Texte intégral
Monsieur le Président,
Madame la Vice-Présidente,
Mesdames et Messieurs les Professeurs,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Mesdames et Messieurs les Etudiants,
Je suis très heureux de me trouver ici dans cette belle et grande université à la réputation déjà bien établie. Je vous remercie beaucoup de votre accueil.
J'ai rencontré déjà un certain nombre de ceux qui sont au premier rang et je suis sûr que vous, dans les domaines de recherche, en sciences politiques par exemple, en droit, en médecine, dans toutes les disciplines, vous allez apporter des résultats et commencer votre vie professionnelle sous les meilleurs auspices.
Le sujet que je vais évoquer devant vous est très difficile, parce que les crises ce sont toujours des situations très difficiles, et je vais m'efforcer d'abord de vous dire mon sentiment, le sentiment de la France car je suis le ministre des Affaires étrangères de la France, mais aussi je tenterai de vous donner le sentiment européen, le sentiment de l'Union européenne. Vous savez, tous les six mois, il y avait et il y a toujours - mais pour combien de temps ? Je ne sais pas - une Présidence tournante de l'Union européenne, c'est-à-dire que chacun des vingt-sept pays était président et offrait une cravate. Celle que je porte est la cravate espagnole, celle de la Présidence espagnole. Il y a maintenant une Haute représentante de la politique étrangère, Mme Catherine Ashton, et un nouveau président de l'Europe, M. Van Rompuy. Et, donc, la crise, c'est à travers l'Europe aussi, une crise de la compréhension et de la difficulté : c'est toujours difficile de suivre de nouvelles règles. Mais c'est un progrès, un très grand progrès qu'une représentante des vingt sept pays exprime l'opinion et les suggestions de tous les pays qui composent l'Union européenne.
On m'a souvent décrit, avec admiration, cette jeunesse coréenne intelligente, curieuse, créative, avide d'apprendre et de montrer ce qu'elle sait faire. Je suis heureux, aujourd'hui, de venir à votre rencontre. Vous êtes l'avenir du monde !
Quand je vous regarde, je pense à tous ceux qui vous ont précédés sur les bancs de cette université, et qui jouent aujourd'hui un rôle de premier plan dans la vie internationale. Je pense au Secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-moon, votre compatriote et mon ami. Je pense au président de la Cour pénale internationale, M. Song Sang-hyun. Je pense à votre ministre des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, M. Yu Myung-hwan, avec qui j'aurai le plaisir de m'entretenir tout à l'heure.
A travers eux, votre pays tout entier donne le meilleur de lui-même pour la conduite du monde. Je crois à la force des symboles. La Corée occupera cette année la présidence du G20. Et la France lui succédera en 2011. C'est un symbole, et plus qu'un symbole. Nous avons ensemble, Français et Coréens, une responsabilité commune dans la gestion des crises globales et des crises régionales, dont je vais vous parler.
Je le dis avec beaucoup de gravité, et avec beaucoup d'émotion, parce que vous vivez, ici, en Corée, avec le souvenir douloureux d'une crise qui a commencé il y a 60 ans, et qui ne s'est jamais vraiment refermée. Cette guerre, qui a marqué profondément votre peuple, et aussi l'histoire de votre université, la France l'a faite à vos côtés. Je veux rendre hommage à ceux qui ont combattu, et à ceux qui sont morts, et notamment aux hommes du bataillon français de Corée.
Vous avez appris à vivre avec l'ombre inquiétante, de ce passé lointain et de cette actualité. Cette conscience est aussi votre force. Elle vous prive d'une part d'insouciance, mais elle vous donne d'autant plus de maturité. Et elle vous donne un objectif, qui est un horizon important, capital, qui est celui de la paix et de la réconciliation. La France non plus ne l'oublie pas. Ce qui se passe dans votre région, et qui vous préoccupe, est aussi une préoccupation pour la France, comme pour l'Union européenne.
La guerre de Corée est née de la guerre froide. La guerre froide est finie. Mais la situation n'est pas plus simple. Le Mur de Berlin est tombé. Mais tous les murs ne sont pas tombés avec lui. Il reste encore des rideaux de fer et des frontières impénétrables ! J'en ai parlé avec votre président tout à l'heure et avec vous Madame. Il y avait quelques passages à travers cette frontière mais elle s'est à nouveau beaucoup refermée. On vous l'a dit et je vous remercie des mots que vous avez employés, Monsieur le Président, nous avons fondé, en 1971, Médecins sans frontières. Eh bien, chez vous, les médecins ne passent pas les frontières pour aller vers le Nord, et c'est inacceptable.
Le monde est plus prévisible, même s'il demeure encore obscur. Nous avons moins de certitudes bornées. Il y a peu de frontières comme celles qui traversent ce sous-continent, mais rien n'est vraiment réglé de l'opposition des idéologies.
Le monde est plus imprévisible, parce que la prolifération nucléaire et balistique, en Iran ou en Corée du Nord, ajoute une incertitude et un danger supplémentaires.
Le monde est plus imprévisible, aussi, parce que de nouvelles menaces se font jour. Je pense aux menaces qui se jouent des frontières, comme le terrorisme ou la criminalité internationale, le trafic de drogue, les uns et les autres étant souvent mêlés. Il s'agit là de la face obscure de la mondialisation.
Je pense aux crises globales, qui touchent ensemble tous les pays du monde. Je pense à la crise économique que vous avez traversée et dont vous avez triomphé pour une part. Je veux parler de la crise climatique, qui n'est pas réglée du tout, mais qui est au contraire bien réelle, installée pour longtemps, avec des conséquences que nous n'avons pas encore cernées.
Je veux parler de la crise de l'énergie, des matières premières, des produits agricoles, qui se prépare paradoxalement en raison d'une bonne nouvelle - le développement rapide des économies asiatiques. C'est une bonne nouvelle mais tout n'est pas réglé pour autant, puisque ce développement nous demande de repenser nos modes de croissance et de consommation, et porte aussi en lui-même des risques de conflits.
S'il y a un sujet sur lequel nous devons échanger, partager nos expériences et rassembler nos énergies, c'est donc bien celui-là : comment gérer ensemble, et même prévenir, les crises dont notre monde est porteur. Avant de répondre à vos questions, je voudrais vous faire part de quatre convictions.
La première conviction, c'est que nous ne devons pas laisser de côté ce que nous avons eu tant de peine à construire, et qui nous a tant apporté : nous ne devons pas laisser dériver le système des Nations unies, à la tête de laquelle se trouve M. Ban Ki-moon.
Qu'on y prenne garde, certains sont tentés de se replier derrière le cercle étroit d'intérêts exclusifs et restreints ? La France a fait son choix : tout le monde doit avoir sa place, l'Organisation des Nations unies est plus que jamais indispensable, et il est plus que jamais indispensable qu'elle se réforme, pour être pleinement efficace.
Rien ne peut remplacer les Nations unies. C'est pour cela que la France est favorable à l'élargissement du Conseil de sécurité à de nouveaux membres permanents - l'Allemagne, le Brésil, l'Inde, le Japon - ainsi qu'à une présence de l'Afrique parmi les membres permanents. Certains proposent une présence rotative : peut-être, pourquoi pas ? Il faut en tout cas élargir le cercle des membres du Conseil de sécurité. La question se pose également de la même façon quant à la présence parmi ces membres d'un pays arabe.
L'Organisation des Nations unies, voilà, encore aujourd'hui, l'enceinte privilégiée, celle qui a la légitimité, celle aussi, qui porte depuis plus de 60 ans les valeurs universelles - la gardienne de la Déclaration universelle des droits de l'Homme à laquelle nous sommes extrêmement attachés. Droits de l'Homme qui se respectent aujourd'hui moins qu'hier. Peut-être se respectent-t-ils mieux qu'avant-hier, mais il y a une petite dérive, un oubli des droits de l'Homme. Vous en êtes sûrement conscients.
Et je suis fier de le rappeler dans cette université, ici en Corée, dans une grande démocratie asiatique, qui illustre parfaitement la nécessaire conciliation entre l'universalité des principes, et la préservation de la culture nationale, dont vous êtes les témoins et les acteurs.
La France et la Corée ont d'ailleurs ces deux points en commun : le souci de l'universalité de la démocratie et des droits de l'Homme, et le souci du maintien de la diversité culturelle à l'échelle mondiale.
Parler de ces valeurs universelles ne constitue pas une digression : là où les droits de l'Homme sont bafoués, naissent les crises et les conflits ; et là où il y a conflit, les droits de l'Homme souffrent.
