Texte intégral
EMMANUEL CCUGNY : Denis Kessler, bonjour.
DENIS KESSLER : Bonjour.
EMMANUEL CCUGNY : Merci d'avoir répondu présent à l'invitation de RADIO-CLASSIQUE pour ce nouveau " Questions orales " de 2001. Il n'est pas trop tard pour vous présenter tous nos vux pour cette année qui ouvre un siècle, voire un millénaire, dans lequel les partenaires sociaux, dont le MEDEF, entendent bien laisser leur empreinte. Les occasions sont légions. Aussi, c'est à plusieurs titres que nous allons vous interroger. Tout d'abord au titre de vice-président du MEDEF, ensuite au titre de président de la FFSA, la Fédération Française des Sociétés d'Assurances. Panoplie qui serait incomplète si nous n'interrogions l'économiste Denis Kessler sur la conjoncture économique qui inclut bien sûr en France l'impact des 35 heures. L'actualité sociale, donc il y a évidemment la prime à l'emploi lancée pas plus tard que jeudi par Lionel Jospin lors des vux à la presse, le crédit d'impôt dont nous connaîtrons les aspects techniques en début de semaine prochaine. L'actualité sociale, c'est aussi la Refondation, le terme n'est pas dans les dictionnaires et pour cause, il émane du MEDEF justement. Où en est-on des chantiers lancés dans ce cadre entre formation, retraites, retraites complémentaires pour lesquelles les syndicats vous demandent de reprendre les négociations. Et puis nous verrons aussi ce que vous attendez du Grenelle de la Santé annoncé par Elisabeth Guigou pour le 25 janvier. D'ici là, une autre date est à marquer d'une pierre blanche : le 16 janvier. Le Mouvement des Entreprises de France tiendra ce jour-là son Assemblée générale, l'occasion de revenir sur tous les grands dossiers que je viens d'évoquer. Alors que dans la nuit de jeudi à vendredi, les députés ont adopté en première lecture le projet de loi de modernisation sociale qui notamment renforce l'amendement Michelin sur les licenciements, la notion de tempête sociale est-elle révolue ? Le fait est que d'autres tempêtes marquent votre actualité, monsieur Kessler, je veux parler bien sûr de celles qui ont touché la Bretagne et l'Ille-et-Vilaine notamment ces derniers jours, un an tout juste après les évènements climatiques dévastateurs, on s'en souvient. Faut-il s'attendre à de nouvelles hausses de primes ? Les assureurs ont-ils réellement accusé le coût, sans mauvais jeu de mots, vous nous expliquerez tout cela Denis Kessler avant d'élargir notre propos à l'actualité plus large du secteur. Pour vous interroger, à mes côtés, Hedwige Chevrillon, LA TRIBUNE, Dominique Seux, LES ECHOS, Jean-Marc Vittori, CHALLENGE, Vincent Giret, L'EXPANSION, et Pierre Zapalski de RCA. Alors, au grand dam d'une partie de la majorité plurielle et pour remplacer la ristourne sur la CSG concernant les bas salaires censurée par le Conseil constitutionnel, monsieur Jospin a donc préféré à la hausse du Smic le crédit d'impôt qu'il a baptisé donc prime à l'emploi. Les responsables d'entreprise que vous représentez ici sont satisfaits ?
DENIS KESSLER : Alors, d'abord, tous mes vux à vous tous et bien entendu à l'ensemble des auditeurs de RADIO CLASSIQUE parce que ces vux ne sont pas inutiles pour l'année 2001 ? compte tenu du nombre de dossiers qu'il va falloir résoudre. Et je crois qu'il faut que cette année soit consacrée, en tous cas par les partenaires sociaux, à trouver des solutions à toute une série de problèmes qui ont été maintenant très largement identifiés et pour lesquels il faut prendre des décisions. Alors, en ce qui concerne le crédit d'impôt, nous sommes évidemment satisfaits du choix qui a été fait par le gouvernement. J'allais dire qu'il y avait deux mauvaises mesures qui ont été écartées et nous nous en réjouissons. La première, évidemment, c'était l'exonération de CSG qui pervertissait cet impôt qui avait des vertus. Je me permets de rappeler que, à l'origine de la CSG, les réflexions économiques qui avaient été menées l'avaient été en partie par votre serviteur et qu'il est évident que lorsque l'on introduit un effet de seuil, cela donne des effets extrêmement préjudiciables à la lisibilité de cet impôt et à ces effets de redistribution. L'autre mauvaise mesure était le relèvement du Smic, ça quand même, maintenant, il faut le dire, tous les économistes sont d'accord pour dire que le relèvement du Smic détruit de l'emploi peu qualifié et cela a même été chiffré par les économistes de l'Insee. C'était la très mauvaise mesure d'augmenter une nouvelle fois le Smic alors même que, comme vous le savez, la loi des 35 heures va augmenter le Smic de l'ordre de 20 % en cinq ans. Alors, finalement, on en arrive à une solution qui a été expérimentée dans d'autres pays, je pense notamment aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Je ne connais pas tous les détails de la mesure puisque celle-ci a été annoncée hier
EMMANUEL CCUGNY : On les connaîtra mardi. Laurent Fabius les annoncera mardi.
DENIS KESSLER : Oui, j'ai l'impression que cela va être encore un peu compliqué puisque que d'après ce que j'ai entendu, on va tenir compte de ceci, de cela, du nombre d'enfants, des ressources, que sais-je encore. Il n'empêche que la voie qui est choisie du crédit d'impôt est celle qui permet, je crois, de faire en sorte, bien entendu, de maintenir des transferts sociaux, ce qui est absolument indispensable pour la cohésion sociale et pour la lutte contre la précarité et la pauvreté mais aussi de tout faire en sorte pour que les gens retrouvent une activité productive et que l'on puisse, à terme, combiner revenus d'activités avec transferts sociaux dans un sens où nous avons besoin de la mobilisation de tous pour pouvoir réussir le retour à la croissance, au plein emploi et résoudre les problèmes que nous connaissons bien. Donc je suis satisfait de l'orientation qui a été prise. Nous nous prononcerons sur le détail des mesures que lorsque nous en aurons connaissance. Laissez-moi juste ajouter un point. Il faut quand même dire aux Français que l'on peut toujours exonérer de-ci delà tel ou tel type de revenu ou alléger tel ou tel type d'impôt. Mais tant qu'en France, on ne se sera pas engagé de manière résolue dans la maîtrise de la dépense publique, de la dépense collective et de la dépense sociale, très souvent le jeu que l'on propose est un jeu de mistigri ou de bonneteau dans lequel on fait disparaître ici telle recette. Comme on ne modifie pas le niveau des dépenses, elles réapparaîtront là. Et donc, nous plaidons en ce qui nous concerne au MEDEF pour une réforme fiscale de très grande ampleur allant bien au-delà de ce qui nous a été proposé et nous plaidons surtout pour qu'enfin, la France se dote d'une volonté de réforme de l'Etat et des dépenses publiques et des dépenses sociales, à l'instar de ce que fait le chancelier Schröder à l'heure actuelle, qui sera la seule condition pour les Français ne se disent pas que systématiquement, demain, ils seront l'objet de nouveaux prélèvements et puis de nouveaux allégements et puis de nouveaux prélèvements et puis de nouveaux allégements. Ce jeu-là est peut-être politiquement intelligent, mais permettez-moi de croire que ce n'est pas la voie structurelle pour permettre à notre pays d'être compétitif.
EMMANUEL CCUGNY : Nous allons en reparler au cours de cette émission.
HEDWIGE CHEVRILLON : Donc, une fois n'est pas coutume, Denis Kessler, si j'ai bien compris, vous saluez le courage de Lionel Jospin qui n'a pas cédé à sa majorité plurielle en renonçant à une hausse du Smic et en choisissant la formule du crédit d'impôt ?
DENIS KESSLER : Je salue le courage de Lionel Jospin de choisir une solution qui est économiquement fondée. Je crois très honnêtement que, de temps en temps, il faut quand même enraciner les décisions publiques dans du raisonnement économique. Et pas uniquement dans un raisonnement politique.
HEDWIGE CHEVRILLON : Et là, c'est le cas ?
DENIS KESSLER : C'est le cas. Je m'en réjouis. Dans d'autres dossiers, le gouvernement fait de la politique et refuse de s'inscrire dans un raisonnement économique, je pense directement aux 35 heures. Et dans ce cas-là, nous condamnons. Sachez que nous n'avons pas au MEDEF de position vis-à-vis du gouvernement de monsieur Jospin qui soit une position faite sur tous les dossiers. Nous jugeons mesure après mesure. Chaque mesure qui nous est proposée, nous réfléchissons et c'est à partir de notre expérience, à partir de ce que nous considérons être l'intérêt général des entreprises, que nous prenons telle ou telle position. Il n'y a, en ce qui nous concerne, aucune posture politique qui serait de rejeter systématiquement ce qui est décidé par le Premier ministre ou d'approuver systématiquement d'ailleurs dans l'autre sens. Donc, nous nous réjouissons que l'on ait choisi cette orientation, mettons ça crédit d'impôt, très honnêtement, prime à l'emploi, c'est rigolo d'appeler ça comme ça, mais ça, c'est vraiment
HEDWIGE CHEVRILLON : Pour le coup, c'est plus politique qu'un crédit d'impôt ?
DENIS KESSLER : Oui, c'est vraiment du marketing politique très honnêtement, mais ça n'a pas de sens. C'est bien un crédit d'impôt. Nous nous réjouissons que cette voie ait été choisie, encore une fois et nous aurions tout-à-fait condamné une décision qui aurait conduit à relever le Smic par la même personne seulement parce qu'il y a une bonne mesure et une mauvaise mesure. Si, en France, le débat publique pouvait systématiquement, plutôt que de prendre justement les positions ou des présupposés, converger vers ce débat de fond, c'est-à-dire qu'est-ce qui est bon pour résoudre le problème qui a été identifié, je crois que le pays avancerait plus rapidement.
JEAN-MARC VITTORI : Que répondez-vous à la vraie interrogation de Bernard Thibault, le secrétaire général de la CGT, qui parle, je cite, d'un signe très négatif quant aux responsabilités des entreprises sur les bas salaires puisque cela revient à leur dire : si vous n'augmentez pas les salaires, c'est l'Etat qui y suppliera ?
DENIS KESSLER : Il faudrait, là aussi monsieur Thibault devrait enraciner ses raisonnements dans des raisonnements économiques. Si les salaires n'augmentent pas au-delà de ce qu'ils augmentent à l'heure actuelle, ce n'est pas parce qu'il y a une mauvaise volonté des employeurs, c'est parce qu'il y a des raisonnements économiques qui font que les salaires correspondent à la productivité et que les augmentations de salaire correspondent à des augmentations de la productivité. C'est comme ça. Et donc croire que tout ceci repose sur simplement des bonnes volontés ou des mauvaises volontés, c'est une vision qui n'est pas économique des choses. Les salaires évoluent en fonction de la productivité, comme vous le savez. Plus il y a gain de productivité, plus il y a de hausse de salaire. Et les salaires sont d'autant plus élevés que les gains de productivité dans un pays sont importants. Qu'est-ce que nous dit depuis trois ans ? Les gains de productivité ont été massivement utilisés à l'heure actuelle pour financer la réduction du temps de travail et on a payé les Français en heures alors qu'on aurait pu les payer en augmentations de salaire. La preuve a été apportée par les statistiques récemment publiées dans lesquelles on constate que dans les entreprises qui ne sont pas passées aux 35 heures, il y a davantage de croissance des salaires que dans les entreprises, de manière tout-à-fait significative, que dans les entreprises qui sont passées aux 35 heures. Nous sommes fermement opposés à ce que le gouvernement se substitue aux partenaires sociaux pour affecter les gains de productivité. Ca doit être laissé au niveau de l'entreprise, ça doit être laissé au niveau des partenaires sociaux. Le choix a été fait par le gouvernement et il impose à l'ensemble des salariés français de recevoir du temps alors même qu'un grand nombre d'entre eux aurait souhaité recevoir de l'argent.
PIERRE ZAPALSKI : Vous venez de souligner la responsabilité des partenaires sociaux. Et je voudrais aborder le problème des retraites. Vos partenaires sociaux, précisément, viennent de vous relancer pour rouvrir cette négociation qui est en panne depuis le 21 décembre.
DENIS KESSLER : Alors, d'abord, nous avons, si vous voulez, nous n'avons pas commencé la réflexion sur les retraites en l'an 2000. Nous gérons, cogérons l'Agirc depuis 1947, l'Arrco remonte, si ma mémoire est bonne, à 1962 et puis nous avons des rendez-vous quasiment tous les deux ou trois ans avec les partenaires sociaux pour regarder les paramètres du régime de retraite par répartition complémentaire. Je me permets de rappeler ici qu'en 1993 par exemple, nous avons décidé d'augmenter les cotisations de l'Arrco de 4 % à 6 %, ce qui est une augmentation de 50 % tout-à-fait considérable, qu'en 1994, nous avons décidé de porter le taux statutaire de l'Agirc de 12 % à 16 %, qu'en 1996, nous avons eu une autre rencontre pour ajuster les paramètres du régime. Et donc, nous avons en permanence la responsabilité de l'évolution des régimes de retraite par répartition et c'est un dossier que nous connaissons bien, en tous cas pour les syndicats qui ont décidé de poursuivre la cogestion avec nous de ces systèmes. Nous avons ouvert une négociation en l'an 2000 parce que nous savons que le dispositif de 1983 concernant la retraite à 60 ans n'est pas pérenne et n'est pas durable. Nous le savons. Les syndicats aussi d'ailleurs. Et nous avons décidé de trouver une sortie qui permettre d'envisager l'avenir sans reporter sur les générations futures le poids du vieillissement démographique, c'est-à-dire en évitant des hausses massives de cotisation. Nous avons longuement négocié puisque nous avons négocié 9 mois, ce sont des négociations intenses. Très honnêtement, tout ceci, ce n'est pas du bricolage, c'est l'inverse, c'est du travail de fond, et qui conduit à quoi ? A faire des propositions. Ces propositions que nous avons mises sur la table fin décembre sont des propositions qui ont été des propositions après négociations. Ce ne sont pas des propositions d'ouverture. Ce sont des propositions qui ont été façonnées, élaborées et modifiées au fur et à mesure où les syndicats nous faisaient part des observations. Alors, ces propositions sont simples. Nous disons qu'il faut absolument éviter des hausses de cotisation à deux titres : compétitivité des entreprises et d'autre part, protection du pouvoir d'achat des jeunes générations. Il faut savoir que lorsque l'on hausse les cotisations, à l'heure actuelle, cela représente 25 % du salaire brut d'un salarié moyen en France. Trois mois de salaire sont consacrés simplement aux cotisations des régimes de retraite par répartition. Nous disons avec force qu'il faut protéger le pouvoir d'achat des jeunes générations, c'est-à-dire de ceux qui rentrent sur le marché du travail ou qui sont sur le marché du travail. Parce que prélever sur leur salaire des sommes supplémentaires à celles qui sont aujourd'hui prélevées pour aller financer la charge du vieillissement serait inéquitable et inefficace pour ces jeunes générations. Donc nous disons cela. Ensuite, nous disons, et c'est très important, qu'il faut sauvegarder le régime de retraite par répartition. Comment faire ? Il y a un paramètre sur lequel il faut jouer, c'est l'âge de cessation d'activité. C'est cohérent avec le relèvement de l'espérance de vie ou la poursuite de la progression de l'espérance de vie, c'est cohérent avec ce que qui se passe dans les autres pays puisque nous sommes le dernier pays à ne pas avoir ajusté son régime de retraite
PIERRE ZAPALSKI : Donc il faut travailler au-delà de 60 ans ?
DENIS KESSLER : Mais que ça soit clair. Il n'y a aucune ambiguïté et nous ne faisons pas de langue de bois. Alors, je pourrais faire des périphrases et appeler ça je ne sais pas comment pour essayer de faire passer la pilule en mettant du sucre autour de la dragée au poivre, nous disons simplement qu'il faudra demain travailler davantage tout simplement parce que nous allons vivre plus longtemps et parce que nous serons moins nombreux. C'est comme ça. Eh bien, toute personne qui vous raconte des balivernes en disant il y a d'autres solutions, ne sait pas ce que c'est que la règle de trois. La règle de trois, c'est clair. Lorsque vous augmentez le nombre de retraités, que vous diminuez le nombre de cotisants, si vous dites rien ne se passe dans les régimes de retraites par répartition, eh bien il faut retourner sur les bancs de l'école et réapprendre la règle de trois.
DOMINIQUE SEUX : La question qui se pose, très concrète, et tout le monde a envie d'entendre votre réponse, c'est : les syndicats vous demandent depuis quelques jours de rouvrir une négociation que vous considérez comme fermée. Alors, est-ce qu'aujourd'hui, vous nous dites, trois jours avant votre Assemblée générale du 16 janvier, vous nous dites oui, on rouvre la négociation ou au contraire, pour nous, c'est terminé ? Est-ce que vous pouvez prendre le risque, finalement, en considérant que le dossier est terminé d'arrêter la Refondation, alors que pour l'instant, vous avez disons, un accord et demi, un accord sur l'Unedic et un accord dont la portée est plus limitée sur les maladies professionnelles ?
