pas seulement économiques. Une conférence des donateurs peut être utile, pourvu qu'on y implique la société civile. Si nous ne le faisons pas, nous n'aurons pas suffisamment d'argent pour la reconstruction. Ceci étant dit, nous avons doublé notre contribution au développement d'Haïti, qui était de 27 millions d'euros en 2008 pour l'aide bilatérale nette (54 millions d'euros, s'agissant de l'aide totale française, bilatérale et multilatérale, au titre de l'aide publique au développement).
Q - (à propos des interlocuteurs de la France en Haïti)
R - Nos interlocuteurs sont, pour le moment, le président Préval et le Premier ministre Bellerive, ainsi que le Conseil de sécurité des Nations unies, qui a décidé ce matin l'envoi en Haïti de 3.500 casques bleus supplémentaires : le contingent de l'ONU sera désormais plus nombreux que celui des Américains. Il est vrai qu'ils n'ont pas exactement la même finalité.
Q - (à propos des subventions aux organisations non gouvernementales en Haïti)
R - Les ONG présentes en Haïti étaient notamment les suivantes : l'Association Enfants soleil, le Secours catholique, le Comité catholique contre la faim et pour le développement, Initiative développement, Inter Aide, Aide médicale internationale, Action contre la faim, ATD-Quart-monde, le Fidesco, le GER, le Groupe de recherche et d'échanges technologiques, le GRET, Médecins du monde, Pharmaciens sans frontières, le Service de coopération au développement, le SCD, et l'Association française des volontaires du progrès, l'AFVP.
Avant la catastrophe, nous les subventionnions à hauteur de 223 000 euros s'agissant de mon ministère, de 465 000 euros pour les projets transférés à l'Agence française de développement, et enfin de 378 000 euros s'agissant des volontaires de solidarité internationale. Par définition, ces ONG, dont l'utilité est incontestable, sont indépendantes, et la coordination ne peut pas leur être imposée.
Q - (à propos de notre contribution multilatérale en Haïti)
R - Notre contribution multilatérale s'élevait à 32 millions d'euros pour la période juillet 2008-juin 2009. Nous avons sur place près de cent gendarmes. Ce contingent devrait être maintenu : l'ONU ayant demandé à l'Europe l'envoi d'une mission de maintien de l'ordre, Mme Ashton a proposé d'y envoyer 140 personnes. Mon expérience m'a appris qu'il fallait envoyer des gendarmes plutôt que des policiers, les premiers pouvant se coordonner rapidement dans le cadre de la force de gendarmerie européenne.
Q - (à propos des conséquences politiques de la catastrophe en Haïti)
R - Il est vrai que le séisme est également une catastrophe sur le plan politique : mais comment l'éviter ? Nous avions déjà essayé d'agir à titre préventif, en vain. Nous sommes également intervenus après coup, ce qui est encore plus difficile. La dernière fois, c'était pour renverser Aristide, prêtre d'abord au service des pauvres, avant de devenir dictateur et narco-trafiquant. M. Préval est le premier président élu de façon relativement transparente.
Q - (à propos de la coordination de l'intervention française en Haïti)
R - La coordination française est assurée par Didier Le Bret, assisté d'une quinzaine d'agents consulaires envoyés pour l'occasion, dont six chargés des adoptions. Je crois pouvoir dire qu'elle est assez satisfaisante. Nous avons visité toutes les crèches de Port-au-Prince, dont il faut savoir que la moitié sont détruites, et pris contact avec toutes les ONG.
Q - (à propos de la poursuite de l'aide internationale en Haïti)
R - La suite relève de l'ONU : nous n'avons aucune autre solution. L'ONU est la seule organisation internationale à même d'assumer ce rôle, pourvu qu'on la réforme. Le G20 n'a rien à y voir ; l'Organisation des Etats américains peut en revanche participer à cette tâche. C'est ce que demandent les Américains et ce que souhaitent les Brésiliens. Même si elles laissent à désirer sur le plan organisationnel, administratif et politique, les Nations unies avaient accompli un gros travail en matière de sécurité : un certain nombre de chefs de gangs avaient été arrêtés, dont l'un vient d'être extradé en France parce qu'il est accusé d'avoir assassiné des Français.