Que voyons-nous, tout près d'ici, en Corée du Nord ? Nous voyons que la confiscation de la démocratie va de pair avec le mépris des règles internationales. Et nous voyons que le mépris des droits de l'Homme va de pair avec la confiscation de la sécurité collective.
La résolution adoptée par la 64ème Assemblée générale des Nations unies a rappelé la vive préoccupation de la communauté internationale face aux multiples violations des droits de l'Homme et à la gravité de la situation humanitaire en Corée du Nord, c'est-à-dire de la situation de chaque homme, de chaque femme, de chaque enfant. Il faut aussi, à Genève, au Conseil des droits de l'Homme, renouveler le mandat du rapporteur spécial sur la Corée du Nord. La France et l'Union européenne travaillent dans ce sens. Je sais qu'il faudrait aussi réformer la commission des droits de l'Homme, parce qu'elle fonctionne de façon très chaotique, mais c'est le seul endroit où l'on en parle.
Quant aux programmes d'armes de destruction massive et de missiles de la Corée du Nord, ils ne mettent pas seulement en cause la paix et la stabilité de votre région. A travers les coopérations que Pyongyang poursuit inlassablement avec d'autres pays, en particulier au Proche et au Moyen-Orient, ils exportent au loin leurs ferments d'insécurité.
Cette situation n'est pas le propre de la Corée du Nord. En Iran aussi, le mépris des droits de l'Homme va de pair avec la confiscation de la sécurité collective.
Là encore, les Nations unies ont un rôle clef à jouer ; là encore, la France et la Corée partagent de mêmes intérêts et une même détermination ; là encore, nos deux pays devront prendre leurs responsabilités, pour accompagner et renforcer les décisions du Conseil de sécurité. La France et l'Union européenne ont toujours dit qu'il y avait deux chemins : la négociation, la parole échangée, la main tendue, ce que nous avons fait et que nous continuons à faire depuis 2002. J'ai parlé, comme ministre des Affaires étrangères, avec mes homologues iraniens, avec les dirigeants iraniens des dizaines de fois. Il faut continuer, mais malheureusement le dialogue ne débouche pas. C'est un chemin qu'il faut toujours emprunter, nous ne renonçons pas au dialogue, mais en même temps, au Conseil de sécurité, un texte se prépare sur des sanctions auxquelles nous travaillons tous ensemble pour avoir au mieux l'unanimité, et au moins la majorité du Conseil de sécurité. Ce n'est pas nouveau, Chers Amis, ce n'est pas une position dure et déterminée récente : il y a déjà eu trois résolutions du Conseil de sécurité avec des sanctions. Hélas cela n'était pas suffisant. Il y a quelque chose de très important qui s'est passé depuis, c'est qu'il y a un mouvement populaire en Iran, avec lequel il faut compter. Les protestations collectives, les protestations dans les rues se multiplient. C'est un phénomène qui, par rapport au début de nos négociations en 2002, est tout à fait nouveau et très important. Sur ce dossier, la Corée du Sud et la France sont partenaires. C'est très important : lutter contre la prolifération là-bas, c'est lutter en même temps contre la prolifération ici.
La France soutient très fortement les pourparlers à Six. Nous souhaitons leur reprise dès que possible, et nous l'avons dit au gouvernement de Pyongyang.
Nous soutenons aussi fortement les contacts inter-coréens, que nous espérons aussi fructueux que possible. Je répèterai tout à l'heure ce message de soutien à votre président de la République et à votre ministre des Affaires étrangères.
Et nous devons saisir ensemble toutes les dimensions de la crise nord-coréenne : prolifération nucléaire et balistique, relations inter-coréennes, crise économique, alimentaire et humanitaire, violations des droits de l'Homme. Nous savons que tous ces éléments sont liés. Nous devons les aborder ensemble. Pourquoi avons-nous besoin de l'ONU ? Parce que l'ONU est la seule enceinte capable de faire cette synthèse entre les droits de l'Homme et les dangers nucléaires, balistiques et les dangers humains.
Ma deuxième conviction, c'est qu'une crise enveloppe toujours plusieurs dimensions. Il faut les aborder ensemble, pour se donner une chance d'aboutir.
Il y a une vraie ressemblance entre l'art médical et la politique, dès lors que l'on touche à la gestion des crises. Dans les deux cas il faut agir très vite, si possible en amont, cela s'appelle la prévention. Mais en même temps, il ne faut pas faire d'erreur de diagnostic. Il ne faut pas s'arrêter au symptôme, même si celui-ci est massif. Il faut prendre en compte tous les symptômes, et traiter la crise dans son ensemble.
Prenons la crise économique. Elle n'est pas seulement économique. Ce qui s'est effondré en septembre 2008, c'est un certain paradigme de la mondialisation, et les valeurs sur lesquelles elle reposait. Avec le président Sarkozy, nous avons engagé un travail de réflexion sur la mesure de la croissance : parce qu'on mesure à peu près tout à l'aune du Produit intérieur brut, alors que le Produit intérieur brut ne mesure pas tout. Si nous voulons répondre correctement au défi lancé par la crise, il faut réviser aussi nos instruments de mesure !
Prenons l'Afghanistan : c'est l'exemple caractéristique d'une crise aux dimensions mêlées : dimension civile, militaire, religieuse, économique, sociale, nationale, régionale. La Corée va bientôt rejoindre l'effort de la communauté internationale, en prenant des responsabilités civiles et militaires dans la province de Parwan. Ce sera l'occasion pour nos deux pays de travailler ensemble sur un terrain extrêmement difficile. Je le dis selon la conviction de la France et la mienne, car j'ai été médecin en Afghanistan durant très longtemps : il n'y aura pas de solution militaire en Afghanistan. Il y aura une solution sécuritaire - c'est la raison pour laquelle il ne faut surtout pas partir - et une solution auprès des populations civiles.
La France a beaucoup oeuvré pour que toutes les dimensions de la crise soient prises en compte. Nous avons réuni à Paris cette Conférence sur l'Afghanistan qui pour la première fois a parlé d'afghanisation, avec les Afghans, pour les Afghans. Une solution purement militaire est un leurre : il faut aussi travailler à des projets de développement. Une solution purement "nationale" est aussi un leurre : il faut travailler à une meilleure coopération régionale. Tout ce qui rassure l'esprit, en simplifiant, blesse le réel et paralyse l'action. J'ai appris sur le terrain, et notamment au Kosovo, à libérer l'action en épousant les complexités du réel - quitte à ne pas rassurer l'esprit.
La Corée et la France coopèrent aussi, avec beaucoup d'autres, pour assurer la sécurité des voies maritimes dans le golfe d'Aden. Là encore, nous avons affaire à une crise aux dimensions multiples : une solution purement militaire ne suffit pas. Il faut aider l'Etat somalien à se reconstruire. Il faut aider, en Somalie, les hommes, les femmes, la société civile à se développer économiquement. Sinon, nous ne parviendrons à rien. Alors évidemment quand on aborde les problèmes ainsi on se complique la vie. C'est très compliqué et très coûteux, je sais, mais je vous assure et c'est ma deuxième conclusion, la question de l'aide au développement est l'un des piliers de la prévention des crises. Je salue à cet égard l'entrée de la Corée au Comité d'Aide au Développement de l'OCDE et son intention d'augmenter rapidement son aide au développement. Cette mission-là reste l'une des plus nobles, et l'une des plus utiles. Et je veux vous encourager, vous les étudiants, à contribuer de toutes vos forces à cet objectif de paix et de développement partout dans le monde. Vous savez, nous avons découvert à propos du changement climatique, à la Conférence de Copenhague, qu'il y avait des pays très pauvres et qu'il y avait - c'était nous - des pays beaucoup plus riches. C'est pour cela que la Conférence de Copenhague n'a pas connu le succès escompté, parce que demander à des pays très pauvres de ne pas polluer alors que nous avons, nous, beaucoup pollué, c'était un peu tard. Il aurait fallu préparer et réussir le développement et c'est une question qui est toujours posée. Nous n'avons pas la recette du développement. On doit se battre pour la bonne gouvernance, contre la corruption, bien sûr, mais d'immenses progrès restent à faire dans le domaine du développement.
Ma troisième conviction, c'est qu'il faut inventer des solidarités nouvelles, par delà le confort des habitudes et les déchirures de l'histoire.