DENIS KESSLER : Monsieur Seux, la Refondation n'est pas un objectif en soi. Ce sont les résultats de la Refondation qui sont les objectifs. Et nous avons dit depuis le début que ces négociations devaient déboucher sur des vraies réformes. Il ne s'agit pas simplement, à l'ancienne, de parvenir à des modifications à la marge. Nous avons, lorsque nous avons lancé ceci et, c'était très clair puisque nous avons montré les mandats qui nous avaient été donnés par l'Assemblée générale, à chaque fois que avons ouvert un chantier avec les syndicats, nous avons mis sur la table les objectifs qui étaient ceux des employeurs, et donc il n'y a pas d'ambiguïté. Ce que nous voulons, ce sont des vraies réformes pour pouvoir adapter notre pays, notre système de protection sociale, notre système de relation du travail aux exigences d'aujourd'hui et de demain. Donc, en matière de retraites, si vous voulez, bien entendu, nous étions parfaitement au courant de la date limite du 31 décembre de l'an 2000, qui était la fin de l'accord dit ASF qui est un accord qui permet de prélever 44 milliards de francs sur les entreprises et sur les salariés pour les reverser aux régimes Agirc et Arrco pour compenser les coefficients d'abattement qui figurent dans les statuts. Ce montage, qui est vraiment du bricolage et du bidouillage, ce montage remonte à 1983, à l'époque où, là aussi, le gouvernement avait pris une grande décision d'abaisser l'âge de la retraite à 60 ans et puis après a fait un incroyable bricolage comme je viens de l'appeler, qui a consisté à faire une association 1901 qui collecte de l'argent et qui le reverse aux régimes de retraites complémentaires. Un accord qui est tous les trois ans et qui suppose une signature pour qu'il soit poursuivi. C'est du bricolage. On ne rentre pas dans le XXIème siècle avec un " truc " qui est aussi très honnêtement bancal, instable, non pérenne. Et c'est la raison pour laquelle les syndicats connaissaient parfaitement cette date d'échéance et s'ils ne la connaissaient pas, ils devraient connaître leurs dossiers. Donc, nous l'avons dit au mois d'avril lorsque nous avons ouvert la négociation : il faut clore cette négociation avant le 31 décembre de l'an 2000 pour être sûr, pour être sûr, qu'il y a un accord ASF qui permet ou un accord qui permettait de faire en sorte qu'il n'y ait pas rupture des droits, des droits, de rupture des droits pour les retraités qui partent à la retraite dans les mois et les années qui viennent. Ce que nous avons proposé, monsieur Seux, c'est un plan en 23 ans. En 23 ans. C'est la durée la plus longue que l'on ait trouvé lorsque l'on a regardé ce qui s'est fait dans les autres pays. Et nous n'avons jamais proposé le rétablissement des coefficients d'abattement au 1er avril prochain. De facto, ce sont bien les syndicats qui préfèrent prendre le risque de rétablissement de coefficient d'abattement au 1er avril prochain parce que nous n'avons jamais proposé ça. Nous sommes contre le rétablissement des coefficients d'abattement puisque nous, nous sommes pour un plan en 23 ans qui permet enfin d'adapter le régime de retraite complémentaire.
DOMINIQUE SEUX : J'insiste un tout petit peu, Denis Kessler et je n'ai pas tout-à-fait entendu votre réponse. Est-ce que, mardi prochain, vous dites : on continue la négociation avec les syndicats, on est prêt à faire des petites avancées, etc, ou pour vous, le dossier est vraiment terminé ? Est-ce que pour le MEDEF 2001 doit être une année utile ou pas ?
DENIS KESSLER : Alors, c'est clair, net et précis. Si les syndicats nous disent : on attend deux ans et puis dans deux ans, on regarde ce que l'on fait pour les régimes complémentaires, ceci n'est pas sérieux. Ceci n'est pas sérieux. Ce sont des techniques que certains utilisent à longueur de journée que de créer des commissions, des groupes de travail et de dire : il est important d'avoir des éléments nouveaux pour pouvoir prendre une décision. Attendez, en matière de retraite, en matière de retraite complémentaire, en matière de retraite par répartition, tous les éléments sont sur la table. Tous les chiffrages, tous les exemples, tout est sur la table. Et donc nous considérons que c'est aujourd'hui qu'il faut prendre des décisions. Si les syndicats acceptent vraiment de trouver des solutions et de négocier, il n'y aucune raison que nous disions non. Mais croire que l'on va se rasseoir autour d'une table pour décider de repousser les échéances et de savoir ce que l'on fait dans quelques années, ceci n'est pas sérieux. Je vous ai dit, monsieur Seux, nous acceptons de négocier lorsque ceci conduit à une vraie réforme. Une vraie réforme. Nous avons mis sur la table une vraie réforme. Cette réforme, elle est vraiment, elle permet à tous les salariés français d'envisager l'avenir avec sérénité. C'est formidable parce que cela permet de sortir de situations bloquées, l'âge de la retraite à 60 ans, c'est la retraite à la carte, c'est une certaine forme de flexibilité, c'est le maintien du pouvoir d'achat des retraites, ça permet enfin, je crois, d'entrer sans repousser sur les générations futures le poids de notre impéritie. Soit les syndicats décident, effectivement de négocier sur cette volonté d'adapter les régimes de retraite par répartition et nous continuerons avec eux à les gérer et nous continuerons avec eux à faire en sorte qu'il n'y a pas de rupture des droits puisque c'est notre intention et c'est notre volonté, mais nous demander de repousser les décisions à des échéances de deux, trois ans, ceci, nous ne l'accepterons pas. Nous sommes pour la réforme, nous sommes résolument pour la réforme, nous sommes résolument pour la négociation, nous l'avons démontré, mais il faut que cette négociation débouche sur des véritables avancées, des véritables progrès. Et c'est la raison pour laquelle, encore une fois, si les syndicats acceptent de s'inscrire dans cette volonté de trouver une solution de sortie de l'âge de la retraite à 60 ans, bien entendu, ils trouveront des interlocuteurs très motivés puisque nous le sommes. Mais si c'est simplement pour nous demander de mettre tout ça sur le tapis, très honnêtement, la réponse est non.
VINCENT GIRET : Alors, Denis Kessler, vous avez évoqué la nécessité d'élargir les espaces de négociation pour les partenaires sociaux. Les choses ont un peu bougé depuis l'été. D'abord, il y a un nouveau ministre de l'Emploi et de la Solidarité, il y a eu, finalement, après un psychodrame, la validation de votre accord sur l'Unedic, l'assurance chômage. Est-ce que, avec ce nouveau ministre, est-ce que vous avez l'impression que le gouvernement s'est doté un peu d'une nouvelle doctrine en la matière ? Est-ce que, finalement, il est prêt à laisser un peu plus de place au contrat que du fait d'imposer la loi ? Est-ce que vous avez l'impression que les choses vont un peu bouger ? Est-ce que le gouvernement est un peu mieux disposé ou on en reste à des conceptions très classiques, d'un côté la loi, de l'autre le contrat a minima ?
DENIS KESSLER : Nous sommes toujours confiants dans les évolutions. Monsieur Seux, voter honorable collègue, a dit tout-à-l'heure, ah, le bilan est maigre, il y a un accord et demi, deux accords, etc. Bon. Mais c'est vraiment le petit bout de la lorgnette tout ceci ! Nous avons lancé des débats tout-à-fait fondamentaux. Lorsque l'on a lancé le débat sur la place de la loi et du contrat, c'est un débat fondamental. Lorsque nous avons dit il faut vraiment trouver des accords sociaux de long terme, ce sont des débats fondamentaux, c'est comment avoir des relations de long terme et non pas simplement aller d'échéances en échéances comme on l'a fait jusqu'à présent. Lorsque nous avons cette volonté d'adapter des régimes en tenant compte de ce que l'on appelle l'euro-compatibilité, être sûr que ce que nous faisons soit conforme, en tout cas compatible avec les évolutions des systèmes sociaux dans les autres pays, vous vous rendez compte, ces débats-là sont lancés, ces débats-là, ils mettront du temps à être pris en compte, mais ils sont désormais inévitables, incontournables, indépassables. Dans ce que nous avons décidé de faire en l'an 2000 et que nous poursuivrons dans l'an 2001, c'est susciter dans nos troupes, chez les chefs d'entreprise, chez les décideurs économiques, chez les salariés, chez les décideurs politiques, de tout bord, quelle que soit leur obédience, cette réflexion sur laquelle nous devons adapter le système de protection sociale et de relations du travail. Et donc, à la limite, vous allez me dire : ah, il y a peu d'accords. Pour le moment, il y en a deux sur quatre, très honnêtement, ils ont été difficiles à obtenir mais en tout cas, je veux dire, ils sont là. Mais notre exercice va bien au-delà de ça. Moi, je suis ravi, je vais vous le dire très honnêtement que, sur de nombreux sujets, eh bien les questions ont été posées. Toutes les réponses n'ont pas été apportées, certaines réponses sont législatives, d'autres sont réglementaires, les 3ème sont même culturelles, mais je trouve que nous avons fait un excellent travail qui est sans doute celui de revivifier la société civile et de dire : attendez, dans une société développée, les partenaires sociaux ont un rôle absolument fondamental de dire : voilà ce que nous constatons dans notre pays, voilà les solutions que nous pensons, voilà ce qui est bon pour les salariés, voilà ce qui est bon pour les entreprises, voilà ce qui est bon pour la compétitivité et d'accepter le débat. Moi, je trouve ça formidable, et très honnêtement, nous sommes extrêmement satisfaits de tout ce qui se passe. Y compris les difficultés que nous rencontrons. Parce que vous comprenez bien que dans le cadre de l'Unedic, lorsque, effectivement, on s'est opposé à madame Aubry qui ne voulait absolument pas reconnaître le rôle des partenaires sociaux, eh bien nous avons gagné. Finalement, il y a bien eu validation de l'accord des partenaires sociaux, ça c'est fait à minuit moins le quart, ça a été un débat terrible, qui a été tranché dans le sens, effectivement où les partenaires sociaux ont vu leur accord validé. Vous voyez, c'est ça ce que nous proposons. C'est ça cette mobilisation, et moi, en ce qui me concerne, je suis ravi de voir que ça avance.
HEDWIGE CHEVRILLON : Est-ce que vous ne souffrez pas, pour mener à bien votre Refondation sociale, du manque de représentativité des syndicats en France ? Est-ce que ce n'est pas un problème ?
DENIS KESSLER : Madame Chevrillon, lorsque l'on lance des débats avec des partenaires, on ne commence pas, j'allais dire, à douter de la représentativité des partenaires. Parce que, dans ces cas-là, vous ne lancez pas les débats. Et le respect que nous avons pour le dialogue social fait que nous respectons nos interlocuteurs, quelle que soit leur position. Et je vais répondre de manière beaucoup plus directe : c'est lorsque l'on s'assied à une table que l'on doit se poser soi-même la question de sa représentativité, de sa légitimité et de sa crédibilité. Nous, la seule question que nous nous sommes posée, c'est lorsque nous avons lancé ce débat, est-ce que nous parlons au nom des entreprises ? Comment le vérifier ?
HEDWIGE CHEVRILLON : Et la réponse a été ?
DENIS KESSLER : La réponse a été évidemment oui. Le MEDEF représente à l'heure actuelle 75 % du PIB français à peu près. Nous représentons 90 fédérations professionnelles, du commerce à l'industrie en passant par la finance, nous avons 160 MEDEF territoriaux et lorsque nous avons proposé de lancer tous ces débats, nous avons eu une extraordinaire, comme vous le savez, majorité de gens qui ont dit : allez-y. Donc, voilà, la question que chacun doit se poser. Et je souhaite simplement que nos interlocuteurs, mais ce n'est pas moi qui leur poserais la question, se pose la question. Lorsque je m'assied à la table et que j'accepte la négociation, suis-je sûr d'être légitime, représentatif et crédible ? Je crois que la condition n'est pas de renvoyer la balle à l'autre mais de vérifier pour soi-même que ceci est respecté.
(Suite de l'interview sous la référence 013001973-002)
(Début de l'interview sous la référence 013001978-001)
PIERRE ZAPALSKI : Il n'y a pas que les partenaires sociaux, il y a aussi l'Etat. Dans vos commentaires, je ne vous entends pas parler du fameux fonds de réserve de 1 000 milliards en 2020 et ni de l'abrogation de la loi Thomas qui renvoie aux calendes grecques les fonds de pension.
DENIS KESSLER : Ecoutez, 1 000 milliards en 2020, ils ne sont pas là. Pour le moment, ce sont des prévisions du fonds de réserve. Il n'y a pas ça en caisse dans le fonds de réserve actuel. Contrairement à d'autres pays d'ailleurs, je pense à la Suède, qui est
PIERRE ZAPALSKI : Ou le Canada.
DENIS KESSLER : Ou le Canada, qui ont fait un effort parce qu'ils ont les mêmes échéances que nous. Mais ils l'ont préparé il y a 15 ou 20 ans déjà en Suède alors que nous, nous sommes en train de commencer à constituer le fonds de réserve. Donc, vous voyez, nous en sommes loin. Mais même, nous parviendrions à 1 000 milliards, moi, finalement, je crois tout, je fais un acte de foi là, imaginons que l'on ait 1 000 milliards en 2020, il faut savoir qu'à ce moment-là, ça représentera moins d'un an de cotisation aux régimes de retraite par répartition parce que, déjà à l'heure actuelle, chaque année, nous dépensons 1 000 milliards pour la répartition. Donc, en 2020, cette somme aura augmenté, compte tenu bien entendu de l'augmentation du PIB et du nombre de retraités et vous voyez bien que nous aurons moins d'un an de réserves. Moins d'un an de réserves. Enfin, ce n'est pas la solution au problème que nous avons devant nous. Si c'était la solution, tout le monde le saurait. C'est nécessaire le fonds de réserve, c'est totalement insuffisant pour pouvoir affronter le choc démographique qui se produit à partir de 2005. Je rappelle toujours que ce chiffre, pas uniquement les rapports entre retraités et actifs. Un chiffre. A partir de l'an 2005, chaque année, c'est entre 250 000 et 330 000 personnes de plus qui partiront à l'âge de la retraite par rapport aux cohortes actuelles. La masse, le nombre de retraités va augmenter chaque année de 300 000 personnes en 2005, 300 000 personnes en 2006, 300 000 personnes en 2007, ceci pendant 15 ans. Alors, vous pouvez vous imaginer que ce choc de l'arrivée des générations du babyboom, choc répété, année après année, au fur et à mesure où les générations nées de 1944, 1945 à 1965 vont arriver à l'âge de la retraite, que simplement le petit fonds de réserve qui a été constitué permettra de faire en sorte que ceci ne se traduise pas par une augmentation insoutenable des cotisations, nous n'y croyons pas. C'est la raison pour laquelle nous demandons, exigeons le relèvement des âges de cessation d'activité et nous sommes encore beaucoup plus exigeants parce que nous souhaiterions que l'Etat donne l'exemple en ce qui concerne son propre personnel. Vous voyez bien que dans le blocage actuel du débat sur les régimes complémentaires que nous avons, c'est l'Etat de nouveau qui bloque le débat parce que les syndicalistes, comment voulez-vous que moi j'évolue dans le secteur privé alors même que l'Etat n'a strictement rien fait pour son propre personnel, ce que l'on appelle le régime des pensions civiles, et pour les régimes spéciaux, c'est-à-dire les entreprises publiques. Nous demandons à l'Etat de donner l'exemple, de donner l'exemple. A la place de cela, il donne le contre-exemple de l'immobilisme et de la procrastination. Donc, sur ce sujet-là, nous sommes sévères et nous souhaiterions que l'Etat traite son problème, ce qui nous permettrait de débloquer la négociation qui est la nôtre.
