Interview de M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État aux transports, à France-Info le 19 avril 2010, sur les conséquences du nuage de cendres du volcan islandais et sur le classement des zones sinistrées consécutives à la tempête Xynthia.

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Média : France Info

Texte intégral

E. Delvaux.- D. Bussereau est notre invité jusqu'à 8h30. Bonjour. Secrétaire d'Etat aux Transports. Un homme sur la brèche, un homme sur le pont, pour ce chaos inédit du transport aérien européen, en pleine grève SNCF, je ne vous parle même pas de Xynthia !
 
Enfin, grève SNCF qui, d'ailleurs, est aujourd'hui très très essoufflée. Elle reste très régionale.
 
À propos de ce nuage, qu'envisagez-vous de décider aujourd'hui avec vos collègues européens par visioconférence ? Quelques corridors vont s'ouvrir ?
 
On a deux échéances aujourd'hui. Une première réunion, à dix heures, de la cellule de crise qu'on a mise en place depuis samedi au ministère du Développement durable et des Transports pour faire le point en interne, franco-français. En ce moment même, une conférence téléphonique des directeurs généraux de l'Aviation civile d'Europe ; vers treize heures, j'aurai une conférence restreinte avec les Anglais, les Allemands, et les Espagnols qui président actuellement l'Union européenne. Et en effet, en fin d'après-midi, un Conseil des ministres européens des Transports, en visioconférence comme il se doit, on va essayer en effet de délimiter, si on y arrive, des corridors en fonction de l'évolution du nuage pour permettre de redémarrer le plus rapidement possible, et dans des bonnes conditions de sécurité, le plus grand nombre possible de lignes aériennes. Ça reste difficile. Voyez, entre le moment où j'ai quitté mon domicile et je suis arrivé ici, le nuage avait bougé, et on parle - par exemple j'ai entendu sur votre antenne dans le journal de 8 heures que Marseille pourrait éventuellement fermer, alors que nous avions prévu Marseille toute la journée ; et on pourrait peut-être, nous, rouvrir Nantes, parce que le nuage est en train de bouger entre l'ouest et le sud.
 
Ça dépend évidemment des courants des vents !
 
Absolument.
 
Alors, qu'ont donné les tests des avions d'Air France qui se sont approchés du nuage hier ? A priori, ça ne les a pas empêchés de voler. Quels résultats avez-vous ?
 
Il y a eu plusieurs tests. Il y a eu un test d'une compagnie très spécialisée dans les vols vers le Maghreb, qui s'appelle Aigle Azur, qui a fait une boucle Paris-Mulhouse-Lyon-Paris. Il y a eu des tests d'Air France avec un Airbus A320 sur les corridors, à l'envers, Bordeaux et Toulouse, justement pour qu'on puisse aujourd'hui utiliser un maximum Bordeaux et Toulouse, et puis un triple 7, donc un long courrier d'Air France, qui dans la soirée a fait également tout un périple dans le Sud-ouest.
 
Et puis KLM a fait ses tests ?
 
Voilà, KLM, Lufthansa, les Suisses avec un petit avion.
 
Qu'ont donné ces tests ?
 
Ces tests ont montré que, dans les zones traversées, il n'y avait pas de difficulté. Alors, pour les vols qui sont rentrés plus tard hier soir, je n'ai pas encore eu le résultat, parce qu'il faut laisser reposer les moteurs pendant trois heures, pour vérifier s'il n'y a pas de poussières à l'intérieur. Mais cela a montré qu'on pouvait utiliser sans danger les aéroports du Sud-Ouest, et donc aujourd'hui, par exemple, il y a un grand nombre de - enfin, un grand nombre - une dizaine de vols d'Air France qui vont partir pour Hong-Kong, Sao Paulo, New York et autres, depuis l'aéroport de Toulouse, il y a même un vol pour Dubaï qui va partir de l'aéroport de Pau.
 
Donc, ça va s'ouvrir un peu à partir du Sud.
 
Voilà, on ouvre à partir du Sud, et puis on essaye de coordonner la SNCF et Air France pour qu'il y ait des moyens de TGV pour amener les gens dans ces aéroports du Sud, venir les rechercher, ou les autocaristes. Donc, c'est toute une noria de moyens de transport.
 
Le PDG de KLM, qui lui aussi a fait faire des tests à ses avions, disait hier qu'on a pris trop de précautions et que beaucoup d'avions pourraient voler. Etes-vous de cet avis ?
 
On va avoir ce débat. Je discutais hier soir avec mon collègue allemand, qui a été pris à partie par deux compagnies allemandes, dont la Lufthansa, sur le même thème. Moi je pense qu'en matière de sécurité aérienne, on est encore sous le choc de la catastrophe de Smolensk. On ne prend jamais assez de précautions. Et il faut bien voir ce que nous disent les gens de la météo. Moi j'étais hier à une réunion avec le Premier ministre F. Fillon à l'Hôtel Matignon ; il y avait là le patron de Météo France, les cartes qu'ils nous montrent et ce qu'ils nous disent des nuages, n'est quand même pas folichon. Je crois qu'on a raison de prendre des précautions, et évidemment le rôle des autorités publiques devant la gêne que ça occasionne et devant le préjudice que ça cause à l'économie en période de crise, on a le devoir de faire en sorte que les choses redémarrent le plus vite possible, dans l'application du principe de sécurité.
 