Prenons l'exemple de la négociation climatique : on n'arrivera à rien si on ne dépasse pas les clivages du passé qui déterminent les blocages du présent. On n'y arrivera pas si on ne dépasse pas le clivage entre le Nord et le Sud, entre les pays riches et les autres. Il faut créer de nouvelles alliances, qui ne sont pas fondées sur un héritage, mais sur une volonté commune de progresser.
La France s'y est employée à Copenhague en décembre, pour débloquer une situation qui paraissait sans espoir. La semaine dernière, nous avons réuni à Paris une Conférence sur les grands bassins forestiers. Si on détruit la forêt, qui absorbe une partie de l'excès de carbone, on n'améliorera pas la situation climatique, au contraire. C'est, je crois, exactement le genre d'alliances dont nous avons besoin pour apporter des solutions concrètes à des problèmes concrets. Comment entretenir et renouveler la forêt. Nous avons voulu faire cela - c'était l'idée du président Sarkozy - juste après la Conférence de Copenhague et ne pas attendre des années pour que sous l'égide des Nations unies nous nous réunissions à nouveau pour constater que nous n'avions pas parlé, pas préparé, pas consacré assez d'argent au développement des pays qui en ont besoin.
La Corée a joué un rôle très constructif, pour rapprocher les positions entre les pays industrialisés et les pays émergents. Vous avez aussi montré l'exemple sur le plan intérieur : votre plan de relance est le plus "vert" de tous les plans de relance adoptés dans le monde. C'est un formidable pari sur l'avenir. Je ne peux ici que vous encourager, vous la jeune génération coréenne, à continuer de faire des efforts pour réduire encore les émissions de gaz à effet de serre dans votre pays et à continuer de montrer l'exemple.
La France est obstinément engagée dans la création de nouvelles alliances entre les pays et de nouvelles solidarités entre les peuples.
Nous avons proposé un Partenariat mondial pour l'agriculture, la sécurité alimentaire et la nutrition, en réponse à la crise alimentaire de 2007-2008 - souvenez-vous en : 250.000 en plus, c'est-à-dire plus d'un milliard de personnes qui à travers le monde se lève en se demandant s'ils auront mangé le soir. Ce partenariat a pour but d'améliorer la cohérence des politiques qui ont un impact sur la sécurité alimentaire, de renforcer la connaissance et l'expertise et de garantir des engagements financiers durables au service de la sécurité alimentaire.
Nous avons oeuvré en première ligne pour que le G20 devienne le principal forum de gouvernance économique internationale, là où le G8 ne faisait plus l'affaire. Il y avait un certain nombre de pays, dont le vôtre, qui n'étaient pas représentés au G8 et c'était scandaleux. Cela ne veut pas dire que le G20 puisse régler tous les problèmes : le G20 est avant tout une réunion économique. Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas réformer les Nations unies, voilà ce qu'il faut faire comprendre. Le G20 est un progrès, mais la réforme des Nations unies est, encore une fois, plus indispensable. Le G20 a prouvé son efficacité et remporté quelques succès en particulier sur la réforme du système financier mondial
Le travail doit se poursuivre, car la crise n'est pas finie. Il faut créer des mécanismes d'alerte précoce, pour prévenir de nouvelles crises. Et il faut agir à long terme. Je me félicite que la Corée ait la présidence du G20 en 2010, et que la question du développement soit inscrite à l'ordre du jour du Sommet de Séoul, en novembre, qui sera très important pour cela.
On n'avancera pas si l'on ne parvient pas à lever les fonds nécessaires. Et on ne lèvera pas les fonds nécessaires si on n'invente pas des nouveaux mécanismes de financement, à l'échelle du monde, et à la hauteur des défis de ces déséquilibres du développement. Les financements pour le XXIème siècle ne doivent pas être des financements du XXème siècle ! Pas des financements hérités du siècle d'avant.
C'est vrai pour la santé. La France a été pionnière dans la recherche des financements innovants pour la santé internationale : la contribution de solidarité sur les billets d'avion, qui permet de financer UNITAID - vous faites partie de cette solidarité -, est devenue incontournable parmi les outils d'appui à la santé.
Les résultats sont là : grâce à la mutualisation des ressources de plusieurs pays, dont la Corée, grâce à la prévisibilité de ressources, nous avons pu faire baisser substantiellement le prix des médicaments pédiatriques et contribuer à l'un des Objectifs du Millénaire, dans le cadre de l'accès universel aux médicaments contre les grandes pandémies comme le sida, la tuberculose et le paludisme.
Maintenant il faut aller plus loin. Il faut s'attaquer, Vous Mes Chers Amis, au moment du G20, au problème du développement dans son ensemble. Si nous voulons faire de la prévention, nous devons agir sur le développement. Et donc nous devons trouver de l'argent.
C'est pourquoi je plaide depuis 25 ans pour une taxe sur les transactions financières au service du développement. La solution proposée est simple, je l'ai proposée dans tous les gouvernements dont j'ai fait partie : on m'a toujours dit "non, ce n'est pas possible". Ce n'est jamais possible avant qu'on le fasse. Vous avez toujours les conservatismes, surtout financiers, mais politiques aussi. C'est extrêmement simple, il faut une contribution de 0,001 % sur toutes les transactions financières. Vous faites partie, vous la Corée, du groupe que nous avons créé - je crois qu'il y a 53 pays - et des experts qui rendront leur verdict en mai. 0,001 % : ce n'est pas beaucoup. Personne ne s'en aperçoit. Ce sont les banques qui verseront l'argent dans un fonds des Nations unies. Il faudra contrôler. Cela fait 40 milliards de dollars par an. Voilà ce que nous proposons, ce n'est pas un drame ! C'est une contribution au développement. Ceux qui sont responsables de la crise paieront 0,001 %, ce n'est pas tragique ! Notre ami Gordon Brown qui a fait la facilité financière, en particulier pour la santé dans le monde en développement, propose aussi des solutions. Il y a d'autres financements innovants. Mais la France n'y arrivera pas toute seule. Nous y arriverons si nous avons la Corée avec nous, si nous avons l'Asie avec nous, et l'Afrique, et tous ceux qui veulent construire l'avenir sur d'autres bases.
Si nous arrivons à faire bouger les lignes sur ce dossier, alors ce sera un pas décisif vers une économie plus raisonnable et un monde moins déséquilibré. La seule chose qui peut manquer, c'est l'audace d'y croire.
Bien sûr, il ne faut pas oublier ses voisins. Dans ces nouvelles alliances que nous entreprenons de bâtir, il ne faut pas oublier les alliances régionales. Je suis convaincu qu'elles seront un trait majeur, et je ne les oublie pas.
Voici ma quatrième et dernière conviction : nous devons donc inventer des coopérations nouvelles, à l'échelle régionale.
En Europe, nous nous sommes engagés dans la construction patiente et obstinée de l'Union européenne. Qu'est-ce que l'Union européenne ? Ce n'est pas seulement un espace de libre échange, de commerce et de prospérité. Ce n'est pas seulement un espace de paix, et une revanche sur les conflits qui ont ensanglanté l'Europe pendant des siècles. C'est aussi un espace qui veut porter au delà le meilleur de lui-même.
L'Union européenne, je vous l'ai dit tout à l'heure, est en train de renforcer ses capacités d'action extérieure. J'étais hier à Tokyo, et j'ai parlé de ces outils nouveaux dont l'Europe dispose grâce au Traité de Lisbonne, je vous en ai parlé au début : une Haute représentante pour les Affaires étrangères, un Service européen d'action extérieure.
Je veux insister sur ce point. On ne peut pas renforcer la stabilité à l'intérieur si l'on ne prend pas en même temps ses responsabilités à l'extérieur. Qu'est-ce que la sécurité ? Ce n'est pas : "avoir la paix". C'est "prendre ses responsabilités pour construire la paix". Sans générosité, pas de sécurité. Sans défense, pas de sécurité. Sans détermination, pas de sécurité.
Face aux crises - je vous l'ai dit à propos de l'Iran - l'Europe tend la main au reste du monde. Elle a mis en place une Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD), qui lui permet d'intervenir partout dans le monde. Pour prendre un exemple en Asie : en septembre 2005, l'Union européenne a pris la charge de la Mission de contrôle à Aché, en Indonésie, pour aider le gouvernement et les rebelles à trouver un nouveau cadre institutionnel et mettre un terme aux violences.