PIERRE ZAPALSKI : Et vous ne regrettez pas l'abrogation de la loi Thomas ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, vous voyez, c'est là où l'on mesure le retard. Dans une société, nous faisons beaucoup de benchmark, d'ailleurs, c'est malheureux, d'ailleurs, il n'a pas été vraiment traduit
PIERRE ZAPALSKI : On peut dire comparaison
DENIS KESSLER : Oui, comparaison, c'est de se comparer au meilleur. Le benchmark, c'est quel est celui qui trouve la meilleure solution, et puis après, il faut savoir si l'on est capable de faire la même chose. C'est comme un sportif. On se fixe la meilleure performance et on essaye de l'atteindre. Donc, ce n'est pas uniquement la comparaison. C'est la comparaison et l'excellence. Bon, eh bien, nous disons dans tous les domaines, c'est ça ce qu'il faut. Qu'est-ce que nous constatons ? Tous les pays ont mis en place des systèmes de fonds de pension, y compris des pays, j'allais dire à tradition sociale démocrate et à la française, comme l'Espagne ou l'Italie, tous les pays l'ont fait. Et regardez le débat en Allemagne à l'heure actuelle où monsieur Schröder est en train de proposer aux Allemands que chaque Allemand puisse, en franchise d'impôt, mettre de l'argent de côté, selon ses volontés, accompagné et incité par l'Etat, alors que nous, nous abrogeons le seul dispositif qui avait été présenté au Parlement qui s'appelle la loi Thomas. C'est là où je mesure le retard entre ce qui se passe en Allemagne à l'heure actuelle qui est une incitation de tous les salariés à épargner et la France qui abroge la seule loi qui permettait de faire la même chose. Vous voyez, c'est là où de temps en temps, c'est vrai, on se dit : oh là là là là, qu'est-ce que c'est, qu'est-ce qu'il y a comme blocages dans ce pays.
JEAN-MARC VITTORI : Toujours sur les retraites, vous proposez donc l'allongement de la durée de cotisation jusqu'à 45 ans. Les gens rentrent de plus en plus tard sur le marché de l'emploi, ils rentrent à 22, 23, voire 25, 26 ans. Cela signifie-t-il que pour toucher une retraite à taux plein, ils devront prendre leur retraite à 68, voire 70, 71, 72 ans ?
DENIS KESSLER : Alors, la présentation que vous avez faite, monsieur Vittori, n'est pas exactement la nôtre. Nous ne proposons pas d'augmenter la durée de cotisation puisque nous ne parlons que des régimes complémentaires. Les régimes complémentaires sont des régimes en points. Donc je ne parle pas du régime de base de la Sécurité sociale qui relève de l'Etat, moi je parle des régimes complémentaires qui relèvent uniquement des partenaires sociaux. Ce que nous disons simplement, c'est que lorsque la personne liquide sa retraite, elle peut la liquider, selon nous, à tout moment. 60 ans, 61 ans, 64 ans, 68 ans. Le jour où il la liquide, tout le monde comprendra que s'il la liquide à 68 ans, toutes choses égales d'ailleurs, il devrait avoir davantage de retraite tout simplement parce qu'il aura une durée de retraite plus courte. S'il la liquide à 60 ans, la durée de retraite sera beaucoup plus longue et toutes choses égales d'ailleurs, il devra avoir une retraite inférieure. Et ce que nous avons proposé aux syndicats et ce que nous continuons à proposer aux syndicats, c'est la chose suivante : vous partez quand vous voulez, cela devient contractuel, c'est la retraite à la carte, en fonction de votre santé, de la pénibilité du travail, de la date de départ à la retraite de votre conjoint, tout ceci est très sain, très pragmatique, correspond aux attentes des Français. Au moment où vous partez, si vous partez tard, vous aurez une retraite supérieure par rapport à une situation dans laquelle vous partiriez tôt. On tient compte de quoi ? De l'espérance de vie et on sait très bien que si on part à 72 ans, la retraite sera moins longue que si l'on part à 60 ans. C'est une proposition extrêmement simple et qui, je crois, reflète vraiment les envies des Français. Ils décident et on calcule en fonction de leur décision.
JEAN-MARC VITTORI : Et pour avoir une belle retraite, les Smicards devraient partir à la retraite à 75 ans ?
DENIS KESSLER : Non, pas du tout. Les Smicards ayant commencé à travailler la plupart du temps plus tôt auront un compte en points plus important puisqu'ils auront cotisé sur une période plus longue en commençant à travailler plus tôt. Mais si vous me dites évidemment la personne ayant commencé à travailler très très tard et qui liquide sa retraite à 56 ans, ce n'est pas terrible. Ca, monsieur Vittori, là, si je vous disais le contraire Bon, ça, j'ai bien compris. Mais si quelqu'un a commencé a travaillé par exemple à travailler à 16 ans et a travaillé pendant toute sa vie, il aura évidemment un compte en points relativement important qui lui permettra d'avoir une retraite tout-à-fait décente. Je vais même jusqu'au bout de mon raisonnement. Je crois que, mais ce n'est pas notre affaire pour le moment, nous souhaiterions que le régime de base de la Sécurité sociale évolue, sans doute vers également un régime en points qui permettrait d'éviter la situation absurde dans laquelle nous sommes à l'heure actuelle en matière de régime de base, dans lequel que l'on ait contribué toute sa vie ou pas toute sa vie, on a à peu près une retraite équivalente. Ce qui est à mon avis extrêmement injuste et inéquitable. C'est la raison pour laquelle nous n'abordons pas le sujet parce qu'il relève des pouvoirs publics mais c'est vrai que notre réforme aurait davantage de sens lorsqu'elle s'appliquera si enfin on réforme le régime de base de la Sécurité sociale dans le sens que je viens d'indiquer, dans lequel, encore une fois, nous faisons le lien entre le montant de la cotisation et le montant de la retraite, en tenant compte d'un paramètre, l'âge.
DOMINIQUE SEUX : En fait, la question politique qui est derrière tout ça, est-ce que, finalement, vous n'attendez pas que l'Etat fasse un premier pas avant de vous engager ? Est-ce qu'au fond, finalement, votre attaque sur ce dossier, elle ne s'adresse pas à l'Etat ?
DENIS KESSLER : Monsieur Seux, attaque, mais c'est quoi ces termes belliqueux ? Je veux dire, nous ne sommes pas en polémologie, là. Nous avons un domaine de responsabilités. Ce domaine de responsabilités, ce sont les retraites complémentaires. Il faut que les Français sachent que pour les salariés du secteur privé, ceux que je représente, moi, je ne m'exprime pas pour tous les autres, je m'exprime pour les salariés, pour les entreprises du secteur privé. Pour nous, ces régimes ne reposent que sur l'accord des partenaires sociaux. On le voit dans le cadre de l'ASF, c'est notre signature qui permet de lever 44 milliards de francs et qui permet de financer l'âge de la retraite à 60 ans. Ca relève des partenaires sociaux. Et vous voyez bien que nous exerçons nos responsabilités. Si on n'empêche d'exercer nos responsabilités alors qu'on l'a fait depuis maintenant plus de 50 ans, il est évident que ça posera des problèmes absolument terribles. Mais ça sera l'Etat qui aura décidé une nouvelle fois de s'immiscer dans les rapports entre les partenaires sociaux et dans leur domaine de compétences. Ce que je souhaiterais simplement, et je le dis avec beaucoup de force, c'est que l'Etat accompagne, accompagne, j'allais dire même encourage ces mouvements de négociation. Il devrait dire : mais c'est formidable que les partenaires sociaux, à l'heure actuelle s'engagent dans cette voie d'essayer de trouver des solutions. C'est formidable pour notre pays d'avoir des gens qui décident de se colletiner des problèmes comme l'âge de la retraite à 60 ans, la réforme du régime d'assurance chômage, la réforme de la formation professionnelle et peut-être demain la réforme de la Cnam, c'est formidable dans un pays d'avoir des acteurs, des acteurs motivés qui se disent : on va essayer de trouver des solutions et de porter ces solutions, y compris vis-à-vis de nos membres. Parce que, et c'est vrai, que par exemple, le relèvement des âges de cessation d'activité, ça pose des problèmes à un certain nombre d'entreprises. Nous le savons. Nous aussi nous sommes courageux. Et c'est la raison pour laquelle dans les pays où ça marche bien, c'est là où on fait confiance aux partenaires sociaux. Et moi, je suis vraiment surpris, hein, monsieur Seux, de voir systématiquement à la place de nous faire cet acte de confiance fondamental qui serait de dire, allez-y les p'tits gars, c'est formidable, mon vieux, allez, allez, c'est bien ce que vous faites, on a sans arrêt le sentiment de dire : attention, on est là, on est vigilant, on prendra nos responsabilités, on refuse d'agréer, etc. Et l'exemple le plus beau qui nous ait été donné quand même au cours de ces 15 dernières années, de ces 15 derniers jours pardon, c'est la chose suivante. Nous faisons un accord ASF en 1996 pour financer l'âge de la retraite à 60 ans. Nous l'envoyons à l'Etat. Il refuse de le valider. Pendant 3 ans. Il ne valide rien. Et le dernier jour de sa validité, le 31 décembre 2000, nous avons au Journal Officiel la validation d'un accord qui se terminait le 31 décembre 2000 ! Ecoutez, écoutez, un peu de respect pour les partenaires sociaux ! J'ajoute que l'Etat nous a toujours dit qu'il allait financer ou co-financer la retraite à 60 ans. Souvenez-vous de 1983 : nous prendrons à notre charge 50 % du surcoût de la retraite à 60 ans. Vous savez combien il nous a versé l'Etat, en l'an 99 ? Zéro ! Vous savez combien il a versé, l'Etat, pour prendre à sa part la retraite à 60 ans en l'an 2000 ? Zéro ! Il nous doit même de l'argent : 1,4 milliard. Donc quand vous avez un Etat mauvais valideur et mauvais payeur, vous me permettrez quand même de considérer, qu'en ce qui nous concerne, nous, on fait notre boulot. Et si on devait attendre à chaque fois la validation d'un accord avant d'en faire un autre accord, on n'en aurait jamais fait. Donc, c'est ça les problèmes d'articulation entre société civile, partenaires sociaux et Etat. Nous souhaitons des nouvelles règles et ces nouvelles règles permettraient un dialogue infiniment plus constructif que celui que nous avons.
(Suite de l'interview sous la référence 013001978-003)
Début de l'interview sous les références 013001978-001 et 013001978-002)
HEDWIGE CHEVRILLON : Un de nos confrères a fait un dossier qui s'appelle " Le MEDEF a besoin de chair fraîche " a propos de l'immigration. Est-ce que c'est un sujet qui vous paraît devenir très important ? Est-ce qu'effectivement, le manque de travailleurs, la réduction de la population active fait qu'en France il faudra rouvrir les vannes de l'immigration et quelle est votre position là-dessus ?
DENIS KESSLER : Alors, votre confrère, en l'occurrence MARIANNE, dit n'importe quoi. Ce n'est pas la première fois et ça ne sera sans doute pas la dernière. Ce dossier, présenté de manière complètement surréaliste dans laquelle le MEDEF demande de la chair fraîche, mais enfin, c'est n'importe quoi ! Appuyé sur quoi ? Sur une étude sur les flux d'immigration de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris. Alors, il faut quand même séparer les institutions. En ce qui nous concerne, je défie quinconque de voir quelle est notre position actuelle qui aurait été endossée par une instance quelconque au sien du MEDEF sur l'immigration. Je le dis avec beaucoup de force.
HEDWIGE CHEVRILLON : Alors, quelle est votre position sur l'immigration ? Au-delà des dossiers.
DENIS KESSLER : Pour le moment, le MEDEF n'a pas de position sur l'immigration et en tout cas n'a pas la position qu'on lui prête à l'heure actuelle de dire : il suffit d'ouvrir vastes les flux d'immigration pour résoudre nos problèmes. Au contraire. Nous avons dit ce qu'il fallait faire dans notre pays. Nous l'avons dit puisque c'est le cur de la Refondation sociale. Nous avons dit, et je me permets quand même de rappeler deux ou trois choses. Il faut engager une réforme fondamentale de la formation professionnelle pour être sûr qu'à l'avenir, notre pays dispose des compétences qui permettront de résister à une compétition internationale de plus en plus intense. Nous sommes au cur du sujet. Nous disons : il y aura moins de personnes qui vont arriver dans les âges en activité, leur poids relatif est en train de baisser, nous disons qu'il faut un effort spectaculaire de formation, non seulement initiale mais tout au long de la vie. Nous sommes prêts, en ce qui nous concerne, à consacrer des ressources pour parvenir à cet objectif. Et je regrette même, permettez-moi de regretter, que lorsque le gouvernement a décidé d'abaisser le temps de travail à 35 heures, s'il avait dit, de 39 à 35, s'il avait dit : mais la 36ème heure sera consacrée à des formations. Ca, c'est intelligent. Parce que je n'ai pas dit que de toute façon passer à 35 heures était intelligent, je me permets tout de suite de corriger, mais de dire : dans le temps libéré, il faut que ce temps serve à la formation des hommes parce qu'il y a une accélération du progrès technologique, parce qu'il y a des compétitions de plus en plus féroces, parce que c'est la seule condition d'employabilité sur le long terme, eh bien, bien entendu, ça aurait permis de préparer l'avenir. Et vous voyez que le débat que j'ai à l'heure actuelle avec les syndicats sur la formation professionnelle, c'est que quand vous réduisez le temps de travail à 35 heures, et que l'on dit : ah, bien non, il faut prendre en plus la formation sur le temps de travail, là, nous avons un véritable problème. Et nous disons avec force qu'il faut bien entendu qu'une partie de la formation se fasse en plus du temps de travail parce qu'autrement, nous n'arriverons pas à satisfaire. Formation professionnelle. Deuxième idée très forte : inciter le retour à l'emploi des gens qui sont à l'heure actuelle au chômage. C'est le dispositif du PARE, c'est la réforme de l'Unedic, c'est le crédit d'impôt et c'est toutes les propositions que l'on fait. Il y a là 2 millions, 2,1 millions de personnes qui ne participent pas à l'activité productive qui peuvent le faire. Troisième idée : le relèvement de la participation au marché du travail pour les âges élevés. C'est nos propositions en ce qui concerne le relèvement des âges de cessation d'activité pour les régimes complémentaires. Nous avons une vision cohérente. Nous disons qu'il faut demain faire tous ces ajustements pour être sûr de pouvoir disposer en France, j'allais dire de manière quantitative et qualitative, des hommes et des femmes qui permettront de permettre la croissance et le niveau de vie de notre pays. Nous, nous sommes cohérents. Vous me dites l'immigration. Mais ce n'est pas notre problème. Je vous rappelle que l'immigration est une décision publique. Je vais même insister sur un point. Nous sommes en Europe, ce n'est même plus une décision française, c'est une décision désormais européenne. Et donc ce débat sera tranché par les instances politiques européennes. En ce qui nous concerne, nous n'avons pas de position. En ce qui nous concerne, nous avons simplement l'idée selon laquelle en France, on a déjà suffisamment de réforme pour être sûr de pouvoir relever les défis qui sont les nôtres, mais il faut les entamer aujourd'hui. Vous voyez, c'est cohérent.
PIERRE ZAPALSKI : Il n'est plus temps de reconstituer l'histoire, maintenant on constate qu'il y a des pénuries de compétences, notamment dans l'informatique. Et là, on n'aura pas le temps d'attendre deux ou trois ans de formation ou de remise en route de gens au chômage. Il va falloir avoir des spécialistes là. Et rapidement.
DENIS KESSLER : Oui, il y a évidemment des points urgents parce qu'il y a des pénuries de main d'uvre ou des pénuries de qualification, des pénuries de compétences, on les voit un peu partout. D'ailleurs, nous avons été les premiers à les identifier. Et bien entendu, là, il y a un problème d'ajustement, d'ajustement de la formation. Nous n'avons pas en France toutes les qualifications nécessaires pour pouvoir être compétitif. Et attendez, d'abord, il y a un marché du travail européen, nous y croyons, d'ailleurs on le voit puisqu'il y a beaucoup de Français qui partent à l'étranger, beaucoup de compétences et de qualifications qui partent à l'étranger, vous les voyez, vous les voyez, qui partent à l'étranger, en Europe, et qui partent à l'étranger outre-Atlantique. Donc vous voyez, nous, notre problème, il est simple. Il est de faire en sorte que le cycle de production France soit attractif pour toutes les compétences. Nous n'avons pas, sur ce point-là, de réserves. Mais si nous avions déjà un site de production suffisamment attractif pour faire en sorte que les compétences restent en France plutôt que d'aller à l'étranger, c'est sans doute la bonne réponse par rapport à faire venir des compétences étrangères.
JEAN-MARC VITTORI : En septembre dernier, vous aviez tiré la sonnette d'alarme en disant que l'économie française connaissait un pincement de son activité, parce que notamment elle ne trouvait pas assez de travailleurs, les entreprises avaient beaucoup de mal à embaucher et qu'on en était donc à ne pas pouvoir produire davantage à cause de ça. Vous aviez même cité un petit peu plus tard un chiffre de 800 000 à 900 000 postes à pourvoir. Alors, où est-ce qu'on en est aujourd'hui sur la conjoncture ? Est-ce que c'est toujours, ce point est-il toujours un frein à l'activité, est-ce que les 35 heures continuent de peser durablement sur la croissance ou bien est-ce que les choses se desserrent un peu ? Et accessoirement, comment êtes-vous arrivé à ce chiffre de 800 000 à 900 000 emplois qui resteraient à pourvoir actuellement ?
