Déclaration de Mme Valérie Létard, secrétaire d'Etat aux technologies vertes et aux négociations sur le climat, sur les grandes orientations de la politique du développement durable à l'horizon 2020, à Paris le 17 février 2010.

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Circonstance : Forum sur le Pacte de solidarité écologique, à Paris le 17 février 2010

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
C'est une vraie satisfaction pour moi d'ouvrir ce forum « solidarité écologie » parce que, ce que vous allez entendre ce matin est le fruit de plusieurs mois de travail, qu'il a fallu défricher un champ à l'intersection de mondes différents, avec les mots des uns et des autres, qu'il a fallu que se rencontrent des gens qui d'habitude évoluent dans des réalités qui, pendant longtemps, ne se sont pas croisées.
Ces deux mondes, ce sont celui de la solidarité et de l'écologie. Celui de la solidarité, c'est le mien. Son univers m'est familier. J'en connais les préoccupations et la manière de les porter au plus haut niveau de l'Etat. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Jean-Louis Borloo a souhaité que je le rejoigne au Ministère de l'Ecologie, pour m'occuper du pilier social du développement durable.
Le monde de l'écologie, ce sont les acteurs du Grenelle de l'Environnement : cette gouvernance à 5 a mis autour de la table tous ceux que le développement durable concerne, pour inventer, ensemble, les nouvelles règles qui vont nous permettre de basculer vers une économie décarbonée, dans un vaste mouvement réfléchi, programmé et qui anticipe les difficultés de cette évolution inéluctable, pour mieux les surmonter. Car nous voulons tous, un jour, pouvoir léguer aux générations futures un monde en état de marche.
Ce fut pour moi un apprentissage, une initiation et la découverte de nouveaux mots et de nouveaux concepts : ceux du développement durable. Je me suis lancée dans l'aventure avec enthousiasme et avec confiance parce que j'ai partagé avec Jean-Louis dès l'origine une intuition et un constat à partir desquels nous avons bâti la réflexion pour la construction du pacte de solidarité écologique. Cette démarche dont nous allons parler ce matin, a vocation à concilier les exigences de la solidarité avec celles de l'écologie.
Le constat, il provient à l'origine sans doute de ce que nous avons pu et l'un et l'autre entrevoir dans la région du Nord-Pas-de-Calais. Ce constat, c'est le suivant : ce sont en général les plus pauvres qui sont les plus exposés aux risques environnementaux et ceux qui ont aussi le moins les moyens d'y faire face. C'est vrai pour les pollutions industrielles dont notre région a connu quelques exemples emblématiques. Cela est vrai aussi en matière de logement où une enquête récente a montré combien les dépenses d'énergie pesait en proportion bien plus lourdement sur les foyers aux revenus les plus faibles et que ces mêmes personnes étaient aussi, en particulier lorsqu'elles habitaient le parc privé dans les zones rurales ou les petites agglomérations, celles qui étaient les moins à même de pouvoir isoler correctement leur habitation. Elles étaient donc à aider doublement : sur le plan social, pour qu'elles puissent se chauffer correctement, sur un plan écologique, pour améliorer notre bilan énergétique global. Ces situations traduisent souvent le cumul d'inégalités sociales et environnementales. Quand on n'a pas le minimum vital, on ne peut pas investir pour lutter contre le réchauffement climatique, en remplaçant sa chaudière ou en remplaçant sa voiture pour un modèle plus économe en énergie. Or les chiffres sont là : selon un sondage TNS Sofres, 30% de nos concitoyens sont confrontés à un quotidien si précaire qu'ils sont dans l'incapacité de se projeter dans l'avenir et donc a fortiori, même s'ils peuvent le souhaiter, de s'approprier des préoccupations en matière de développement durable.
Un constat donc, les plus modestes des Français ne sont pas moins concernés par le développement durable ou l'avenir de la planète ; mais ils n'ont tout simplement pas les mêmes moyens que les autres de le prendre en compte. Je ne serais pas complète si je ne soulignais pas auprès de vous combien à l'inverse les plus modestes peuvent nous apporter notamment par leur expérience de ce qui est essentiel - nous appeler tous à aller vers une consommation plus réfléchie- ou de « l'économie circulaire » mot savant pour parler tout simplement de recyclage.
Voilà pour le constat que je puis faire en cette année particulière, à la fois année internationale de la biodiversité et année européenne de lutte contre l'exclusion.