C'est une opération réussie, dans le prolongement de l'aide humanitaire apportée par l'Europe après le tsunami de 2004 (c'est-à-dire 1,5 milliard d'euros). Là aussi, sans doute, c'est parce que nous avons pu traiter de front un ensemble de problèmes que nous avons partiellement réussi.
C'est aussi une opération que nous avons menée conjointement avec l'ASEAN, c'est-à-dire avec l'organisation d'intégration régionale qui est, en dehors de l'Union européenne, l'une des plus développées dans le monde.
La capacité de chaque région à mettre sur pied ce genre d'organisation sera un facteur essentiel dans notre capacité collective à répondre aux crises, avec des outils plus proches du terrain, des interlocuteurs qui connaissent mieux la réalité locale.
Je parlais de la sécurité alimentaire, les réponses sont aussi au niveau régional. Ainsi, les systèmes régionaux d'alerte et de prévention ont bien fonctionné dans le cas de la récente crise sahélienne. Il faut donc contribuer au renforcement des capacités régionales en matière de sécurité alimentaire, en particulier dans le cadre du Programme détaillé pour le Développement de l'Agriculture en Afrique (CAADP) et c'est ce que vous souhaitez faire. Nous avons d'ailleurs entre la France et la Corée un groupe de réflexion sur cette question du développement en Afrique.
Vous l'avez compris : la gestion des crises n'est pas seulement une question d'institutions. C'est aussi une question de détermination politique, de détermination morale, de volonté. Nous avons créé cette Union européenne. Nous étions d'abord six au sortir de la deuxième Guerre mondiale, puis nous étions neuf, puis douze, puis quinze et nous voilà vingt-sept et ce n'est pas fini. C'est très difficile. Vous avez vingt-sept personnes autour de la table, ministres des Affaires étrangères par exemple ou chefs d'Etat, si vous les laissez simplement parler cinq minutes, il se passe déjà trois heures et vous n'avez pas dit grand chose. C'est ainsi, il faut ramasser sa pensée ! Et surtout, il faut écouter les autres, c'est le plus dur ! Ecouter les autres, c'est une discipline qui s'apprend aux dépens de soi-même. C'est vous qui souffrez, vous souffrez surtout de vos certitudes alléguées, parce qu'il y a aussi les certitudes des autres. L'Union européenne fonctionne sur le consensus, l'Union européenne, c'est la science, la discipline, la volonté du consensus: il faut être d'accord, et c'est très compliqué. Quand on pense, et je vous le dis à propos des financements innovants, ce n'est pas possible, vous verrez cela sera possible. J'ignore dans combien d'années. Mais quand on avait dit à la génération de mes parents que la France et l'Allemagne allaient se retrouver pour former une Union qui serait une vraie aventure politique, personne ne l'aurait cru, personne. Vous savez avec qui nous avons fait le plus la guerre - je parle de la France ? Nous avons fait 650 ans de guerre avec le Royaume-Uni ! Nous avons fait environ 100 ans de guerre avec l'Allemagne. Voilà c'est fait, cela a mis 60 ans, c'est beaucoup, c'est l'équivalent de trois générations - en admettant qu'une génération c'est 20 ans ! Ce sera ainsi pour demain, je pense que c'est une question d'état d'esprit. Nous avons besoin d'un nouvel état d'esprit, mondial, beaucoup plus conscient des responsabilités collectives. La crise climatique nous l'apprend, la crise alimentaire, la crise démographique, les conflits qui se préparent. Nous avons besoin d'un nouvel état d'esprit collectif.
Chers jeunes Etudiants, vous êtes dans la mondialisation, vous êtes ceux qui fabriquez la mondialisation. Vous devez avoir conscience que vous le faites avec les autres. Vous ne voyez pas que beaucoup de nationalismes se raniment maintenant parce que la crise crée aussi des réflexes nationaux dangereux. On pense que l'on va s'en sortir tout seul à l'intérieur de ses propres frontières, non c'est fini cela. Au début on croit que les initiatives nationales, et il en faut absolument, sont suffisantes, mais elles ne le sont pas. Il faut faire partager ses certitudes. Le travail commence à l'intérieur de chaque nation dans la perception qu'elle a de ses intérêts, de ses moyens et de son rôle dans le monde. La politique étrangère, c'est une affaire intérieure. Aucune crise, aucune difficulté ne peut se régler à l'intérieur de ses propres frontières, elle se règle avec les autres, chez soi aussi, bien sûr, mais avec les autres. J'ai beaucoup travaillé en France pour tenter de créer, avec bien d'autres, cet état d'esprit dans l'opinion publique et aussi dans la diplomatie. J'ai créé, en arrivant au ministère des Affaires étrangères, un Centre de crise qui peut répondre aux situations d'urgence.
Ce centre fonctionne 24 heures sur 24. Si vous êtes attentif à ce qui se passe dans le monde, chaque heure, chaque minute je dirais même, porte en elle-même ces ferments de crise. Je ne parle pas seulement des affrontements, des meurtres collectifs, des enlèvements qui sont maintenant une industrie, je parle des ferments politiques de déstabilisation. Si vous travaillez avec des ONG, vous verrez, ils le disent aussi car ces organisations non-gouvernementales sont beaucoup plus proches que les autres de la réalité de chaque pays, de la réalité sociale. Après tout l'important ce sont les individus, un par un !
Vous les membres de la société civile, et vous, tout particulièrement, les jeunes. Cet état d'esprit, il faut que vous le bâtissiez avec vos homologues, par vos échanges culturels, par vos échanges universitaires, par une meilleure circulation des idées.
La liberté d'expression, la libre circulation des idées, la transparence de l'information : ce ne sont pas seulement des droits pour l'Homme. C'est un rempart efficace pour bien gérer les crises, et pour les prévenir. Entretenez le secret et vous préparez la tempête ! Ouvrez l'information et vous ouvrirez les coeurs !
La solidarité entre les peuples - et entre les générations - commence par cette circulation des idées, et la solidarité entre les peuples est notre seule vraie réponse aux crises. Parce qu'elle permet de retrouver la conscience de cette responsabilité qui nous incombe collectivement : il faut protéger ceux que personne ne protège.
Il y a chez l'écrivain français Albert Camus une très belle phrase, qui résume assez bien notre situation et votre tâche, c'est-à-dire la tâche de votre génération, ce que nous n'avons pas su faire suffisamment.
"Chaque génération se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse".
Merci.
Q - (Au sujet de l'Afrique, des sanctions à l'égard de l'Iran et du G20)
R - La recette, s'il y a une recette, c'est de ne pas d'acheter des terres dans les pays africains. Ce n'est pas la solution et si l'on peut le dire diplomatiquement, ce n'est pas acceptable !
Deuxièmement, à propos des sanctions. Vous savez je ne suis pas vraiment en faveur des sanctions. Je ne suis pas sûr qu'elles fonctionnent, elles ont fonctionné pour l'Afrique du Sud mais pour le reste, je ne suis pas aussi sûr. Nous devons réfléchir aux sanctions et surtout savoir quel est le degré maximum de "bonne pression". Tout d'abord, elles doivent être adoptées dans le cadre du Conseil de sécurité des Nations unies. Ensuite, ces sanctions ne doivent pas sanctionner la population iranienne, sinon le réseau économique (assurance, réseaux bancaires...), c'est notre objectif, nous le ferons. J'ignore quand. Pour le moment, aucun texte n'a été accepté par l'ensemble des pays du groupe des Cinq mais nous y travaillons. Par ailleurs, nous et particulièrement mon pays, nous ne sommes pas seulement en faveur d'éventuelles sanctions, mais nous continuons à soutenir la voie du dialogue, des négociations. Cependant pour négocier, le minimum est d'être au moins deux, et pas seulement un, nous continuons donc à être ouverts au dialogue.
Concernant le G20, c'est votre tour actuellement. Je ne peux pas vous dire exactement les thèmes sur lesquels nous allons travailler. Ce qui est certain, c'est que nous travaillons d'ores et déjà à la préparation de votre sommet qui a lieu en novembre prochain. Il sera sans doute surtout question de développement.
Le G20 est plus ou moins consacré à l'économie, pas seulement mais principalement, le coeur du programme sera donc les conséquences de la crise économique. Par ailleurs, qu'allons-nous accepter en matière de modification de la régulation du monde économique avec le Fonds monétaire international, avec les autres institutions économiques et financières mondiales ? C'est davantage politique et pas seulement économique. C'est effectivement une crise économique mais nous devons être fortement déterminés, être favorable à équilibrer tout cela.