DENIS KESSLER : Alors, c'est simple, nous avons bien entendu identifié les pénuries de main d'uvre à partir d'une très grosse enquête puisque nous avons interrogé aux alentours de 6 000 entreprises et nous avons regardé tout ce qui remontait des branches, des types d'entreprises dans notre pays. Et nous avons constaté effectivement qu'il y a des véritables, ce que l'on appelle des goulets d'étranglement dans la mesure où lorsque vous publiez un poste, eh bien vous ne voyez pas de candidats apparaître. C'est quasiment impossible. Alors, de temps en temps, vous voyez un candidat apparaître. Mais il vient d'une autre entreprise. Alors, évidemment, au niveau d'une entreprise, la personne, vous la recrutez, mais ça pose un problème à l'entreprise qui a vu cette personne quitter cette entreprise. Donc, ça, c'est la circulation et je me réjouis de cette mobilité des salariés entre les entreprises, mais quand vous additionnez tout ceci, il n'en reste pas moins que vous avez dans un nombre considérable de domaines des véritables pénuries à l'heure actuelle de main d'uvre. Et pas uniquement en haut de l'échelle. Je veux dire, la compétence peut concerner des gens partout et dans tous les métiers, depuis les couvreurs en terminant par les informaticiens les plus pointus. Alors, ceci aboutit à une estimation qui est effectivement de l'ordre de 800 000 à 900 000 emplois non satisfaits à l'heure actuelle, des listes d'attente de plus en plus importantes, c'est-à-dire que l'on met du temps pour essayer de recruter des gens et puis le fait que, effectivement, ces pénuries de main d'uvre se traduisent par le fait que les gens passent d'une entreprise à l'autre et à ce moment-là voient augmenter leurs salaires parce qu'ils sont demandés, ils sont recherchés et cela se traduit par des augmentations salariales à l'occasion d'une mobilité. Donc tout ceci est attesté. Tout ceci est attesté et ces goulets d'étranglement posent des problèmes de croissance potentiels dans notre pays. Parce que quand vous n'avez pas les compétences, vous produisez moins que si vous avez les compétences. Tout ce que je dis, c'est vraiment d'une simplicité biblique. Alors, quand nous avons fait ce diagnostic, nous avons dit la chose suivante : appliquer les 35 heures dans des situations dans lesquelles on a des pénuries de main d'uvre et de dire à des gens qui ont ces compétences : travaillez moins, alors qu'on n'est pas capable de les remplacer par des gens qui figurent sur le marché, ça a un effet pervers sur la croissance de notre pays. C'est pour cela que nous avons dit simplement : écoutez, nous ne faisons pas le reproche des pénuries de main d'uvre, elles sont liées à des problèmes de formation, elles sont liées à des problèmes divers et variés, mais simplement, vous qui avez la responsabilité d'appliquer les 35 heures aujourd'hui, de grâce, faites attention de ne pas appliquer les 35 heures et de renforcer cette situation de pénurie de main d'uvre parce que ceci sera payé par l'ensemble des Français par une croissance moindre, une moindre croissance des revenus, une moindre croissance de l'activité.
JEAN-MARC VITTORI : Mais est-ce que ça explique le freinage actuel de la croissance ? Est-ce que vous avez l'impression qu'on est toujours dans cette phase de resserrement et de ralentissement de la croissance, d'une pente de 3,5 % à 3 % ou 2,5 %
DENIS KESSLER : Monsieur Vittori, nous avons un ralentissement de la croissance mais nous ne sommes pas du tout inquiets au sens où les termes doivent être très précis lorsque l'on qualifie la croissance. Nous avions une croissance très vive, vous savez, j'allais prendre une métaphore culinaire, dans les recettes, vous aviez, ça continue à chauffer, mais vous avez gros bouillons et puis ensuite, vous avez une situation à feu moyen. Bon, eh bien on est passé du gros bouillon à quelque chose qui est feu moyen. Nous ne sommes pas à feu doux, nous sommes à feu moyen. Ce qui signifie simplement que la croissance se poursuit en France, nous nous en réjouissons mais sans doute avec moins de force qu'il y a par exemple un an jour pour jour. Oui, voilà, c'est le cas. Est-ce que nous sommes inquiets ? Alors, attendez, là, il faut être très précis. L'environnement international s'est dégradé, l'environnement européen s'est dégradé, l'environnement nord-américain s'est dégradé et ça, c'est une réalité. Ca, ça titrait la croissance dans le passé et nous avons sans doute moins de croissance venant de l'extérieur que par le passé. Ensuite, il y a une probabilité non nulle que l'euro se revalorise par rapport au dollar, ce qui veut dire que notre compétitivité prix en France risque de se dégrader par rapport à la formidable compétitivité prix que nous avons eue au cours de ces deux dernières années. Deuxième facteur. Et donc, vous voyez bien que nous sommes, comment dire, nous restons optimistes, nous sommes optimistes sur la croissance, mais nous sommes moins optimistes que nous ne l'étions il y a quelques temps. Donc nous confirmons le diagnostic et nous disons dans ces circonstances-là, attention de ne pas prendre des mesures fiscales, budgétaires ou sociales qui contribueraient à ce ralentissement de la croissance.
VINCENT GIRET : Le prochain débat politique pour la majorité plurielle tourne autour, finalement, de l'assouplissement des 35 heures, le mot a été lâché, y compris par un ministre du gouvernement, donc le sujet est sur la table, en tout cas pour les PME. Alors, de votre côté, quelle est la solution technique qui serait la plus souhaitable dans ce domaine ?
DENIS KESSLER : C'est clair, à l'heure actuelle, ça serait de faire en sorte que le rationnement programmé du nombre d'heures de travail, eh bien que ceci soit desserré. Puisque que je vous rappelle que l'application à l'heure actuelle de la seconde loi Aubry va se traduire par, vraiment, une diminution du nombre d'heures travaillées par chaque salarié en France. Quand bien même ils souhaiteraient faire des heures supplémentaires ou qu'elles soient nécessaires. Donc, nous disons avec beaucoup de force que, par exemple, l'un des domaines dans lesquels il faudrait agir serait, et c'est la voie réglementaire, de permettre davantage d'heures supplémentaires dans une période économique qui reste celle que j'ai indiqué, qui reste de croissance soutenue. Et donc, voilà, c'est une mesure très simple. Alors, moi, j'appelle simplement le gouvernement à avoir autant de pragmatisme qu'en ce qui concerne la ristourne de la CSG. Je veux dire, ne faisons pas de grands débats théologiques sur ce genre de sujets, nous avons un problème concret qui est qu'à l'heure actuelle : il y a des pénuries de main d'uvre comme je l'ai indiqué et nous ne trouvons pas les compétences sur le marché du travail, eh bien laissons les entreprises faire en sorte qu'elles puissent continuer à produire, à satisfaire les prises de commandes et satisfaire des délais lorsqu'elles ont pris ces commandes. C'est très simple. Il ne faut pas faire dans ce domaine des 35 heures de l'idéologie et de la théologie, il faut faire au contraire beaucoup de pragmatisme. Alors, ceci vaut pour les entreprises à l'heure actuelle. Ceci vaut bien entendu pour les entreprises qui ne sont pas encore aux 35 heures, c'est-à-dire les moins de 21 salariés qui voient cette échéance avec un effroi total parce qu'elles ne savent pas comment elles vont les faire. Vous voyez, voilà. Le gouvernement nous avait dit qu'il y aurait des aménagements, qu'il y aurait des adaptations, qu'il y aurait des souplesses. Nous n'avons rien vu venir. Mais nous continuons d'espérer parce que nous sommes d'indécrottables optimistes.
DOMINIQUE SEUX : Alors, on va parler un petit peu maintenant de votre profession d'assureur et une première question sur les tempêtes. Premier point : quelle est l'estimation et l'évaluation définitive que vous faites maintenant du coût des tempêtes de fin 1999 et puis dans quelle mesure les primes que vous calculez, le chiffre d'affaires de la profession tient compte ou non de futurs accidents ? Est-ce que vous avez l'impression que des accidents de ce type peuvent se reproduire ? Quel est en fait votre sentiment sur l'évolution presque du climat dirais-je ?
DENIS KESSLER : Sur l'estimation du coût, c'est simple. L'estimation que l'on avait donné au printemps dernier est tout-à-fait vérifiée puisque nous sommes à l'heure actuelle aux alentours de 44 à 45 milliards de francs de coût pour les tempêtes Lothar et Martin de la fin de l'année 1999. Donc, c'est vérifié. L'essentiel d'ailleurs, c'est les tempêtes et la partie catastrophes naturelles, c'est-à-dire les inondations, ne représentant que de l'ordre de 2 milliards. C'est un choc considérable, bien entendu et vous pouvez imaginer que s'il se reproduit fréquemment, on ne peut pas faire face à ça. Alors, comment est-ce que l'on a pu absorber ce choc ? Il faut savoir que le mécanisme de réassurance est subtil et qu'il y a des mécanismes dits de réassurance qui font que quand il y a un choc en France, c'est un peu le monde entier qui va payer. Parce que quand il y a un choc à l'étranger, c'est la France aussi qui contribue. Il y a cette extraordinaire technique de l'assurance qui permet de répartir le risque sur quasiment la totalité de la planète à l'heure actuelle. C'est pour ça que quand vous avez un choc d'une telle ampleur, 44 milliards en un jour et demi ou deux jours de vent, vous êtes capable de l'absorber. Et puis après, vous allez faire quoi ? Le lisser sur l'ensemble des pays et vous le lissez dans le temps. Hein, c'est comme ça que l'on absorbe ce choc. Et d'ailleurs, les Français ont pu le voir puisque l'augmentation des tarifs en l'an 2000 a été extrêmement modérée par rapport à un choc de cette ampleur. La seule question que nous avons à l'heure actuelle, c'est de savoir si ces chocs vont se répéter très fréquemment. Parce que si c'est exceptionnel, on peut le lisser dans le temps et dans l'espace, mais si chaque année nous avons un choc d'une telle ampleur, vous voyez bien que ceci n'est pas tenable. Lorsque le risque augmente, le coût du risque augmente également. Et la question que l'on se pose, c'est de savoir si oui ou non les risques augmentent. Alors, notre conviction, elle est faite puisque nous avons beaucoup travaillé en l'an 2000, nous avons étudié quasiment tous les modèles météorologiques, les modèles de réchauffement de la planète et autres et notre conviction, c'est qu'il y a effectivement à l'heure actuelle augmentation du nombre d'évènements climatiques conduisant à des catastrophes, augmentation notamment dans la gravité de ces évènements et nous sommes à l'heure actuelle vraiment de l'avis que les années qui viennent seront marquées par davantage de tempêtes, d'inondations, de risques de toute nature, de sécheresse que par le passé. Ce qui veut dire que le risque augmente, ça veut dire que le coût du risque augmentera, je crois qu'il faut le dire encore une fois avec netteté pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté. Nous devrons payer davantage demain pour pouvoir faire face aux risques qui sont plus importants. L'actualité d'ailleurs nous le démontre. Simplement à Redon, il faut le savoir, nos estimations à l'heure actuelle, c'est déjà de l'ordre de 250 ou 300 millions de francs, vous voyez pour une ville dans un endroit, un département. Ca chiffre très rapidement. Ca représente rapidement des centaines de millions de francs.
HEDWIGE CHEVRILLON : Autre risque très important, celui de la vache folle. Est-ce que pour les assureurs, vous avez déjà une estimation de ce que ça peut vous coûter directement ou indirectement ?
DENIS KESSLER : Attendez, pour la vache folle, je vous rappelle que le dispositif en France relève des décisions publiques, c'est le principe de précaution, et que c'est la loi qui décide d'abattre tout le troupeau lorsqu'il y a un cas de vache folle et le coût de l'abattage et l'indemnisation des agriculteurs est pris en charge par l'Etat puisque c'est lui qui a pris la décision. Au nom de l'ordre public. Et donc, pour le moment, les assureurs ne sont pas concernés par le problème dit de la vache folle parce que dans l'état actuel du droit, c'est pris en charge par les pouvoirs publics.
HEDWIGE CHEVRILLON : Même pour les personnes qui sont touchées ? Ou qui risquent d'être touchées ?
DENIS KESSLER : Attendez, alors, pour les personnes qui sont touchées ou qui risquent d'être touchées, il y aura un problème qui est bien connu que l'on appelle l'imputabilité. Si vous voulez, imaginons que quelqu'un dans 10 ans dise qu'il a été affecté de la maladie de Creutzfeld-Jacob, savoir qui est responsable, à partir de quel moment a-t-il été contaminé, par quel biais et où est le responsable, tout le monde le voit, ça pose un problème absolument dramatique. La preuve que ce problème d'imputabilité en trouve pas de solution, c'est que le seul pays qui a mis un fonds d'indemnisation au point, c'est l'Angleterre et que c'est un fonds public, tout simplement parce qu'il est impossible de faire la chaîne des causalités ou la chaîne de l'imputabilité qui permet d'associer tel producteur à telle victime.
DOMINIQUE SEUX : Vous souhaitez la création d'un fonds public en France comme pour l'amiante ?
DENIS KESSLER : Monsieur Seux, je ne souhaite strictement rien. Je dis simplement que, en ce qui concerne la vache folle, les pays qui ont déjà légiféré dans ce domaine ne peuvent pas trouver d'autres solutions que la solution d'un fonds public d'indemnisation, tout simplement pour la raison que j'ai indiqué, qui ne tient pas à une position quelconque de ma part mais qui tient au fait que vous ne pouvez faire aucun lien entre le fait d'avoir consommé de la viande de buf au cours des 5 dernières années et le fait de trouver le producteur en question qui vous permet de lui demander d'indemniser. Donc, c'est des problèmes, simplement techniques, de traçabilité, d'imputabilité et de causalité. Voilà. Donc, je ne demande rien, rassurez-vous. Je me permets aussi de rappeler que, quand même, pour le moment, le nombre de malades réels et de décès liés à la vache folle est extrêmement restreint par rapport à tout ce qui c'est passé. Un chiffre : pour le moment, il y a 4 à 5 cas en France de décès dus au Creutzfeld-Jacob, encore faudrait-il être sûr que ceci est lié d'ailleurs à l'alimentation par voie carnée. Je rappelle simplement que les tempêtes Lothar et Martin dont on parlait tout-à-l'heure ont fait 120 morts l'année dernière. Donc, vous voyez, pour le moment, raison gardée sur ce domaine.
JEAN-MARC VITTORI : Les techniques de l'assurance marchent bien quand c'est des risques que l'on connaît bien, que l'on peut identifier facilement. C'est le cas pour les accidents de voiture, c'est le cas pour les vols, pour les incendies. Mais on a l'impression que l'on a de plus en plus de cas où l'on a des risques qui deviennent de plus en plus imprévisibles. C'est le cas évidemment des tempêtes, ça a été le cas sur certains problèmes de sécurité alimentaire. Est-ce que les techniques de l'assurance suivent encore, est-ce que l'on peut appliquer le raisonnement de l'assurance à ces problèmes qui sont de plus en plus importants et qui portent sur des enjeux financiers qui deviennent colossaux. ?
DENIS KESSLER : Les techniques de l'assurance s'appliquent parfaitement non seulement à l'auto, bien entendu à la MRH, mais attendez, à tous les risques industriels. Et y compris aux tempêtes. Nous avons fait face à ce choc extraordinaire des tempêtes de 1999 que je sache. Et la plupart, 96 % des Français, ont été aujourd'hui remboursés. Donc, il n'y a pas de problèmes, heureusement. Les techniques de l'assurance permettent de faire face, quasiment à tous les risques connus. On n'a pas parlé d'assurance vie. Mais c'est formidable. 650 milliards de collecte l'année dernière en l'an 2000. Vous vous rendez compte ! 650 milliards encore en croissance de l'ordre de 20 %. Nous avons à l'heure actuelle développé notre activité dans tous les secteurs de dommages, de prévoyance, la maladie, les risques industriels, bref. La demande d'assurance est sans cesse croissante parce que la demande de sécurité est vraiment quelque chose d'extrêmement important dans les sociétés développées. Je vais même aller plus loin. Plus un pays est développé, plus la prime d'assurance par habitant est importante. C'est un classement parfait de l'indicateur des richesses. Et ce n'est pas un hasard si vous trouvez la Suisse tout en haut des primes par habitant et du PIB par habitant. Donc, c'est un indicateur de développement. La demande de sécurité est un bien que l'on appelle supérieur. Plus on est riche, plus on souhaite s'assurer. Et donc il y a des besoins extraordinaires d'assurance à l'heure actuelle, tout le monde souhaite s'assurer dans tous les domaines. Et je considère que les techniques que l'on a mis au point, de toute manière, permettent exactement de résoudre à peu près tous les problèmes que l'on nous a mis, que ça soit dans le domaine des transports ou dans le domaine de la responsabilité civile, des risques de réseaux, des risques informatiques, de piratage, de responsabilité civile, de tempête, que sais-je encore. Donc, nous n'avons aucun problème, au contraire. Et nous arrivons à satisfaire cette demande par une offre qui est extrêmement sophistiquée.
EMMANUEL CUGNY : Donc, nous sommes bien gardés. Merci Denis Kessler.
