Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, lors de la conférence de presse conjointe avec Mme Hillary Clinton, secrétaire d'Etat américaine, sur les dossiers internationaux, notamment la coordination des secours en Haïti, l'engagement militaire en Afghanistan et le calendrier de réduction des effectifs, Paris le 29 janvier 2010.

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Circonstance : Visite en France d'Hillary Clinton, à Paris le 29 janvier 2010

Texte intégral

Bonsoir Mesdames et Messieurs,
J'ai eu le plaisir - nous étions plusieurs dans ce cas - de recevoir Mme Hillary Clinton, la secrétaire d'Etat américaine, tout comme j'ai aussi eu le bonheur de passer la journée avec elle à Londres le 28 janvier pour la Conférence internationale de soutien à l'Afghanistan et à Montréal le 25 janvier pour la Conférence préparatoire sur la reconstruction d'Haïti. Merci à Madame la Secrétaire d'Etat d'être venue aujourd'hui en France. Je sais qu'elle a tenu une conférence très remarquée et je suis très heureux de la recevoir ici au Quai d'Orsay
Nous avons pu aborder de nombreux sujets. Je vais simplement vous les énumérer, avec quelques mots sur chacun d'entre eux, en répétant, une fois de plus, que c'était un bonheur de travailler avec Hillary. Nous le faisons le plus souvent possible.
Nous avons bien entendu parlé de l'Iran. Il y a un accord extrêmement précis sur la conduite à tenir maintenant, après toutes les tentatives que nous avons faites, dans deux directions : le dialogue permanent avec les Iraniens ; le travail sur les sanctions. Je crois que nous avons fait tout notre possible avec les "5+1". Nous avons donc sur l'Iran une position commune et les "5+1", vous le savez, travaillent, aussi bien à New York qu'ici, en Europe, sur des sanctions que nous présenterons au Conseil de sécurité. Nous sommes là-dessus extrêmement satisfaits de la position de nos amis russes et nous travaillons avec nos amis chinois pour que ceci puisse se réaliser. Dernier point, je vous rappelle que nous avons déjà eu trois résolutions du Conseil de sécurité avec des sanctions ; cela n'est pas nouveau. Nous ne désespérons donc pas d'en obtenir une quatrième encore plus ferme.
Au Moyen-Orient, nous avons aussi une politique commune et nous espérons voir le dialogue repartir, dans la perspective de la naissance d'un Etat palestinien, à côté d'un Etat israélien en sécurité. Nous sommes là-dessus très proches de nos amis américains. Et puis nous avons également consacré un moment à nos relations avec la Syrie.
Nous avons parlé évidemment d'Haïti - nous étions ensemble à cette conférence de Montréal -, surtout parce que la situation d'urgence est encore extrêmement préoccupante. Nous n'en sommes pas au bout. Nous sommes toujours dans cette phase d'urgence, mais nous devons penser à l'avenir ; les idées de Mme Clinton et les miennes là-aussi se rejoignent. Nous ne pouvons pas continuer à faire de l'assistance et de la charité permanentes. Il faut trouver, pour la reconstruction, un plan, auquel nous allons travailler ensemble, les Américains et nous, avec les Brésiliens, avec l'Europe, avec les Canadiens, qui ont organisé la Conférence de Montréal, et avec l'Espagne. Nous avons décidé d'un groupe de travail qui devrait se réunir très bientôt.
Je me félicite aussi de la position commune des Etats-Unis et de la France à propos de la Guinée. Nous continuerons à insister pour qu'un gouvernement de transition puisse parvenir - dans un délai assez bref - à organiser des élections auxquelles participeront tous les partis guinéens.
Ce matin, avec le président de la République, nous avons évoqué le G20 auquel nous devons travailler et que nous devons préparer ensemble en 2011.
Nous avons parlé également de notre attitude vis-à-vis de nos amis russes et nous avons discuté des mérites réciproques de M. Medvedev et de M. Poutine.
Enfin, nous venons d'aborder un point très particulier de nos relations avec la Birmanie où nous souhaitons, dans une politique là aussi commune, essayer de faire participer Mme Aung San Suu Kyi - qui est toujours en résidence surveillée -, aux élections qui sont promises par la Junte.
Pour résumer, je vous répète le grand bonheur que nous avons eu de travailler depuis quelques jours avec Mme Hillary Clinton, avec la secrétaire d'Etat américaine. En dehors de cette satisfaction, le travail a été très pratique, très efficace et nous allons continuer. Welcome Hillary !
Q - Dans son discours d'aujourd'hui, la secrétaire d'Etat, Hillary Clinton, a fait part du besoin évident quant à une meilleure coordination des efforts dans le cadre des catastrophes naturelles. En tant que co-fondateur de Médecins sans frontières, pensez-vous que ces efforts auraient pu être mieux coordonnés en Haïti ? Y a-t-il eu des discussions concernant une réponse mieux coordonnée au sujet des réfugiés haïtiens et leur éventuel accueil en France ou aux Etats-Unis ? Et si non, pourquoi?
R - Bien sûr. Nous rêvons tous d'un meilleur accès aux victimes d'une catastrophe, d'interventions plus rapides, mais comme toujours dans le cas d'une catastrophe naturelle, c'est impossible parce que nous ne pouvions pas la prévoir.
Nous avons essayé de coordonner au mieux nos efforts. Je parle de l'Europe, ensemble, les 27 nations nous avons fait face à ce drame. Mais croyez-moi, c'est la catastrophe la plus tragique que j'ai connue, que ce soit en terme de victimes ou de destructions. La ville de Port-au-Prince a été dévastée. Etait-il possible de faire mieux ? Oui, il est toujours possible de mieux faire, mais malheureusement on ne sait que critiquer, sans voir les immenses efforts accomplis par la communauté internationale, certes efficaces mais sans doute pas au bon moment. En effet, être efficace au moment du tremblement de terre, cela aurait pu être possible, mais cela voulait dire être présent dès la première heure ! Nous, tous, avons envoyé des équipes dès le premier jour, dès le mercredi, puis les jours suivants et encore hier. 15 jours après le tremblement de terre, une jeune fille de 16 ans a pu être secourue, cela relève du miracle.