Merci.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 mars 2010
Madame la Vice-Présidente,
Mesdames et Messieurs les Professeurs,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Mesdames et Messieurs les Etudiants,
Je suis très heureux de me trouver ici dans cette belle et grande université à la réputation déjà bien établie. Je vous remercie beaucoup de votre accueil.
J'ai rencontré déjà un certain nombre de ceux qui sont au premier rang et je suis sûr que vous, dans les domaines de recherche, en sciences politiques par exemple, en droit, en médecine, dans toutes les disciplines, vous allez apporter des résultats et commencer votre vie professionnelle sous les meilleurs auspices.
Le sujet que je vais évoquer devant vous est très difficile, parce que les crises ce sont toujours des situations très difficiles, et je vais m'efforcer d'abord de vous dire mon sentiment, le sentiment de la France car je suis le ministre des Affaires étrangères de la France, mais aussi je tenterai de vous donner le sentiment européen, le sentiment de l'Union européenne. Vous savez, tous les six mois, il y avait et il y a toujours - mais pour combien de temps ? Je ne sais pas - une Présidence tournante de l'Union européenne, c'est-à-dire que chacun des vingt-sept pays était président et offrait une cravate. Celle que je porte est la cravate espagnole, celle de la Présidence espagnole. Il y a maintenant une Haute représentante de la politique étrangère, Mme Catherine Ashton, et un nouveau président de l'Europe, M. Van Rompuy. Et, donc, la crise, c'est à travers l'Europe aussi, une crise de la compréhension et de la difficulté : c'est toujours difficile de suivre de nouvelles règles. Mais c'est un progrès, un très grand progrès qu'une représentante des vingt sept pays exprime l'opinion et les suggestions de tous les pays qui composent l'Union européenne.
On m'a souvent décrit, avec admiration, cette jeunesse coréenne intelligente, curieuse, créative, avide d'apprendre et de montrer ce qu'elle sait faire. Je suis heureux, aujourd'hui, de venir à votre rencontre. Vous êtes l'avenir du monde !
Quand je vous regarde, je pense à tous ceux qui vous ont précédés sur les bancs de cette université, et qui jouent aujourd'hui un rôle de premier plan dans la vie internationale. Je pense au Secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-moon, votre compatriote et mon ami. Je pense au président de la Cour pénale internationale, M. Song Sang-hyun. Je pense à votre ministre des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, M. Yu Myung-hwan, avec qui j'aurai le plaisir de m'entretenir tout à l'heure.
A travers eux, votre pays tout entier donne le meilleur de lui-même pour la conduite du monde. Je crois à la force des symboles. La Corée occupera cette année la présidence du G20. Et la France lui succédera en 2011. C'est un symbole, et plus qu'un symbole. Nous avons ensemble, Français et Coréens, une responsabilité commune dans la gestion des crises globales et des crises régionales, dont je vais vous parler.
Je le dis avec beaucoup de gravité, et avec beaucoup d'émotion, parce que vous vivez, ici, en Corée, avec le souvenir douloureux d'une crise qui a commencé il y a 60 ans, et qui ne s'est jamais vraiment refermée. Cette guerre, qui a marqué profondément votre peuple, et aussi l'histoire de votre université, la France l'a faite à vos côtés. Je veux rendre hommage à ceux qui ont combattu, et à ceux qui sont morts, et notamment aux hommes du bataillon français de Corée.
Vous avez appris à vivre avec l'ombre inquiétante, de ce passé lointain et de cette actualité. Cette conscience est aussi votre force. Elle vous prive d'une part d'insouciance, mais elle vous donne d'autant plus de maturité. Et elle vous donne un objectif, qui est un horizon important, capital, qui est celui de la paix et de la réconciliation. La France non plus ne l'oublie pas. Ce qui se passe dans votre région, et qui vous préoccupe, est aussi une préoccupation pour la France, comme pour l'Union européenne.
La guerre de Corée est née de la guerre froide. La guerre froide est finie. Mais la situation n'est pas plus simple. Le Mur de Berlin est tombé. Mais tous les murs ne sont pas tombés avec lui. Il reste encore des rideaux de fer et des frontières impénétrables ! J'en ai parlé avec votre président tout à l'heure et avec vous Madame. Il y avait quelques passages à travers cette frontière mais elle s'est à nouveau beaucoup refermée. On vous l'a dit et je vous remercie des mots que vous avez employés, Monsieur le Président, nous avons fondé, en 1971, Médecins sans frontières. Eh bien, chez vous, les médecins ne passent pas les frontières pour aller vers le Nord, et c'est inacceptable.
Le monde est plus prévisible, même s'il demeure encore obscur. Nous avons moins de certitudes bornées. Il y a peu de frontières comme celles qui traversent ce sous-continent, mais rien n'est vraiment réglé de l'opposition des idéologies.
Le monde est plus imprévisible, parce que la prolifération nucléaire et balistique, en Iran ou en Corée du Nord, ajoute une incertitude et un danger supplémentaires.
Le monde est plus imprévisible, aussi, parce que de nouvelles menaces se font jour. Je pense aux menaces qui se jouent des frontières, comme le terrorisme ou la criminalité internationale, le trafic de drogue, les uns et les autres étant souvent mêlés. Il s'agit là de la face obscure de la mondialisation.
Je pense aux crises globales, qui touchent ensemble tous les pays du monde. Je pense à la crise économique que vous avez traversée et dont vous avez triomphé pour une part. Je veux parler de la crise climatique, qui n'est pas réglée du tout, mais qui est au contraire bien réelle, installée pour longtemps, avec des conséquences que nous n'avons pas encore cernées.
Je veux parler de la crise de l'énergie, des matières premières, des produits agricoles, qui se prépare paradoxalement en raison d'une bonne nouvelle - le développement rapide des économies asiatiques. C'est une bonne nouvelle mais tout n'est pas réglé pour autant, puisque ce développement nous demande de repenser nos modes de croissance et de consommation, et porte aussi en lui-même des risques de conflits.
S'il y a un sujet sur lequel nous devons échanger, partager nos expériences et rassembler nos énergies, c'est donc bien celui-là : comment gérer ensemble, et même prévenir, les crises dont notre monde est porteur. Avant de répondre à vos questions, je voudrais vous faire part de quatre convictions.
La première conviction, c'est que nous ne devons pas laisser de côté ce que nous avons eu tant de peine à construire, et qui nous a tant apporté : nous ne devons pas laisser dériver le système des Nations unies, à la tête de laquelle se trouve M. Ban Ki-moon.
Qu'on y prenne garde, certains sont tentés de se replier derrière le cercle étroit d'intérêts exclusifs et restreints ? La France a fait son choix : tout le monde doit avoir sa place, l'Organisation des Nations unies est plus que jamais indispensable, et il est plus que jamais indispensable qu'elle se réforme, pour être pleinement efficace.
Rien ne peut remplacer les Nations unies. C'est pour cela que la France est favorable à l'élargissement du Conseil de sécurité à de nouveaux membres permanents - l'Allemagne, le Brésil, l'Inde, le Japon - ainsi qu'à une présence de l'Afrique parmi les membres permanents. Certains proposent une présence rotative : peut-être, pourquoi pas ? Il faut en tout cas élargir le cercle des membres du Conseil de sécurité. La question se pose également de la même façon quant à la présence parmi ces membres d'un pays arabe.
L'Organisation des Nations unies, voilà, encore aujourd'hui, l'enceinte privilégiée, celle qui a la légitimité, celle aussi, qui porte depuis plus de 60 ans les valeurs universelles - la gardienne de la Déclaration universelle des droits de l'Homme à laquelle nous sommes extrêmement attachés. Droits de l'Homme qui se respectent aujourd'hui moins qu'hier. Peut-être se respectent-t-ils mieux qu'avant-hier, mais il y a une petite dérive, un oubli des droits de l'Homme. Vous en êtes sûrement conscients.
Et je suis fier de le rappeler dans cette université, ici en Corée, dans une grande démocratie asiatique, qui illustre parfaitement la nécessaire conciliation entre l'universalité des principes, et la préservation de la culture nationale, dont vous êtes les témoins et les acteurs.
La France et la Corée ont d'ailleurs ces deux points en commun : le souci de l'universalité de la démocratie et des droits de l'Homme, et le souci du maintien de la diversité culturelle à l'échelle mondiale.
Parler de ces valeurs universelles ne constitue pas une digression : là où les droits de l'Homme sont bafoués, naissent les crises et les conflits ; et là où il y a conflit, les droits de l'Homme souffrent.