Q - (à propos des correspondants en Haïti des associations françaises)
R - Il est trop tôt pour répondre à votre question : il faudrait pour cela enquêter sur chaque cas, et nous n'en sommes pas capables pour le moment, et encore moins les Haïtiens, les correspondants locaux de ces associations ayant souvent disparu. Mais le Centre de crise publiera une liste des associations avec lesquelles nous travaillons, en indiquant leur adresse afin qu'on puisse les contacter. Jusqu'à nouvel ordre, nous agirons à travers les services renforcés de l'ambassadeur Didier Le Bret, désormais assisté d'un préfet chargé de coordonner la sécurité civile et toutes les activités relevant de l'Intérieur et de la Défense. Elles peuvent s'adresser au Centre de crise.
Q - (à propos de l'Afghanistan)
R - Je n'ai pas changé d'avis. La Conférence de Londres devant réunir une trentaine de pays, chacun ne disposera que de quelques minutes. Pour ce que j'en sais, le projet de texte qui nous sera soumis n'a rien de révolutionnaire. En tout cas, il ne prévoit pas de consignes strictes, notamment quant aux effectifs. Si on nous propose un changement de stratégie, nous le considérerons, mais pour le moment on ne nous demande que des ajustements : ainsi, si nous parvenons à confier la Surobi-Kapisa aux Afghans, nous serions amenés à augmenter le nombre de nos gendarmes afin d'assister les populations de cette région.
Il n'y a donc aucune raison d'accéder à cette demande, sauf si on nous propose d'adopter une stratégie d'"afghanisation". Proposée par la France dans le cadre de la Conférence de Paris, cette stratégie consiste à faire des populations civiles l'objet de toutes nos attentions, et de leur laisser le soin de décider si nous devons partir ou rester.
Pour le moment, il n'y a rien à changer à ce que j'ai dit, et je ne souhaite rien en changer.
Q - (à propos des trois Français détenus depuis début décembre au Brésil)
R - Je découvre cette affaire de Sao Paulo, mais je vous promets de faire ce que je peux. Je suis heureux d'apprendre que le consul de France est intervenu. Nous allons nous renseigner sur ce qu'on leur reproche. Il existe une justice au Brésil : il faut savoir à quel titre ils sont ainsi retenus. Le centre de crise pourrait se saisir de cette affaire.
Q - (à propos des enfants soldats)
R - Quant aux enfants soldats, madame, je suis d'accord avec vous : il faut condamner ce crime contre l'humanité. Je connais un grand nombre de crimes contre l'humanité qui ne sont pas poursuivis, et je m'emploie de toutes mes forces à changer cet état de chose. Sur cette question, la France collabore étroitement avec les Nations unies, notamment dans le cadre de l'Assemblée générale. Si la France doit montrer l'exemple sur cette question, elle le fera sans aucun doute. Je vous demande enfin de me pardonner de ne pas avoir répondu à votre lettre car je réponds aux lettres de cette importance.
Q - (à propos de la concertation au sein de la coalition en Afghanistan)
R - Il est vrai qu'elle ne partage pas exactement nos vues, mais elle est loin d'être unanime, certains membres se montrant encore plus réticents que nous.
Ne dites pas qu'il n'y a pas de concertation : les Quatre, Anglais, Allemands, Français et Américains, et l'ONU se concertent en permanence, les Italiens s'y ajoutant parfois. De même, le général Stanley Mac Cristal est en contact permanent avec les représentants des forces alliées. Il y a une vraie coordination sur le terrain, qui s'est manifestée à l'occasion de l'enlèvement des deux journalistes français. Quant à la question de savoir s'il y a une vraie stratégie, nous en discuterons une autre fois.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 janvier 2010