Texte intégral
Q - Bernard Kouchner bonjour. Vous êtes ministre des Affaires étrangères d'un pays où ces affaires nous sont de moins en moins étrangères alors que la France, l'Europe, le FMI s'apprêtent, situation inédite depuis l'après-guerre, à sauver de la faillite un autre pays européen. Alors que la Chine dont vous revenez, donne aux yeux du monde, le spectacle de sa puissance, peut-être la première aujourd'hui. Alors que l'Iran continue sa course au nucléaire et remplit ses prisons. Au Proche-Orient, Israéliens et Palestiniens ne trouvent même plus les moyens de se parler et que dans le monde arabo-musulman, la volonté du gouvernement français d'interdire le voile intégral commence à susciter les réactions d'incompréhension ou d'hostilité.
Comment la France marque-t-elle ce matin, sa solidarité avec les Etats-Unis. La marée noire de Louisiane va provoquer des débats considérables durant des mois.
Que faites-vous ? Vous en tant que Français et gouvernant, que dites-vous à Barack Obama et à l'Amérique ?
R - C'est une énorme catastrophe qui se poursuit puisque le puits continue de fuir. Nous sommes en contact permanent avec les Américains. Il y a un centre de crise à Washington ainsi que dans la zone. Dans le domaine de la chimie du pétrole, ayant des spécialistes du nettoyage - nous avons une petite expérience - nous leur avons promis d'être à leur disposition. Pour le moment, aucune équipe n'est partie.
Je vous rappelle qu'il existe une vraie entente entre les grandes compagnies pétrolières pour porter secours, le matériel disponible est déjà considérable. Pour l'heure, les Américains ne nous ont pas demandé une aide précise.
Q - Au niveau du gouvernement, mais ont-ils demandé une aide à d'autres compagnies pétrolières par exemple à Total ?
R - Absolument, c'est ce que je vous dis. Total a été la compagnie qui a recueilli les naufragés, ceux qui se trouvaient sur cette plate-forme qui brûlait. En effet, Total se trouvait tout près de l'accident et elle continue d'offrir ses services.
Vous savez que les Américains ont demandé, ont proposé aux pêcheurs de travailler. Pour l'heure, ce que nous avons entendu et ce que dit notre consul à Houston, c'est que les pêcheurs travaillent avec les sauveteurs.
Q - Mais, si Barack Obama demandait à la France qui a une certaine expérience en la matière, des techniciens, des moyens particuliers, elle pourrait les leur envoyer ?
R - Ils sont prêts.
Q - La Grèce à présent avec, en ce moment-même, ce discours du Premier ministre grec, George Papandréou qui annonce qu'un accord a été conclu avec l'Europe, l'Union européenne, avec le FMI et que cet accord prévoit de grands sacrifices pour les Grecs.
R - C'était indispensable.
Q - Et était-ce indispensable d'exiger à la Grèce une telle cure d'austérité ?
R - Ce qui était indispensable, de notre point de vue, c'était la solidarité. Il y a une exigence de solidarité européenne et en particulier, de la part des 16 pays qui ont adopté l'euro. Je comprends bien que les Grecs sont bouleversés par ce qui leur arrive et par les exigences économiques qui, évidemment, vont entraîner pour eux des conséquences sociales terribles.
Tout d'abord, je voudrais rendre hommage à George Papandréou que nous avons reçu à plusieurs reprises en France et qui porte cette politique, hélas nécessaire, d'assainissement.
Que veut-il ? Eviter la faillite de son pays. Mais, nous, pourquoi nous battons-nous ? Les Français et tous les Européens se battent pour l'Europe et pour l'euro. L'euro, c'est notre monnaie, nous nous battons pour nous et pour éviter que cela nous arrive. Evidemment, ce n'est pas du tout la même situation économique, mais il s'agit d'éviter de faire croire que l'euro était un choix hasardeux. Ce n'était pas un choix hasardeux !
Q - Le choix trop rapide peut-être d'intégrer un pays comme la Grèce qui n'était pas prêt ?
R - Nous avons tous cru que la Grèce, politiquement, devait être intégrée et nous avons cru également que l'élargissement, non pas avec l'euro mais avec d'autres pays, était nécessaire. L'Europe va marcher et cessons de faire de "l'euro-pessimisme". C'est notre avenir, c'est en ce moment que l'on a besoin de penser à l'Europe et que ce rêve européen doit, dans la difficulté, - c'est toujours ainsi en Europe -, permettre que l'Europe évolue.
Q - Parmi les pays fragiles et attaqués dans la zone euro, il y en a d'autres, le Portugal, l'Espagne, peut-être encore d'autres demain. Pouvez-vous garantir aujourd'hui que tout risque de contagion est écarté ?
R - Personne ne peut vous garantir quoique ce soit, surtout pas dans cette situation où les marchés sont attaqués en permanence. Nous parlerons de cette politique du marché qui m'est odieuse.
Q - Ne voulez-vous pas en finir avec les coups de boutoirs donnés... ?
R - Il faut en finir et c'est ce sursaut européen qui va permettre d'en finir.
Mais vous avez cité des pays qui n'ont pas du tout les mêmes problèmes que la Grèce. Les fondamentaux comme l'on dit, la société elle-même, la façon dont elle se développe, les richesses que cela représente ne sont pas du tout comparables. Vous parlez du Portugal, ce pays va donner de l'argent à la Grèce. Nous avons donné en fonction du pourcentage de fonds que nous avons à la Banque centrale européenne et le Portugal y participe. Ne soyons pas pessimistes.
Q - De l'argent que ce pays n'a pas !