Que voyons-nous, tout près d'ici, en Corée du Nord ? Nous voyons que la confiscation de la démocratie va de pair avec le mépris des règles internationales. Et nous voyons que le mépris des droits de l'Homme va de pair avec la confiscation de la sécurité collective.
La résolution adoptée par la 64ème Assemblée générale des Nations unies a rappelé la vive préoccupation de la communauté internationale face aux multiples violations des droits de l'Homme et à la gravité de la situation humanitaire en Corée du Nord, c'est-à-dire de la situation de chaque homme, de chaque femme, de chaque enfant. Il faut aussi, à Genève, au Conseil des droits de l'Homme, renouveler le mandat du rapporteur spécial sur la Corée du Nord. La France et l'Union européenne travaillent dans ce sens. Je sais qu'il faudrait aussi réformer la commission des droits de l'Homme, parce qu'elle fonctionne de façon très chaotique, mais c'est le seul endroit où l'on en parle.
Quant aux programmes d'armes de destruction massive et de missiles de la Corée du Nord, ils ne mettent pas seulement en cause la paix et la stabilité de votre région. A travers les coopérations que Pyongyang poursuit inlassablement avec d'autres pays, en particulier au Proche et au Moyen-Orient, ils exportent au loin leurs ferments d'insécurité.
Cette situation n'est pas le propre de la Corée du Nord. En Iran aussi, le mépris des droits de l'Homme va de pair avec la confiscation de la sécurité collective.
Là encore, les Nations unies ont un rôle clef à jouer ; là encore, la France et la Corée partagent de mêmes intérêts et une même détermination ; là encore, nos deux pays devront prendre leurs responsabilités, pour accompagner et renforcer les décisions du Conseil de sécurité. La France et l'Union européenne ont toujours dit qu'il y avait deux chemins : la négociation, la parole échangée, la main tendue, ce que nous avons fait et que nous continuons à faire depuis 2002. J'ai parlé, comme ministre des Affaires étrangères, avec mes homologues iraniens, avec les dirigeants iraniens des dizaines de fois. Il faut continuer, mais malheureusement le dialogue ne débouche pas. C'est un chemin qu'il faut toujours emprunter, nous ne renonçons pas au dialogue, mais en même temps, au Conseil de sécurité, un texte se prépare sur des sanctions auxquelles nous travaillons tous ensemble pour avoir au mieux l'unanimité, et au moins la majorité du Conseil de sécurité. Ce n'est pas nouveau, Chers Amis, ce n'est pas une position dure et déterminée récente : il y a déjà eu trois résolutions du Conseil de sécurité avec des sanctions. Hélas cela n'était pas suffisant. Il y a quelque chose de très important qui s'est passé depuis, c'est qu'il y a un mouvement populaire en Iran, avec lequel il faut compter. Les protestations collectives, les protestations dans les rues se multiplient. C'est un phénomène qui, par rapport au début de nos négociations en 2002, est tout à fait nouveau et très important. Sur ce dossier, la Corée du Sud et la France sont partenaires. C'est très important : lutter contre la prolifération là-bas, c'est lutter en même temps contre la prolifération ici.
La France soutient très fortement les pourparlers à Six. Nous souhaitons leur reprise dès que possible, et nous l'avons dit au gouvernement de Pyongyang.
Nous soutenons aussi fortement les contacts inter-coréens, que nous espérons aussi fructueux que possible. Je répèterai tout à l'heure ce message de soutien à votre président de la République et à votre ministre des Affaires étrangères.
Et nous devons saisir ensemble toutes les dimensions de la crise nord-coréenne : prolifération nucléaire et balistique, relations inter-coréennes, crise économique, alimentaire et humanitaire, violations des droits de l'Homme. Nous savons que tous ces éléments sont liés. Nous devons les aborder ensemble. Pourquoi avons-nous besoin de l'ONU ? Parce que l'ONU est la seule enceinte capable de faire cette synthèse entre les droits de l'Homme et les dangers nucléaires, balistiques et les dangers humains.
Ma deuxième conviction, c'est qu'une crise enveloppe toujours plusieurs dimensions. Il faut les aborder ensemble, pour se donner une chance d'aboutir.
Il y a une vraie ressemblance entre l'art médical et la politique, dès lors que l'on touche à la gestion des crises. Dans les deux cas il faut agir très vite, si possible en amont, cela s'appelle la prévention. Mais en même temps, il ne faut pas faire d'erreur de diagnostic. Il ne faut pas s'arrêter au symptôme, même si celui-ci est massif. Il faut prendre en compte tous les symptômes, et traiter la crise dans son ensemble.
Prenons la crise économique. Elle n'est pas seulement économique. Ce qui s'est effondré en septembre 2008, c'est un certain paradigme de la mondialisation, et les valeurs sur lesquelles elle reposait. Avec le président Sarkozy, nous avons engagé un travail de réflexion sur la mesure de la croissance : parce qu'on mesure à peu près tout à l'aune du Produit intérieur brut, alors que le Produit intérieur brut ne mesure pas tout. Si nous voulons répondre correctement au défi lancé par la crise, il faut réviser aussi nos instruments de mesure !
Prenons l'Afghanistan : c'est l'exemple caractéristique d'une crise aux dimensions mêlées : dimension civile, militaire, religieuse, économique, sociale, nationale, régionale. La Corée va bientôt rejoindre l'effort de la communauté internationale, en prenant des responsabilités civiles et militaires dans la province de Parwan. Ce sera l'occasion pour nos deux pays de travailler ensemble sur un terrain extrêmement difficile. Je le dis selon la conviction de la France et la mienne, car j'ai été médecin en Afghanistan durant très longtemps : il n'y aura pas de solution militaire en Afghanistan. Il y aura une solution sécuritaire - c'est la raison pour laquelle il ne faut surtout pas partir - et une solution auprès des populations civiles.
La France a beaucoup oeuvré pour que toutes les dimensions de la crise soient prises en compte. Nous avons réuni à Paris cette Conférence sur l'Afghanistan qui pour la première fois a parlé d'afghanisation, avec les Afghans, pour les Afghans. Une solution purement militaire est un leurre : il faut aussi travailler à des projets de développement. Une solution purement "nationale" est aussi un leurre : il faut travailler à une meilleure coopération régionale. Tout ce qui rassure l'esprit, en simplifiant, blesse le réel et paralyse l'action. J'ai appris sur le terrain, et notamment au Kosovo, à libérer l'action en épousant les complexités du réel - quitte à ne pas rassurer l'esprit.
La Corée et la France coopèrent aussi, avec beaucoup d'autres, pour assurer la sécurité des voies maritimes dans le golfe d'Aden. Là encore, nous avons affaire à une crise aux dimensions multiples : une solution purement militaire ne suffit pas. Il faut aider l'Etat somalien à se reconstruire. Il faut aider, en Somalie, les hommes, les femmes, la société civile à se développer économiquement. Sinon, nous ne parviendrons à rien. Alors évidemment quand on aborde les problèmes ainsi on se complique la vie. C'est très compliqué et très coûteux, je sais, mais je vous assure et c'est ma deuxième conclusion, la question de l'aide au développement est l'un des piliers de la prévention des crises. Je salue à cet égard l'entrée de la Corée au Comité d'Aide au Développement de l'OCDE et son intention d'augmenter rapidement son aide au développement. Cette mission-là reste l'une des plus nobles, et l'une des plus utiles. Et je veux vous encourager, vous les étudiants, à contribuer de toutes vos forces à cet objectif de paix et de développement partout dans le monde. Vous savez, nous avons découvert à propos du changement climatique, à la Conférence de Copenhague, qu'il y avait des pays très pauvres et qu'il y avait - c'était nous - des pays beaucoup plus riches. C'est pour cela que la Conférence de Copenhague n'a pas connu le succès escompté, parce que demander à des pays très pauvres de ne pas polluer alors que nous avons, nous, beaucoup pollué, c'était un peu tard. Il aurait fallu préparer et réussir le développement et c'est une question qui est toujours posée. Nous n'avons pas la recette du développement. On doit se battre pour la bonne gouvernance, contre la corruption, bien sûr, mais d'immenses progrès restent à faire dans le domaine du développement.
Ma troisième conviction, c'est qu'il faut inventer des solidarités nouvelles, par delà le confort des habitudes et les déchirures de l'histoire.
