Texte intégral
Monsieur le président du Comité 21,
Madame la présidente d'honneur du Comité 21,
Monsieur le directeur développement durable de la Caisse des Dépôts,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureuse de participer à la première convention des adhérents du Comité 21 et d'y retrouver nombre d'amis. Ma présence aujourd'hui parmi vous, au-delà de l'intérêt que je porte à vos travaux depuis de nombreuses années, est l'occasion de vous féliciter pour la qualité du document de prospective que vous m'avez adressé en avant-première.
Ce document est la première production du Comité de prospective que vous avez souhaité mettre en place sous la présidence de Bettina Laville, présidente d'honneur du Comité 21. Vous partagez ma conviction, qui ne vous étonnera pas au regard de mon parcours, que développement durable et prospective sont intimement liés.
J'aimerais ici développer plusieurs réflexions inspirées de la lecture de ce texte très riche.
[Le retour des Etats et d'une certaine gouvernance mondiale]
Après avoir évité de justesse un crash financier mondial, dont les conséquences auraient été dévastatrices, nous affrontons la pire crise économique que le monde ait connue depuis 1929. L'économie américaine s'est contractée au premier trimestre de cette année en rythme annuel de 6%. L'Allemagne prévoit sur l'année une récession de 6%.
La crise que nous traversons doit nous conduire à dénoncer, puis à porter remède, aux failles dangereuses et parfois scandaleuses du capitalisme et de l'économie de marché lorsqu'ils se transforment en système mal régulé, peu responsable, voire parfois dépourvu d'éthique.
Les solutions sont désormais connues : meilleure surveillance prudentielle, régulation systémique des hedge funds, harmonisation des fonds propres des banques, encadrement de la titrisation, lutte contre la procyclicité des normes comptables, régulation des agences de notation et des pratiques de rémunérations et bien sûr l'imposition aux paradis fiscaux des mêmes règles qu'à l'ensemble des places financières.
L'ambition française, exprimée par le Président de la République au G20 à Londres, est claire : aucune entreprise, aucune institution, aucun agent économique, aucun acteur du marché ne saurait se soustraire à la régulation ou à la supervision et faire peser un risque irresponsable sur l'ensemble de la collectivité.
La crise économique actuelle révèle en effet sur le plan microéconomique les insuffisances de la production d'informations et des pratiques du secteur financier.
Sur le plan macroéconomique, elle illustre le caractère insoutenable des déséquilibres internationaux.
La crise est ainsi née d'une conjonction de mauvaises incitations et de réglementations inadéquates et d'un défaut de coordination des politiques économiques au niveau mondial. Partant de ce constat, il faut alors repenser, d'une part, la régulation du secteur de la finance et, d'autre part, les contours d'une gouvernance mondiale dont les principales institutions ont été mises en place il y a plus de 50 ans.
La réunion du G 20 à Londres début avril a permis une première avancée en ce sens : elle doit être poursuivie. Elle marque ainsi le retour des Etats dans la régulation mondiale, retour illustré par la nationalisation que nous avons connue d'un certain nombre d'établissements financiers, et désormais de constructeurs automobiles.
[Le retour de la gouvernance mondiale pourrait nous permettre de trouver une issue à la question d'accords post-2012 pour la lutte contre le changement climatique]
Cette régulation mondiale qui se met en place peut nous permettre de traiter d'autres problématiques : nous ne pouvons nous limiter à la finance mondiale. L'énergie, le climat, le développement des pays pauvres : ces biens publics mondiaux exigent également une impulsion renforcée.
Paradoxalement, la crise économique que nous traversons peut avoir un certain nombre d'effets bénéfiques : elle peut nous inviter tout d'abord à nous tourner vers un nouveau modèle de croissance plus durable ; elle peut aussi nous inviter à comprendre que la société moderne n'est pas invulnérable : nous ne sommes pas à l'abri de catastrophes financières ou économiques mais pas non plus des catastrophes climatiques ! Ce rappel à l'ordre peut constituer ainsi un aiguillon supplémentaire pour rechercher un accord à Copenhague.