R - Non.
Q - Qu'il va emprunter ?
R - Tout le monde emprunte vous le savez et cela dépend à quel taux. Ce qui a été, dans cette affaire, extrêmement désagréable et insupportable même, c'est la manière dont les taux changent, dont les agences de notation fonctionnent. C'est ce que la France a remarqué à plusieurs reprises et ce que le président de la République a demandé plusieurs fois, à savoir de changer ce système.
Vous vous trouvez un soir avec un taux particulier et quelques jours après, cela change.
Evidemment, c'est de la spéculation, vous avez raison. Les situations ne sont pas les mêmes, il y a une urgence, une exigence morale, financière et européenne, c'est le sauvetage de la Grèce avec nos amis grecs.
Q - Nicolas Sarkozy a eu hier une longue conversation téléphonique avec la chancelière Merkel. Jeudi, de Pékin, il prenait position, il associait l'Allemagne qui a fait perdre plusieurs mois. Cela veut-il dire que l'on ne fait rien sans l'Allemagne même si elle met du temps, des mois !
R - Je vous dis, que l'on fait tout avec l'Allemagne, c'est autre chose. En effet, Mme Merkel a été, depuis janvier, un peu réticente à l'égard de la proposition française.
Pourquoi ? Parce que les Allemands ont une situation économique assez voire très saine, parce que l'opinion publique allemande, dans une période où il y a des élections, dit : "vous nous demandez d'aider un pays qui veut maintenir l'âge du départ en retraite à 57 ans, alors que nous le repoussons à 67". Il faut expliquer tout cela et à présent, l'explication faite, Mme Merkel a rejoint et même, elle est complètement en tête. C'est l'Allemagne qui donne le plus d'argent à la Grèce et qui va en donner.
Q - C'est parfait. Il y a un Conseil européen qui était prévu sur la Grèce le 10 mai, aura-t-il lieu avant ?
R - Il est possible qu'il ait lieu un ou deux jours avant mais je ne connais pas la date.
Q - Ce que craignent aussi les Allemands, c'est que les Grecs ne remboursent jamais cette dette. Partagez-vous cette crainte et au final, est-ce quelque chose qui risque de coûter de l'argent au contribuable français tout simplement ?
R - Ce qui coûterait de l'argent serait de ne pas le faire, ce serait de ne pas asseoir cette politique européenne. Les positions prises par Nicolas Sarkozy n'étaient pas si mauvaises que cela, la preuve, mais ne pensons pas au pire, pensons au sauvetage. "On se mouille si on saute à l'eau pour sauver quelqu'un ! Oui, on se mouille."
Q - Ce qui a frappé, c'est que, pendant longtemps, les intérêts nationaux en Europe semblaient primer. Cela veut-il dire qu'en ce moment, comme réponse à la crise économique, il y a une sorte de montée des nationalismes qui est peut-être inquiétante pour vous ?
R - Oui. Mais il y a aussi un sursaut qui va au-delà des nationalismes. Je ne dis pas que la crise était nécessaire et que nous nous en réjouissons. Je vous assure que voir comment cela se passe alors que nous étions pris, depuis des années dans des problèmes institutionnels - comment allait-on changer les règles, récemment la nomination d'un président du Conseil et d'une Haute Représentante, le tâtonnement pour établir de nouvelles réglementations...
Cette crise arrive et on constate un sursaut européen. Je vous remercie pour le côté positif de cette question. Nous avons besoin de l'Europe, qui serions-nous sans elle en ce moment, et avec les Grecs ?
Q - Nous changeons de continent. Vous rentrez de Chine où vous accompagniez le président Sarkozy pour une visite qui, dit-on, marque une nouvelle étape dans les relations franco-chinoises. On l'a vu on a célébré la réconciliation, mais qu'est-ce que la France ? Y-a-t-il, en matière commerciale ou économique, des gains et peut-être en contrepartie un abandon des revendications sur les droits de l'Homme par exemple ?
R - Pas du tout. Du moins pas moi, personne n'a fait cela.
Q - Vous voulez dire, pas vous mais le président oui ?
R - Mais pas du tout !
Vous savez, c'est un grand pays, 1 milliard 300 millions de personnes.
Que vous dire, bien sûr il y a des intérêts économiques très importants, très puissants, mais il y a aussi le fait que le monde est en train de changer et en particulier parce que la Chine bouge. A la fin de l'année, vingt Airbus seront fabriqués dans l'usine que nous avons contribuée à implanter avec les Allemands, c'est un signe des temps.
En même temps, il y a un marché formidable. Ils sont à 10 % de croissance, après la crise qu'ils ont plus ou moins absorbée. Il faut voir comment les Chinois réagissent et avec quelle volonté.
Cette situation, que deviendra-t-elle ? Nous le verrons. Etre en position de compréhension et d'écoute avec la Chine me paraît tout à fait nécessaire.
Q - Au-delà, sur le plan politique, peut-on avancer, comme on le voudrait en France, vers le G20, sans avoir la Chine à ses côtés, car la Chine peut tout bloquer ?
R - Mais, la Chine est à nos côtés. L'une des raisons de ce voyage, c'était d'expliquer ce qui allait se passer en terme de changements, de nouvelle régulation du système économique et monétaire. Nous avons commencé à discuter depuis longtemps avec la Chine et c'est grâce à la Chine que la Présidence française du G20 commencera l'an prochain.
Le G20 pose un autre problème. C'est qu'il y a une institution internationale, les Nations unies, il ne faut pas la négliger. Le G20 sera le lieu où les échanges seront - et peut-être les décisions - les mieux pris en charge.