(Source http://www.medef.fr, le 07 mars 2001).
DENIS KESSLER : Bonjour.
EMMANUEL CCUGNY : Merci d'avoir répondu présent à l'invitation de RADIO-CLASSIQUE pour ce nouveau " Questions orales " de 2001. Il n'est pas trop tard pour vous présenter tous nos vux pour cette année qui ouvre un siècle, voire un millénaire, dans lequel les partenaires sociaux, dont le MEDEF, entendent bien laisser leur empreinte. Les occasions sont légions. Aussi, c'est à plusieurs titres que nous allons vous interroger. Tout d'abord au titre de vice-président du MEDEF, ensuite au titre de président de la FFSA, la Fédération Française des Sociétés d'Assurances. Panoplie qui serait incomplète si nous n'interrogions l'économiste Denis Kessler sur la conjoncture économique qui inclut bien sûr en France l'impact des 35 heures. L'actualité sociale, donc il y a évidemment la prime à l'emploi lancée pas plus tard que jeudi par Lionel Jospin lors des vux à la presse, le crédit d'impôt dont nous connaîtrons les aspects techniques en début de semaine prochaine. L'actualité sociale, c'est aussi la Refondation, le terme n'est pas dans les dictionnaires et pour cause, il émane du MEDEF justement. Où en est-on des chantiers lancés dans ce cadre entre formation, retraites, retraites complémentaires pour lesquelles les syndicats vous demandent de reprendre les négociations. Et puis nous verrons aussi ce que vous attendez du Grenelle de la Santé annoncé par Elisabeth Guigou pour le 25 janvier. D'ici là, une autre date est à marquer d'une pierre blanche : le 16 janvier. Le Mouvement des Entreprises de France tiendra ce jour-là son Assemblée générale, l'occasion de revenir sur tous les grands dossiers que je viens d'évoquer. Alors que dans la nuit de jeudi à vendredi, les députés ont adopté en première lecture le projet de loi de modernisation sociale qui notamment renforce l'amendement Michelin sur les licenciements, la notion de tempête sociale est-elle révolue ? Le fait est que d'autres tempêtes marquent votre actualité, monsieur Kessler, je veux parler bien sûr de celles qui ont touché la Bretagne et l'Ille-et-Vilaine notamment ces derniers jours, un an tout juste après les évènements climatiques dévastateurs, on s'en souvient. Faut-il s'attendre à de nouvelles hausses de primes ? Les assureurs ont-ils réellement accusé le coût, sans mauvais jeu de mots, vous nous expliquerez tout cela Denis Kessler avant d'élargir notre propos à l'actualité plus large du secteur. Pour vous interroger, à mes côtés, Hedwige Chevrillon, LA TRIBUNE, Dominique Seux, LES ECHOS, Jean-Marc Vittori, CHALLENGE, Vincent Giret, L'EXPANSION, et Pierre Zapalski de RCA. Alors, au grand dam d'une partie de la majorité plurielle et pour remplacer la ristourne sur la CSG concernant les bas salaires censurée par le Conseil constitutionnel, monsieur Jospin a donc préféré à la hausse du Smic le crédit d'impôt qu'il a baptisé donc prime à l'emploi. Les responsables d'entreprise que vous représentez ici sont satisfaits ?
DENIS KESSLER : Alors, d'abord, tous mes vux à vous tous et bien entendu à l'ensemble des auditeurs de RADIO CLASSIQUE parce que ces vux ne sont pas inutiles pour l'année 2001 ? compte tenu du nombre de dossiers qu'il va falloir résoudre. Et je crois qu'il faut que cette année soit consacrée, en tous cas par les partenaires sociaux, à trouver des solutions à toute une série de problèmes qui ont été maintenant très largement identifiés et pour lesquels il faut prendre des décisions. Alors, en ce qui concerne le crédit d'impôt, nous sommes évidemment satisfaits du choix qui a été fait par le gouvernement. J'allais dire qu'il y avait deux mauvaises mesures qui ont été écartées et nous nous en réjouissons. La première, évidemment, c'était l'exonération de CSG qui pervertissait cet impôt qui avait des vertus. Je me permets de rappeler que, à l'origine de la CSG, les réflexions économiques qui avaient été menées l'avaient été en partie par votre serviteur et qu'il est évident que lorsque l'on introduit un effet de seuil, cela donne des effets extrêmement préjudiciables à la lisibilité de cet impôt et à ces effets de redistribution. L'autre mauvaise mesure était le relèvement du Smic, ça quand même, maintenant, il faut le dire, tous les économistes sont d'accord pour dire que le relèvement du Smic détruit de l'emploi peu qualifié et cela a même été chiffré par les économistes de l'Insee. C'était la très mauvaise mesure d'augmenter une nouvelle fois le Smic alors même que, comme vous le savez, la loi des 35 heures va augmenter le Smic de l'ordre de 20 % en cinq ans. Alors, finalement, on en arrive à une solution qui a été expérimentée dans d'autres pays, je pense notamment aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Je ne connais pas tous les détails de la mesure puisque celle-ci a été annoncée hier
EMMANUEL CCUGNY : On les connaîtra mardi. Laurent Fabius les annoncera mardi.
DENIS KESSLER : Oui, j'ai l'impression que cela va être encore un peu compliqué puisque que d'après ce que j'ai entendu, on va tenir compte de ceci, de cela, du nombre d'enfants, des ressources, que sais-je encore. Il n'empêche que la voie qui est choisie du crédit d'impôt est celle qui permet, je crois, de faire en sorte, bien entendu, de maintenir des transferts sociaux, ce qui est absolument indispensable pour la cohésion sociale et pour la lutte contre la précarité et la pauvreté mais aussi de tout faire en sorte pour que les gens retrouvent une activité productive et que l'on puisse, à terme, combiner revenus d'activités avec transferts sociaux dans un sens où nous avons besoin de la mobilisation de tous pour pouvoir réussir le retour à la croissance, au plein emploi et résoudre les problèmes que nous connaissons bien. Donc je suis satisfait de l'orientation qui a été prise. Nous nous prononcerons sur le détail des mesures que lorsque nous en aurons connaissance. Laissez-moi juste ajouter un point. Il faut quand même dire aux Français que l'on peut toujours exonérer de-ci delà tel ou tel type de revenu ou alléger tel ou tel type d'impôt. Mais tant qu'en France, on ne se sera pas engagé de manière résolue dans la maîtrise de la dépense publique, de la dépense collective et de la dépense sociale, très souvent le jeu que l'on propose est un jeu de mistigri ou de bonneteau dans lequel on fait disparaître ici telle recette. Comme on ne modifie pas le niveau des dépenses, elles réapparaîtront là. Et donc, nous plaidons en ce qui nous concerne au MEDEF pour une réforme fiscale de très grande ampleur allant bien au-delà de ce qui nous a été proposé et nous plaidons surtout pour qu'enfin, la France se dote d'une volonté de réforme de l'Etat et des dépenses publiques et des dépenses sociales, à l'instar de ce que fait le chancelier Schröder à l'heure actuelle, qui sera la seule condition pour les Français ne se disent pas que systématiquement, demain, ils seront l'objet de nouveaux prélèvements et puis de nouveaux allégements et puis de nouveaux prélèvements et puis de nouveaux allégements. Ce jeu-là est peut-être politiquement intelligent, mais permettez-moi de croire que ce n'est pas la voie structurelle pour permettre à notre pays d'être compétitif.
EMMANUEL CCUGNY : Nous allons en reparler au cours de cette émission.
HEDWIGE CHEVRILLON : Donc, une fois n'est pas coutume, Denis Kessler, si j'ai bien compris, vous saluez le courage de Lionel Jospin qui n'a pas cédé à sa majorité plurielle en renonçant à une hausse du Smic et en choisissant la formule du crédit d'impôt ?
DENIS KESSLER : Je salue le courage de Lionel Jospin de choisir une solution qui est économiquement fondée. Je crois très honnêtement que, de temps en temps, il faut quand même enraciner les décisions publiques dans du raisonnement économique. Et pas uniquement dans un raisonnement politique.
HEDWIGE CHEVRILLON : Et là, c'est le cas ?
DENIS KESSLER : C'est le cas. Je m'en réjouis. Dans d'autres dossiers, le gouvernement fait de la politique et refuse de s'inscrire dans un raisonnement économique, je pense directement aux 35 heures. Et dans ce cas-là, nous condamnons. Sachez que nous n'avons pas au MEDEF de position vis-à-vis du gouvernement de monsieur Jospin qui soit une position faite sur tous les dossiers. Nous jugeons mesure après mesure. Chaque mesure qui nous est proposée, nous réfléchissons et c'est à partir de notre expérience, à partir de ce que nous considérons être l'intérêt général des entreprises, que nous prenons telle ou telle position. Il n'y a, en ce qui nous concerne, aucune posture politique qui serait de rejeter systématiquement ce qui est décidé par le Premier ministre ou d'approuver systématiquement d'ailleurs dans l'autre sens. Donc, nous nous réjouissons que l'on ait choisi cette orientation, mettons ça crédit d'impôt, très honnêtement, prime à l'emploi, c'est rigolo d'appeler ça comme ça, mais ça, c'est vraiment
HEDWIGE CHEVRILLON : Pour le coup, c'est plus politique qu'un crédit d'impôt ?
DENIS KESSLER : Oui, c'est vraiment du marketing politique très honnêtement, mais ça n'a pas de sens. C'est bien un crédit d'impôt. Nous nous réjouissons que cette voie ait été choisie, encore une fois et nous aurions tout-à-fait condamné une décision qui aurait conduit à relever le Smic par la même personne seulement parce qu'il y a une bonne mesure et une mauvaise mesure. Si, en France, le débat publique pouvait systématiquement, plutôt que de prendre justement les positions ou des présupposés, converger vers ce débat de fond, c'est-à-dire qu'est-ce qui est bon pour résoudre le problème qui a été identifié, je crois que le pays avancerait plus rapidement.
JEAN-MARC VITTORI : Que répondez-vous à la vraie interrogation de Bernard Thibault, le secrétaire général de la CGT, qui parle, je cite, d'un signe très négatif quant aux responsabilités des entreprises sur les bas salaires puisque cela revient à leur dire : si vous n'augmentez pas les salaires, c'est l'Etat qui y suppliera ?
DENIS KESSLER : Il faudrait, là aussi monsieur Thibault devrait enraciner ses raisonnements dans des raisonnements économiques. Si les salaires n'augmentent pas au-delà de ce qu'ils augmentent à l'heure actuelle, ce n'est pas parce qu'il y a une mauvaise volonté des employeurs, c'est parce qu'il y a des raisonnements économiques qui font que les salaires correspondent à la productivité et que les augmentations de salaire correspondent à des augmentations de la productivité. C'est comme ça. Et donc croire que tout ceci repose sur simplement des bonnes volontés ou des mauvaises volontés, c'est une vision qui n'est pas économique des choses. Les salaires évoluent en fonction de la productivité, comme vous le savez. Plus il y a gain de productivité, plus il y a de hausse de salaire. Et les salaires sont d'autant plus élevés que les gains de productivité dans un pays sont importants. Qu'est-ce que nous dit depuis trois ans ? Les gains de productivité ont été massivement utilisés à l'heure actuelle pour financer la réduction du temps de travail et on a payé les Français en heures alors qu'on aurait pu les payer en augmentations de salaire. La preuve a été apportée par les statistiques récemment publiées dans lesquelles on constate que dans les entreprises qui ne sont pas passées aux 35 heures, il y a davantage de croissance des salaires que dans les entreprises, de manière tout-à-fait significative, que dans les entreprises qui sont passées aux 35 heures. Nous sommes fermement opposés à ce que le gouvernement se substitue aux partenaires sociaux pour affecter les gains de productivité. Ca doit être laissé au niveau de l'entreprise, ça doit être laissé au niveau des partenaires sociaux. Le choix a été fait par le gouvernement et il impose à l'ensemble des salariés français de recevoir du temps alors même qu'un grand nombre d'entre eux aurait souhaité recevoir de l'argent.
PIERRE ZAPALSKI : Vous venez de souligner la responsabilité des partenaires sociaux. Et je voudrais aborder le problème des retraites. Vos partenaires sociaux, précisément, viennent de vous relancer pour rouvrir cette négociation qui est en panne depuis le 21 décembre.
DENIS KESSLER : Alors, d'abord, nous avons, si vous voulez, nous n'avons pas commencé la réflexion sur les retraites en l'an 2000. Nous gérons, cogérons l'Agirc depuis 1947, l'Arrco remonte, si ma mémoire est bonne, à 1962 et puis nous avons des rendez-vous quasiment tous les deux ou trois ans avec les partenaires sociaux pour regarder les paramètres du régime de retraite par répartition complémentaire. Je me permets de rappeler ici qu'en 1993 par exemple, nous avons décidé d'augmenter les cotisations de l'Arrco de 4 % à 6 %, ce qui est une augmentation de 50 % tout-à-fait considérable, qu'en 1994, nous avons décidé de porter le taux statutaire de l'Agirc de 12 % à 16 %, qu'en 1996, nous avons eu une autre rencontre pour ajuster les paramètres du régime. Et donc, nous avons en permanence la responsabilité de l'évolution des régimes de retraite par répartition et c'est un dossier que nous connaissons bien, en tous cas pour les syndicats qui ont décidé de poursuivre la cogestion avec nous de ces systèmes. Nous avons ouvert une négociation en l'an 2000 parce que nous savons que le dispositif de 1983 concernant la retraite à 60 ans n'est pas pérenne et n'est pas durable. Nous le savons. Les syndicats aussi d'ailleurs. Et nous avons décidé de trouver une sortie qui permettre d'envisager l'avenir sans reporter sur les générations futures le poids du vieillissement démographique, c'est-à-dire en évitant des hausses massives de cotisation. Nous avons longuement négocié puisque nous avons négocié 9 mois, ce sont des négociations intenses. Très honnêtement, tout ceci, ce n'est pas du bricolage, c'est l'inverse, c'est du travail de fond, et qui conduit à quoi ? A faire des propositions. Ces propositions que nous avons mises sur la table fin décembre sont des propositions qui ont été des propositions après négociations. Ce ne sont pas des propositions d'ouverture. Ce sont des propositions qui ont été façonnées, élaborées et modifiées au fur et à mesure où les syndicats nous faisaient part des observations. Alors, ces propositions sont simples. Nous disons qu'il faut absolument éviter des hausses de cotisation à deux titres : compétitivité des entreprises et d'autre part, protection du pouvoir d'achat des jeunes générations. Il faut savoir que lorsque l'on hausse les cotisations, à l'heure actuelle, cela représente 25 % du salaire brut d'un salarié moyen en France. Trois mois de salaire sont consacrés simplement aux cotisations des régimes de retraite par répartition. Nous disons avec force qu'il faut protéger le pouvoir d'achat des jeunes générations, c'est-à-dire de ceux qui rentrent sur le marché du travail ou qui sont sur le marché du travail. Parce que prélever sur leur salaire des sommes supplémentaires à celles qui sont aujourd'hui prélevées pour aller financer la charge du vieillissement serait inéquitable et inefficace pour ces jeunes générations. Donc nous disons cela. Ensuite, nous disons, et c'est très important, qu'il faut sauvegarder le régime de retraite par répartition. Comment faire ? Il y a un paramètre sur lequel il faut jouer, c'est l'âge de cessation d'activité. C'est cohérent avec le relèvement de l'espérance de vie ou la poursuite de la progression de l'espérance de vie, c'est cohérent avec ce que qui se passe dans les autres pays puisque nous sommes le dernier pays à ne pas avoir ajusté son régime de retraite
PIERRE ZAPALSKI : Donc il faut travailler au-delà de 60 ans ?
DENIS KESSLER : Mais que ça soit clair. Il n'y a aucune ambiguïté et nous ne faisons pas de langue de bois. Alors, je pourrais faire des périphrases et appeler ça je ne sais pas comment pour essayer de faire passer la pilule en mettant du sucre autour de la dragée au poivre, nous disons simplement qu'il faudra demain travailler davantage tout simplement parce que nous allons vivre plus longtemps et parce que nous serons moins nombreux. C'est comme ça. Eh bien, toute personne qui vous raconte des balivernes en disant il y a d'autres solutions, ne sait pas ce que c'est que la règle de trois. La règle de trois, c'est clair. Lorsque vous augmentez le nombre de retraités, que vous diminuez le nombre de cotisants, si vous dites rien ne se passe dans les régimes de retraites par répartition, eh bien il faut retourner sur les bancs de l'école et réapprendre la règle de trois.
DOMINIQUE SEUX : La question qui se pose, très concrète, et tout le monde a envie d'entendre votre réponse, c'est : les syndicats vous demandent depuis quelques jours de rouvrir une négociation que vous considérez comme fermée. Alors, est-ce qu'aujourd'hui, vous nous dites, trois jours avant votre Assemblée générale du 16 janvier, vous nous dites oui, on rouvre la négociation ou au contraire, pour nous, c'est terminé ? Est-ce que vous pouvez prendre le risque, finalement, en considérant que le dossier est terminé d'arrêter la Refondation, alors que pour l'instant, vous avez disons, un accord et demi, un accord sur l'Unedic et un accord dont la portée est plus limitée sur les maladies professionnelles ?
