Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Plusieurs affaires récentes ont mis en évidence les lacunes de notre dispositif législatif pour protéger et conserver notre patrimoine mobilier mais aussi les décors intérieurs qui font souvent la richesse de notre patrimoine immobilier.
Je citerai notamment les affaires relatives aux dépeçages des châteaux de La Roche-Guyon et de Châteauneuf-sur-Cher ainsi que de plusieurs châteaux appartenant à une société japonaise Nippon Sangyoo.
Dans le cas du château de La Roche Guyon, deux longues procédures contentieuses ont été nécessaires pour obtenir la remise en place des boiseries de la bibliothèque et de bas-reliefs qui avaient été enlevés.
Dans le second exemple, plus récent, du château de Châteauneuf-sur-Cher : les services du ministère de la Culture ont visité le château afin d'étudier avec la propriétaire actuelle les conditions de futurs travaux d'aménagement dans la perspective d'un projet de vente du bien. Ils ont eu, alors, la mauvaise surprise de constater la disparition de boiseries et d'éléments significatifs du décor intérieur. Une plainte a été déposée auprès du procureur de la République.
- Dans l'affaire de château de la Nippon Sangyoo, qui est citée par Monsieur Lequiller, faute de moyens législatifs, le mobilier a pu être légalement enlevé sans que l'administration puisse intervenir. Six des huit châteaux acquis par la société japonaise étaient classés parmi les monuments historiques.
Le mobilier du château de Rosny-sur-Seine et le domaine du château de Madame du Barry à Louveciennes étaient classés par décret en Conseil d'État. Cependant, selon les dispositions législatives actuelles, le classement ne permet pas le maintien dans les lieux du mobilier classé et le déplacement de celui-ci n'est aujourd'hui même pas soumis à une simple déclaration préalable. Ce mobilier, même s'il possède un lien étroit avec l'édifice dans lequel il peut se trouver depuis l'origine, peut donc être enlevé, vendu et dispersé comme cela s'est produit pour le mobilier du château de Rosny-sur-Seine.
J'observe que les dernières dispositions législatives en matière de protection du patrimoine mobilier datent de la loi du 23 décembre 1970 qui a modifié la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques. Le contexte a bien changé depuis : les échanges internationaux se sont accélérés, les frontières européennes se sont ouvertes et les risques de spéculation sur le patrimoine mobilier national d'intérêt majeur sont devenus bien réels. Ainsi, le maintien de l'intégrité des édifices protégés au titre des monuments historiques, et notamment la conservation de leur décor intérieur, est devenu de plus en plus difficile en raison des prix atteints sur le marché de l'art.
Sans nécessairement reprendre terme pour terme la formule d'un tout récent ancien président-directeur de grand musée national selon lequel " France, ton patrimoine fiche la camp ", je conviens avec lui que sur le fond, la protection ou la simple préservation de l'unité patrimoniale est de plus en plus ardue.
Il est bien difficile de concilier les différentes facettes de la fascination exercée par l'art - fidélité familiale, fidélité patrimoniale, fascination culturelle et de mémoire - quand, avec l'art, l'universel côtoie le singulier.
Aucune disposition légale ne fait en effet obstacle à ce qu'un propriétaire puisse enlever et vendre non seulement le mobilier proprement dit mais aussi certains des éléments de décor de l'édifice qui lui appartient, même si ceux-ci sont classés. Il en résulte que lorsque les édifices sont ainsi entièrement dépouillés, une grande part de leur intérêt historique et artistique disparaît et leur protection comme monument historique est largement vidée de son sens.
Pour améliorer de façon significative la protection des objets mobiliers, il me semble donc que l'intervention du législateur est très opportune. Le renforcement du dispositif proposé par le rapporteur et la commission des affaires culturelles constitue un aboutissement de la réflexion engagée depuis plusieurs années sur ce sujet.
Je pense en particulier à l'introduction dans la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques de dispositions essentielles :
- les immeubles par destination jusqu'alors assimilés par la loi aux objets mobiliers seront rattachés, comme dans le droit commun, au régime des immeubles par nature.
Les dispositions du chapitre premier de la loi contre le dépeçage des immeubles deviendront ainsi applicables aux éléments de décor des édifices protégés (cheminées, boiseries, glaces, peintures intégrées à leur support), qui sont immeubles par destination.
