Interview de M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur, à France-Inter le 15 mai 2001, sur l'ouverture du débat parlementaire sur la réforme du statut de la Corse.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli Les indépendantistes corses qui viennent de fusionner en un mouvement baptisé Independenza accepteront-ils les règles d'une autonomie sous contrôle ? Le projet de loi gouvernemental sur la réforme du statut de la Corse, en débat à l'Assemblée nationale à partir d'aujourd'hui, a été revu par la Commission des lois, dans le sens d'une définition plus stricte du pouvoir législatif expérimenté à l'Assemblée territoriale. Le débat politique l'emportera-t-il sur l'action clandestine ? Des hommes en cagoule distribuent ces dernières heures en Corse, ça et là, un texte qui a pour titre "Independenza", du nom qu'ils ont donné à leur fusion. Est-ce de la gesticulation ou est-ce la volonté de mettre le débat parlementaire sous pression ?
- "Sous pression, je ne crois pas. D'ailleurs, ce débat parlementaire que je vais ouvrir cet après-midi dans mon intervention semble relativement apaisé. Si le travail que j'ai patiemment fait depuis plus de huit mois pour élaborer ce projet y a contribué, je m'en réjouis. Concernant les nationalistes, j'ai travaillé avec l'ensemble des élus de la Corse, élus de la République, y compris les élus nationalistes de l'Assemblée de Corse. Si finalement il y a un rassemblement par le débat politique plutôt que l'atomisation et l'éparpillement de ceux qui ont ces idées, cela ne me dérange pas."
Quelle perception avez-vous de ce qui se passe ?
- "Concernant les cagoules, il y a encore du travail à faire..."
Concernant le climat en Corse, pensez-vous que le climat politique a pris le pas sur le reste ?
- "Le fait que le Premier ministre ait engagé cette démarche, le fait d'avoir dialogué dans la transparence avec l'ensemble des élus, d'avoir engagé ce processus, d'aboutir maintenant à un texte et à une étape a contribué effectivement à focaliser l'attention des Corses sur ceci plutôt que sur des agissements au demeurant condamnables, des actes qui sont inacceptables en République et en démocratie. C'est utile : les Corses s'aperçoivent eux-mêmes que leur avenir passe par l'investissement, par la reconnaissance de leurs spécificités, de leur identité enracinées dans la République. C'est effectivement le signe que le débat politique a peut-être - je l'espère en tout cas - repris le dessus sur d'autres considérations beaucoup plus critiquables."
Vous dites "une étape" ; c'est vrai que la Commission des lois est revenue un peu en arrière par rapport au premier texte des accords de Matignon. Est-ce que cela veut dire que c'est une porte qui est en train de s'ouvrir et que vous allez avancer à petits pas vers plus d'autonomie pour la Corse ?
- "Je suis obligé d'être méticuleux, peut-être parce que j'ai beaucoup travaillé sur ce texte : il ne faut pas dire que la Commission des lois est en retrait par rapport au texte du Gouvernement. Nous avons travaillé ensemble. C'est ma méthode : travailler d'abord avec le rapporteur, le président de la Commission des lois - B. Roman - que j'avais même emmené avec moi en Corse et puis l'ensemble des parlementaires. Le texte qui va venir en discussion cet après-midi est bien le texte du Gouvernement, amendé avec mon accord par la Commission des lois, notamment sur l'article premier. Je déposerai personnellement - mais je crois que le rapporteur le fait aussi - un amendement sur l'affaire de la langue corse, l'article 7 du projet. Nous ne sommes donc pas en retrait. Nous avons simplement voulu rester fidèles au relevé de conclusions - ce ne sont pas des accords, c'est un relevé de conclusions de Matignon - et en même temps, ne pas nous écarter du cadre constitutionnel car nous voulons éviter toute censure du Conseil constitutionnel. Sinon, ce serait une forme de marché de dupes vis-à-vis des Corses, ce qui serait insupportable."
Mais vous savez bien qu'il va quand même y avoir un petit passage difficile en raison du passage de la dévolution à l'expérimentation. L'Assemblée ne pourra plus décider ce qu'elle veut, il faudra qu'elle demande l'autorisation au Gouvernement. C'est très encadré maintenant !
- "Que l'on s'entende bien : cela a toujours été comme cela dans le relevé de conclusions. Il y a deux étapes : celle que je mets en oeuvre avec ce projet de loi et puis, en 2004, une seconde étape est prévue - mais là, cela dépendra du Président de la République de l'époque et de la majorité et du Gouvernement de l'époque. Il serait alors nécessaire de procéder à une révision de la Constitution parce que nous serions dans l'inconstitutionnalité. Ce sera au Président et au Gouvernement de l'époque de savoir quelle forme prendra cette modification : soit la voie référendaire - qui a plutôt ma préférence -, soit la voie du Congrès, à travers un travail préalable du Parlement. Actuellement, nous ne sommes pas dans le cadre d'une révision de la Constitution : nous sommes dans le cadre de la Constitution actuelle. On fait des avancées qui vont nettement au-delà de l'article 26 du statut déjà particulier de 1991 - et je rends hommage au travail qu'avait fait P. Joxe à l'époque. C'est aujourd'hui une étape supplémentaire dans la responsabilité. Je crois à la vertu de la responsabilité dans la transparence. Ce sont les électeurs de Corse qui seront les juges des élus qui vont acquérir de nouvelles responsabilités. Je crois à la vertu de la responsabilité plutôt qu'à celle de l'assistance."
