Déclaration de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, sur l'action des pouvoirs publics pour lutter contre la contrefaçon, la concertation entre entreprises et pouvoirs publics et la nécessaire coopération internationale et européenne, Paris le 13 avril 2010.

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Circonstance : Déclaration devant l'Union des Fabricants (Unifab), Paris le 13 avril 2010

Texte intégral

Monsieur le Président de l'Union des Fabricants (Unifab) [Christian PEUGEOT],
Madame et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs,
Pendant longtemps la contrefaçon n'était pas suffisamment prise en compte par les entreprises qui craignaient parfois une atteinte à leur image et préféraient garder le silence sur ces pratiques. Je suis heureuse, en recevant le rapport qui vient de m'être remis sur la réalité de la contrefaçon, de constater que cette époque est désormais révolue. Il appartient à toutes les entreprises de s'investir dans la lutte contre toutes les formes de piratage. Certains secteurs ont toujours été plus en pointe que d'autres, sans doute plus exposés également : le luxe, l'industrie pharmaceutique... Signe des temps, la Présidence du conseil d'administration de l'Unifab revient depuis peu à un représentant du secteur automobile, un de ces secteurs « jadis épargnés, aujourd'hui touchés » comme l'indique le rapport.
Cher Christian PEUGEOT, je vous félicite pour cette élection et vous assure de l'engagement de l'État à vos côtés. (I) Les pouvoirs publics sont investis de longue date dans la lutte contre la contrefaçon. Je me réjouis (II) de la coopération fructueuse qui nous lie désormais avec les entreprises, les premières concernées ; et (III) qui trouve un écho à l'échelle européenne et internationale.
I. Les pouvoirs publics, en France, s'engagent à lutter contre la contrefaçon
Au-delà des aspects moraux de la copie, la contrefaçon, je le disais à l'instant, représente un coût économique estimé à plus de 6 Mdeuros par an et un manque à gagner considérable pour les entreprises et l'Etat en période de crise.
Je salue le travail remarquable réalisé par mes services (DGCCRF) et par les Douanes françaises sous l'autorité, hier d'Éric WOERTH, et aujourd'hui de François BAROIN, face à l'explosion des volumes de produits contrefaits. En dix ans, entre 2000 et 2010, sept fois plus de produits contrefaits ont atteint les frontières de l'Union européenne.
Alors, conscient des difficultés rencontrées par les entreprises, le Gouvernement, avec l'appui de l'Institut National de la Propriété Industrielle (INPI), a pris des mesures significatives visant à rendre les outils de la propriété industrielle plus accessibles et plus sûrs. Il y a un mois [4 mars], le Président de la République a ainsi présenté, dans ses conclusions des Etats généraux de l''Industrie à Marignane, un ensemble de nouvelles mesures visant à favoriser le recours à la propriété industrielle par les entreprises :
1. Mise à l'étude de l'extension du taux réduit aux entreprises qui exploitent en propre leurs brevets ;
2. Soutien sans faille à l'aboutissement du brevet communautaire et du système unifié de règlement des litiges ;
3. Mise en place d''un fonds France Brevets, avec la Caisse de Dépôts et de Consignations, pour faciliter la circulation des brevets.
Auparavant, la loi du 29 octobre 2007 avait renforcé le dispositif français de lutte contre la contrefaçon avec des mesures pour améliorer l'indemnisation du préjudice, le droit d'information sur les réseaux de contrefaçon et le renforcement des pouvoirs de contrôle et de répression. Le Sénat mène actuellement un bilan de son application.
J'y suis particulièrement attentive car il est important d'en évaluer l'efficacité deux ans et demi après son entrée en vigueur. Cette loi prévoyait également la spécialisation des juridictions compétentes en matière de propriété intellectuelle, effective depuis le 1er novembre dernier. Cette réforme a permis à la France de rejoindre les États rendant les voies de la réparation plus accessibles aux entreprises en cas de contentieux. Notre ambition est de soutenir au maximum les entreprises victimes de contrefaçon par une répression efficace en aval, tout en veillant à prévenir en amont par une protection globale et accessible à tous.
II. Un partenariat public-privé de qualité
« La vraie expo qui parle du faux » organisée à la Villette à partir de la semaine prochaine symbolise les vertus de notre entente.
L'INPI, les Douanes, le Comité National Anti-Contrefaçon (CNAC) et l'Unifab se retrouvent côte à côte pour expliquer aux plus jeunes les méfaits de la contrefaçon. Ces opérations de sensibilisation des citoyens aux vices de la contrefaçon contribuent à faciliter notre tâche collective sur le terrain. Les citoyens sont aussi des consommateurs, parfois d'objets piratés. Il est toujours bon de leur présenter la réalité d'une offre parfois attractive, moins chère mais copiée et dangereuse.