Donc, vous dites ce matin qu'on n'a pas ouvert trop grand le parapluie ?
 
Non, et voyez, par exemple il y a une polémique - enfin une polémique - un débat, légitime d'ailleurs, sur le moment où on a fait faire les vols d'essai. Certains ont dit : "on aurait pu faire les vols d'essai plus tôt". On a autorisé les vols d'essai que quand on a eu la connaissance qu'on pouvait le faire dans de bonnes conditions de sécurité météo. Donc je crois que les choses se sont enchaînées normalement, il n'y a pas de perte de temps. Je me mets à la place des gens qui sont coincés, on entend beaucoup d'exemples sur votre antenne, ils ont envie de rentrer, ou de partir pour d'autres, et c'est évidemment quelque chose auquel on est complètement habitué depuis le 11 septembre, et encore le 11 septembre ça concernait l'espace de l'Amérique du Nord, Etats-Unis-Canada, et puis naturellement les vols transatlantiques entre l'Amérique du Nord et l'Europe.
 
Concernant le sort des 50, 150.000 Français bloqués, ils sont combien ?
 
On a du mal à dire. Moi j'ai dit hier le chiffre de 150.000, je lis ce matin, dans Libération ou dans Le Figaro, 200.000...
 
On ne sait pas grand-chose en fait.
 
On a un peu de mal à savoir.
 
Vous avez d'abord dit que ce n'était pas l'affaire du Gouvernement et que c'était aux tours opérateurs de prendre leurs responsabilités. Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis ce week-end ?
 
On n'a pas changé d'avis. C'est aux tours opérateurs d'en faire un maximum, parce que d'abord ils sont en concurrence, s'ils traitent bien leurs clients, ils ont plus de chance de les revoir la prochaine fois, et je trouvais détestables ces premières incantations disant "l'Etat, l'Etat, l'Etat", de la part de ceux qui parfois critiquent le trop de puissance de l'Etat. Bon !
 
L'Etat ne peut pas tout !
 
Ça, c'est une remarque au passage. Non, les tours opérateurs font bien leur boulot. Les gens pourront reporter leur déplacement dans un délai de 6 mois. Vous savez qu'en Europe, contrairement aux Etats-Unis - ça c'est un acquis de l'Europe, concret, que beaucoup de nos concitoyens ne connaissent pas - en Europe le remboursement des billets d'avion est automatique si le vol n'a pas lieu. Donc, toute personne, même avec des miles pour Air France...
 
Ça c'est pour les compagnies, là on parle des voyagistes.
 
Ça, c'est pour les compagnies. Non, mais je veux dire, les compagnies remboursent les gens, les voyagistes reportent les voyages dans les 6 mois, et puis on leur demande de faire un effort pour aider les gens à dormir à l'hôtel, à s'en occuper.
 
C'est justement ce surcoût dont les voyagistes disent qu'ils n'ont pas les moyens d'assumer.
 
Ecoutez, ça c'est l'affaire - pardonnez-moi, je ne veux pas me défausser - mais c'est l'affaire du ministre de l'Economie et des Finances. Mon collègue H. Novelli était chez vos confrères d'Europe 1 tout à l'heure ; madame Lagarde reçoit tous ces gens aujourd'hui sur les aspects économiques. Moi je gère les aspects, avec J.-L. Borloo, de la crise des transports, les aspects économiques seront gérés par le ministère de l'Economie et des Finances.
 
C'est ce qu'on appelle renvoyer la patate chaude à son collègue !
 
Non, ça veut dire que chacun fait son job, et comme on dit chez moi en Poitou-Charentes, que les vaches seront bien gardées.
 
Et vous ne pensez pas que ça risque de finir devant les tribunaux tout cela ?
 
Non, je ne pense pas. Vous savez, ce qui est le plus important aujourd'hui, c'est la solidarité entre tout le monde. Je vois, par exemple, des lycées à New York qui gardent les élèves français pour les accueillir ; enfin il y a beaucoup de solidarité, beaucoup de choses bien, et regardons plutôt les choses bien et les affaires d'argent se régleront toujours.
 
Avez-vous envisagé l'hypothèse d'une très longue paralysie avec les conséquences que ça aurait sur les échanges internationaux ? Vous envisagez cette longue, très longue paralysie ?
 
Ce qu'on envisage de pire cette semaine c'est que le beau ciel bleu qui règne aujourd'hui sur la France dure jusqu'à la fin de la semaine. Mais je pense que si ça devait durer jusqu'à la fin de la semaine, on aurait quand même la possibilité, avec un certain nombre de corridors, d'avoir du trafic aérien de manière plus significative que ce week-end. Là, on est plein d'humilité devant un volcan qui ne demande d'instructions à aucun gouvernement.
 