Sera instituée la possibilité de classer des ensembles mixtes immobiliers et mobiliers lorsque ces ensembles présentent une grande qualité historique, artistique, scientifique ou technique et une cohérence exceptionnelle qui doit être conservée.
Les meubles et les immeubles par destination appartenant aux ensembles mixtes classés ne pourront en être ni soustraits ni détachés sans autorisation. Sera instituée la possibilité de classer des ensembles mobiliers qui pourront être librement déplacés mais pas divisés sans autorisation. Il s'agit d'éviter la dissociation des éléments de collections mobilières d'un grand intérêt. La possibilité d'inscrire des objets mobiliers sur l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, mesure qui n'existe actuellement que pour les objets appartenant à des collectivités publiques, sera étendue aux objets appartenant aux propriétaires privés.
Sera instituée une déclaration préalable, deux mois à l'avance, d'intention de cession d'un objet privé classé. Cette disposition permettra à une collectivité publique d'étudier dans un délai raisonnable les conditions d'une éventuelle offre d'acquisition à présenter au propriétaire.
Sera instituée une autorisation de déplacement des objets classés appartenant à des collectivités publiques, pour permettre à l'administration des affaires culturelles de contrôler la bonne conservation de l'objet lors notamment de prêts pour expositions.
La déclaration préalable existante de travaux sur les immeubles inscrits sera transformée en autorisation pour permettre à l'administration une surveillance et un contrôle des travaux sur les immeubles inscrits de qualité équivalente à celui existant sur les immeubles classés.
Cependant, ce dispositif ne sera réellement efficace que si les propriétaires privés sont incités à demander ou accepter le classement des objets remarquables leur appartenant et donc, par voie de conséquence, les servitudes qui en découlent. C'est pourquoi, après accord entre le Ministère de la culture et le Ministère des finances, le gouvernement a décidé de proposer un amendement comportant des mesures fiscales favorisant cette démarche :
En premier lieu, le champ d'application de l'exonération des droits de mutation à titre gratuit visée à l'article 795A du code général des impôts sera élargi.
Aujourd'hui les héritiers, légataires ou donataires d'un immeuble classé ou inscrit et des biens meubles qui en constituent le complément bénéficient d'une exonération totale de ces droits s'ils concluent avec l'Etat une convention d'ouverture au public des lieux pour une durée fixée par décret à au moins 100 jours par an. Le nombre de ces conventions est faible (à peine 50).
Le gouvernement est donc amené à vous proposer un mécanisme supplémentaire d'exonération partielle de droits de mutation au bénéfice des héritiers, légataires ou donataires s'ils concluent avec l'État une convention d'ouverture au public des lieux pour une durée plus limitée, qui serait fixée par décret à au moins trente jours (30) par an.
En second lieu , le gouvernement propose de faire droit à une demande ancienne de la part des propriétaires effectivement dissuasive s'il y a dénonciation de la convention. Actuellement en effet, l'article 1727 A du Code général des impôts dispose que les intérêts dus sont calculés selon un barème progressif en fonction de la durée d'application de la convention, ce qui est particulièrement pénalisant pour les signataires de la convention.
La modification de l'article 1727 A du Code général des impôts inverse ce principe : les intérêts dus seront calculés selon un barème dégressif en fonction de la durée d'application de la convention.
A ce stade de mon propos, je voudrais conclure en observant que le renforcement du dispositif législatif proposé va tout à fait dans le sens des préoccupations de l'État, mais aussi de celles des acteurs qui interviennent en faveur de la sauvegarde du patrimoine, je pense notamment aux associations, en rappelant que nous célébrons cette année le centenaire de la loi du 1er juillet 1901 et que le thème retenu pour les prochaines journées du patrimoine au mois de septembre est précisément " patrimoine et associations ".
Pour l'ensemble de ces raisons, parce que l'esprit dans lequel Monsieur Lequiller présente sa proposition de loi, et l'important travail de la commission des affaires culturelles à ses côtés rejoignent nos préoccupations, je me réjouis très sincèrement que nous puissions aujourd'hui débattre d'un sujet-clef du Patrimoine - la protection du patrimoine mobilier, solidaire des immeubles, solidaire de l'histoire
- et que soit ainsi posé un jalon supplémentaire d'une politique patrimoniale nationale.