L'Union européenne, sous la présidence française, a montré l'exemple, avec l'adoption du paquet énergie-climat. C'est un plan d'action sans précédent. Il devrait permettre à l'Union européenne d'atteindre d'ici 2020 l'objectif ambitieux des « 3 fois 20 ». L'Europe montre la voie ! Mais elle ne pourra pas lutter seule contre le changement climatique. Il est urgent que les autres grands acteurs s'engagent à leur tour. Ce sera tout l'enjeu du grand rendez-vous de Copenhague, en décembre prochain. Et beaucoup dépendra de l'attitude des Etats-Unis et de la Chine.
Cette négociation s'annonce difficile parce que le changement climatique concerne tous les pays et que nous aboutissons ainsi à une enceinte de négociations associant environ 190 pays : si parfois nous avons quelques difficultés à trouver des compromis quand nous sommes 27 autour d'une table, que dire d'un consensus à 190 !
Deux exemples pour illustrer cette difficulté :
- l'un des principaux participants dans cette négociation est le groupe des 77, qui s'est créé dans les années 1960 à partir d'un courant né avec le mouvement des pays non alignés. Or, aujourd'hui, il regroupe environ 140 pays aux intérêts de plus en plus divergents : depuis la Chine devenue l'une des grandes puissance économiques mondiales jusqu'aux Pays les Moins Avancés (PMA). Il est clair que les mesures qui s'imposeront à la Chine dans un accord post-Kyoto ne sont pas celles qui devront s'imposer au Soudan, qui préside aujourd'hui ce groupe !
- les Etats-Unis, malgré le volontarisme de leur président, ne peuvent avoir aucune certitude sur le fait qu'ils vont ratifier un nouvel accord post-Kyoto, dans la mesure où un traité ne peut être ratifié aux Etats-Unis que s'il est approuvé par les 2/3 des sénateurs, ce qui implique qu'il soit voté par plusieurs sénateurs républicains a priori hostiles à la lutte contre le changement climatique.
La mise en place d'une nouvelle gouvernance mondiale reposant sur un G8 élargi à 13 ou à 20 membres peut donc jouer un rôle déterminant : un accord entre ces nations serait décisif pour la réussite du processus de Copenhague.
[Ce nouveau monde doit être fondé sur une meilleure prise en compte du facteur social]
Plus encore que d'habitude, la crise que nous traversons doit nous amener à considérer le social comme un élément prioritaire du développement durable et de nos politiques.
Le nouveau Président américain ne s'y est d'ailleurs pas trompé : l'argumentaire de défense qu'il a bâti autour de la refonte de la politique climatique s'appuie désormais sur des considérations et des mécanismes de justice sociale, tout autant que sur des données de compétitivité économique.
Cette préoccupation sociale, nous devons donc la retrouver à l'international. Deux exemples :
- Tous les pays peuvent et doivent encourager les bonnes pratiques des entreprises en matière de « responsabilité sociale des entreprises ». L'Agence Française de Développement (AFD) va mettre en place, avec des entreprises partenaires, une fondation pour l'entreprise responsable. Elle aura pour objectif de promouvoir les bonnes pratiques des entreprises dans les pays émergents. C'est une initiative encore unique en Europe. Elle doit rapidement dépasser le cadre national français.
- La solidarité envers les pays du sud : vieux thème ??ternellement rebattu, me direz-vous... J'en suis bien d'accord, sauf que nous ne signerons pas un nouvel accord avec les pays du sud sur un post-Kyoto sans un certain nombre d'engagements sur les transferts financiers. La France vient de lancer une initiative d'un montant de 2,5 milliards d'euros visant à favoriser le développement des entreprises privées en Afrique sub-saharienne, en élargissant leur accès au financement par des prêts, des garanties, des accords avec des banques locales. Plus de 2.000 entreprises seront ainsi soutenues et 300.000 emplois créés.
[Et les technologies du numérique vont nous y aider]
Votre document souligne que les technologies de l'information et de la communication doivent intégrer le pilier social : votre propos sur ce point me semble particulièrement pertinent. Je viens ainsi d'inaugurer mercredi 28 mai une série d'ateliers sur la Société numérique solidaire qui cherche à identifier les bonnes pratiques et à définir des pistes d'action, notamment dans le domaine du logement.