DENIS KESSLER : Monsieur Seux, la Refondation n'est pas un objectif en soi. Ce sont les résultats de la Refondation qui sont les objectifs. Et nous avons dit depuis le début que ces négociations devaient déboucher sur des vraies réformes. Il ne s'agit pas simplement, à l'ancienne, de parvenir à des modifications à la marge. Nous avons, lorsque nous avons lancé ceci et, c'était très clair puisque nous avons montré les mandats qui nous avaient été donnés par l'Assemblée générale, à chaque fois que avons ouvert un chantier avec les syndicats, nous avons mis sur la table les objectifs qui étaient ceux des employeurs, et donc il n'y a pas d'ambiguïté. Ce que nous voulons, ce sont des vraies réformes pour pouvoir adapter notre pays, notre système de protection sociale, notre système de relation du travail aux exigences d'aujourd'hui et de demain. Donc, en matière de retraites, si vous voulez, bien entendu, nous étions parfaitement au courant de la date limite du 31 décembre de l'an 2000, qui était la fin de l'accord dit ASF qui est un accord qui permet de prélever 44 milliards de francs sur les entreprises et sur les salariés pour les reverser aux régimes Agirc et Arrco pour compenser les coefficients d'abattement qui figurent dans les statuts. Ce montage, qui est vraiment du bricolage et du bidouillage, ce montage remonte à 1983, à l'époque où, là aussi, le gouvernement avait pris une grande décision d'abaisser l'âge de la retraite à 60 ans et puis après a fait un incroyable bricolage comme je viens de l'appeler, qui a consisté à faire une association 1901 qui collecte de l'argent et qui le reverse aux régimes de retraites complémentaires. Un accord qui est tous les trois ans et qui suppose une signature pour qu'il soit poursuivi. C'est du bricolage. On ne rentre pas dans le XXIème siècle avec un " truc " qui est aussi très honnêtement bancal, instable, non pérenne. Et c'est la raison pour laquelle les syndicats connaissaient parfaitement cette date d'échéance et s'ils ne la connaissaient pas, ils devraient connaître leurs dossiers. Donc, nous l'avons dit au mois d'avril lorsque nous avons ouvert la négociation : il faut clore cette négociation avant le 31 décembre de l'an 2000 pour être sûr, pour être sûr, qu'il y a un accord ASF qui permet ou un accord qui permettait de faire en sorte qu'il n'y ait pas rupture des droits, des droits, de rupture des droits pour les retraités qui partent à la retraite dans les mois et les années qui viennent. Ce que nous avons proposé, monsieur Seux, c'est un plan en 23 ans. En 23 ans. C'est la durée la plus longue que l'on ait trouvé lorsque l'on a regardé ce qui s'est fait dans les autres pays. Et nous n'avons jamais proposé le rétablissement des coefficients d'abattement au 1er avril prochain. De facto, ce sont bien les syndicats qui préfèrent prendre le risque de rétablissement de coefficient d'abattement au 1er avril prochain parce que nous n'avons jamais proposé ça. Nous sommes contre le rétablissement des coefficients d'abattement puisque nous, nous sommes pour un plan en 23 ans qui permet enfin d'adapter le régime de retraite complémentaire.
DOMINIQUE SEUX : J'insiste un tout petit peu, Denis Kessler et je n'ai pas tout-à-fait entendu votre réponse. Est-ce que, mardi prochain, vous dites : on continue la négociation avec les syndicats, on est prêt à faire des petites avancées, etc, ou pour vous, le dossier est vraiment terminé ? Est-ce que pour le MEDEF 2001 doit être une année utile ou pas ?
DENIS KESSLER : Alors, c'est clair, net et précis. Si les syndicats nous disent : on attend deux ans et puis dans deux ans, on regarde ce que l'on fait pour les régimes complémentaires, ceci n'est pas sérieux. Ceci n'est pas sérieux. Ce sont des techniques que certains utilisent à longueur de journée que de créer des commissions, des groupes de travail et de dire : il est important d'avoir des éléments nouveaux pour pouvoir prendre une décision. Attendez, en matière de retraite, en matière de retraite complémentaire, en matière de retraite par répartition, tous les éléments sont sur la table. Tous les chiffrages, tous les exemples, tout est sur la table. Et donc nous considérons que c'est aujourd'hui qu'il faut prendre des décisions. Si les syndicats acceptent vraiment de trouver des solutions et de négocier, il n'y aucune raison que nous disions non. Mais croire que l'on va se rasseoir autour d'une table pour décider de repousser les échéances et de savoir ce que l'on fait dans quelques années, ceci n'est pas sérieux. Je vous ai dit, monsieur Seux, nous acceptons de négocier lorsque ceci conduit à une vraie réforme. Une vraie réforme. Nous avons mis sur la table une vraie réforme. Cette réforme, elle est vraiment, elle permet à tous les salariés français d'envisager l'avenir avec sérénité. C'est formidable parce que cela permet de sortir de situations bloquées, l'âge de la retraite à 60 ans, c'est la retraite à la carte, c'est une certaine forme de flexibilité, c'est le maintien du pouvoir d'achat des retraites, ça permet enfin, je crois, d'entrer sans repousser sur les générations futures le poids de notre impéritie. Soit les syndicats décident, effectivement de négocier sur cette volonté d'adapter les régimes de retraite par répartition et nous continuerons avec eux à les gérer et nous continuerons avec eux à faire en sorte qu'il n'y a pas de rupture des droits puisque c'est notre intention et c'est notre volonté, mais nous demander de repousser les décisions à des échéances de deux, trois ans, ceci, nous ne l'accepterons pas. Nous sommes pour la réforme, nous sommes résolument pour la réforme, nous sommes résolument pour la négociation, nous l'avons démontré, mais il faut que cette négociation débouche sur des véritables avancées, des véritables progrès. Et c'est la raison pour laquelle, encore une fois, si les syndicats acceptent de s'inscrire dans cette volonté de trouver une solution de sortie de l'âge de la retraite à 60 ans, bien entendu, ils trouveront des interlocuteurs très motivés puisque nous le sommes. Mais si c'est simplement pour nous demander de mettre tout ça sur le tapis, très honnêtement, la réponse est non.
VINCENT GIRET : Alors, Denis Kessler, vous avez évoqué la nécessité d'élargir les espaces de négociation pour les partenaires sociaux. Les choses ont un peu bougé depuis l'été. D'abord, il y a un nouveau ministre de l'Emploi et de la Solidarité, il y a eu, finalement, après un psychodrame, la validation de votre accord sur l'Unedic, l'assurance chômage. Est-ce que, avec ce nouveau ministre, est-ce que vous avez l'impression que le gouvernement s'est doté un peu d'une nouvelle doctrine en la matière ? Est-ce que, finalement, il est prêt à laisser un peu plus de place au contrat que du fait d'imposer la loi ? Est-ce que vous avez l'impression que les choses vont un peu bouger ? Est-ce que le gouvernement est un peu mieux disposé ou on en reste à des conceptions très classiques, d'un côté la loi, de l'autre le contrat a minima ?
DENIS KESSLER : Nous sommes toujours confiants dans les évolutions. Monsieur Seux, voter honorable collègue, a dit tout-à-l'heure, ah, le bilan est maigre, il y a un accord et demi, deux accords, etc. Bon. Mais c'est vraiment le petit bout de la lorgnette tout ceci ! Nous avons lancé des débats tout-à-fait fondamentaux. Lorsque l'on a lancé le débat sur la place de la loi et du contrat, c'est un débat fondamental. Lorsque nous avons dit il faut vraiment trouver des accords sociaux de long terme, ce sont des débats fondamentaux, c'est comment avoir des relations de long terme et non pas simplement aller d'échéances en échéances comme on l'a fait jusqu'à présent. Lorsque nous avons cette volonté d'adapter des régimes en tenant compte de ce que l'on appelle l'euro-compatibilité, être sûr que ce que nous faisons soit conforme, en tout cas compatible avec les évolutions des systèmes sociaux dans les autres pays, vous vous rendez compte, ces débats-là sont lancés, ces débats-là, ils mettront du temps à être pris en compte, mais ils sont désormais inévitables, incontournables, indépassables. Dans ce que nous avons décidé de faire en l'an 2000 et que nous poursuivrons dans l'an 2001, c'est susciter dans nos troupes, chez les chefs d'entreprise, chez les décideurs économiques, chez les salariés, chez les décideurs politiques, de tout bord, quelle que soit leur obédience, cette réflexion sur laquelle nous devons adapter le système de protection sociale et de relations du travail. Et donc, à la limite, vous allez me dire : ah, il y a peu d'accords. Pour le moment, il y en a deux sur quatre, très honnêtement, ils ont été difficiles à obtenir mais en tout cas, je veux dire, ils sont là. Mais notre exercice va bien au-delà de ça. Moi, je suis ravi, je vais vous le dire très honnêtement que, sur de nombreux sujets, eh bien les questions ont été posées. Toutes les réponses n'ont pas été apportées, certaines réponses sont législatives, d'autres sont réglementaires, les 3ème sont même culturelles, mais je trouve que nous avons fait un excellent travail qui est sans doute celui de revivifier la société civile et de dire : attendez, dans une société développée, les partenaires sociaux ont un rôle absolument fondamental de dire : voilà ce que nous constatons dans notre pays, voilà les solutions que nous pensons, voilà ce qui est bon pour les salariés, voilà ce qui est bon pour les entreprises, voilà ce qui est bon pour la compétitivité et d'accepter le débat. Moi, je trouve ça formidable, et très honnêtement, nous sommes extrêmement satisfaits de tout ce qui se passe. Y compris les difficultés que nous rencontrons. Parce que vous comprenez bien que dans le cadre de l'Unedic, lorsque, effectivement, on s'est opposé à madame Aubry qui ne voulait absolument pas reconnaître le rôle des partenaires sociaux, eh bien nous avons gagné. Finalement, il y a bien eu validation de l'accord des partenaires sociaux, ça c'est fait à minuit moins le quart, ça a été un débat terrible, qui a été tranché dans le sens, effectivement où les partenaires sociaux ont vu leur accord validé. Vous voyez, c'est ça ce que nous proposons. C'est ça cette mobilisation, et moi, en ce qui me concerne, je suis ravi de voir que ça avance.
HEDWIGE CHEVRILLON : Est-ce que vous ne souffrez pas, pour mener à bien votre Refondation sociale, du manque de représentativité des syndicats en France ? Est-ce que ce n'est pas un problème ?
DENIS KESSLER : Madame Chevrillon, lorsque l'on lance des débats avec des partenaires, on ne commence pas, j'allais dire, à douter de la représentativité des partenaires. Parce que, dans ces cas-là, vous ne lancez pas les débats. Et le respect que nous avons pour le dialogue social fait que nous respectons nos interlocuteurs, quelle que soit leur position. Et je vais répondre de manière beaucoup plus directe : c'est lorsque l'on s'assied à une table que l'on doit se poser soi-même la question de sa représentativité, de sa légitimité et de sa crédibilité. Nous, la seule question que nous nous sommes posée, c'est lorsque nous avons lancé ce débat, est-ce que nous parlons au nom des entreprises ? Comment le vérifier ?
HEDWIGE CHEVRILLON : Et la réponse a été ?
DENIS KESSLER : La réponse a été évidemment oui. Le MEDEF représente à l'heure actuelle 75 % du PIB français à peu près. Nous représentons 90 fédérations professionnelles, du commerce à l'industrie en passant par la finance, nous avons 160 MEDEF territoriaux et lorsque nous avons proposé de lancer tous ces débats, nous avons eu une extraordinaire, comme vous le savez, majorité de gens qui ont dit : allez-y. Donc, voilà, la question que chacun doit se poser. Et je souhaite simplement que nos interlocuteurs, mais ce n'est pas moi qui leur poserais la question, se pose la question. Lorsque je m'assied à la table et que j'accepte la négociation, suis-je sûr d'être légitime, représentatif et crédible ? Je crois que la condition n'est pas de renvoyer la balle à l'autre mais de vérifier pour soi-même que ceci est respecté.
(Suite de l'interview sous la référence 013001973-002)
(Début de l'interview sous la référence 013001978-001)
PIERRE ZAPALSKI : Il n'y a pas que les partenaires sociaux, il y a aussi l'Etat. Dans vos commentaires, je ne vous entends pas parler du fameux fonds de réserve de 1 000 milliards en 2020 et ni de l'abrogation de la loi Thomas qui renvoie aux calendes grecques les fonds de pension.
DENIS KESSLER : Ecoutez, 1 000 milliards en 2020, ils ne sont pas là. Pour le moment, ce sont des prévisions du fonds de réserve. Il n'y a pas ça en caisse dans le fonds de réserve actuel. Contrairement à d'autres pays d'ailleurs, je pense à la Suède, qui est
PIERRE ZAPALSKI : Ou le Canada.
DENIS KESSLER : Ou le Canada, qui ont fait un effort parce qu'ils ont les mêmes échéances que nous. Mais ils l'ont préparé il y a 15 ou 20 ans déjà en Suède alors que nous, nous sommes en train de commencer à constituer le fonds de réserve. Donc, vous voyez, nous en sommes loin. Mais même, nous parviendrions à 1 000 milliards, moi, finalement, je crois tout, je fais un acte de foi là, imaginons que l'on ait 1 000 milliards en 2020, il faut savoir qu'à ce moment-là, ça représentera moins d'un an de cotisation aux régimes de retraite par répartition parce que, déjà à l'heure actuelle, chaque année, nous dépensons 1 000 milliards pour la répartition. Donc, en 2020, cette somme aura augmenté, compte tenu bien entendu de l'augmentation du PIB et du nombre de retraités et vous voyez bien que nous aurons moins d'un an de réserves. Moins d'un an de réserves. Enfin, ce n'est pas la solution au problème que nous avons devant nous. Si c'était la solution, tout le monde le saurait. C'est nécessaire le fonds de réserve, c'est totalement insuffisant pour pouvoir affronter le choc démographique qui se produit à partir de 2005. Je rappelle toujours que ce chiffre, pas uniquement les rapports entre retraités et actifs. Un chiffre. A partir de l'an 2005, chaque année, c'est entre 250 000 et 330 000 personnes de plus qui partiront à l'âge de la retraite par rapport aux cohortes actuelles. La masse, le nombre de retraités va augmenter chaque année de 300 000 personnes en 2005, 300 000 personnes en 2006, 300 000 personnes en 2007, ceci pendant 15 ans. Alors, vous pouvez vous imaginer que ce choc de l'arrivée des générations du babyboom, choc répété, année après année, au fur et à mesure où les générations nées de 1944, 1945 à 1965 vont arriver à l'âge de la retraite, que simplement le petit fonds de réserve qui a été constitué permettra de faire en sorte que ceci ne se traduise pas par une augmentation insoutenable des cotisations, nous n'y croyons pas. C'est la raison pour laquelle nous demandons, exigeons le relèvement des âges de cessation d'activité et nous sommes encore beaucoup plus exigeants parce que nous souhaiterions que l'Etat donne l'exemple en ce qui concerne son propre personnel. Vous voyez bien que dans le blocage actuel du débat sur les régimes complémentaires que nous avons, c'est l'Etat de nouveau qui bloque le débat parce que les syndicalistes, comment voulez-vous que moi j'évolue dans le secteur privé alors même que l'Etat n'a strictement rien fait pour son propre personnel, ce que l'on appelle le régime des pensions civiles, et pour les régimes spéciaux, c'est-à-dire les entreprises publiques. Nous demandons à l'Etat de donner l'exemple, de donner l'exemple. A la place de cela, il donne le contre-exemple de l'immobilisme et de la procrastination. Donc, sur ce sujet-là, nous sommes sévères et nous souhaiterions que l'Etat traite son problème, ce qui nous permettrait de débloquer la négociation qui est la nôtre.
PIERRE ZAPALSKI : Et vous ne regrettez pas l'abrogation de la loi Thomas ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, vous voyez, c'est là où l'on mesure le retard. Dans une société, nous faisons beaucoup de benchmark, d'ailleurs, c'est malheureux, d'ailleurs, il n'a pas été vraiment traduit
PIERRE ZAPALSKI : On peut dire comparaison
DENIS KESSLER : Oui, comparaison, c'est de se comparer au meilleur. Le benchmark, c'est quel est celui qui trouve la meilleure solution, et puis après, il faut savoir si l'on est capable de faire la même chose. C'est comme un sportif. On se fixe la meilleure performance et on essaye de l'atteindre. Donc, ce n'est pas uniquement la comparaison. C'est la comparaison et l'excellence. Bon, eh bien, nous disons dans tous les domaines, c'est ça ce qu'il faut. Qu'est-ce que nous constatons ? Tous les pays ont mis en place des systèmes de fonds de pension, y compris des pays, j'allais dire à tradition sociale démocrate et à la française, comme l'Espagne ou l'Italie, tous les pays l'ont fait. Et regardez le débat en Allemagne à l'heure actuelle où monsieur Schröder est en train de proposer aux Allemands que chaque Allemand puisse, en franchise d'impôt, mettre de l'argent de côté, selon ses volontés, accompagné et incité par l'Etat, alors que nous, nous abrogeons le seul dispositif qui avait été présenté au Parlement qui s'appelle la loi Thomas. C'est là où je mesure le retard entre ce qui se passe en Allemagne à l'heure actuelle qui est une incitation de tous les salariés à épargner et la France qui abroge la seule loi qui permettait de faire la même chose. Vous voyez, c'est là où de temps en temps, c'est vrai, on se dit : oh là là là là, qu'est-ce que c'est, qu'est-ce qu'il y a comme blocages dans ce pays.