Merci.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 3 avril 2001)
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Plusieurs affaires récentes ont mis en évidence les lacunes de notre dispositif législatif pour protéger et conserver notre patrimoine mobilier mais aussi les décors intérieurs qui font souvent la richesse de notre patrimoine immobilier.
Je citerai notamment les affaires relatives aux dépeçages des châteaux de La Roche-Guyon et de Châteauneuf-sur-Cher ainsi que de plusieurs châteaux appartenant à une société japonaise Nippon Sangyoo.
Dans le cas du château de La Roche Guyon, deux longues procédures contentieuses ont été nécessaires pour obtenir la remise en place des boiseries de la bibliothèque et de bas-reliefs qui avaient été enlevés.
Dans le second exemple, plus récent, du château de Châteauneuf-sur-Cher : les services du ministère de la Culture ont visité le château afin d'étudier avec la propriétaire actuelle les conditions de futurs travaux d'aménagement dans la perspective d'un projet de vente du bien. Ils ont eu, alors, la mauvaise surprise de constater la disparition de boiseries et d'éléments significatifs du décor intérieur. Une plainte a été déposée auprès du procureur de la République.
- Dans l'affaire de château de la Nippon Sangyoo, qui est citée par Monsieur Lequiller, faute de moyens législatifs, le mobilier a pu être légalement enlevé sans que l'administration puisse intervenir. Six des huit châteaux acquis par la société japonaise étaient classés parmi les monuments historiques.
Le mobilier du château de Rosny-sur-Seine et le domaine du château de Madame du Barry à Louveciennes étaient classés par décret en Conseil d'État. Cependant, selon les dispositions législatives actuelles, le classement ne permet pas le maintien dans les lieux du mobilier classé et le déplacement de celui-ci n'est aujourd'hui même pas soumis à une simple déclaration préalable. Ce mobilier, même s'il possède un lien étroit avec l'édifice dans lequel il peut se trouver depuis l'origine, peut donc être enlevé, vendu et dispersé comme cela s'est produit pour le mobilier du château de Rosny-sur-Seine.
J'observe que les dernières dispositions législatives en matière de protection du patrimoine mobilier datent de la loi du 23 décembre 1970 qui a modifié la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques. Le contexte a bien changé depuis : les échanges internationaux se sont accélérés, les frontières européennes se sont ouvertes et les risques de spéculation sur le patrimoine mobilier national d'intérêt majeur sont devenus bien réels. Ainsi, le maintien de l'intégrité des édifices protégés au titre des monuments historiques, et notamment la conservation de leur décor intérieur, est devenu de plus en plus difficile en raison des prix atteints sur le marché de l'art.
Sans nécessairement reprendre terme pour terme la formule d'un tout récent ancien président-directeur de grand musée national selon lequel " France, ton patrimoine fiche la camp ", je conviens avec lui que sur le fond, la protection ou la simple préservation de l'unité patrimoniale est de plus en plus ardue.
Il est bien difficile de concilier les différentes facettes de la fascination exercée par l'art - fidélité familiale, fidélité patrimoniale, fascination culturelle et de mémoire - quand, avec l'art, l'universel côtoie le singulier.
Aucune disposition légale ne fait en effet obstacle à ce qu'un propriétaire puisse enlever et vendre non seulement le mobilier proprement dit mais aussi certains des éléments de décor de l'édifice qui lui appartient, même si ceux-ci sont classés. Il en résulte que lorsque les édifices sont ainsi entièrement dépouillés, une grande part de leur intérêt historique et artistique disparaît et leur protection comme monument historique est largement vidée de son sens.
Pour améliorer de façon significative la protection des objets mobiliers, il me semble donc que l'intervention du législateur est très opportune. Le renforcement du dispositif proposé par le rapporteur et la commission des affaires culturelles constitue un aboutissement de la réflexion engagée depuis plusieurs années sur ce sujet.
Je pense en particulier à l'introduction dans la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques de dispositions essentielles :
- les immeubles par destination jusqu'alors assimilés par la loi aux objets mobiliers seront rattachés, comme dans le droit commun, au régime des immeubles par nature.
Les dispositions du chapitre premier de la loi contre le dépeçage des immeubles deviendront ainsi applicables aux éléments de décor des édifices protégés (cheminées, boiseries, glaces, peintures intégrées à leur support), qui sont immeubles par destination.