* L'intuition, c'est que ce constat ne doit pas nous amener à opposer les uns aux autres, à jeter sur les comportements jugés peu vertueux des uns un regard condescendant. Tout comme au niveau mondial, on ne sauvera pas la planète par des actions dans les seuls pays développés en ignorant les problématiques des pays du Sud, de même dans notre pays, la prise de conscience d'une modification nécessaire de nos comportements et de notre mode de vie ne pourra pas être suffisante si elle ne concerne pas l'ensemble de la population : les jeunes, les vieux, les plus aisés, les plus modestes. Nous sommes tous solidaires dans ce combat pour la survie de la planète.
Il était donc impératif de mettre en orbite ces deux planètes :
* La planète du développement durable, celle de la solidarité. Impératif de dissiper les malentendus : développement durable, cela signifie bien se développer, croître encore mais différemment, d'une manière plus économe en énergie, en se posant la question de l'utilisation de nos ressources naturelles mais dans la perspective d'une croissance dont nous pourrons tous partager les bénéfices. Alors sur un plan philosophique, si nous réfléchissions à réorienter notre modèle économique, pourquoi ne pas réfléchir en même temps à le concevoir de manière plus juste socialement ? Y renoncer n'aurait pas de sens.
* Celle de la solidarité aussi. Entre les générations d'aujourd'hui. Entre les générations actuelles et futures. Entre les territoires aussi. Certaines associations ont hésité à entrer dans notre démarche et je peux les comprendre. Comment se préoccuper de gestes durables quand le nécessaire le plus élémentaire n'est même pas assuré ? Il fallait un peu d'audace pour faire ce pari : penser que sauver la planète et réduire la pauvreté dans notre pays pouvaient être deux objectifs à poursuivre de concert et que l'un n'excluait pas l'autre. Penser que résorber les inégalités sociales et environnementales constituaient les deux facettes d'un même projet de société. J'oserais pour ma part dire que la solidarité et la protection de l'environnement procèdent d'une même exigence que nous devons porter haut, car « un monde qui permet la pauvreté endémique sera toujours sujet aux catastrophes écologiques et autres ». C'est le rapport Brundtland qui vient nous le rappeler.
Voilà la démarche que j'ai engagée auprès de Jean-Louis Borloo. Elle se traduit par la volonté de construire un pacte de solidarité écologique qui repose sur trois valeurs indissociables - la solidarité, la liberté, la citoyenneté - et 10 objectifs qui concernent la vie quotidienne de nos concitoyens.
Depuis le lancement de la démarche en septembre dernier, nous avons décliné la valeur solidarité autour de la thématique de l'emploi. Si j'ai choisi de commencer par là, c'est en effet pour 2 raisons. Tout d'abord, l'emploi, dans notre société, permet l'accès aux droits et à la reconnaissance sociale. Le travail, chacun en est bien conscient, est la colonne vertébrale qui structure la vie quotidienne et sociale. Un travail, c'est un revenu assuré qui rend le reste possible.
Et en cette période de crise, où beaucoup souffrent, il était évident qu'il devait être notre première priorité.
Deuxième raison, la croissance verte, comme l'a montré la conférence nationale que j'ai organisée le 28 janvier dernier, va générer de nouvelles possibilités en matière d'emploi - on estime en effet à 600 000 le nombre d'emplois créés ou préservés par elle d'ici 10 ans. Ces emplois seront de tous niveaux de qualification, des plus faibles aux plus élevées et pour beaucoup non délocalisables. Pour toutes les personnes en situation de fragilité sociale, il y a là une véritable chance d'insertion professionnelle que nous devons absolument saisir pour leur redonner espoir et remettre en marche notre ascenseur social.
La liberté, c'est bien évidemment la possibilité d'accéder aux mêmes services que la majorité de nos concitoyens. Je citais au début de mon propos l'accès à l'énergie. Mais les problématiques sont identiques si l'on réfléchit sur l'accès au logement, l'accès à l'eau, l'accès à une alimentation de qualité ou encore l'accès aux transports. C'est aussi le choix de consommer autrement, dans une nouvelle relation entre consommateurs et producteurs.