D'ores et déjà, le premier de ces ateliers consacré aux formes nouvelles et « numériques » de la solidarité citoyenne et publique a montré combien le réseau des Espaces Publics Numériques (EPN), créées souvent à l'initiative des collectivités locales, notamment des mairies, étaient devenus, particulièrement avec la crise, un outil essentiel pour les personnes en recherche d'emploi dans leur dialogue avec de potentiels employeurs et avec « Pôle emploi ». Ces espaces doivent être consolidés et pérennisés pour constituer un véritable réseau de solidarité et leur implantation doit être étendue entre autres aux quartiers défavorisés, notamment auprès des médiateurs de quartier.
La création de logements sociaux pré-câblés et pourvus d'un équipement minimum numérique est une autre piste déjà mise en oeuvre en certains endroits pour lutter contre la fracture numérique en donnant à tous accès aux savoirs et aux liens sociaux, dont celui des services administratifs : le coût modique (quelques euros) pourrait être intégré dans les charges. Ces expériences encore très parcellaires, et pour lesquelles des équilibres financiers et des ajustements législatifs sont à trouver, ont vocation à être généralisées.
Ces exemples illustrent ma conviction que le numérique n'est pas qu'une simple boite à outils, mais que nous sommes désormais dans des civilisations numériques où le travail collaboratif, qui est la base du développement durable, doit devenir la norme : il faut par exemple passer aux Agendas 21 2.0, non par effet de mode mais parce qu'il s'agit d'un renouveau nécessaire des Agendas 21.
[Se pose enfin la question des instruments économiques]
Pour revenir à votre document de prospective, je crois très sincèrement que nous pouvons aller aujourd'hui vers une fiscalité plus verte qui nous incite, comme l'a envisagé le Grenelle, à lutter contre le changement climatique et à préserver notre biodiversité.
Il ne saurait être question de généraliser le bonus/malus à tous les produits, mais le mettre en place pour quelques uns d'entre eux nous assurerait d'un gain significatif. Faut-il aller plus loin et mettre en place une contribution climat-énergie ? Très sincèrement, je le crois, même si je n'ai pas l'impression que nous soyons suffisamment mûrs pour la mettre en place là, tout de suite, dès demain : nous devons en discuter et en préciser la forme.
[La vraie question : évolue-t-on vraiment vers une consommation plus durable ?]
En résumé, la véritable question que nous devons aujourd'hui nous poser est de savoir si nous pouvons faire évoluer notre consommation dans un sens plus soutenable. Je crois très sincèrement que la crise, au-delà des difficultés dans lesquelles elle nous conduit, constitue une véritable opportunité de nous tourner vers une croissance plus verte et plus durable.
En effet, la crise profonde qui frappe actuellement l'économie mondiale accélère la remise en cause de certaines de nos habitudes de vie.
Insensiblement, par nécessité ou par choix, les Français et les entreprises adoptent de nouveaux comportements et de nouvelles valeurs qui s'écartent du modèle de l'hyperconsommation et du profit à court terme.
Ces évolutions interviennent au moment où nous partageons tous la conviction que le retour de la croissance devra impérativement concilier la création durable de nouvelles richesses avec le respect des équilibres de la planète, la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre ainsi que la préservation de la biodiversité en particulier.
Nous devons donc aller vers un nouveau modèle de croissance : pour répondre à ce défi, j'ai confié au Centre d'analyse stratégique une mission destinée à évaluer l'ampleur des changements en cours, à examiner leurs impacts économiques, sociaux et culturels et à identifier les caractéristiques de ce qui pourrait être un nouveau modèle de croissance.
Dans ce cadre, vos réflexions me sont particulièrement utiles. J'ai donc souhaité que votre présidente d'honneur participe à ces travaux en étant membre du groupe de travail.
Je vous souhaite donc une après-midi studieuse, en vous priant de m'excuser de ne pouvoir rester parmi vous : je dois en effet me rendre à l'Assemblée Nationale pour un sujet qui vous intéresse également puisqu'il peut modifier considérablement l'avenir de nos territoires. Il s'agit de la proposition de loi sur l'emploi qui comporte un article consacré au développement du télétravail.
Je vous remercie.