JEAN-MARC VITTORI : Toujours sur les retraites, vous proposez donc l'allongement de la durée de cotisation jusqu'à 45 ans. Les gens rentrent de plus en plus tard sur le marché de l'emploi, ils rentrent à 22, 23, voire 25, 26 ans. Cela signifie-t-il que pour toucher une retraite à taux plein, ils devront prendre leur retraite à 68, voire 70, 71, 72 ans ?
DENIS KESSLER : Alors, la présentation que vous avez faite, monsieur Vittori, n'est pas exactement la nôtre. Nous ne proposons pas d'augmenter la durée de cotisation puisque nous ne parlons que des régimes complémentaires. Les régimes complémentaires sont des régimes en points. Donc je ne parle pas du régime de base de la Sécurité sociale qui relève de l'Etat, moi je parle des régimes complémentaires qui relèvent uniquement des partenaires sociaux. Ce que nous disons simplement, c'est que lorsque la personne liquide sa retraite, elle peut la liquider, selon nous, à tout moment. 60 ans, 61 ans, 64 ans, 68 ans. Le jour où il la liquide, tout le monde comprendra que s'il la liquide à 68 ans, toutes choses égales d'ailleurs, il devrait avoir davantage de retraite tout simplement parce qu'il aura une durée de retraite plus courte. S'il la liquide à 60 ans, la durée de retraite sera beaucoup plus longue et toutes choses égales d'ailleurs, il devra avoir une retraite inférieure. Et ce que nous avons proposé aux syndicats et ce que nous continuons à proposer aux syndicats, c'est la chose suivante : vous partez quand vous voulez, cela devient contractuel, c'est la retraite à la carte, en fonction de votre santé, de la pénibilité du travail, de la date de départ à la retraite de votre conjoint, tout ceci est très sain, très pragmatique, correspond aux attentes des Français. Au moment où vous partez, si vous partez tard, vous aurez une retraite supérieure par rapport à une situation dans laquelle vous partiriez tôt. On tient compte de quoi ? De l'espérance de vie et on sait très bien que si on part à 72 ans, la retraite sera moins longue que si l'on part à 60 ans. C'est une proposition extrêmement simple et qui, je crois, reflète vraiment les envies des Français. Ils décident et on calcule en fonction de leur décision.
JEAN-MARC VITTORI : Et pour avoir une belle retraite, les Smicards devraient partir à la retraite à 75 ans ?
DENIS KESSLER : Non, pas du tout. Les Smicards ayant commencé à travailler la plupart du temps plus tôt auront un compte en points plus important puisqu'ils auront cotisé sur une période plus longue en commençant à travailler plus tôt. Mais si vous me dites évidemment la personne ayant commencé à travailler très très tard et qui liquide sa retraite à 56 ans, ce n'est pas terrible. Ca, monsieur Vittori, là, si je vous disais le contraire Bon, ça, j'ai bien compris. Mais si quelqu'un a commencé a travaillé par exemple à travailler à 16 ans et a travaillé pendant toute sa vie, il aura évidemment un compte en points relativement important qui lui permettra d'avoir une retraite tout-à-fait décente. Je vais même jusqu'au bout de mon raisonnement. Je crois que, mais ce n'est pas notre affaire pour le moment, nous souhaiterions que le régime de base de la Sécurité sociale évolue, sans doute vers également un régime en points qui permettrait d'éviter la situation absurde dans laquelle nous sommes à l'heure actuelle en matière de régime de base, dans lequel que l'on ait contribué toute sa vie ou pas toute sa vie, on a à peu près une retraite équivalente. Ce qui est à mon avis extrêmement injuste et inéquitable. C'est la raison pour laquelle nous n'abordons pas le sujet parce qu'il relève des pouvoirs publics mais c'est vrai que notre réforme aurait davantage de sens lorsqu'elle s'appliquera si enfin on réforme le régime de base de la Sécurité sociale dans le sens que je viens d'indiquer, dans lequel, encore une fois, nous faisons le lien entre le montant de la cotisation et le montant de la retraite, en tenant compte d'un paramètre, l'âge.
DOMINIQUE SEUX : En fait, la question politique qui est derrière tout ça, est-ce que, finalement, vous n'attendez pas que l'Etat fasse un premier pas avant de vous engager ? Est-ce qu'au fond, finalement, votre attaque sur ce dossier, elle ne s'adresse pas à l'Etat ?
DENIS KESSLER : Monsieur Seux, attaque, mais c'est quoi ces termes belliqueux ? Je veux dire, nous ne sommes pas en polémologie, là. Nous avons un domaine de responsabilités. Ce domaine de responsabilités, ce sont les retraites complémentaires. Il faut que les Français sachent que pour les salariés du secteur privé, ceux que je représente, moi, je ne m'exprime pas pour tous les autres, je m'exprime pour les salariés, pour les entreprises du secteur privé. Pour nous, ces régimes ne reposent que sur l'accord des partenaires sociaux. On le voit dans le cadre de l'ASF, c'est notre signature qui permet de lever 44 milliards de francs et qui permet de financer l'âge de la retraite à 60 ans. Ca relève des partenaires sociaux. Et vous voyez bien que nous exerçons nos responsabilités. Si on n'empêche d'exercer nos responsabilités alors qu'on l'a fait depuis maintenant plus de 50 ans, il est évident que ça posera des problèmes absolument terribles. Mais ça sera l'Etat qui aura décidé une nouvelle fois de s'immiscer dans les rapports entre les partenaires sociaux et dans leur domaine de compétences. Ce que je souhaiterais simplement, et je le dis avec beaucoup de force, c'est que l'Etat accompagne, accompagne, j'allais dire même encourage ces mouvements de négociation. Il devrait dire : mais c'est formidable que les partenaires sociaux, à l'heure actuelle s'engagent dans cette voie d'essayer de trouver des solutions. C'est formidable pour notre pays d'avoir des gens qui décident de se colletiner des problèmes comme l'âge de la retraite à 60 ans, la réforme du régime d'assurance chômage, la réforme de la formation professionnelle et peut-être demain la réforme de la Cnam, c'est formidable dans un pays d'avoir des acteurs, des acteurs motivés qui se disent : on va essayer de trouver des solutions et de porter ces solutions, y compris vis-à-vis de nos membres. Parce que, et c'est vrai, que par exemple, le relèvement des âges de cessation d'activité, ça pose des problèmes à un certain nombre d'entreprises. Nous le savons. Nous aussi nous sommes courageux. Et c'est la raison pour laquelle dans les pays où ça marche bien, c'est là où on fait confiance aux partenaires sociaux. Et moi, je suis vraiment surpris, hein, monsieur Seux, de voir systématiquement à la place de nous faire cet acte de confiance fondamental qui serait de dire, allez-y les p'tits gars, c'est formidable, mon vieux, allez, allez, c'est bien ce que vous faites, on a sans arrêt le sentiment de dire : attention, on est là, on est vigilant, on prendra nos responsabilités, on refuse d'agréer, etc. Et l'exemple le plus beau qui nous ait été donné quand même au cours de ces 15 dernières années, de ces 15 derniers jours pardon, c'est la chose suivante. Nous faisons un accord ASF en 1996 pour financer l'âge de la retraite à 60 ans. Nous l'envoyons à l'Etat. Il refuse de le valider. Pendant 3 ans. Il ne valide rien. Et le dernier jour de sa validité, le 31 décembre 2000, nous avons au Journal Officiel la validation d'un accord qui se terminait le 31 décembre 2000 ! Ecoutez, écoutez, un peu de respect pour les partenaires sociaux ! J'ajoute que l'Etat nous a toujours dit qu'il allait financer ou co-financer la retraite à 60 ans. Souvenez-vous de 1983 : nous prendrons à notre charge 50 % du surcoût de la retraite à 60 ans. Vous savez combien il nous a versé l'Etat, en l'an 99 ? Zéro ! Vous savez combien il a versé, l'Etat, pour prendre à sa part la retraite à 60 ans en l'an 2000 ? Zéro ! Il nous doit même de l'argent : 1,4 milliard. Donc quand vous avez un Etat mauvais valideur et mauvais payeur, vous me permettrez quand même de considérer, qu'en ce qui nous concerne, nous, on fait notre boulot. Et si on devait attendre à chaque fois la validation d'un accord avant d'en faire un autre accord, on n'en aurait jamais fait. Donc, c'est ça les problèmes d'articulation entre société civile, partenaires sociaux et Etat. Nous souhaitons des nouvelles règles et ces nouvelles règles permettraient un dialogue infiniment plus constructif que celui que nous avons.
(Suite de l'interview sous la référence 013001978-003)
Début de l'interview sous les références 013001978-001 et 013001978-002)
HEDWIGE CHEVRILLON : Un de nos confrères a fait un dossier qui s'appelle " Le MEDEF a besoin de chair fraîche " a propos de l'immigration. Est-ce que c'est un sujet qui vous paraît devenir très important ? Est-ce qu'effectivement, le manque de travailleurs, la réduction de la population active fait qu'en France il faudra rouvrir les vannes de l'immigration et quelle est votre position là-dessus ?
DENIS KESSLER : Alors, votre confrère, en l'occurrence MARIANNE, dit n'importe quoi. Ce n'est pas la première fois et ça ne sera sans doute pas la dernière. Ce dossier, présenté de manière complètement surréaliste dans laquelle le MEDEF demande de la chair fraîche, mais enfin, c'est n'importe quoi ! Appuyé sur quoi ? Sur une étude sur les flux d'immigration de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris. Alors, il faut quand même séparer les institutions. En ce qui nous concerne, je défie quinconque de voir quelle est notre position actuelle qui aurait été endossée par une instance quelconque au sien du MEDEF sur l'immigration. Je le dis avec beaucoup de force.
HEDWIGE CHEVRILLON : Alors, quelle est votre position sur l'immigration ? Au-delà des dossiers.
DENIS KESSLER : Pour le moment, le MEDEF n'a pas de position sur l'immigration et en tout cas n'a pas la position qu'on lui prête à l'heure actuelle de dire : il suffit d'ouvrir vastes les flux d'immigration pour résoudre nos problèmes. Au contraire. Nous avons dit ce qu'il fallait faire dans notre pays. Nous l'avons dit puisque c'est le cur de la Refondation sociale. Nous avons dit, et je me permets quand même de rappeler deux ou trois choses. Il faut engager une réforme fondamentale de la formation professionnelle pour être sûr qu'à l'avenir, notre pays dispose des compétences qui permettront de résister à une compétition internationale de plus en plus intense. Nous sommes au cur du sujet. Nous disons : il y aura moins de personnes qui vont arriver dans les âges en activité, leur poids relatif est en train de baisser, nous disons qu'il faut un effort spectaculaire de formation, non seulement initiale mais tout au long de la vie. Nous sommes prêts, en ce qui nous concerne, à consacrer des ressources pour parvenir à cet objectif. Et je regrette même, permettez-moi de regretter, que lorsque le gouvernement a décidé d'abaisser le temps de travail à 35 heures, s'il avait dit, de 39 à 35, s'il avait dit : mais la 36ème heure sera consacrée à des formations. Ca, c'est intelligent. Parce que je n'ai pas dit que de toute façon passer à 35 heures était intelligent, je me permets tout de suite de corriger, mais de dire : dans le temps libéré, il faut que ce temps serve à la formation des hommes parce qu'il y a une accélération du progrès technologique, parce qu'il y a des compétitions de plus en plus féroces, parce que c'est la seule condition d'employabilité sur le long terme, eh bien, bien entendu, ça aurait permis de préparer l'avenir. Et vous voyez que le débat que j'ai à l'heure actuelle avec les syndicats sur la formation professionnelle, c'est que quand vous réduisez le temps de travail à 35 heures, et que l'on dit : ah, bien non, il faut prendre en plus la formation sur le temps de travail, là, nous avons un véritable problème. Et nous disons avec force qu'il faut bien entendu qu'une partie de la formation se fasse en plus du temps de travail parce qu'autrement, nous n'arriverons pas à satisfaire. Formation professionnelle. Deuxième idée très forte : inciter le retour à l'emploi des gens qui sont à l'heure actuelle au chômage. C'est le dispositif du PARE, c'est la réforme de l'Unedic, c'est le crédit d'impôt et c'est toutes les propositions que l'on fait. Il y a là 2 millions, 2,1 millions de personnes qui ne participent pas à l'activité productive qui peuvent le faire. Troisième idée : le relèvement de la participation au marché du travail pour les âges élevés. C'est nos propositions en ce qui concerne le relèvement des âges de cessation d'activité pour les régimes complémentaires. Nous avons une vision cohérente. Nous disons qu'il faut demain faire tous ces ajustements pour être sûr de pouvoir disposer en France, j'allais dire de manière quantitative et qualitative, des hommes et des femmes qui permettront de permettre la croissance et le niveau de vie de notre pays. Nous, nous sommes cohérents. Vous me dites l'immigration. Mais ce n'est pas notre problème. Je vous rappelle que l'immigration est une décision publique. Je vais même insister sur un point. Nous sommes en Europe, ce n'est même plus une décision française, c'est une décision désormais européenne. Et donc ce débat sera tranché par les instances politiques européennes. En ce qui nous concerne, nous n'avons pas de position. En ce qui nous concerne, nous avons simplement l'idée selon laquelle en France, on a déjà suffisamment de réforme pour être sûr de pouvoir relever les défis qui sont les nôtres, mais il faut les entamer aujourd'hui. Vous voyez, c'est cohérent.
PIERRE ZAPALSKI : Il n'est plus temps de reconstituer l'histoire, maintenant on constate qu'il y a des pénuries de compétences, notamment dans l'informatique. Et là, on n'aura pas le temps d'attendre deux ou trois ans de formation ou de remise en route de gens au chômage. Il va falloir avoir des spécialistes là. Et rapidement.
DENIS KESSLER : Oui, il y a évidemment des points urgents parce qu'il y a des pénuries de main d'uvre ou des pénuries de qualification, des pénuries de compétences, on les voit un peu partout. D'ailleurs, nous avons été les premiers à les identifier. Et bien entendu, là, il y a un problème d'ajustement, d'ajustement de la formation. Nous n'avons pas en France toutes les qualifications nécessaires pour pouvoir être compétitif. Et attendez, d'abord, il y a un marché du travail européen, nous y croyons, d'ailleurs on le voit puisqu'il y a beaucoup de Français qui partent à l'étranger, beaucoup de compétences et de qualifications qui partent à l'étranger, vous les voyez, vous les voyez, qui partent à l'étranger, en Europe, et qui partent à l'étranger outre-Atlantique. Donc vous voyez, nous, notre problème, il est simple. Il est de faire en sorte que le cycle de production France soit attractif pour toutes les compétences. Nous n'avons pas, sur ce point-là, de réserves. Mais si nous avions déjà un site de production suffisamment attractif pour faire en sorte que les compétences restent en France plutôt que d'aller à l'étranger, c'est sans doute la bonne réponse par rapport à faire venir des compétences étrangères.
JEAN-MARC VITTORI : En septembre dernier, vous aviez tiré la sonnette d'alarme en disant que l'économie française connaissait un pincement de son activité, parce que notamment elle ne trouvait pas assez de travailleurs, les entreprises avaient beaucoup de mal à embaucher et qu'on en était donc à ne pas pouvoir produire davantage à cause de ça. Vous aviez même cité un petit peu plus tard un chiffre de 800 000 à 900 000 postes à pourvoir. Alors, où est-ce qu'on en est aujourd'hui sur la conjoncture ? Est-ce que c'est toujours, ce point est-il toujours un frein à l'activité, est-ce que les 35 heures continuent de peser durablement sur la croissance ou bien est-ce que les choses se desserrent un peu ? Et accessoirement, comment êtes-vous arrivé à ce chiffre de 800 000 à 900 000 emplois qui resteraient à pourvoir actuellement ?