Q - Les premiers pas d'une gouvernance mondiale....
R - ... économique, il y a aussi une autre gouvernance mondiale qui est plus politique, pour le moment, ce sont les Nations unies.
Q - Et les Chinois acceptent d'entrer dans le jeu ?
R - Les Chinois sont dans le jeu. Nous parlerons peut-être de l'Iran. Les Chinois sont membres permanents du Conseil de sécurité, il est évident que nous devons parler avec eux en permanence.
Ce voyage a été une réussite, pourquoi ? Parce qu'il y avait des ombres et des nuages. Maintenant, apparemment, il n'y en a plus.
Q - Cela veut-il dire que la France a infléchi sa position ?
R - Non, pas du tout.
Q - Cela veut-il dire que vous vous êtes rendu compte qu'il était illusoire de se lancer dans de grandes proclamations sur les droits de l'Homme, de chercher à infléchir...
R - Pourquoi répondez-vous à ma place ?
Q - Non, je vous pose la question.
R - Je ne me suis rendu compte de rien du tout, je continue à parler des droits de l'Homme et en effet, il y a eu, par rapport à la visite du Dalaï Lama un petit problème qui est effacé.
Q - Mais avec les Américains, ils ont été un peu plus "cool" ?
R - Oui, c'était une position. La période a été plus courte, peut-être n'attachent-ils pas la même valeur à nos échanges ?
Q - Vous êtes sortis du purgatoire.
R - Nous n'étions pas dans le purgatoire, nous étions dans l'incompréhension et nous nous sommes exprimés.
Q - La Chine, tient, nous l'avons vu, à la croissance de son économie grâce au pétrole iranien.
R - Pas seulement.
Q - Mais aussi le pétrole iranien. Jusqu'ici, elle refusait de sanctionner l'Iran. Après ce voyage, pensez-vous qu'elle commence à prendre ses distances réelles avec Ahmadinedjad et son Iran ?
R - Il est difficile de savoir si oui ou non. Le président de la République et M. Hu Jintao en ont parlé.
La position de la Chine est assez semblable de la position russe, également membre permanent du Conseil de sécurité. Ne ciblons pas les populations et n'empêchons pas le commerce. En dehors de cela, je le rappelle, ce n'est pas une découverte, il y a déjà eu trois résolutions des Nations unies avec des sanctions contre l'Iran et avec le vote chinois.
Q - Mais la Chine veut-elle bientôt s'associer à une résolution des Nations unies demandant des sanctions contre le régime ?
R - Si vous ne me demandez pas de date, je vous dirais oui.
A New York et encore demain, lundi, il y aura des discussions avec la Chine qui se montre beaucoup plus souple qu'elle ne l'était il y a trois semaines.
Q - Sur la prolifération nucléaire.
R - En effet.
Q - Sur cet armement nucléaire lui-même, y a-t-il des progrès dans les ralentissements de la marche de l'Iran vers l'arme atomique ou vont-ils l'obtenir et comment les en empêcher ?
R - Hélas non. La visite du ministre iranien des Affaires étrangères à Vienne nous a semblé ne manifester aucun progrès. Vous savez, la France et la Russie avaient proposé d'enrichir l'uranium pour les usages médicaux en particulier du réacteur de recherches de Téhéran. Là, ils n'ont pas beaucoup avancé, je crois que c'est de la poudre aux yeux.
Malheureusement pour eux, on parle de leur "habileté", je pense que c'est une erreur de parler de l'habileté iranienne. Ils s'enferrent et cela est regrettable, c'est leur population qui est dans la rue et qui va en pâtir.
Q - Mais pourquoi, Bernard Kouchner l'Iran n'aurait-elle pas le droit, elle aussi, d'avoir et de maîtriser la technologie nucléaire civile ?
R - Personne ne dit qu'elle n'a pas le droit de la maîtriser et au contraire, nous proposons de l'aider. Nous l'avons proposé pendant des années et nous avons rencontré régulièrement les Iraniens.
J'ai, personnellement, rencontré près de 25 fois les Iraniens, ils ne veulent pas parler du seul problème important pour le monde, pour le Moyen-Orient et pour éviter une explosion, c'est-à-dire de l'usage qui serait éventuellement fait de cette technologie pour le nucléaire militaire.
S'agissant du nucléaire civil, bien sûr qu'ils ont le droit de le faire, s'ils respectent leurs engagements.
Q - Peut-on vous demander ?
R - Vous pouvez me demander mais vous pouvez aussi écouter ma réponse.
Q - Mais, bien sûr, c'est ce que nous faisons avec beaucoup d'attention. Si vous parliez plus souvent dans l'expression publique, nous n'aurions pas cette pression pour vous poser des questions.
R - Il y a beaucoup de personnes qui me reprochent de parler trop !
Q - Pas ces temps-ci Bernard Kouchner ! Vous avez fait dans la discrétion ! Etait-ce la période électorale, les élections régionales qui vous...
R - Je ne suis pas concerné par les élections régionales, je fais de la politique extérieure.
Q - Justement.
R - Un gouvernement de la France, ce n'est pas une ONG, il ne faut pas parler à tort et à travers, j'ai aussi compris cela.
Q - J'aimerais savoir si vous confirmez que le régime des Ayatollahs écrase les opposants en ce moment, emprisonne, viole et même pend sans contrôle, des étudiants, des intellectuels et même jusqu'à leur famille. Le confirmez-vous ?
R - Nous avons compris - tout le monde l'a compris, et non seulement la France - que c'est un mouvement profond et populaire. Probablement 60 à 80 % de la population ont dénoncé la suite des élections.