Source http://www.prospective-numerique.gouv.fr, le 21 avril 2010
Madame la présidente d'honneur du Comité 21,
Monsieur le directeur développement durable de la Caisse des Dépôts,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureuse de participer à la première convention des adhérents du Comité 21 et d'y retrouver nombre d'amis. Ma présence aujourd'hui parmi vous, au-delà de l'intérêt que je porte à vos travaux depuis de nombreuses années, est l'occasion de vous féliciter pour la qualité du document de prospective que vous m'avez adressé en avant-première.
Ce document est la première production du Comité de prospective que vous avez souhaité mettre en place sous la présidence de Bettina Laville, présidente d'honneur du Comité 21. Vous partagez ma conviction, qui ne vous étonnera pas au regard de mon parcours, que développement durable et prospective sont intimement liés.
J'aimerais ici développer plusieurs réflexions inspirées de la lecture de ce texte très riche.
[Le retour des Etats et d'une certaine gouvernance mondiale]
Après avoir évité de justesse un crash financier mondial, dont les conséquences auraient été dévastatrices, nous affrontons la pire crise économique que le monde ait connue depuis 1929. L'économie américaine s'est contractée au premier trimestre de cette année en rythme annuel de 6%. L'Allemagne prévoit sur l'année une récession de 6%.
La crise que nous traversons doit nous conduire à dénoncer, puis à porter remède, aux failles dangereuses et parfois scandaleuses du capitalisme et de l'économie de marché lorsqu'ils se transforment en système mal régulé, peu responsable, voire parfois dépourvu d'éthique.
Les solutions sont désormais connues : meilleure surveillance prudentielle, régulation systémique des hedge funds, harmonisation des fonds propres des banques, encadrement de la titrisation, lutte contre la procyclicité des normes comptables, régulation des agences de notation et des pratiques de rémunérations et bien sûr l'imposition aux paradis fiscaux des mêmes règles qu'à l'ensemble des places financières.
L'ambition française, exprimée par le Président de la République au G20 à Londres, est claire : aucune entreprise, aucune institution, aucun agent économique, aucun acteur du marché ne saurait se soustraire à la régulation ou à la supervision et faire peser un risque irresponsable sur l'ensemble de la collectivité.
La crise économique actuelle révèle en effet sur le plan microéconomique les insuffisances de la production d'informations et des pratiques du secteur financier.
Sur le plan macroéconomique, elle illustre le caractère insoutenable des déséquilibres internationaux.
La crise est ainsi née d'une conjonction de mauvaises incitations et de réglementations inadéquates et d'un défaut de coordination des politiques économiques au niveau mondial. Partant de ce constat, il faut alors repenser, d'une part, la régulation du secteur de la finance et, d'autre part, les contours d'une gouvernance mondiale dont les principales institutions ont été mises en place il y a plus de 50 ans.
La réunion du G 20 à Londres début avril a permis une première avancée en ce sens : elle doit être poursuivie. Elle marque ainsi le retour des Etats dans la régulation mondiale, retour illustré par la nationalisation que nous avons connue d'un certain nombre d'établissements financiers, et désormais de constructeurs automobiles.
[Le retour de la gouvernance mondiale pourrait nous permettre de trouver une issue à la question d'accords post-2012 pour la lutte contre le changement climatique]
Cette régulation mondiale qui se met en place peut nous permettre de traiter d'autres problématiques : nous ne pouvons nous limiter à la finance mondiale. L'énergie, le climat, le développement des pays pauvres : ces biens publics mondiaux exigent également une impulsion renforcée.
Paradoxalement, la crise économique que nous traversons peut avoir un certain nombre d'effets bénéfiques : elle peut nous inviter tout d'abord à nous tourner vers un nouveau modèle de croissance plus durable ; elle peut aussi nous inviter à comprendre que la société moderne n'est pas invulnérable : nous ne sommes pas à l'abri de catastrophes financières ou économiques mais pas non plus des catastrophes climatiques ! Ce rappel à l'ordre peut constituer ainsi un aiguillon supplémentaire pour rechercher un accord à Copenhague.