DENIS KESSLER : Alors, c'est simple, nous avons bien entendu identifié les pénuries de main d'uvre à partir d'une très grosse enquête puisque nous avons interrogé aux alentours de 6 000 entreprises et nous avons regardé tout ce qui remontait des branches, des types d'entreprises dans notre pays. Et nous avons constaté effectivement qu'il y a des véritables, ce que l'on appelle des goulets d'étranglement dans la mesure où lorsque vous publiez un poste, eh bien vous ne voyez pas de candidats apparaître. C'est quasiment impossible. Alors, de temps en temps, vous voyez un candidat apparaître. Mais il vient d'une autre entreprise. Alors, évidemment, au niveau d'une entreprise, la personne, vous la recrutez, mais ça pose un problème à l'entreprise qui a vu cette personne quitter cette entreprise. Donc, ça, c'est la circulation et je me réjouis de cette mobilité des salariés entre les entreprises, mais quand vous additionnez tout ceci, il n'en reste pas moins que vous avez dans un nombre considérable de domaines des véritables pénuries à l'heure actuelle de main d'uvre. Et pas uniquement en haut de l'échelle. Je veux dire, la compétence peut concerner des gens partout et dans tous les métiers, depuis les couvreurs en terminant par les informaticiens les plus pointus. Alors, ceci aboutit à une estimation qui est effectivement de l'ordre de 800 000 à 900 000 emplois non satisfaits à l'heure actuelle, des listes d'attente de plus en plus importantes, c'est-à-dire que l'on met du temps pour essayer de recruter des gens et puis le fait que, effectivement, ces pénuries de main d'uvre se traduisent par le fait que les gens passent d'une entreprise à l'autre et à ce moment-là voient augmenter leurs salaires parce qu'ils sont demandés, ils sont recherchés et cela se traduit par des augmentations salariales à l'occasion d'une mobilité. Donc tout ceci est attesté. Tout ceci est attesté et ces goulets d'étranglement posent des problèmes de croissance potentiels dans notre pays. Parce que quand vous n'avez pas les compétences, vous produisez moins que si vous avez les compétences. Tout ce que je dis, c'est vraiment d'une simplicité biblique. Alors, quand nous avons fait ce diagnostic, nous avons dit la chose suivante : appliquer les 35 heures dans des situations dans lesquelles on a des pénuries de main d'uvre et de dire à des gens qui ont ces compétences : travaillez moins, alors qu'on n'est pas capable de les remplacer par des gens qui figurent sur le marché, ça a un effet pervers sur la croissance de notre pays. C'est pour cela que nous avons dit simplement : écoutez, nous ne faisons pas le reproche des pénuries de main d'uvre, elles sont liées à des problèmes de formation, elles sont liées à des problèmes divers et variés, mais simplement, vous qui avez la responsabilité d'appliquer les 35 heures aujourd'hui, de grâce, faites attention de ne pas appliquer les 35 heures et de renforcer cette situation de pénurie de main d'uvre parce que ceci sera payé par l'ensemble des Français par une croissance moindre, une moindre croissance des revenus, une moindre croissance de l'activité.
JEAN-MARC VITTORI : Mais est-ce que ça explique le freinage actuel de la croissance ? Est-ce que vous avez l'impression qu'on est toujours dans cette phase de resserrement et de ralentissement de la croissance, d'une pente de 3,5 % à 3 % ou 2,5 %
DENIS KESSLER : Monsieur Vittori, nous avons un ralentissement de la croissance mais nous ne sommes pas du tout inquiets au sens où les termes doivent être très précis lorsque l'on qualifie la croissance. Nous avions une croissance très vive, vous savez, j'allais prendre une métaphore culinaire, dans les recettes, vous aviez, ça continue à chauffer, mais vous avez gros bouillons et puis ensuite, vous avez une situation à feu moyen. Bon, eh bien on est passé du gros bouillon à quelque chose qui est feu moyen. Nous ne sommes pas à feu doux, nous sommes à feu moyen. Ce qui signifie simplement que la croissance se poursuit en France, nous nous en réjouissons mais sans doute avec moins de force qu'il y a par exemple un an jour pour jour. Oui, voilà, c'est le cas. Est-ce que nous sommes inquiets ? Alors, attendez, là, il faut être très précis. L'environnement international s'est dégradé, l'environnement européen s'est dégradé, l'environnement nord-américain s'est dégradé et ça, c'est une réalité. Ca, ça titrait la croissance dans le passé et nous avons sans doute moins de croissance venant de l'extérieur que par le passé. Ensuite, il y a une probabilité non nulle que l'euro se revalorise par rapport au dollar, ce qui veut dire que notre compétitivité prix en France risque de se dégrader par rapport à la formidable compétitivité prix que nous avons eue au cours de ces deux dernières années. Deuxième facteur. Et donc, vous voyez bien que nous sommes, comment dire, nous restons optimistes, nous sommes optimistes sur la croissance, mais nous sommes moins optimistes que nous ne l'étions il y a quelques temps. Donc nous confirmons le diagnostic et nous disons dans ces circonstances-là, attention de ne pas prendre des mesures fiscales, budgétaires ou sociales qui contribueraient à ce ralentissement de la croissance.
VINCENT GIRET : Le prochain débat politique pour la majorité plurielle tourne autour, finalement, de l'assouplissement des 35 heures, le mot a été lâché, y compris par un ministre du gouvernement, donc le sujet est sur la table, en tout cas pour les PME. Alors, de votre côté, quelle est la solution technique qui serait la plus souhaitable dans ce domaine ?
DENIS KESSLER : C'est clair, à l'heure actuelle, ça serait de faire en sorte que le rationnement programmé du nombre d'heures de travail, eh bien que ceci soit desserré. Puisque que je vous rappelle que l'application à l'heure actuelle de la seconde loi Aubry va se traduire par, vraiment, une diminution du nombre d'heures travaillées par chaque salarié en France. Quand bien même ils souhaiteraient faire des heures supplémentaires ou qu'elles soient nécessaires. Donc, nous disons avec beaucoup de force que, par exemple, l'un des domaines dans lesquels il faudrait agir serait, et c'est la voie réglementaire, de permettre davantage d'heures supplémentaires dans une période économique qui reste celle que j'ai indiqué, qui reste de croissance soutenue. Et donc, voilà, c'est une mesure très simple. Alors, moi, j'appelle simplement le gouvernement à avoir autant de pragmatisme qu'en ce qui concerne la ristourne de la CSG. Je veux dire, ne faisons pas de grands débats théologiques sur ce genre de sujets, nous avons un problème concret qui est qu'à l'heure actuelle : il y a des pénuries de main d'uvre comme je l'ai indiqué et nous ne trouvons pas les compétences sur le marché du travail, eh bien laissons les entreprises faire en sorte qu'elles puissent continuer à produire, à satisfaire les prises de commandes et satisfaire des délais lorsqu'elles ont pris ces commandes. C'est très simple. Il ne faut pas faire dans ce domaine des 35 heures de l'idéologie et de la théologie, il faut faire au contraire beaucoup de pragmatisme. Alors, ceci vaut pour les entreprises à l'heure actuelle. Ceci vaut bien entendu pour les entreprises qui ne sont pas encore aux 35 heures, c'est-à-dire les moins de 21 salariés qui voient cette échéance avec un effroi total parce qu'elles ne savent pas comment elles vont les faire. Vous voyez, voilà. Le gouvernement nous avait dit qu'il y aurait des aménagements, qu'il y aurait des adaptations, qu'il y aurait des souplesses. Nous n'avons rien vu venir. Mais nous continuons d'espérer parce que nous sommes d'indécrottables optimistes.
DOMINIQUE SEUX : Alors, on va parler un petit peu maintenant de votre profession d'assureur et une première question sur les tempêtes. Premier point : quelle est l'estimation et l'évaluation définitive que vous faites maintenant du coût des tempêtes de fin 1999 et puis dans quelle mesure les primes que vous calculez, le chiffre d'affaires de la profession tient compte ou non de futurs accidents ? Est-ce que vous avez l'impression que des accidents de ce type peuvent se reproduire ? Quel est en fait votre sentiment sur l'évolution presque du climat dirais-je ?
DENIS KESSLER : Sur l'estimation du coût, c'est simple. L'estimation que l'on avait donné au printemps dernier est tout-à-fait vérifiée puisque nous sommes à l'heure actuelle aux alentours de 44 à 45 milliards de francs de coût pour les tempêtes Lothar et Martin de la fin de l'année 1999. Donc, c'est vérifié. L'essentiel d'ailleurs, c'est les tempêtes et la partie catastrophes naturelles, c'est-à-dire les inondations, ne représentant que de l'ordre de 2 milliards. C'est un choc considérable, bien entendu et vous pouvez imaginer que s'il se reproduit fréquemment, on ne peut pas faire face à ça. Alors, comment est-ce que l'on a pu absorber ce choc ? Il faut savoir que le mécanisme de réassurance est subtil et qu'il y a des mécanismes dits de réassurance qui font que quand il y a un choc en France, c'est un peu le monde entier qui va payer. Parce que quand il y a un choc à l'étranger, c'est la France aussi qui contribue. Il y a cette extraordinaire technique de l'assurance qui permet de répartir le risque sur quasiment la totalité de la planète à l'heure actuelle. C'est pour ça que quand vous avez un choc d'une telle ampleur, 44 milliards en un jour et demi ou deux jours de vent, vous êtes capable de l'absorber. Et puis après, vous allez faire quoi ? Le lisser sur l'ensemble des pays et vous le lissez dans le temps. Hein, c'est comme ça que l'on absorbe ce choc. Et d'ailleurs, les Français ont pu le voir puisque l'augmentation des tarifs en l'an 2000 a été extrêmement modérée par rapport à un choc de cette ampleur. La seule question que nous avons à l'heure actuelle, c'est de savoir si ces chocs vont se répéter très fréquemment. Parce que si c'est exceptionnel, on peut le lisser dans le temps et dans l'espace, mais si chaque année nous avons un choc d'une telle ampleur, vous voyez bien que ceci n'est pas tenable. Lorsque le risque augmente, le coût du risque augmente également. Et la question que l'on se pose, c'est de savoir si oui ou non les risques augmentent. Alors, notre conviction, elle est faite puisque nous avons beaucoup travaillé en l'an 2000, nous avons étudié quasiment tous les modèles météorologiques, les modèles de réchauffement de la planète et autres et notre conviction, c'est qu'il y a effectivement à l'heure actuelle augmentation du nombre d'évènements climatiques conduisant à des catastrophes, augmentation notamment dans la gravité de ces évènements et nous sommes à l'heure actuelle vraiment de l'avis que les années qui viennent seront marquées par davantage de tempêtes, d'inondations, de risques de toute nature, de sécheresse que par le passé. Ce qui veut dire que le risque augmente, ça veut dire que le coût du risque augmentera, je crois qu'il faut le dire encore une fois avec netteté pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté. Nous devrons payer davantage demain pour pouvoir faire face aux risques qui sont plus importants. L'actualité d'ailleurs nous le démontre. Simplement à Redon, il faut le savoir, nos estimations à l'heure actuelle, c'est déjà de l'ordre de 250 ou 300 millions de francs, vous voyez pour une ville dans un endroit, un département. Ca chiffre très rapidement. Ca représente rapidement des centaines de millions de francs.
HEDWIGE CHEVRILLON : Autre risque très important, celui de la vache folle. Est-ce que pour les assureurs, vous avez déjà une estimation de ce que ça peut vous coûter directement ou indirectement ?
DENIS KESSLER : Attendez, pour la vache folle, je vous rappelle que le dispositif en France relève des décisions publiques, c'est le principe de précaution, et que c'est la loi qui décide d'abattre tout le troupeau lorsqu'il y a un cas de vache folle et le coût de l'abattage et l'indemnisation des agriculteurs est pris en charge par l'Etat puisque c'est lui qui a pris la décision. Au nom de l'ordre public. Et donc, pour le moment, les assureurs ne sont pas concernés par le problème dit de la vache folle parce que dans l'état actuel du droit, c'est pris en charge par les pouvoirs publics.
HEDWIGE CHEVRILLON : Même pour les personnes qui sont touchées ? Ou qui risquent d'être touchées ?
DENIS KESSLER : Attendez, alors, pour les personnes qui sont touchées ou qui risquent d'être touchées, il y aura un problème qui est bien connu que l'on appelle l'imputabilité. Si vous voulez, imaginons que quelqu'un dans 10 ans dise qu'il a été affecté de la maladie de Creutzfeld-Jacob, savoir qui est responsable, à partir de quel moment a-t-il été contaminé, par quel biais et où est le responsable, tout le monde le voit, ça pose un problème absolument dramatique. La preuve que ce problème d'imputabilité en trouve pas de solution, c'est que le seul pays qui a mis un fonds d'indemnisation au point, c'est l'Angleterre et que c'est un fonds public, tout simplement parce qu'il est impossible de faire la chaîne des causalités ou la chaîne de l'imputabilité qui permet d'associer tel producteur à telle victime.
DOMINIQUE SEUX : Vous souhaitez la création d'un fonds public en France comme pour l'amiante ?
DENIS KESSLER : Monsieur Seux, je ne souhaite strictement rien. Je dis simplement que, en ce qui concerne la vache folle, les pays qui ont déjà légiféré dans ce domaine ne peuvent pas trouver d'autres solutions que la solution d'un fonds public d'indemnisation, tout simplement pour la raison que j'ai indiqué, qui ne tient pas à une position quelconque de ma part mais qui tient au fait que vous ne pouvez faire aucun lien entre le fait d'avoir consommé de la viande de buf au cours des 5 dernières années et le fait de trouver le producteur en question qui vous permet de lui demander d'indemniser. Donc, c'est des problèmes, simplement techniques, de traçabilité, d'imputabilité et de causalité. Voilà. Donc, je ne demande rien, rassurez-vous. Je me permets aussi de rappeler que, quand même, pour le moment, le nombre de malades réels et de décès liés à la vache folle est extrêmement restreint par rapport à tout ce qui c'est passé. Un chiffre : pour le moment, il y a 4 à 5 cas en France de décès dus au Creutzfeld-Jacob, encore faudrait-il être sûr que ceci est lié d'ailleurs à l'alimentation par voie carnée. Je rappelle simplement que les tempêtes Lothar et Martin dont on parlait tout-à-l'heure ont fait 120 morts l'année dernière. Donc, vous voyez, pour le moment, raison gardée sur ce domaine.
JEAN-MARC VITTORI : Les techniques de l'assurance marchent bien quand c'est des risques que l'on connaît bien, que l'on peut identifier facilement. C'est le cas pour les accidents de voiture, c'est le cas pour les vols, pour les incendies. Mais on a l'impression que l'on a de plus en plus de cas où l'on a des risques qui deviennent de plus en plus imprévisibles. C'est le cas évidemment des tempêtes, ça a été le cas sur certains problèmes de sécurité alimentaire. Est-ce que les techniques de l'assurance suivent encore, est-ce que l'on peut appliquer le raisonnement de l'assurance à ces problèmes qui sont de plus en plus importants et qui portent sur des enjeux financiers qui deviennent colossaux. ?
DENIS KESSLER : Les techniques de l'assurance s'appliquent parfaitement non seulement à l'auto, bien entendu à la MRH, mais attendez, à tous les risques industriels. Et y compris aux tempêtes. Nous avons fait face à ce choc extraordinaire des tempêtes de 1999 que je sache. Et la plupart, 96 % des Français, ont été aujourd'hui remboursés. Donc, il n'y a pas de problèmes, heureusement. Les techniques de l'assurance permettent de faire face, quasiment à tous les risques connus. On n'a pas parlé d'assurance vie. Mais c'est formidable. 650 milliards de collecte l'année dernière en l'an 2000. Vous vous rendez compte ! 650 milliards encore en croissance de l'ordre de 20 %. Nous avons à l'heure actuelle développé notre activité dans tous les secteurs de dommages, de prévoyance, la maladie, les risques industriels, bref. La demande d'assurance est sans cesse croissante parce que la demande de sécurité est vraiment quelque chose d'extrêmement important dans les sociétés développées. Je vais même aller plus loin. Plus un pays est développé, plus la prime d'assurance par habitant est importante. C'est un classement parfait de l'indicateur des richesses. Et ce n'est pas un hasard si vous trouvez la Suisse tout en haut des primes par habitant et du PIB par habitant. Donc, c'est un indicateur de développement. La demande de sécurité est un bien que l'on appelle supérieur. Plus on est riche, plus on souhaite s'assurer. Et donc il y a des besoins extraordinaires d'assurance à l'heure actuelle, tout le monde souhaite s'assurer dans tous les domaines. Et je considère que les techniques que l'on a mis au point, de toute manière, permettent exactement de résoudre à peu près tous les problèmes que l'on nous a mis, que ça soit dans le domaine des transports ou dans le domaine de la responsabilité civile, des risques de réseaux, des risques informatiques, de piratage, de responsabilité civile, de tempête, que sais-je encore. Donc, nous n'avons aucun problème, au contraire. Et nous arrivons à satisfaire cette demande par une offre qui est extrêmement sophistiquée.
EMMANUEL CUGNY : Donc, nous sommes bien gardés. Merci Denis Kessler.
(Source http://www.medef.fr, le 07 mars 2001).