Déclaration de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, sur le déficit public et le nécessaire redressement des finances publiques, Paris le 28 janvier 2010.

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Circonstance : Conférence sur le déficit au Palais de l'Elysée, à Paris le 28 janvier 2010

Texte intégral

Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Président de l'Assemblée nationale,
Monsieur le Président du Sénat,
Mesdames, Messieurs les ministres,
Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
1. En propos liminaires, je souhaiterais vous présenter quelques éléments de diagnostic général sur nos finances publiques.
1.1. La crise que nous venons de traverser a laissé de profondes traces dans les finances publiques de notre pays et de l'ensemble de nos partenaires économiques.
- En France, le déficit public est de 7,9 points de PIB en 2009 et atteindra près de 8,2 points en 2010, alors qu'il était de 3,4 points de PIB en 2008. Les causes de cette dégradation sans précédent sont connues : ce ne sont pas les dépenses de tous les jours qui ont augmenté, mais celles liées à la relance de l'économie, tandis que les recettes ont fondu sous l'effet de la crise.
54 Mdeuros : voilà les recettes que l'État a perdues entre 2008 et 2009. Rien que sur l'impôt sur les sociétés, la baisse est de 28 Mdeuros.
- Bien évidemment, nous n'avons pas été les seuls à subir ces pertes de recettes. Les déficits se sont creusés chez l'ensemble de nos partenaires : dans les mêmes proportions en Allemagne, avec une prévision de déficit public de 6 points de PIB, beaucoup plus au Royaume-Uni et aux Etats-Unis où les déficits avoisineront les 13 points de PIB en 2010.
- Compte tenu du contexte économique mondial, l'évolution récente du déficit public, bien qu'impressionnante, s'explique assez clairement. En revanche, ce qui est plus difficile à justifier, c'est pourquoi le budget des administrations de la France n'a jamais été en excédent depuis 1974. Depuis 30 ans, le déficit public moyen a été de 3 points de PIB.
- Ce constat n'est pas sans conséquence, puisque c'est l'un des principaux facteurs qui a conduit à une augmentation continue de la dette publique, qui est passée d'environ 20 points de PIB dans les années 80 à une prévision de 83,2 points en 2010. En une trentaine d'années, la dette publique a été multipliée par 7 en euros constants. En 1980, un Français avait une charge de 3 800 euros de dette publique, elle est aujourd'hui de 23 000 euros. Cela étant dit, il faut relativiser ces chiffres car nous n'avons pas le monopole de la dette publique élevée : nous restons toujours dans la moyenne de la zone euro et bien en deçà de l'endettement américain (~94 points de PIB en 2010) ou italien qui atteindra cette année 116 points de PIB.
1.2. Mais cette situation est un handicap pour au moins deux raisons :
1/ Une dette trop lourde entraîne mécaniquement une perte de capacité d'action de la politique économique. Les charges d'intérêt de la dette constituent en 2009 l'un des premiers postes budgétaires, après l'Education nationale, loin devant la Défense, ou la Recherche.
2/ Par ailleurs, nous faisons partie du club très fermé des pays notés AAA par les agences de notation, ce qui nous permet de nous financer à moindre coût sur les marchés internationaux. Cette confiance des marchés est un privilège et un bien commun : la notation de l'État, en tant que référence de marché, joue directement sur le niveau de taux auquel empruntent l'ensemble des structures publiques mais aussi les entités privées. Il est donc de notre responsabilité d'améliorer la situation et de garder la confiance de nos prêteurs.
- Le traitement du déficit public s'impose d'évidence comme une priorité nationale et c'est pourquoi le Président de la République a souhaité nous réunir tous ensemble ce matin.
1.3. En effet, il faut admettre que le rôle des différents acteurs dans le déficit et la dette est partagé.
- C'est l'État qui représente la part la plus importante dans le déficit public et la dette publique, pour près de 80 % dans les deux cas. C'est incontestable. Et c'est aussi son rôle historique : l'État a assumé ses responsabilités et a, par exemple, repris à plusieurs reprises la dette d'autres secteurs, notamment celle de la sphère sociale ; il a également supporté l'essentiel du coût de la crise que nous venons de traverser.
- En outre, il faut mettre ces chiffres en relation avec les concours financiers que l'État apporte aux autres acteurs, quel qu'en soit la forme (dotations, impôts affectés, dégrèvements...) : près de 100 Mdeuros au profit des collectivités locales, environ 50 Mdeuros aux organismes de sécurité sociale. Je le dis sans esprit de polémique : je ne prétends évidemment pas que ce sont ces concours qui creusent le déficit. Mais, par leurs montants considérables, ils prouvent la complexité des interactions qui unissent les différents secteurs. La dépense publique est l'affaire de tous.
2. Dès lors, quelles sont les marges de manoeuvre ?
- Notre politique économique a clairement pour objectif prioritaire de consolider la reprise économique et d'assurer une croissance forte et durable. C'est une condition sine qua non pour pouvoir entamer la diminution du déficit.