L'Union européenne, sous la présidence française, a montré l'exemple, avec l'adoption du paquet énergie-climat. C'est un plan d'action sans précédent. Il devrait permettre à l'Union européenne d'atteindre d'ici 2020 l'objectif ambitieux des « 3 fois 20 ». L'Europe montre la voie ! Mais elle ne pourra pas lutter seule contre le changement climatique. Il est urgent que les autres grands acteurs s'engagent à leur tour. Ce sera tout l'enjeu du grand rendez-vous de Copenhague, en décembre prochain. Et beaucoup dépendra de l'attitude des Etats-Unis et de la Chine.
Cette négociation s'annonce difficile parce que le changement climatique concerne tous les pays et que nous aboutissons ainsi à une enceinte de négociations associant environ 190 pays : si parfois nous avons quelques difficultés à trouver des compromis quand nous sommes 27 autour d'une table, que dire d'un consensus à 190 !
Deux exemples pour illustrer cette difficulté :
- l'un des principaux participants dans cette négociation est le groupe des 77, qui s'est créé dans les années 1960 à partir d'un courant né avec le mouvement des pays non alignés. Or, aujourd'hui, il regroupe environ 140 pays aux intérêts de plus en plus divergents : depuis la Chine devenue l'une des grandes puissance économiques mondiales jusqu'aux Pays les Moins Avancés (PMA). Il est clair que les mesures qui s'imposeront à la Chine dans un accord post-Kyoto ne sont pas celles qui devront s'imposer au Soudan, qui préside aujourd'hui ce groupe !
- les Etats-Unis, malgré le volontarisme de leur président, ne peuvent avoir aucune certitude sur le fait qu'ils vont ratifier un nouvel accord post-Kyoto, dans la mesure où un traité ne peut être ratifié aux Etats-Unis que s'il est approuvé par les 2/3 des sénateurs, ce qui implique qu'il soit voté par plusieurs sénateurs républicains a priori hostiles à la lutte contre le changement climatique.
La mise en place d'une nouvelle gouvernance mondiale reposant sur un G8 élargi à 13 ou à 20 membres peut donc jouer un rôle déterminant : un accord entre ces nations serait décisif pour la réussite du processus de Copenhague.
[Ce nouveau monde doit être fondé sur une meilleure prise en compte du facteur social]
Plus encore que d'habitude, la crise que nous traversons doit nous amener à considérer le social comme un élément prioritaire du développement durable et de nos politiques.
Le nouveau Président américain ne s'y est d'ailleurs pas trompé : l'argumentaire de défense qu'il a bâti autour de la refonte de la politique climatique s'appuie désormais sur des considérations et des mécanismes de justice sociale, tout autant que sur des données de compétitivité économique.
Cette préoccupation sociale, nous devons donc la retrouver à l'international. Deux exemples :
- Tous les pays peuvent et doivent encourager les bonnes pratiques des entreprises en matière de « responsabilité sociale des entreprises ». L'Agence Française de Développement (AFD) va mettre en place, avec des entreprises partenaires, une fondation pour l'entreprise responsable. Elle aura pour objectif de promouvoir les bonnes pratiques des entreprises dans les pays émergents. C'est une initiative encore unique en Europe. Elle doit rapidement dépasser le cadre national français.
- La solidarité envers les pays du sud : vieux thème ??ternellement rebattu, me direz-vous... J'en suis bien d'accord, sauf que nous ne signerons pas un nouvel accord avec les pays du sud sur un post-Kyoto sans un certain nombre d'engagements sur les transferts financiers. La France vient de lancer une initiative d'un montant de 2,5 milliards d'euros visant à favoriser le développement des entreprises privées en Afrique sub-saharienne, en élargissant leur accès au financement par des prêts, des garanties, des accords avec des banques locales. Plus de 2.000 entreprises seront ainsi soutenues et 300.000 emplois créés.
[Et les technologies du numérique vont nous y aider]
Votre document souligne que les technologies de l'information et de la communication doivent intégrer le pilier social : votre propos sur ce point me semble particulièrement pertinent. Je viens ainsi d'inaugurer mercredi 28 mai une série d'ateliers sur la Société numérique solidaire qui cherche à identifier les bonnes pratiques et à définir des pistes d'action, notamment dans le domaine du logement.
