Texte intégral
Bonjour.
Vous êtes le nouveau ministre du Travail, mais c'est à celui du Budget, l'ancien ministre du Budget que j'ai encore envie de m'adresser, vous y étiez il y a encore quelques jours. Pourquoi ? Parce qu'il y a cette affaire du bouclier fiscal qui ne cesse de faire des vagues dans votre propre camp ; des députés réclament sa suspension, voire sa suppression. A. Juppé lui-même a exprimé ses doutes et pourtant, le président de la République a dit hier soir qu'on ne toucherait pas au bouclier fiscal. Alors pourquoi cette détermination ?
Ca a toujours fait l'objet d'une discussion. J'étais ministre du Budget, c'est maintenant F. Baroin. Les trois budgets que j'ai faits, ça a toujours fait l'objet de discussions, donc rien de nouveau. Moi je voudrais juste dire quand on a des impôts élevés, il faut plafonner le niveau d'impôts. Et d'ailleurs c'est trans-courant, si je puis dire, puisque c'est né quoi ? La gauche a plafonné l'ISF il y a quelques années, c'est d'ailleurs la droite qui l'avait déplafonné, donc la gauche avait bien plafonné l'Impôt de Solidarité sur la Fortune, et puis monsieur de Villepin avait créé un bouclier fiscal, déjà, il y a quelques années aussi. Et juste après, il y a eu le président Sarkozy, et le Gouvernement a fait un bouclier fiscal un peu plus différent. Donc ça veut dire qu'au fond voilà, on a toujours cherché à plafonner. Quand des impôts sont élevés, c'est logique de plafonner. Alors je comprends que ça crée un débat parce qu'on se dit toujours : ah oui mais là il y a des gens qui ne paient pas, mais au fond ils paient déjà, ils paient déjà 50% de leurs revenus en termes d'impôts. Donc à un moment donné, il faut plafonner. Il ne faut pas le vivre d'une façon injuste. La fiscalité c'est de la compétitivité, la fiscalité c'est aussi le fait de garder des gens sur le territoire, garder des gens sur son sol, faire en sorte qu'ils paient au fond 50% plutôt qu'ils aillent 100% des impôts ailleurs.
On va quand même l'évoquer, mais lorsque le bouclier fiscal a été mis en place à 50% des revenus par N. Sarkozy, la France ne connaissait pas la crise économique qu'elle connaît aujourd'hui et j'allais dire, ne connaissait pas non plus le contexte politique. On a vu quand même la droite désavouée dans les élections régionales. Est-ce qu'il n'y a pas un changement de contexte qui fait que l'affaire pourrait évoluer ?
Il y a des principes si vous voulez sur lesquels il ne faut pas changer de cap systématiquement parce que ça va mieux un jour, moins bien le lendemain. Il faut rester ferme sur ces principes. Et puis après on peut adapter tel ou tel point mais sur des principes généraux, il faut rester ferme. Et le bouclier fiscal est quand même le symbole d'un principe qui est celui qu'il faut plafonner à un moment donné le taux de pression fiscale parce que sinon en fait la matière fiscale s'en va ailleurs. C'est malheureusement cela qui se passe.
Et est-ce que vous avez obtenu des résultats là-dessus, puisque le but était d'enrayer la fuite des capitaux ?
Oui bien sûr qu'on obtient des résultats, mais plus on en parle, moins on en obtient. En réalité, plus vous dites à des gens : attention il faut changer etc., plus il y a des débats, plus au fond vous insécurisez. Et la fiscalité, la règle de base de la fiscalité, c'est quand même d'essayer d'avoir une fiscalité stable à la fois pour les entreprises, à la fois pour les ménages. La stabilité de la fiscalité, faire évoluer notre fiscalité c'est important, mais en même temps, stabiliser nos règles fiscales. Donc il ne faut pas évidemment modifier notre opinion sur le bouclier fiscal.
Donc ça ne bougera pas, il n'y aura même pas d'évolution à la marge ?
Non ça ne bougera pas mais on doit l'assumer et on doit l'expliquer. Ce n'est pas une mesure d'injustice, c'est une mesure d'équité fiscale, voilà, il faut continuer à l'expliquer très calmement.
Alors le gros dossier dont vous allez vous occuper en tant que ministre du Travail, c'est bien sûr celui des retraites. Lorsque vous avez pris vos fonctions, vous avez annoncé une réforme protectrice, qu'est-ce que ça veut dire ?
Ca veut dire qu'au fond, nos retraites elles ne sont plus financées. S'il n'y avait pas de problème de financement des retraites, on ne serait pas là pour en parler. Aujourd'hui il y a à peu près 1,8 actif, 1,8 personne qui travaille pour payer la retraite de quelqu'un. Il y a trente ans, c'était quatre personnes qui travaillaient pour payer votre retraite. 1,8 cette année mais on va aller dans les vingt jusqu'à 1,2 actif. C'est-à-dire quasiment une personne qui travaille pour un retraité, c'est insupportable pour nos jeunes, donc ça ne protège pas notre système de retraite.
Il y avait eu une grande réforme en 2003, pourquoi est-il devenu si urgent d'en établir une autre ?
Parce qu'il y avait des clauses dans cette réforme qui était l'idée qu'on se revoit cinq, six ans après, c'est le cas et la situation ne s'est pas améliorée. D'abord parce que la démographie et puis deuxième point aussi, surtout parce qu'il y a eu la crise qui a fait chuter beaucoup les recettes ces derniers temps.