Q - Mais les violences continuent-elles aujourd'hui ?
R - Les violences continuent, il n'y a aucun doute. Mais les manifestations sont moins nombreuses, il faut aussi le constater, la répression a été féroce, évidemment nous l'avons dénoncée. Vous dites que je ne parle pas sur cette affaire, or j'en ai beaucoup parlé !
Q -Une question, peut-être en liaison avec ce que l'on évoquait (l'Iran, le Proche-Orient), un attentat à New York a été déjoué, une bombe aurait pu exploser dans le quartier très fréquenté de Times Square, cela veut-il dire que les terroristes continuent de vouloir frapper le symbole de l'Occident, l'Amérique et ses intérêts ?
R - Bien sûr, cela veut dire que les temps sont dangereux. Cela veut dire que cette menace terroriste peut nous frapper aussi, que tout le monde peut être frappé. Cela veut dire que le terrorisme, loin d'avoir cessé ses activités, le pratique avec beaucoup d'inventivité malsaine.
Q - C'est-à-dire que la politique étrangère de Barack Obama ne donne pas de résultat, si on lui répond à la main tendue par des menaces de bombe ?
R - Non, je crois que c'est l'instinct mortifère de ces terroristes qui est en cause et pas les formidables déclarations de Barack Obama. Vous faites allusion au discours du Caire. Oui, bien sûr c'était formidable, mais là il s'adressait au monde musulman. Ne confondons pas les terroristes et le monde musulman, cela n'a rien à voir. La politique de M. Obama était une politique de la main tendue, de l'ouverture, de la générosité. Nous l'avons salué et nous travaillons étroitement - lorsque c'est possible - avec les Américains mais pas seulement avec eux. Je pense que la politique extérieure de la France est très active maintenant. Hélas, en France, on ne s'en aperçoit pas beaucoup mais partout ailleurs on s'en aperçoit.
Q - On ne confond pas mais diriez-vous que tant que le conflit israélo-palestinien n'aura pas connu, ne serait ce, qu'une avancée importante, ces problèmes resteront et la menace continuera de peser sur le monde, que ce conflit-là est au centre, ou au sommet, au-dessus de toutes les menaces ?
R - C'est très important, vous avez raison. Je connais trop les hommes, j'ai vu trop de guerres. Par exemple, pour obtenir la résolution de ce conflit entre Israéliens et Palestiniens, suffirait-il d'arrêter ce que j'appellerai l'instinct mortifère ? Je ne le crois pas, c'est plus compliqué que cela. Pour régler le problème du Proche-Orient, il faut d'abord lever ce blocage qui existe aujourd'hui et favoriser les négociations indirectes, "proximity talks" comme les Américains les ont appelées. M. Mitchell, avec qui j'ai parlé hier soir, part aujourd'hui pour le Proche-Orient. Pendant deux jours il va parler avec les Israéliens, puis pendant deux jours avec les Palestiniens.
Q - Dialogue indirect.
R - Il s'agit d'un dialogue indirect qui débouchera, nous l'espérons- ce qui était déjà le cas avec le gouvernement de M. Olmert - sur un dialogue direct et sur des avancés que nous avions tous constatées. Cela fonctionnera-t-il ? Nous l'espérons tous fortement. La France le soutient-elle ? Bien entendu, comme l'Europe d'ailleurs.
Q - Elle peut faire quelque chose au-delà d'un simple soutien, elle peut faciliter, elle peut intervenir. Qu'est-ce qu'elle peut offrir ? Peut-elle obtenir le gel de la colonisation que le gouvernement Benjamin Netanyahou continue ?
R - Je crois, je crois, je crois que le gel de la colonisation à Jérusalem Est, des 1 600 nouvelles habitations, est obtenu pour un certain nombre de mois.
Q - Etes-vous toujours partisan, Bernard Kouchner, de deux Etats, et donc d'un Etat palestinien ? Et si Mahmoud Abbas finissait par en prendre l'initiative, c'est-à-dire l'initiative de la création d'un Etat palestinien, faudrait-il que la France reconnaisse tout de suite cet Etat palestinien ?
R - Oui, c'est mon avis personnel, mais c'est compliqué. Je pense que nous y viendrons mais pas tout de suite parce que les Palestiniens eux-mêmes souhaiteraient avoir des frontières reconnues et améliorées par rapport à ce qu'on leur propose aujourd'hui. Je ne souhaite pas que ce soit indispensable. Si ces pourparlers indirects débouchent sur des pourparlers directs ce serait bien mieux. Oui, un jour il faudra reconnaître l'Etat palestinien.
Q - Un jour, on le dit depuis longtemps.
R - On le dit depuis longtemps mais on fait tous des efforts ! Vous ne pouvez pas accuser la France de ne pas avoir fait ces efforts, la France est au premier rang. Le discours qui a été fait par le président de la République française à la Knesset et à Ramallah est le même. Il a dit très clairement : deux Etats pour deux peuples avec une seule capitale Jérusalem. Certes, il y a bien d'autres nécessités, comme échanger les territoires, etc. mais continuons d'essayer et de nous acharner.
Q - C'est un conflit important, dangereux qui dépasse de beaucoup, la dimension locale.
R - Qui le dépasse mais qui s'y enracine, les racines sont là, c'est vrai.
Q - Justement Shimon Peres, président israélien récemment à Paris lors de sa visite, a dénoncé la livraison de missiles au Hezbollah ainsi qu'à d'autres mouvements terroristes de la région. Les Français sont sur place, ils sont dans la région, ils observent. Y a-t-il, selon vous, des risques de nouveaux conflits comme il y a quatre ans qui se font jour ?