D'ores et déjà, le premier de ces ateliers consacré aux formes nouvelles et « numériques » de la solidarité citoyenne et publique a montré combien le réseau des Espaces Publics Numériques (EPN), créées souvent à l'initiative des collectivités locales, notamment des mairies, étaient devenus, particulièrement avec la crise, un outil essentiel pour les personnes en recherche d'emploi dans leur dialogue avec de potentiels employeurs et avec « Pôle emploi ». Ces espaces doivent être consolidés et pérennisés pour constituer un véritable réseau de solidarité et leur implantation doit être étendue entre autres aux quartiers défavorisés, notamment auprès des médiateurs de quartier.
La création de logements sociaux pré-câblés et pourvus d'un équipement minimum numérique est une autre piste déjà mise en oeuvre en certains endroits pour lutter contre la fracture numérique en donnant à tous accès aux savoirs et aux liens sociaux, dont celui des services administratifs : le coût modique (quelques euros) pourrait être intégré dans les charges. Ces expériences encore très parcellaires, et pour lesquelles des équilibres financiers et des ajustements législatifs sont à trouver, ont vocation à être généralisées.
Ces exemples illustrent ma conviction que le numérique n'est pas qu'une simple boite à outils, mais que nous sommes désormais dans des civilisations numériques où le travail collaboratif, qui est la base du développement durable, doit devenir la norme : il faut par exemple passer aux Agendas 21 2.0, non par effet de mode mais parce qu'il s'agit d'un renouveau nécessaire des Agendas 21.
[Se pose enfin la question des instruments économiques]
Pour revenir à votre document de prospective, je crois très sincèrement que nous pouvons aller aujourd'hui vers une fiscalité plus verte qui nous incite, comme l'a envisagé le Grenelle, à lutter contre le changement climatique et à préserver notre biodiversité.
Il ne saurait être question de généraliser le bonus/malus à tous les produits, mais le mettre en place pour quelques uns d'entre eux nous assurerait d'un gain significatif. Faut-il aller plus loin et mettre en place une contribution climat-énergie ? Très sincèrement, je le crois, même si je n'ai pas l'impression que nous soyons suffisamment mûrs pour la mettre en place là, tout de suite, dès demain : nous devons en discuter et en préciser la forme.
[La vraie question : évolue-t-on vraiment vers une consommation plus durable ?]
En résumé, la véritable question que nous devons aujourd'hui nous poser est de savoir si nous pouvons faire évoluer notre consommation dans un sens plus soutenable. Je crois très sincèrement que la crise, au-delà des difficultés dans lesquelles elle nous conduit, constitue une véritable opportunité de nous tourner vers une croissance plus verte et plus durable.
En effet, la crise profonde qui frappe actuellement l'économie mondiale accélère la remise en cause de certaines de nos habitudes de vie.
Insensiblement, par nécessité ou par choix, les Français et les entreprises adoptent de nouveaux comportements et de nouvelles valeurs qui s'écartent du modèle de l'hyperconsommation et du profit à court terme.
Ces évolutions interviennent au moment où nous partageons tous la conviction que le retour de la croissance devra impérativement concilier la création durable de nouvelles richesses avec le respect des équilibres de la planète, la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre ainsi que la préservation de la biodiversité en particulier.
Nous devons donc aller vers un nouveau modèle de croissance : pour répondre à ce défi, j'ai confié au Centre d'analyse stratégique une mission destinée à évaluer l'ampleur des changements en cours, à examiner leurs impacts économiques, sociaux et culturels et à identifier les caractéristiques de ce qui pourrait être un nouveau modèle de croissance.
Dans ce cadre, vos réflexions me sont particulièrement utiles. J'ai donc souhaité que votre présidente d'honneur participe à ces travaux en étant membre du groupe de travail.
Je vous souhaite donc une après-midi studieuse, en vous priant de m'excuser de ne pouvoir rester parmi vous : je dois en effet me rendre à l'Assemblée Nationale pour un sujet qui vous intéresse également puisqu'il peut modifier considérablement l'avenir de nos territoires. Il s'agit de la proposition de loi sur l'emploi qui comporte un article consacré au développement du télétravail.
Je vous remercie.
Source http://www.prospective-numerique.gouv.fr, le 21 avril 2010