Oui, nous regrettons de ne pas avoir été en mesure de mieux coordonner. Tout d'abord, c'était impossible de coordonner les ONG, nous devons leur donner l'opportunité d'être complémentaires de nos actions. Par ailleurs, était-il possible de coordonner à l'échelle des nations, toutes les nations, le continent sud américain, nord américain ? Désolé, mais nous avons fait de notre mieux. Je ne veux pas vous dire que lors de la prochaine catastrophe naturelle nous serons mieux préparés. Hélas ! C'est toujours ainsi. Je suis désolé par le nombre important de victimes que nous étions supposés sauver. Nous avons essayé d'être les plus efficaces. Je veux, sincèrement, remercier nos amis américains qui sont proches d'Haïti et qui sont venus par milliers. Je sais qu'il y a toujours, dans pareilles circonstances, des problèmes de compréhension, mais l'efficacité et le dévouement ont été au rendez-vous. Nous avons fait de notre mieux.
Q - Concernant l'accueil de réfugiés haïtiens dans l'un de vos pays ?
R - Nous accueillons les orphelins en cours d'adoption qui disposent de tous leurs documents. Concernant les autres, ils seront bien évidemment les bienvenus, mais cela se fera au cas par cas.
Q - Monsieur le Ministre, pouvez-vous nous dire si la France adhère à l'idée qui est exprimée par les Etats-Unis et l'Allemagne que l'année 2011 doit être le début d'un processus de réduction des effectifs militaires en Afghanistan ? La France s'apprête-t-elle aussi à réduire ses effectifs en 2011 ?
R - Merci Madame la Secrétaire d'Etat. Je vais donc vous préciser, pour répondre à cette question de 2011, que nous, la France, avons fait un effort particulier. Il y a seize mois, pour passer de 1.000 à près de 4.000 soldats. Nous avons la charge très précise d'un secteur, au nord-est de Kaboul, de deux vallées importantes et difficiles. A part quelques ajustements qui seraient des ajustements de sécurité, s'ils devaient intervenir, comme je l'ai dit hier à la Conférence de Londres, nous avons les effectifs nécessaires pour assurer cette tâche et nous l'assurons au mieux. Merci des compliments que vous avez faits pour les soldats français ; j'en ai bien entendu, autant et plus encore à votre service, Madame, pour les éléments américains.
Nous avons fait ce qu'il fallait, en terme de technique et de matériel, pour assurer une disponibilité et une protection de nos soldats qui s'est révélée efficace. Peut-être devrons-nous ajuster encore une fois pour la sécurité, je le dis très clairement et sans piège. Si nous devons faire un effort, nous le ferons à ce niveau. Nous avons également décidé, en termes de formation, comme l'a dit Mme la secrétaire d'Etat, d'affecter du personnel de formation, peut-être à Kaboul, dans cette école pour les blindés. Nous avons décidé de ne pas augmenter nos troupes combattantes. Avec les Allemands, nous aurons, lors de la réunion des deux gouvernements, dans quelques jours, l'occasion d'affiner notre politique de formation et nous le ferons volontiers.
Maintenant, pour 2011, je ne peux pas faire un cours de stratégie ni de description géopolitique de l'Afghanistan, mais c'est un pays que je connais vraiment très bien. Ce que nous avons fait jusque-là a porté des fruits techniques et militaires précis ; et plus précis encore en termes humains de développements de nos activités civiles. Le président Karzaï a décidé hier de tendre la main à ses ennemis, au moins de le faire en termes très généraux en ce moment, et peut-être très précis localement. Je pense qu'il y aura des contacts, localement, qui jusque-là n'étaient pas possibles. C'est une nouvelle disposition qui ne nous interdit pas, au contraire, de penser qu'en 2011 - du côté du président Obama -, comme l'a dit le président Karzaï dans son discours lorsqu'il a repris son deuxième mandat, nous verrons à ce moment-là - mais c'est impossible de le dire maintenant - si nous pouvons retirer quelques troupes ou si nous devons ajuster notre présence comme je l'ai dit.
Ce qui est très important, c'est l'engagement civil, auprès des populations. Merci d'avoir parlé de l'hôpital de Kaboul ; je vous le dis maintenant, l'extension de l'aile maternelle sera commencée dans quelques jours. La surface de l'hôpital va doubler. Et puis nous construirons un hôpital général un peu plus loin ; nous en avons le terrain donné par le président afghan. Si l'effort doit se poursuivre, ce sera dans le domaine civil et là nous ferons des efforts financiers. Les soldats français sont extrêmement proches des populations ; ils le sont tous les jours. Dans cette tâche, je crois que c'est l'"afghanisation" qui est la tâche la plus importante. Nous avons prononcé ce mot pour la première fois à la Conférence de Paris et je suis heureux de voir qu'on le prononce dans tous les discours maintenant. C'est la seule méthode : c'est aux Afghans de décider et c'est aux Afghans de dire à quel moment nous devons nous retirer. Dernier point, je vous rappelle que 47 % des habitants des deux vallées ont voté lors des dernières élections. C'est-à-dire dix de plus, à 0,5 % près, que dans le reste du pays. C'est cet effort-là qu'il faut poursuivre en étant proche des Afghans, et c'est ce que nous essayons de faire.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 février 2010