R - La situation au sujet de l'armement du Hezbollah est grave. Ils prétendent faire partie de l'armée libanaise que nous soutenons ainsi que l'Etat libanais qui abrite cette armée et qui l'a construite. C'est l'Etat libanais que nous soutenons ainsi que le président Sleiman et le Premier ministre Saad Hariri dans leur action. Il est vrai que la situation est dangereuse, il y a un surarmement en missiles à courte, moyenne voire longue portée, et cela nous préoccupe vivement.
Q - Et cela veut dire que ces armes continuent de passer par le Nord, par la Syrie, par la frontière nord du Liban ?
R - En tout cas, nous demandons aux Syriens de garantir la sécurité de cette frontière.
Q - C'est-à-dire que ce ne soit plus une passoire, mais elle continue à être une passoire.
R - Je n'ai pas dit qu'elle continuait à être une passoire parce qu'un certain nombre de choses ne sont pas prouvées. Vous m'avez demandé si c'était dangereux ? Oui c'est dangereux et cela renforce bien des extrémismes.
Q - Une question de Gilles Kepel sur la France et ses relations avec les pays arabo-musulmans. A propos de l'affaire de la burqa. Ne croyez-vous qu'il serait temps que les responsables français prennent l'avis de ceux qui ont une connaissance, une compétence sur cette question et se prononcent en connaissance de cause ?
R - Si c'est une offre d'emploi M. Kepel, nous qui nous voyons régulièrement, j'y répondrai volontiers !
Q - Sur le fond ?
R - Je vais vous répondre sur le fond car il s'agit là de cacher le visage. Ce n'est pas seulement un problème pour les musulmans, c'est aussi un problème pour les Français, pour la République française et pour bien d'autres gens. J'ai été, d'ailleurs avec Gilles Kepel, l'un de ceux qui doutait de l'efficacité des mesures contre le voile. Je m'en souviens Jean-Pierre Elkabbach, vous en avez parlé souvent, je n'étais pas sûr et cela a très bien marché. Il faut faire confiance aux Musulmans, il faut leur expliquer - Gilles Kepel a raison. D'ailleurs dans cette loi si elle est votée, je n'en connais pas le texte puisqu'il n'a pas encore été présenté, il y aura une période de pédagogie et d'explication.
Q - Six mois dit-on ?
R - J'ai entendu le président évoquer de six mois à deux ans, je ne sais pas ce qui sera choisi. C'est très important, les gens comprendront et je fais confiance parce que l'immense majorité des Musulmans de France ne souhaitent pas enfermer la femme. C'est aussi une question de dignité de la femme et j'y suis très sensible. Vous trouverez très peu de femmes, en dehors des "récentes converties" qui sont contre cette loi. Il faut discuter de la question de l'espace public ou des lieux publics. Je comprends bien et Gilles Kepel parlait du Maroc. Le Maroc comprendra, le Maroc comprend déjà, c'est un pays avancé, où l'islam n'est pas oppressif. Regardez ce que disent MM. Boubakeur ou Moussaoui en France, ils comprennent et je pense que quelque part - je pense sous ma responsabilité - ils sont peut être soulagés, du moins les femmes le sont. On ne peut pas prôner l'égalité, on ne peut pas avoir été, comme je l'ai été, au service des femmes le plus longtemps possible et puis s'apercevoir qu'on les met dans une prison de tissu. Il ne s'agit pas d'une affaire religieuse, il s'agit d'une affaire de dignité, de solidarité, de compréhension de la marche du monde.
Q - Vous savez qu'il y a des pays du Maghreb, comme la Tunisie par exemple qui n'acceptent pas le port du voile intégral dans certains domaines. Mais faut-il interdire totalement pour autant la burqa par une loi totale. Est-ce que cela ne peut pas être pris aux Etats-Unis, dans certains pays arabo-musulman comme un acte contre l'Islam ?
R - Je n'ai pas de secret avec vous, c'est ce que j'ai dit en quatre points au Conseil des ministres. C'est mon travail de ministre des Affaires étrangères de dire : "Voilà les obstacles que nous rencontrerons". Vous parlez des Etats-Unis, oui, c'était le premier exemple, ils tiennent à la liberté religieuse et il y aura beaucoup d'ONG voire de fondations américaines qui viendront nous démontrer notre erreur. Je crois qu'ils seront convaincus aussi que nous sommes pour la liberté religieuse. Il n'y a aucune prescription religieuse de se voiler le visage.
Q - C'était une mise en garde au Conseil des ministres ?
R - Ce n'était pas une mise en garde, c'est mon travail de faire cela.
Q - De dire quelles seront les conséquences diplomatiques ?
R - Attendez ! Je n'ai pas fini, il s'agissait des Etats-Unis, mais il y aura aussi des pays d'Europe qui vont protester. Je pense au Danemark, aux Pays-Bas par exemple qui vont soulever la question de la liberté religieuse, disant qu'ils ont déjà dû affronter ce problème. Dans un certain nombre de pays musulmans, par exemple au Pakistan, en Turquie nous serons critiqués. Il y a aussi des pays qui condamnent à mort les "aposta" c'est à dire ceux qui abjurent leur religion sont condamnés à mort, ceux-là protesteront. Et puis il y a un dernier pays, l'Arabie Saoudite qui dira : "chez vous, vous avez raison, vous avez le droit de faire ce que vous voulez mais chez moi, j'ai également le droit de faire ce que je veux et en particulier par exemple de ne pas laisser conduire les femmes".