La citoyenneté, c'est enfin la manière de réfléchir ensemble à la manière d'associer toutes les catégories sociales, y compris celles les plus précaires, à l'émergence de ce nouveau modèle de croissance plus durable. C'est penser nos territoires, nos politiques publiques dans une approche résolument décloisonnée et partagée. Cela passe par la concertation, la réduction des inégalités sociales et territoriales, l'éducation et la formation tout au long de la vie.
Comme vous le voyez, le projet est ambitieux mais il est aussi essentiel si nous voulons que tous les Français puissent se sentir pleinement associés à ce changement qui, au-delà de la sauvegarde des espèces et de la protection des espaces naturels, va bouleverser nos modes de productions, nos représentations culturelles et nos comportements quotidiens.
C'est cette réflexion, complexe et transversale, dont se sont chargés les membres des trois missions qui vont nous présenter maintenant leurs conclusions. Permettez-moi de vous remercier tous très chaleureusement pour la qualité et la richesse des rapports que vous m'avez rendus le 3 février dernier. Je voudrais remercier tout particulièrement les pilotes de chaque mission : Pierre Saglio et Alain Chosson pour leur travail sur la transformation des modes de vie, des comportements et de la consommation, Agnès de Fleurieu et Christian Garnier pour celui sur l'amélioration de la qualité de vie dans les territoires, enfin Véronique Fayet et Sébastien Genest pour leur contribution sur la mobilisation citoyenne et sociale.
Je tiens également à remercier les équipes du CGDD, du CGEDD et de l'ADEME pour leur implication dans ce dossier.
D'ici quelques minutes, je vais vous céder la parole pour que chacun d'entre vous puisse présenter la réflexion de son groupe et les propositions ambitieuses et foisonnantes qui en sont sorties.
Avant cela, je voudrais conclure en traçant quelques pistes pour la suite de ce vaste et ambitieux chantier.
Dès aujourd'hui, pour poursuivre la concertation, nous ouvrons un espace internet pour recueillir les contributions individuelles à ce débat. Nous le prolongerons ensuite au printemps par l'organisation de débats-citoyens en région, afin que la parole vienne aussi de tous les territoires et que leur diversité d'approche puisse s'exprimer.
Dans les deux mois à venir, nous allons travailler à la déclinaison en programmes d'actions opérationnels des grandes orientations qui émergent des conclusions des trois missions. Pour ce faire, des groupes de travail seront constitués, présidés par une personnalité qualifiée. Ces groupes travailleront avec l'appui du CGDD et des administrations du ministère avec comme date butoir la présentation au mois de juin du projet de Pacte de solidarité écologique. Le pacte déclinera toutes les mesures concrètes découlant des 10 objectifs qui vous seront présentés tout à l'heure par Jean-Louis Borloo et qui figureront sur le site du ministère.
Par ailleurs, sur deux questions essentielles, celles de la tarification de l'eau et des transports, des conférences de consensus seront organisées les meilleurs délais. A ce propos, je me réjouis que Michel Houel rapporteur de la proposition de loi sur la solidarité des communes dans le domaine de l'alimentation en eau et de l'assainissement des particuliers nous rejoigne d'ici quelques instants pour nous parler du travail déjà engagé par les parlementaires sur ce sujet.
Vous le voyez, la feuille de route est riche : Jean-Louis Borloo qui nous rejoindra à la fin de cette matinée tracera les perspectives à plus long terme dans lesquelles nous inscrirons notre travail des trois prochains mois.
Je souhaiterais conclure en vous disant l'espoir et l'exigence que ce forum représente :
L'espoir car aujourd'hui, deux Français sur trois (66%) estiment non pas utile mais nécessaire de parler simultanément d'environnement et de solidarité. Il n'est pas possible de ne pas lier cette demande à la crainte de voir les inégalités sociales et environnementales se creuser.
L'exigence aussi, car si 85% des Français pensent que ceux qui souffrent le plus des pollutions sont bien les plus vulnérables, ils ne sont plus que 56% à penser que ces derniers profiteront de la croissance verte. C'est cela qui fonde l'engagement de l'Etat et donne tous son sens à la démarche « pour un pacte de solidarité écologique », pour que le Grenelle de l'environnement profite à tous.
Sans plus tarder je vais vous laisser la parole en remerciant une dernière fois tous ceux qui se sont engagés avec nous dans ce grand mouvement dont je suis convaincue qu'il pourra à terme nous conduire vers une société plus juste, plus humaine et plus durable.
Je vous remercie,
source http://www.developpement-durable.gouv.fr, le 18 février 2010