Quel est l'état des lieux ?
Il y a 10% des recettes, 10% des recettes qui ne sont pas financés. Donc on ne peut pas continuer comme ça, ça veut dire qu'on les finance par de l'emprunt mais pas par de la répartition. Et donc si on veut protéger les retraités, nos retraites, si on veut protéger notre système de retraite - on ne va pas toucher à notre système de retraite, donc si on veut protéger notre système de retraite - il faut le faire évoluer et ça, en toute concertation, en discussion. Alors évidemment les retraités d'aujourd'hui ne sont pas concernés parce que j'entends toujours des retraités un peu s'inquiéter en disant : vous allez baisser nos pensions de retraite. Non, les retraités d'aujourd'hui ils ont pris leur retraite, ils ont leurs droits, leurs droits sont acquis. Mais évidemment pour tous ceux qui vont venir en retraite, il faut commencer à discuter des conditions dans lesquelles on peut aujourd'hui prendre, et plus tard, sa retraite. Mais ça va durer, c'est longtemps, ce n'est pas brutal. Il n'y a jamais de réforme brutale dans le domaine des retraites.
Une question très concrète, E. Woerth : est-ce que le principe légal de la retraite à 60 ans sera maintenu ?
Il y a plusieurs questions si vous voulez....
Celle-là elle est simple.
A partir du moment où on garde notre système de retraite par répartition, ce que nous ferons, parce qu'on tient beaucoup à ce système de retraite, eh bien à ce moment là on peut jouer sur l'âge, on peut jouer sur la durée de cotisation, pendant combien de temps, combien de trimestres vous cotisez...Voilà.
Donc vous répondez non, le principe n'est pas gravé dans le marbre.
Non je ne réponds pas, je réponds que ça fait une semaine que je suis ministre du Travail et donc je réponds que je vais commencer la concertation officiellement dans quelques jours, qu'on va avoir un rapport du Comité d'orientation des retraites qui va bien préciser où nous en sommes et que cette concertation elle va durer deux, trois mois.
Et le projet de loi arrivera quand ?
Alors le projet de loi devrait arriver au mois de septembre, c'est-à-dire juste au début de l'automne à l'Assemblée nationale, ce qui nous donne deux à trois mois pour concerter de façon approfondie. Mais vous savez, tout est sur la table, ça fait des années qu'on parle de retraite. Moi je veux absolument, avec le président de la République et le Premier ministre, je veux donner de la solidité à nos retraites, je veux rassurer les gens sur les retraites...
Vous n'avez pas rassuré les syndicats pour l'instant. J.-C. Mailly à FO par exemple, promet un clash si vous demandez clairement aux gens de travailler davantage.
Nous verrons le contenu de la réforme et on en discutera très calmement avec les syndicats. On en discutera beaucoup, on en discutera avec les parlementaires, on en discutera avec toutes celles et ceux qui veulent en discuter. Les retraites c'est tout le monde au fond, donc il faut vraiment s'adresser à tout le monde. Quand vous ne savez pas comment est financé un régime de retraite, ça crée une anxiété énorme, c'est très anxiogène au fond, donc il faut vraiment régler durablement les retraites avec une vision juste de cette réforme, moi je veux être absolument dans le cadre d'une justice entre secteur privé, secteur public. Et puis à l'intérieur du système de retraite, on doit être juste et on doit être efficace pour protéger et sauvegarder nos régimes de retraite.
E. Woerth, vous allez relancer aujourd'hui une campagne sur les accidents de travail et les maladies professionnelles, ce qu'on appelle les troubles musculo-squelettiques, pourquoi cette initiative ?
Parce qu'il y a beaucoup de gens... la sécurité, la santé au travail c'est hyper important. il y a beaucoup de gens, de plus en plus, trois quarts des maladies professionnelles c'est des tendinites, c'est mal au cou, c'est le dos en compote, tout ça parce que vous avez des gestes répétitifs pendant très longtemps. Donc en France on veut absolument essayer de régler cela. Je voudrais moi me donner comme objectif en terme d'accidents du travail, de réduire de 25% le nombre d'accidents du travail dans les quatre à cinq ans et de faire en sorte qu'au moins sur ces troubles musculo-squelettiques, on ait une stabilisation alors qu'aujourd'hui ils explosent. Il faut vraiment que la santé, la sécurité, le bien être au fond au travail, soit développé. Ca on sera d'accord j'imagine avec tout le monde, mais on va faire beaucoup de boulot là-dessus.
Rien à voir avec les accidents de travail. N. Sarkozy a vu hier les parlementaires. L'une d'entre elle a osé lui dire en quelque sorte, qu'il y avait peut-être du désamour aujourd'hui entre les Français et le président de la République. Vous êtes aussi de cet avis ?
Non je ne crois pas que ce soit comme ça. Déjà le fait dire ça vous voyez, montre qu'il y a une relation d'affection. Non je pense que... Voilà, on a perdu une élection, on est, j'espère à la fin d'une crise qui a terriblement chahuté la France et le monde entier, voilà. Donc tous les hommes et les femmes politiques sont soumis à beaucoup de questions de la part des citoyens, c'est bien naturel. A nous de relever le gant et de répondre aux questions des Français. C'est ce que nous faisons et la réponse aux questions de Français, c'est de continuer à changer la France pour que justement, la France reste le pays dans lequel on ait envie de vivre.
Merci beaucoup E. Woerth.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 9 avril 2010