Q - Quand vous avez fini de présenter toutes ces mesures et toutes ces réserves, cette photographie de ces réactions possibles, est-ce que vous, personnellement, Bernard Kouchner, vous êtes pour une loi interdisant totalement la burqa en France ?
R - Je suis pour la dignité de la femme, je suis pour être solidaire de ce combat. J'ai été très interrogatif sur cette loi. Je pensais que l'on pouvait faire la différence entre le lieu public et ce qui n'était pas les lieux publics. Je pense que c'est finalement un peu démagogique et pas possible. Je crois qu'il faut dire dans notre République française, qu'il y a des règles, que ces règles doivent être respectées. C'est ce qui s'est passé avec l'interdiction des signes religieux au lycée. Qui a-t-on arrangé avec les voiles aux lycées ? Les directeurs d'école. Il faut donner des règles. La République c'est de passer de la morale à la règle. Nous avons peut être besoin d'une loi, du moins, j'ai compris que pour la dignité de la femme, il fallait le faire. La dignité de la femme au sens des droits de l'Homme. C'est de cela qu'il s'agit.
Q - On dit que deux mots symbolisent Bernard Kouchner : absence et silence. Est-ce qu'il faut en rajouter un troisième : indifférence. Ce n'est pas direct, cela ?
R - C'est provocant, je reste impassible. On me reproche en général d'être trop présent, on me reproche de parler à tort et à travers. Vous, vous prenez le contre-pied, je vous félicite de votre courage. Ce n'est pas une question. "Indifférence". Je m'occupe tous les jours du sort du monde : quelle prétention ! Je fais ce que je peux pour que la politique étrangère de la France, décidée par le président de la République soit, à mon avis, équilibrée, dynamique et que tout le monde le reconnaisse. Je pense que vraiment nous faisons beaucoup de travail. S'il vous plaît, pas de caricature.
Q - Mais sur les grands problèmes intérieurs ?
R - Mais qu'est ce que c'est que les grands problèmes intérieurs ? Je suis chargé des affaires extérieures.
Q - Mais vous êtes membre d'un gouvernement !
R - Je suis solidaire de mon gouvernement. Que voulez-vous que je vous dise ? Sur le dossier des retraites, je pense que tout le monde s'en rend compte, il faut changer. Regardez par qui nous sommes entourés : l'Italie, l'Espagne, le Portugal, le Royaume-Uni, la Belgique et l'Allemagne. Quel est âge de la retraite dans ces pays ? Tous à 65 ans et allant même vers 67. La France au milieu dit qu'elle peut rester à 60 ans. C'est une question qui relève de l'intérieur ou de l'extérieur ? Juste un petit détail, en Italie, parce que l'on parlait des femmes, l'âge de la retraite pour les femmes est fixé entre 57 et 60 ans.
Q - Quand c'est le secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant qui va en Afrique, qui négocie à Damas, à Alger et dans d'autres capitales arabes, quand c'est Jean-David Levitte conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy, qui fait aussi de la politique étrangère, est ce normal ou n'empiètent-ils pas sur votre rôle ?
R - C'est normal sous la Ve République, cela a toujours été ainsi. Il y a toujours eu auprès du président de la République, une cellule diplomatique. Néanmoins, je vous assure que c'est la première fois sous la Ve République que Jean-David Levitte vient au Quai d'Orsay et que je vois Claude Guéant à l'Elysée toutes les semaines. Figurez-vous, cela ne s'est jamais fait, jamais ! Ne croyez donc pas qu'il s'agisse de politiques différentes.
Q - La diplomatie est moins parallèle qu'avant ?
R - Elle est beaucoup moins parallèle, je peux avoir des divergences avec eux. Heureusement que l'on se parle. D'ailleurs, je vais vous dire : c'est beaucoup plus facile de discuter avec le président de la République et avec ceux que j'ai cités : Jean-David Levitte et Claude Guéant, bien entendu. Nous discutons fermement, ouvertement, fraternellement, même avec le président de la République. Heureusement que l'on se parle, heureusement que nous ne sommes pas d'accord sur tout.
Q - Quand on vit dans un monde multipolaire, dans une Europe émiettée, quand les chefs d'Etat se rencontrent et se parlent si directement, quand on a un président comme Nicolas Sarkozy, comment peut-on être ministre des Affaires étrangères d'un pays comme la France ?
R - En pleurant, en souffrant, en se plaignant tous les jours !
Q - C'est ce que les autres imaginent...
R - Evidemment, cela a changé, évidemment les ambassadeurs ne sont plus à attendre la dépêche qu'ils apporteraient avec leur canne et leur chapeau, évidemment les chefs d'Etat se téléphonent, il y a des conférences téléphoniques, il y a des décisions prises en urgence. Heureusement, en cette période de crise, qu'il y a eu des dialogues entre les chefs d'Etat mais ce qui n'empêche pas qu'il y a eu des dialogues avec les ministres des Affaires étrangères et puis évidemment il y a aussi une concertation. Sur le long terme, il faut toujours travailler après que les décisions soient prises ou non.
Q - Un mot sur les retraites, si j'ai bien entendu, vous avez parlé des 65-67 ans, c'est à dire que vous ne seriez pas choqué si les 60 ans en France étaient d'une manière ou d'une autre assouplis ?
R - Non, je ne serai pas choqué. J'ai toujours écrit cela, à gauche comme à droite, et heureusement à gauche il y a des gens intelligents qui le comprennent.