Donc ce n'est pas envisageable d'envisager des avions cloués au sol plusieurs semaines ?
 
Non. Mais vous savez, on essaye aussi de développer le transport différent. Par exemple, quelqu'un - je discutais hier avec des amis qui étaient bloqués à Tokyo, je leur ai dit vous prenez un avion pour Moscou, parce que ça c'est possible, et puis à Moscou ça va prendre un peu de temps, mais il y a des trains Moscou-Varsovie, il y a des trains Varsovie-Francfort-Berlin...
 
Il faut passer par Marseille après...
 
Non, mais en train.
 
Ah, en train !
 
Il y a tous les soirs des voitures-lits entre Paris et Moscou, on est en train de renforcer les liaisons entre la France et l'Est de l'Europe, parce qu'on peut revenir d'Asie par la Russie.
 
Si vous le permettez, je vais vous mettre sur la tête votre casquette de président du Conseil général de Charente-Maritime, sur les zones noires de Vendée. Est-ce que vous reconnaissez tout de même une certaine cacophonie dans les messages, qui n'ont pas toujours été les mêmes ?
 
La cacophonie par exemple, voyez, vous l'avez entretenue à votre corps défendant, en parlant de zones noires, alors que maintenant on a trouvé un terme un peu moins violent.
 
C'est de la sémantique...
 
Oui, mais vous savez, enfin noir c'est une couleur...
 
Est-ce que la sémantique peut soulager les sinistrés ?
Oui, noir ce n'est pas simplement le micro qui est devant moi, c'est aussi une couleur qui a beaucoup de conséquences pour tout le monde. Non, il y a certainement eu un déficit de communication qui fait qu'on a cru que ces zones de solidarité c'était les zones où on voyait arriver en double file les bulldozers pour détruire les maisons. Il y a deux choses dans ces zones. Un, vous avez une maison, vous avez eu peur ou vous pensez que vous êtes en danger, vous pouvez la vendre et vous la vendez plein pot, au prix du marché, y compris le foncier. Et deuxio, vous souhaitez rester parce que vous estimez que vous n'avez pas de raison de partir, et à ce moment-là, l'Etat s'engage à une expertise contradictoire. Ce n'est pas simplement les experts de l'Etat, c'est votre expert, l'expert de l'Etat, la commune. Si l'expertise contradictoire montre que votre maison peut rester parce qu'elle s'auto-protège, par un étage, par une petite digue etc, elle reste. Si l'expertise contradictoire montre que ça ne marche pas, procédure d'utilité publique sous le contrôle de la justice administrative.
 
Et vous, l'élu local, vous n'avez jamais perçu un peu de brutalité dans le message parisien ?
 
Si. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je me suis exprimé le weekend dernier, en demandant plus d'humanité et plus de prise en compte des cas personnels que ne semblait le faire l'administration, qui était un peu "scrogneugneu"...
 
Pas seulement l'administration. Quand N. Sarkozy dit qu'il n'est pas possible que les habitants sinistrés reviennent dans leur maison, c'est quand même un peu brutal ou pas ?
 
Non. N. Sarkozy, il faut bien voir, il est venu le lundi qui a suivi la catastrophe de la nuit du samedi au dimanche, et puis une semaine après à nouveau pour voir comment bougeaient les choses, et il a fait d'ailleurs bouger les choses. Il a vu le malheur, il a vu les corps, il a vu les familles, il a raison de dire cela.
 
Enfin, il est revenu... la solution n'est pas celle-là finalement, les bulldozers ne sont pas prêts de venir.
 
Attendez, ça ne sert à rien de passer au bulldozer une maison qui a eu 10 centimètres d'eau, qui a un étage dans lequel on peut se réfugier.
 
Mais ce n'est pas ce que disait N. Sarkozy il y a quelques jours !
 
Il a dit « on n'habitera pas dans les zones mortifères. » Il faut bien distinguer - pardonnez-moi, ce n'est pas du chauvinisme mal placé - il faut bien distinguer le cas de la Vendée, où vous avez ces deux lotissements énormes dans des cuvettes, de la Charente-Maritime où il y a quatorze communes concernées par ces zones, trois îles, l'île de Ré, l'île d'Aix et l'île d'Oléron. Et on doit aussi distinguer - pardonnez-moi, ce n'est pas de la sémantique - la submersion de l'inondation. Vous avez une maison qui est située sur une digue, il y a de l'eau qui passe, qui passe dans la maison, et puis ensuite submerge des maisons en contrebas où là les gens meurent, et donc vous pouvez dans certains cas maintenir des maisons qui ont été simplement inondées, mais détruire, ou demander à partir, à des maisons qui ont été submergées. Et c'est toute cette subtilité, qui n'en n'est pas une, mais qui pour les gens est importante, qui n'avait peut-être pas été vue au départ par des experts qui sont passés un peu rapidement.
 
Et là aussi, ça pourrait éventuellement se terminer devant quelques tribunaux...
 
De toute façon, si on va dans des expropriations dans certains cas, il y a trois niveaux de juridictions, y compris la justice civile en plus.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 29 avril 2010