- Néanmoins, la croissance ne suffira pas pour permettre un redressement rapide de nos finances publiques. Notre action politique doit aller au-delà.
- Les termes du débat sont alors simples : en théorie, le rééquilibrage des finances publiques peut passer par une augmentation des impôts, et/ou par une diminution des dépenses. En réalité, il n'est pas certain que la France dispose d'un choix de politique économique aussi clair, pourquoi ?
2.1. Premier constat, nous avons, avec la Suède et le Danemark, le taux de dépense publique dans le PIB le plus élevé d'Europe, d'environ 55 points de PIB en 2009, soit plus de 1 000 Mdeuros.
- Chaque année, plus d'un euro sur deux de richesse créée dans notre pays passe ainsi, d'une façon ou d'une autre, par la sphère publique. Si l'on regarde la composition de la dépense publique, tous les secteurs y contribuent largement : de l'ordre de 20 % pour les collectivités locales, de 35 % pour l'État et ses opérateurs, et de 45 % pour les administrations de sécurité sociale. Il est clair que l'État ne pourra pas réussir tout seul à maitriser l'ensemble de cette dépense. L'efficacité de la dépense publique c'est l'affaire de tous autour de cette table.
- C'est encore plus évident quand on regarde les évolutions sur le passé récent. Depuis plusieurs années, l'État a ralenti la progression de ses dépenses. Depuis 2007, elles sont stabilisées au niveau de l'inflation. En 2009, hors plan de relance, les dépenses de l'État ont même été pour la première fois réduites en euros courants.
Parallèlement, la dépense des administrations de sécurité sociale est restée dynamique. Leur poids croissant dans le total de la richesse nationale le prouve : 22,9 % en 2000, 24,2 % en 2008. Les dépenses d'assurance-maladie ont notamment progressé de 80 % depuis 1997. Chaque année, jusqu'en 2009, notre objectif de progression des dépenses d'assurance-maladie a été dépassé. Au total, le dépassement cumulé s'élève à 19 Mdeuros. C'est plus que le déficit actuel de l'assurance-maladie (14,5 Mdeuros en 2010).
La dépense des collectivités locales a également rapidement progressé. Quand l'État limite la progression de ses dépenses au niveau de l'inflation, celles des collectivités locales augmentent de 6 % hors transferts liés à la décentralisation (2003-2007). En ce qui concerne les effectifs, l'État a supprimé 100 000 postes sur la période récente (2007-2010), alors que l'emploi public local continue d'augmenter. Les effectifs des collectivités locales ont par exemple augmenté de 120 000 sur les trois dernières années connues (2005-2007), là encore hors transferts liés à la décentralisation, alors que ceux de l'État ont diminué de 28 500.
Au total, en 30 ans, la part de la richesse nationale que nous consacrons à la dépense publique a augmenté de 10 points de PIB ; la dépense publique par habitant est passée de 9 500 euros en 1980 à 16 500 euros en 2009 (en euros constants).
2.2. Après ce diagnostic sur la dépense, qu'en est-il des recettes ?
- Les prélèvements obligatoires en 2008 étaient d'environ 43 %. Ils se sont réduits, à environ 41 points de PIB, en raison de la crise. Cela reste cependant trop : pour l'ensemble des recettes, la France se situe toujours largement au-dessus de la moyenne de la zone euro et des pays de l'OCDE. Même si les comparaisons sont difficiles, car le périmètre de la sphère publique est plus étendu qu'ailleurs, cela handicape lourdement la compétitivité et l'attractivité de notre pays.
2.3. Quand on observe un écart aussi important entre les recettes et les dépenses, alors même que les recettes publiques sont parmi les plus élevées au monde, c'est bien que le problème se situe du côté des dépenses.
- Un des enjeux d'aujourd'hui est donc d'avoir un consensus sur le fait qu'il faut agir sur la dépense et non sur les impôts.
- Je précise qu'agir sur la dépense ne signifie pas « casser » la dépense publique comme on peut l'entendre ça et là, mais ralentir son rythme de progression. N'oublions pas que depuis de nombreuses années, la dépense publique par habitant, ces fameux 16 500 euros, progresse chaque année d'environ 500 à 600 euros par Français. Il s'agit de réduire cette progression de moitié.
Le redressement de nos finances publiques ne sera possible que si nous réalisons un effort dans la durée. Cela ne peut passer que par le dialogue et la concertation, et c'est pourquoi nous sommes aujourd'hui tous réunis autour de cette table.
Sommes-nous tous d'accord pour considérer que c'est sur la dépense publique qu'il faut agir pour réduire nos déficits ? Ce serait un changement très important dans notre manière d'apprécier la situation des finances publiques françaises.
Estime-t-on tous ensemble que l'on a besoin de règles supplémentaires pour agir sur la dépense et les déficits ? Nous en avons déjà plusieurs, nous le savons. Mais nous en faut-il d'autres ?
Voilà les deux principales questions que nous devons aujourd'hui aborder ensemble, dans un esprit de concertation et de dialogue.
Je vous remercie.
Source http://www.budget.gouv.fr, le 10 février 2010