Interview de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, dans "Le Figaro Magazine" du 1er juin 2001, sur la nécessité d'un meilleur fonctionnement de la justice et celle de créer des établissements de placement pour jeunes délinquants afin de faire diminuer l'insécurité.

Prononcé le 1er juin 2001

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Média : Le Figaro Magazine

Texte intégral

L'insécurité sera au coeur de la campagne des présidentielles. Régler ces problèmes, pour vous, cela commence par quoi ?
Avant d'être au cur de la campagne présidentielle, l'insécurité est, hélas, au cur de la vie quotidienne de beaucoup de Français. Ma conviction est que l'on ne peut pas assurer la sécurité des Français, celle des personnes, des familles et des biens, si l'on ne commence pas par assurer le bon fonctionnement de la Justice. Celle ci est tragiquement embouteillée. Les chiffres parlent d'eux même : en dix ans les indicateurs de la délinquance ont été multipliés par deux. Dans le même temps le nombre de places dans les prisons est resté stable. Ce qui signifie qu'en dix ans, le risque d'être condamné a été divisé par deux, ce qui bien évidemment contribue à nourrir l'augmentation de la délinquance. La Justice ne dispose pas en nombre suffisant d'établissements adaptés à la délinquance des mineurs. La police est trop souvent démoralisée : pourquoi arrêter aujourd'hui le petit délinquant qu'ils ont arrêté hier et qui a été relâché ce matin ? Les plaintes sont classées sans suite. Les victimes sont découragées de porter plainte. Le vocabulaire lui même porte la trace de cette dévaluation de la Justice : les petits délits sont appelés aujourd'hui "incivilités" et les quartiers de non-droit pudiquement baptisés "quartiers de moindre droit". Il n'y aura pas de retour à la sécurité des Français sans un immense effort en faveur de la Justice. Il faut mettre en oeuvre un véritable plan Orsec, que j'ai chiffré à 12 milliards de francs par an, c'est-à-dire 10 % de la facture des 35 heures !.
Quelles sont vos priorités pour une réforme de la justice et de la police ?
S'agissant de la délinquance des mineurs, il faut donner à la Justice les moyens de fonctionner et créer d'urgence une large palette d'établissements allant d'unités en milieu carcéral à des centres éducatifs renforcés en passant par des centres de placement immédiat plus ou moins ouverts en fonction de l'âge ou de la gravité des faits reprochés, et de la situation des mineurs. Donner des moyens à la Justice, c'est aussi construire de nouvelles prisons et humaniser celles qui existent, repenser l'accueil des jeunes détenus à l'exemple de ce qui est en cours à Fleury Mérogis. Il faut aussi profondément réorganiser la police, mettre les policiers en face de la délinquance, dans les zones de délinquance et aux heures de la délinquance. Il faut aussi bien entendu profondément repenser l'organisation des établissements scolaires, donner aux enseignants, et ils sont nombreux à le souhaiter, les libertés et les moyens de faire une meilleure école. Car à l'évidence les parcours de délinquance commencent le plus souvent par la relégation scolaire ;
Faites-vous un lien entre immigration et délinquance ?
Il serait absurde de vouloir le nier. Mais il ne s'agit pas d'un lien direct. Car les parents immigrés sont souvent les premiers à souhaiter la réussite sociale de leurs enfants. Il est clair que les cités ghettos à forte concentration de population d'origine étrangère sont facteurs de délinquance. Mais il faut dénoncer la pensée collectiviste qui a fabriqué ces cités tout comme les politiques dirigistes qui ont engendré le chômage, les erreurs de notre politique d'immigration, les politiques sociales qui ont enfermé tant de famille dans l'assistance, la faillite de notre éducation standardisée et de notre collège unique. Aujourd'hui une chose est sûre, les jeunes issus de l'immigration sont aujourd'hui français et il nous faut d'urgence remettre en marche ces deux moteurs de l'intégration que sont l'école et l'emploi.
La délinquance commence où, pour vous ?
On connaît la théorie de la tolérance zéro qui consiste à ne laisser aucun acte délictueux sans riposte. Il ne faut rien laisser passer. Et l'on constate souvent l'efficacité d'un simple rappel à la loi d'un mineur en présence de ses parents par une autorité de Justice à condition que cette réponse soit rapide. Hélas c'est rarement le cas et trop souvent des vols ou des violences restent sans sanction, faute de moyen, plus que faute de volonté.
Si la sanction n'est pas toujours possible, que faut-il faire ?
Il faut la rendre possible, en s'attaquant en priorité au noyau dur de la délinquance et en sortant de leurs quartiers les petits "caïds" pour les placer dans des établissements spécialisés. Laisser l'auteur d'une agression parader impuni dans son quartier, c'est insulter les victimes, décourager les policiers, et encourager beaucoup d'autres jeunes à suivre ce mauvais exemple. Il ne s'agit pas seulement de réprimer mais aussi de sauver d'eux-mêmes ces jeunes les plus asociaux et les plus violents, car ces établissements de placement dont nous avons besoin doivent être aussi un nouveau point de départ dans la vie.
Dans quel délais mettriez-vous en oeuvre une telle politique ?
On a déjà trop perdu de temps et il faut agir vite. Je suis persuadé qu'en deux ans on peut obtenir des résultats sensibles.
Votre projet ne semble pas comporter de réelle rupture, sur le plan philosophique ou idéologique, avec ce qui existe actuellement.
Au contraire. D'abord parce que je pose le préalable des moyens donnés à la Justice. J'ai ai en effet assez des mouvements de mentons, des bombements de torse, des rodomontades des uns et des autres, qui n'aboutissent concrètement à rien car la justice n'en a pas les moyens de sa mission. Ensuite parce que je considère la sécurité, le rendu de la Justice et l'exécution d'une peine comme étant les maillons d'une même chaîne. La délinquance est inversement proportionnelle au risque d'être arrêté multiplié par le risque d'être condamné, multiplié par le risque d'exécuter une peine à proportion des faits commis. Nous avons été trop souvent victime d'un angélisme qui consistait à dire qu'il n'y avait qu'à fermer les yeux ou faiblement réprimander la petite délinquance. De même aujourd'hui je m'insurge contre l'idée d'adapter le nombre de condamnations au nombre de places disponibles dans les prisons. Une telle politique de Numerus clausus ne pourrait qu'aggraver la délinquance et la sécurité, et ruiner toute politique pénale. Il faut en finir avec le sentiment d'impunité que ressentent trop de Français face à la délinquance et tout particulièrement celle des mineurs.


(source http://www.demlib.com, le 8 juin 2001)