Le rapport que vous venez de me remettre constitue également une référence détaillée et exhaustive sur ce que représente la réalité de la contrefaçon : en France, une entreprise interrogée sur deux est concernée. Vous en êtes tous convaincus : cette réalité-là est bien tangible.
Dans votre étude, 40% des entreprises désignent Internet comme le premier canal de distribution des copies. A l'heure de l'explosion des achats sur Internet, à nous de nous organiser pour accompagner ces bouleversements. Nous avons tous rencontré au détour de tel ou tel site internet, un site de vente de polos célèbres ou de carré soie contrefaits. Mais sur d'autres sites, les internautes peuvent acheter de fausses pilules médicamenteuses, des parfums à l'odeur frelatée ou tout autre produits contrefaits et dangereux pour la sécurité ou la santé des consommateurs.
Face à un phénomène aussi multiforme et aux origines diverses, il m'a semblé que le principe d'une Charte était plus souple et efficace qu'une loi. En effet, alors que la jurisprudence relative aux droits et responsabilités de chacun tâtonne encore, des mesures concrètes pouvaient néanmoins être expérimentées. C'est tout le sens des travaux menés par Bernard BROCHAND et Pierre SIRINELLI, qui ont permis la signature de la Charte de lutte contre la contrefaçon le 16 décembre dernier entre des titulaires de droits de propriété intellectuelle et des plateformes de vente sur Internet mais également des fédérations professionnelles, dont l'Unifab. D'ores et déjà, cette Charte produit ses effets. Tout au long du processus d'évaluation continue prévu par la Charte, les pouvoirs publics resteront attentifs aux améliorations et aux extensions possibles. Les entreprises trouveront toujours dans l'État un partenaire prêt à se mobiliser. Ainsi, avec les industries pharmaceutiques, nous nous sommes entendus dans le cadre du Conseil stratégique des Industries de Santé (CSIS) pour dynamiser, en lien avec les autres États européens, notre dispositif de collecte du renseignement et de répression des trafics de contrefaçons de médicament.
Plus largement, grâce au CNAC, qui fête en ce mois d'avril 2010 son 15ème anniversaire -à l'instar du Forum européen de la propriété intellectuelle- entreprises et pouvoirs publics disposent d'un espace de concertation privilégiée. Une prochaine session plénière permettra de tirer un bilan de ces 15 ans et de préparer les prochaines échéances européennes et internationales.
III. Un débouché naturel : la coopération européenne et internationale
La France est particulièrement armée pour « riposter » aux criminels de la contrefaçon mais notre action doit continuellement s'inscrire dans une perspective européenne. Je me réjouis pour cela de l'élection du Directeur général de l'INPI, Benoît BATTISTELLI, à la Présidence de l'Office Européen des Brevets (OEB).
Je suis convaincue que le travail qu'il a réalisé pendant cinq ans en France trouvera un écho encore plus important à l'échelle européenne.
L'Union européenne peut désormais compter sur l'Observatoire européen de la contrefaçon et du piratage. Initié par la Présidence française du Conseil de l'Union européenne au 2nd semestre 2008, il est pleinement opérationnel : deux sessions réunissant partenaires publics et privés ont été organisées en 2009 et la Présidence espagnole de l'Union européenne organise le 10 juin prochain la première session plénière de l'Observatoire. Celle-ci permettra d'échanger sur l'ensemble des données dont dispose l'Observatoire et surtout les meilleures pratiques en vigueur parmi les États-membres.
Plus généralement, le plan intégré de lutte contre la contrefaçon adopté en septembre 2006 nous donne un cadre global. La résolution du Conseil « compétitivité » du 1er mars dernier relative au respect des droits de propriété intellectuelle dans le marché intérieur accentue encore l'intégration européenne. Car le risque de contrefaçon ne s'arrête pas aux limites de l'Europe : ses réseaux de distribution souterrains n'ont, par définition, aucune frontière. Le relativisme culturel n'a pas sa place dans la lutte contre la contrefaçon : le piratage ou le vol de la propriété industrielle est un délit. L'année 2009 a permis de progresser dans la négociation de l'Anti-Counterfeiting Trade Agreement (ACTA). La France, aux côtés de la Commission européenne, souhaite aboutir à un accord équilibré et juste.
Monsieur le Président, cher Christian PEUGEOT, j'ai lu dans l'introduction au rapport que vous m'avez remis votre souhait que l'Unifab soit considérée comme un groupe « visionnaire et réaliste » en préparant -pour la gagner- la prochaine manche contre les fabricants de produits contrefaits. La somme d'information collectées par vos équipes, les 100 propositions formulées dans votre rapport, associés aux travaux en cours et à la volonté du Gouvernement nous autorisent à voir l'avenir avec, certes réalisme, mais aussi optimisme sur la permanence d'une coopération efficace et fructueuse.
Je vous remercie.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 21 avril 2010