Prenons l'exemple de la négociation climatique : on n'arrivera à rien si on ne dépasse pas les clivages du passé qui déterminent les blocages du présent. On n'y arrivera pas si on ne dépasse pas le clivage entre le Nord et le Sud, entre les pays riches et les autres. Il faut créer de nouvelles alliances, qui ne sont pas fondées sur un héritage, mais sur une volonté commune de progresser.
La France s'y est employée à Copenhague en décembre, pour débloquer une situation qui paraissait sans espoir. La semaine dernière, nous avons réuni à Paris une Conférence sur les grands bassins forestiers. Si on détruit la forêt, qui absorbe une partie de l'excès de carbone, on n'améliorera pas la situation climatique, au contraire. C'est, je crois, exactement le genre d'alliances dont nous avons besoin pour apporter des solutions concrètes à des problèmes concrets. Comment entretenir et renouveler la forêt. Nous avons voulu faire cela - c'était l'idée du président Sarkozy - juste après la Conférence de Copenhague et ne pas attendre des années pour que sous l'égide des Nations unies nous nous réunissions à nouveau pour constater que nous n'avions pas parlé, pas préparé, pas consacré assez d'argent au développement des pays qui en ont besoin.
La Corée a joué un rôle très constructif, pour rapprocher les positions entre les pays industrialisés et les pays émergents. Vous avez aussi montré l'exemple sur le plan intérieur : votre plan de relance est le plus "vert" de tous les plans de relance adoptés dans le monde. C'est un formidable pari sur l'avenir. Je ne peux ici que vous encourager, vous la jeune génération coréenne, à continuer de faire des efforts pour réduire encore les émissions de gaz à effet de serre dans votre pays et à continuer de montrer l'exemple.
La France est obstinément engagée dans la création de nouvelles alliances entre les pays et de nouvelles solidarités entre les peuples.
Nous avons proposé un Partenariat mondial pour l'agriculture, la sécurité alimentaire et la nutrition, en réponse à la crise alimentaire de 2007-2008 - souvenez-vous en : 250.000 en plus, c'est-à-dire plus d'un milliard de personnes qui à travers le monde se lève en se demandant s'ils auront mangé le soir. Ce partenariat a pour but d'améliorer la cohérence des politiques qui ont un impact sur la sécurité alimentaire, de renforcer la connaissance et l'expertise et de garantir des engagements financiers durables au service de la sécurité alimentaire.
Nous avons oeuvré en première ligne pour que le G20 devienne le principal forum de gouvernance économique internationale, là où le G8 ne faisait plus l'affaire. Il y avait un certain nombre de pays, dont le vôtre, qui n'étaient pas représentés au G8 et c'était scandaleux. Cela ne veut pas dire que le G20 puisse régler tous les problèmes : le G20 est avant tout une réunion économique. Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas réformer les Nations unies, voilà ce qu'il faut faire comprendre. Le G20 est un progrès, mais la réforme des Nations unies est, encore une fois, plus indispensable. Le G20 a prouvé son efficacité et remporté quelques succès en particulier sur la réforme du système financier mondial
Le travail doit se poursuivre, car la crise n'est pas finie. Il faut créer des mécanismes d'alerte précoce, pour prévenir de nouvelles crises. Et il faut agir à long terme. Je me félicite que la Corée ait la présidence du G20 en 2010, et que la question du développement soit inscrite à l'ordre du jour du Sommet de Séoul, en novembre, qui sera très important pour cela.
On n'avancera pas si l'on ne parvient pas à lever les fonds nécessaires. Et on ne lèvera pas les fonds nécessaires si on n'invente pas des nouveaux mécanismes de financement, à l'échelle du monde, et à la hauteur des défis de ces déséquilibres du développement. Les financements pour le XXIème siècle ne doivent pas être des financements du XXème siècle ! Pas des financements hérités du siècle d'avant.
C'est vrai pour la santé. La France a été pionnière dans la recherche des financements innovants pour la santé internationale : la contribution de solidarité sur les billets d'avion, qui permet de financer UNITAID - vous faites partie de cette solidarité -, est devenue incontournable parmi les outils d'appui à la santé.
Les résultats sont là : grâce à la mutualisation des ressources de plusieurs pays, dont la Corée, grâce à la prévisibilité de ressources, nous avons pu faire baisser substantiellement le prix des médicaments pédiatriques et contribuer à l'un des Objectifs du Millénaire, dans le cadre de l'accès universel aux médicaments contre les grandes pandémies comme le sida, la tuberculose et le paludisme.
Maintenant il faut aller plus loin. Il faut s'attaquer, Vous Mes Chers Amis, au moment du G20, au problème du développement dans son ensemble. Si nous voulons faire de la prévention, nous devons agir sur le développement. Et donc nous devons trouver de l'argent.
C'est pourquoi je plaide depuis 25 ans pour une taxe sur les transactions financières au service du développement. La solution proposée est simple, je l'ai proposée dans tous les gouvernements dont j'ai fait partie : on m'a toujours dit "non, ce n'est pas possible". Ce n'est jamais possible avant qu'on le fasse. Vous avez toujours les conservatismes, surtout financiers, mais politiques aussi. C'est extrêmement simple, il faut une contribution de 0,001 % sur toutes les transactions financières. Vous faites partie, vous la Corée, du groupe que nous avons créé - je crois qu'il y a 53 pays - et des experts qui rendront leur verdict en mai. 0,001 % : ce n'est pas beaucoup. Personne ne s'en aperçoit. Ce sont les banques qui verseront l'argent dans un fonds des Nations unies. Il faudra contrôler. Cela fait 40 milliards de dollars par an. Voilà ce que nous proposons, ce n'est pas un drame ! C'est une contribution au développement. Ceux qui sont responsables de la crise paieront 0,001 %, ce n'est pas tragique ! Notre ami Gordon Brown qui a fait la facilité financière, en particulier pour la santé dans le monde en développement, propose aussi des solutions. Il y a d'autres financements innovants. Mais la France n'y arrivera pas toute seule. Nous y arriverons si nous avons la Corée avec nous, si nous avons l'Asie avec nous, et l'Afrique, et tous ceux qui veulent construire l'avenir sur d'autres bases.
Si nous arrivons à faire bouger les lignes sur ce dossier, alors ce sera un pas décisif vers une économie plus raisonnable et un monde moins déséquilibré. La seule chose qui peut manquer, c'est l'audace d'y croire.
Bien sûr, il ne faut pas oublier ses voisins. Dans ces nouvelles alliances que nous entreprenons de bâtir, il ne faut pas oublier les alliances régionales. Je suis convaincu qu'elles seront un trait majeur, et je ne les oublie pas.
Voici ma quatrième et dernière conviction : nous devons donc inventer des coopérations nouvelles, à l'échelle régionale.
En Europe, nous nous sommes engagés dans la construction patiente et obstinée de l'Union européenne. Qu'est-ce que l'Union européenne ? Ce n'est pas seulement un espace de libre échange, de commerce et de prospérité. Ce n'est pas seulement un espace de paix, et une revanche sur les conflits qui ont ensanglanté l'Europe pendant des siècles. C'est aussi un espace qui veut porter au delà le meilleur de lui-même.
L'Union européenne, je vous l'ai dit tout à l'heure, est en train de renforcer ses capacités d'action extérieure. J'étais hier à Tokyo, et j'ai parlé de ces outils nouveaux dont l'Europe dispose grâce au Traité de Lisbonne, je vous en ai parlé au début : une Haute représentante pour les Affaires étrangères, un Service européen d'action extérieure.
Je veux insister sur ce point. On ne peut pas renforcer la stabilité à l'intérieur si l'on ne prend pas en même temps ses responsabilités à l'extérieur. Qu'est-ce que la sécurité ? Ce n'est pas : "avoir la paix". C'est "prendre ses responsabilités pour construire la paix". Sans générosité, pas de sécurité. Sans défense, pas de sécurité. Sans détermination, pas de sécurité.
Face aux crises - je vous l'ai dit à propos de l'Iran - l'Europe tend la main au reste du monde. Elle a mis en place une Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD), qui lui permet d'intervenir partout dans le monde. Pour prendre un exemple en Asie : en septembre 2005, l'Union européenne a pris la charge de la Mission de contrôle à Aché, en Indonésie, pour aider le gouvernement et les rebelles à trouver un nouveau cadre institutionnel et mettre un terme aux violences.