Je n'ai pas dit qu'il fallait fixer - et surtout pas moi - l'âge de la retraite, il y a aussi d'autres facteurs comme la durée de cotisation, la pénibilité, que oui ou non, il y a des gens qui doivent prendre leur retraite avant. Cependant, nous ne pouvons pas rester à 60 ans alors que tout le monde, nos concurrents, nos amis, nos voisins sont à 65 ou 67 ans. C'est une évidence pour tout le monde parce que la durée de vie augmente - nous gagnons trois mois de durée de vie par an, nous en sommes pour les hommes à environ 78 - 79 ans et 83 ans pour les femmes. Alors il faut travailler un peu plus si les retraites par répartition, comme on dit, c'est à dire qu'en travaillant on prépare la retraite des autres doivent demeurer. Cela relève du bon sens. Vous l'avez compris, ne pensez pas que ce soit un grand drame, au contraire tout le monde l'a compris.
Q - A propos de gens intéressants à gauche que vous citiez à l'instant, si en 2012 vous vous trouviez face à la présidentielle, à Dominique Strauss-Kahn d'un côté, et Nicolas Sarkozy de l'autre, où irait votre coeur ?
R - Je vais tomber dans ce piège immense. Contentons-nous de la crise en Grèce, des problèmes du monde, du terrorisme, du Moyen-Orient...
Q - Cela va arriver très vite !
R - Quand cela arrivera, on fera une nouvelle émission, ainsi vous m'entendrez.
Q - Ce n'est pas une manière de fuir la réponse ?
R - C'est une manière de ne pas répondre.
Q - Vous n'avez jamais la nostalgie du PS ?
R - Mais comment la nostalgie ! Je les vois, je les connais. Ce sont mes amis. Je n'ai pas renoncé à être social-démocrate, au contraire d'ailleurs si j'avais renoncé, je n'aurais plus aucun intérêt.
Q - L'ouverture, cela a du bon ou est-ce une erreur politique ?
R - Le type vous dit : "Se casser une jambe c'était bien" ! Enfin voyons ! Je trouve que c'était une bonne idée, excellente et d'ailleurs cela se poursuit.
L'ouverture d'esprit c'est important. Pouvoir profiter d'un éclairage différent, et soi-même profiter de l'éclairage des autres, c'est un exercice qui serait dans tous les pays extrêmement profitable. Dans le monde et en Europe, quelles sont les positions de gauche ou de droite par rapport à la marche du monde, par rapport au terrorisme ? J'ai créé un pôle des religions au ministère des Affaires étrangères, moi qui suis laïc et athée !
Q - Vous voulez dire qu'il n'y a pas, en France, de politique étrangère de gauche ou de droite ?
R - Je crois qu'aujourd'hui il y a une politique de l'Occident, une globalisation, qui fait que l'on s'aperçoit que les autres travaillent autant sinon plus et mieux que nous, que le monde est divisé, que certains font des sacrifices par rapport à nous qui avons une protection sociale qui caractérisait l'Europe, comme la démocratie. Cette protection sociale n'est pas mise à mal, mais elle doit s'adapter. En Chine, les retraites et le système de santé bouleversent actuellement le tarif horaire et le coût du travail. C'est beaucoup plus important que la gauche et la droite. Dans les conflits internes, cela demeure, la différence est là. Il faut bien faire fonctionner la démocratie, pour cela il faut au moins deux partis.
Q - La France va-t-elle vendre un navire Mistral à la Russie ?
R - Cela n'est pas fait mais c'est probable, la discussion a lieu.
Q - Cela vous pose-t-il problème ? Je rappelle qu'un Mistral est un bateau de guerre qui peut accueillir 16 hélicoptères, quelques dizaines de chars et jusqu'à 900 hommes... C'est une décision française qui inquiète autant les Etats-Unis que les anciennes Républiques de l'ex-Union soviétique, notamment parce que l'on a entendu l'amiral, Vissotsky, chef d'état-major de la marine russe, expliquer qu'avec un Mistral il aurait gagné la guerre contre la Georgie en 40 minutes au lieu de 26 h.
R - C'est exact. Il a eu tort de parler ainsi. D'abord, ce n'est pas vrai. Ce bateau est vendu coque nue. Un certain nombre de pays européens étaient prêts et avaient déjà fait des offres, nous ne sommes pas les seuls. C'est une politique que nous avons choisie, ce n'est pas la vente d'un bateau Mistral armé. D'ailleurs, j'aurais fait une autre utilisation du Mistral : entrer dans le golfe de l'Irrawaddy, au moment où les Birmans mourraient. Faut-il considérer que la Russie évolue vers la démocratie sans rien négliger, ni les droits de l'Homme, ni les assassinats ? Le mouvement en cours est un mouvement démocratique et, pour les Russes, M. Medvedev représente une part de l'avenir. C'est ce pari politique que nous faisons.
Q - Des sénateurs américains protestent.
R - Cela prouve que nous ne sommes pas aux ordres des sénateurs américains !
Q - Ce serait la première fois depuis la guerre qu'un pays de l'OTAN vendrait du matériel militaire lourd à la Russie.
R - Et c'est la première fois depuis la guerre que la Russie n'est plus un pays communiste. C'est la première fois qu'il y a une révolution.
Q - Quand on entend votre vieil ami André Glucksmann protester contre cette décision, devant le désespoir des petits peuples qui entourent la Russie, on se dit que le Kouchner d'avant le Quai d'Orsay n'aurait pas approuvé cette vente.
R - On se dit aussi que le André Glucksmann d'avant doit évoluer un peu. Les petits pays n'ont pas peur. J'étais en Estonie pour le sommet de l'OTAN, nous en avons parlé et ils ont compris. Dans le ciel de l'Estonie, vous savez qui patrouillait ? Des avions français. Nous parions politiquement sur l'évolution positive de la Russie. Il faut parler avec nos voisins et établir un espace de sécurité commun.