Sera instituée la possibilité de classer des ensembles mixtes immobiliers et mobiliers lorsque ces ensembles présentent une grande qualité historique, artistique, scientifique ou technique et une cohérence exceptionnelle qui doit être conservée.
Les meubles et les immeubles par destination appartenant aux ensembles mixtes classés ne pourront en être ni soustraits ni détachés sans autorisation. Sera instituée la possibilité de classer des ensembles mobiliers qui pourront être librement déplacés mais pas divisés sans autorisation. Il s'agit d'éviter la dissociation des éléments de collections mobilières d'un grand intérêt. La possibilité d'inscrire des objets mobiliers sur l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, mesure qui n'existe actuellement que pour les objets appartenant à des collectivités publiques, sera étendue aux objets appartenant aux propriétaires privés.
Sera instituée une déclaration préalable, deux mois à l'avance, d'intention de cession d'un objet privé classé. Cette disposition permettra à une collectivité publique d'étudier dans un délai raisonnable les conditions d'une éventuelle offre d'acquisition à présenter au propriétaire.
Sera instituée une autorisation de déplacement des objets classés appartenant à des collectivités publiques, pour permettre à l'administration des affaires culturelles de contrôler la bonne conservation de l'objet lors notamment de prêts pour expositions.
La déclaration préalable existante de travaux sur les immeubles inscrits sera transformée en autorisation pour permettre à l'administration une surveillance et un contrôle des travaux sur les immeubles inscrits de qualité équivalente à celui existant sur les immeubles classés.
Cependant, ce dispositif ne sera réellement efficace que si les propriétaires privés sont incités à demander ou accepter le classement des objets remarquables leur appartenant et donc, par voie de conséquence, les servitudes qui en découlent. C'est pourquoi, après accord entre le Ministère de la culture et le Ministère des finances, le gouvernement a décidé de proposer un amendement comportant des mesures fiscales favorisant cette démarche :
En premier lieu, le champ d'application de l'exonération des droits de mutation à titre gratuit visée à l'article 795A du code général des impôts sera élargi.
Aujourd'hui les héritiers, légataires ou donataires d'un immeuble classé ou inscrit et des biens meubles qui en constituent le complément bénéficient d'une exonération totale de ces droits s'ils concluent avec l'Etat une convention d'ouverture au public des lieux pour une durée fixée par décret à au moins 100 jours par an. Le nombre de ces conventions est faible (à peine 50).
Le gouvernement est donc amené à vous proposer un mécanisme supplémentaire d'exonération partielle de droits de mutation au bénéfice des héritiers, légataires ou donataires s'ils concluent avec l'État une convention d'ouverture au public des lieux pour une durée plus limitée, qui serait fixée par décret à au moins trente jours (30) par an.
En second lieu , le gouvernement propose de faire droit à une demande ancienne de la part des propriétaires effectivement dissuasive s'il y a dénonciation de la convention. Actuellement en effet, l'article 1727 A du Code général des impôts dispose que les intérêts dus sont calculés selon un barème progressif en fonction de la durée d'application de la convention, ce qui est particulièrement pénalisant pour les signataires de la convention.
La modification de l'article 1727 A du Code général des impôts inverse ce principe : les intérêts dus seront calculés selon un barème dégressif en fonction de la durée d'application de la convention.
A ce stade de mon propos, je voudrais conclure en observant que le renforcement du dispositif législatif proposé va tout à fait dans le sens des préoccupations de l'État, mais aussi de celles des acteurs qui interviennent en faveur de la sauvegarde du patrimoine, je pense notamment aux associations, en rappelant que nous célébrons cette année le centenaire de la loi du 1er juillet 1901 et que le thème retenu pour les prochaines journées du patrimoine au mois de septembre est précisément " patrimoine et associations ".
Pour l'ensemble de ces raisons, parce que l'esprit dans lequel Monsieur Lequiller présente sa proposition de loi, et l'important travail de la commission des affaires culturelles à ses côtés rejoignent nos préoccupations, je me réjouis très sincèrement que nous puissions aujourd'hui débattre d'un sujet-clef du Patrimoine - la protection du patrimoine mobilier, solidaire des immeubles, solidaire de l'histoire
- et que soit ainsi posé un jalon supplémentaire d'une politique patrimoniale nationale.
Merci.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 3 avril 2001)