C'est une opération réussie, dans le prolongement de l'aide humanitaire apportée par l'Europe après le tsunami de 2004 (c'est-à-dire 1,5 milliard d'euros). Là aussi, sans doute, c'est parce que nous avons pu traiter de front un ensemble de problèmes que nous avons partiellement réussi.
C'est aussi une opération que nous avons menée conjointement avec l'ASEAN, c'est-à-dire avec l'organisation d'intégration régionale qui est, en dehors de l'Union européenne, l'une des plus développées dans le monde.
La capacité de chaque région à mettre sur pied ce genre d'organisation sera un facteur essentiel dans notre capacité collective à répondre aux crises, avec des outils plus proches du terrain, des interlocuteurs qui connaissent mieux la réalité locale.
Je parlais de la sécurité alimentaire, les réponses sont aussi au niveau régional. Ainsi, les systèmes régionaux d'alerte et de prévention ont bien fonctionné dans le cas de la récente crise sahélienne. Il faut donc contribuer au renforcement des capacités régionales en matière de sécurité alimentaire, en particulier dans le cadre du Programme détaillé pour le Développement de l'Agriculture en Afrique (CAADP) et c'est ce que vous souhaitez faire. Nous avons d'ailleurs entre la France et la Corée un groupe de réflexion sur cette question du développement en Afrique.
Vous l'avez compris : la gestion des crises n'est pas seulement une question d'institutions. C'est aussi une question de détermination politique, de détermination morale, de volonté. Nous avons créé cette Union européenne. Nous étions d'abord six au sortir de la deuxième Guerre mondiale, puis nous étions neuf, puis douze, puis quinze et nous voilà vingt-sept et ce n'est pas fini. C'est très difficile. Vous avez vingt-sept personnes autour de la table, ministres des Affaires étrangères par exemple ou chefs d'Etat, si vous les laissez simplement parler cinq minutes, il se passe déjà trois heures et vous n'avez pas dit grand chose. C'est ainsi, il faut ramasser sa pensée ! Et surtout, il faut écouter les autres, c'est le plus dur ! Ecouter les autres, c'est une discipline qui s'apprend aux dépens de soi-même. C'est vous qui souffrez, vous souffrez surtout de vos certitudes alléguées, parce qu'il y a aussi les certitudes des autres. L'Union européenne fonctionne sur le consensus, l'Union européenne, c'est la science, la discipline, la volonté du consensus: il faut être d'accord, et c'est très compliqué. Quand on pense, et je vous le dis à propos des financements innovants, ce n'est pas possible, vous verrez cela sera possible. J'ignore dans combien d'années. Mais quand on avait dit à la génération de mes parents que la France et l'Allemagne allaient se retrouver pour former une Union qui serait une vraie aventure politique, personne ne l'aurait cru, personne. Vous savez avec qui nous avons fait le plus la guerre - je parle de la France ? Nous avons fait 650 ans de guerre avec le Royaume-Uni ! Nous avons fait environ 100 ans de guerre avec l'Allemagne. Voilà c'est fait, cela a mis 60 ans, c'est beaucoup, c'est l'équivalent de trois générations - en admettant qu'une génération c'est 20 ans ! Ce sera ainsi pour demain, je pense que c'est une question d'état d'esprit. Nous avons besoin d'un nouvel état d'esprit, mondial, beaucoup plus conscient des responsabilités collectives. La crise climatique nous l'apprend, la crise alimentaire, la crise démographique, les conflits qui se préparent. Nous avons besoin d'un nouvel état d'esprit collectif.
Chers jeunes Etudiants, vous êtes dans la mondialisation, vous êtes ceux qui fabriquez la mondialisation. Vous devez avoir conscience que vous le faites avec les autres. Vous ne voyez pas que beaucoup de nationalismes se raniment maintenant parce que la crise crée aussi des réflexes nationaux dangereux. On pense que l'on va s'en sortir tout seul à l'intérieur de ses propres frontières, non c'est fini cela. Au début on croit que les initiatives nationales, et il en faut absolument, sont suffisantes, mais elles ne le sont pas. Il faut faire partager ses certitudes. Le travail commence à l'intérieur de chaque nation dans la perception qu'elle a de ses intérêts, de ses moyens et de son rôle dans le monde. La politique étrangère, c'est une affaire intérieure. Aucune crise, aucune difficulté ne peut se régler à l'intérieur de ses propres frontières, elle se règle avec les autres, chez soi aussi, bien sûr, mais avec les autres. J'ai beaucoup travaillé en France pour tenter de créer, avec bien d'autres, cet état d'esprit dans l'opinion publique et aussi dans la diplomatie. J'ai créé, en arrivant au ministère des Affaires étrangères, un Centre de crise qui peut répondre aux situations d'urgence.
Ce centre fonctionne 24 heures sur 24. Si vous êtes attentif à ce qui se passe dans le monde, chaque heure, chaque minute je dirais même, porte en elle-même ces ferments de crise. Je ne parle pas seulement des affrontements, des meurtres collectifs, des enlèvements qui sont maintenant une industrie, je parle des ferments politiques de déstabilisation. Si vous travaillez avec des ONG, vous verrez, ils le disent aussi car ces organisations non-gouvernementales sont beaucoup plus proches que les autres de la réalité de chaque pays, de la réalité sociale. Après tout l'important ce sont les individus, un par un !
Vous les membres de la société civile, et vous, tout particulièrement, les jeunes. Cet état d'esprit, il faut que vous le bâtissiez avec vos homologues, par vos échanges culturels, par vos échanges universitaires, par une meilleure circulation des idées.
La liberté d'expression, la libre circulation des idées, la transparence de l'information : ce ne sont pas seulement des droits pour l'Homme. C'est un rempart efficace pour bien gérer les crises, et pour les prévenir. Entretenez le secret et vous préparez la tempête ! Ouvrez l'information et vous ouvrirez les coeurs !
La solidarité entre les peuples - et entre les générations - commence par cette circulation des idées, et la solidarité entre les peuples est notre seule vraie réponse aux crises. Parce qu'elle permet de retrouver la conscience de cette responsabilité qui nous incombe collectivement : il faut protéger ceux que personne ne protège.
Il y a chez l'écrivain français Albert Camus une très belle phrase, qui résume assez bien notre situation et votre tâche, c'est-à-dire la tâche de votre génération, ce que nous n'avons pas su faire suffisamment.
"Chaque génération se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse".
Merci.
Q - (Au sujet de l'Afrique, des sanctions à l'égard de l'Iran et du G20)
R - La recette, s'il y a une recette, c'est de ne pas d'acheter des terres dans les pays africains. Ce n'est pas la solution et si l'on peut le dire diplomatiquement, ce n'est pas acceptable !
Deuxièmement, à propos des sanctions. Vous savez je ne suis pas vraiment en faveur des sanctions. Je ne suis pas sûr qu'elles fonctionnent, elles ont fonctionné pour l'Afrique du Sud mais pour le reste, je ne suis pas aussi sûr. Nous devons réfléchir aux sanctions et surtout savoir quel est le degré maximum de "bonne pression". Tout d'abord, elles doivent être adoptées dans le cadre du Conseil de sécurité des Nations unies. Ensuite, ces sanctions ne doivent pas sanctionner la population iranienne, sinon le réseau économique (assurance, réseaux bancaires...), c'est notre objectif, nous le ferons. J'ignore quand. Pour le moment, aucun texte n'a été accepté par l'ensemble des pays du groupe des Cinq mais nous y travaillons. Par ailleurs, nous et particulièrement mon pays, nous ne sommes pas seulement en faveur d'éventuelles sanctions, mais nous continuons à soutenir la voie du dialogue, des négociations. Cependant pour négocier, le minimum est d'être au moins deux, et pas seulement un, nous continuons donc à être ouverts au dialogue.
Concernant le G20, c'est votre tour actuellement. Je ne peux pas vous dire exactement les thèmes sur lesquels nous allons travailler. Ce qui est certain, c'est que nous travaillons d'ores et déjà à la préparation de votre sommet qui a lieu en novembre prochain. Il sera sans doute surtout question de développement.
Le G20 est plus ou moins consacré à l'économie, pas seulement mais principalement, le coeur du programme sera donc les conséquences de la crise économique. Par ailleurs, qu'allons-nous accepter en matière de modification de la régulation du monde économique avec le Fonds monétaire international, avec les autres institutions économiques et financières mondiales ? C'est davantage politique et pas seulement économique. C'est effectivement une crise économique mais nous devons être fortement déterminés, être favorable à équilibrer tout cela.
Merci.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 mars 2010