"Les électeurs de Corse", jusqu'où ? Pourquoi pas un jour un référendum en Corse sur le statut de la Corse ?
- "La Constitution l'interdit aujourd'hui. Elle le permet pour des territoires d'Outre-Mer, elle le permet pour des collectivités locales comme les municipalités mais elle ne le permet pas aujourd'hui pour la Corse, le Conseil constitutionnel a été tout à fait clair sur ce sujet. Le moment venu, s'il s'agissait de réformer et de réviser la Constitution, il faudrait procéder à un référendum national sur ce sujet, comme cela a été le cas sur d'autres modifications portant statut. Rappelez-vous, même si cela n'a rien à voir, de la Nouvelle-Calédonie."
Considérez-vous que la Corse est décidément un cas particulier ou, à travers la réflexion qui est engagée sur la question corse aujourd'hui, est-ce plus généralement celle de la décentralisation qui se pose à vous ?
- "D'abord, il fallait régler un problème politique qui était posé à la République depuis plus de 25 ans. C'est bien le sens de la démarche initiée par le Premier ministre que j'ai reprise à travers ce projet de loi. Je constate d'ailleurs que chez les opposants au texte, il n'y a pas de contre-propositions, il n'y a pas de projets alternatifs. Deuxièmement, il faut tracer une perspective pour que la Corse reste dans la République. Je ne parle jamais d'indépendance : de ce point de vue, les choses sont extrêmement claires. Il s'agit donc encore une fois de reconnaître à la Corse son insularité. Il faut aussi porter de la considération à la Corse et arrêter de railler un peu trop souvent les Corses dans leur globalité et la Corse dans son ensemble. Il faut un peu l'aimer pour la comprendre et essayer, pour l'enraciner dans la République, pour qu'elle soit apaisée, de lui reconnaître cette identité et cette spécificité. Je l'ai dit très clairement : en faisant ce que nous faisons en Corse, nous ne voulons pas l'étendre à l'ensemble du territoire. La Corse n'est pas un laboratoire de la décentralisation. Mais s'il y a des dispositions dans ce que je prépare actuellement dont, au moment où nous évoquerons le grand débat sur la décentralisation après 2002, on souhaite parler, pourquoi pas."
Tout le monde va regarder cela avec beaucoup d'attention en France, vous le savez bien.
- "Pour faire sourire vos auditeurs, je souligne qu'il n'est pas question que nous adaptions la loi littoral en Bourgogne ou en Alsace. Il faut donc bien reconnaître que la Corse a une situation géographique particulière, une histoire particulière. Il faut quand même reconnaître cette identité et, encore une fois, donner une chance à la Corse dans la République."
Dites-vous, comme J.-M. Aphatie dans le journal tout à l'heure, que l'opposition la plus farouche sera celle de J.-P. Chevènement ? J.-M. Apathie parlait même d'un "cauchemar" pour L. Jospin.
- "Il ne faut jamais parler de cauchemar quand il s'agit d'un ami. J.-P. Chevènement est un ami, il a été ministre du Gouvernement de L. Jospin, un bon ministre de l'Intérieur. Je veux garder cette amitié, ce respect mutuel. J.-P. Chevènement est un homme de gauche. Il y a manifestement un désaccord sur cette question particulière de la Corse. Il faut être capable de le surmonter. La Corse, en soi, ne peut pas être un élément de clivage politique. Comme auraient dit d'autres à une certaine période, pourquoi hypertrophier le débat au sujet de la Corse ?"
Etes-vous frappé de voir à quel point le clivage politique est moins sensible qu'il ne l'a été il y a quelques mois ? Est-ce parce qu'il y a peut-être une alternance dans l'air et que chacun se dit qu'il aura lui aussi un jour à gérer la question corse ?
- "Le principe de responsabilité et de réalité va peut-être l'emporter. Je m'en réjouis. La Corse était devenue un problème pour elle-même d'abord, et pour la République ensuite. Si nous pouvons contribuer à le résoudre à travers ce projet, sa mise en application, la loi-programme, les investissements, dans la transparence, dans la légalité, nous aurons fait oeuvre utile. De ce point de vue, comme je le disais plaisamment récemment, il y aura de toute façon un Président de la République en 2002, il y aura un Gouvernement et une majorité issue des urnes. Alors, il ne faut jamais insulter l'avenir. Je suis heureux de voir un certain nombre de prises de position qui vont dans le sens de l'apaisement et de l'esprit de responsabilité. J'espère que ce sera le cas à l'Assemblée nationale cet après-midi. La Corse mérite mieux que les excès."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 15 mai 2001)