Q - On a dit que récemment, nos deux confrères otages en Afghanistan étaient sur le point d'être relâchés et qu'au dernier moment, leurs geôliers Taliban ont changé d'avis. Qu'avez-vous comme nouvelles des deux confrères français actuellement détenus en Afghanistan ?
R - Hélas, je n'en ai aucun pour le moment, pas plus que nous n'en avions. Nous savons où ils se trouvent. Nous connaissons la région, nous ne connaissons pas la maison, ni le lieu précis. Nous travaillons nuit et jour avec le Centre de crise, avec nos services, avec les Américains.
Q - Et tous les moyens sont mis en oeuvre. L'ancien chef d'état major, le général Jean-Louis Georgelin, et Claude Guéant avaient estimé que l'on dépensait trop d'argent, que cette histoire cela coûtait beaucoup d'argent. Qu'en pensez-vous ?
R - J'aimerais que cela coûte beaucoup d'argent. C'est notre honneur de dépenser cet argent. Je voudrais dire un mot là-dessus. Il y a une réforme dont vous ne parlerez pas, parce qu'elle est très importante ! C'est la réforme culturelle. Je suis attaché à cette réforme culturelle du Quai d'Orsay, c'est-à-dire la possibilité d'avoir un institut qui rivaliserait avec l'Institut Cervantès, l'Institut Goethe, etc. Il y a un petit cavalier - on appelle cela un cavalier - et nous souhaitons que les voyagistes soient assurés, que les voyagistes et les voyageurs respectent les observations.
Q - Un projet de loi a déjà été adopté au Sénat, qui va aller à l'Assemblée, qui pourrait demander le remboursement des dépenses engagées pour secourir des Français à l'étranger.
R - Oui, dans des conditions d'assurance particulières. Nous avons exclu les journalistes et les humanitaires.
Q - Ils sont bien exclus ?
R - Complètement exclus. Le journalisme sans risques, je n'y crois pas.
Q - L'humanitaire non plus. Mais il n'y a pas de risque inconsidéré. Il faut choisir ses risques.
R - Bien sûr, il y a des risques inconsidérés, entraînant d'importantes dépenses pour ramener nos compatriotes chez nous. Oui, c'est notre honneur, c'est leur métier. C'est parfois incompatible.
Q - Il y a encore des exemples.
R - Oui, il y a encore des exemples. Il y a un homme qui a été enlevé au Niger, dont nous n'avons pas de nouvelles. Son chauffeur algérien a été relâché, mais ils ont été séparés très vite. Il n'y a pas de revendication, et nous n'avons pas plus de nouvelles.
Il y en a tous les jours, mais vous savez le Centre de crise, composé de cinquante personnes - encore une réforme du Quai d'Orsay - travaille nuit et jour. C'est une machine. Allez voir comme ce monde est dangereux, allez voir comment nous intervenons. Nous souhaitons que les gens respectent les règles de prudence. Mais un monde qui ne serait fait que de prudence, à mon avis, cela n'existe pas. C'est la raison pour laquelle j'ai parlé du Moyen-Orient avec d'autres risques, parce qu'il y a aussi l'appétit des hommes, l'appétit de domination, la violence. Qu'est-ce que c'est que la politique, sinon la canalisation des violences ?
Q - C'est justement aujourd'hui, Bernard Kouchner, la journée mondiale de la liberté de la presse. Très vite, un journaliste va vous interpeller, vous le connaissez, c'est Taoufik Ben Brik, il a été libéré il y a quelques jours, par le régime tunisien, après six mois de détention. Vous aviez dénoncé son arrestation, vous aviez salué sa libération, mais il voudrait vous interpeller à propos d'autres propos que vous avez tenus il y a quinze jours.
Monsieur Kouchner, le 15 avril, quand même vous êtes allé trop loin en disant que la Tunisie a fait des progrès en matière de droits de l'Homme. Ben Ali les a bien cachés. Tout le monde le sait, ce n'est pas une question. C'est le désert. Personne ne détient un pouvoir absolu comme le détient Ben Ali.
R - C'est gentil qu'il ne me remercie pas. Demandons aux femmes tunisiennes, par exemple. Je crois que cette évolution, par rapport à ce que nous avons dit est tout à fait positive. Je ne me fais aucune illusion, Monsieur. Je crois que les Tunisiens ont bien fait de vous libérer. J'avais manifesté mon soutien au moment où ils vous avaient arrêté, ne l'oubliez pas non plus M. Ben Brik.
Q - Allez-vous aller à Haïti ou y retourner, parce que l'on dit que vous n'y êtes pas allés ?
R - Comment ? J'y suis allé trois fois! On ne va pas y aller tous les jours pour se montrer devant les caméras. Ce n'est pas cela qu'il faut. Nous avons consacré 326 millions d'euros pour aider Haïti. Il y a un groupe en permanence chez nous, dirigé par Pierre Duquesne, un certain nombre de gens, qui sous la direction de l'ensemble du comité interministériel a proposé ce plan. Nous avons été décisifs dans les choix à long terme d'Haïti. Il y a un problème qui demeure à Haïti et je voudrais, avec beaucoup de précautions et de mesure, en parler. Il faut que les gens qui veulent adopter un enfant, le fassent dans des conditions internationalement reconnues.
Q - Cela veut dire ?
R - Cela veut dire que Haïti n'a pas signé la Convention de La Haye qui organise tout cela.
Q - Cela veut dire que la moitié des enfants adoptés le sont malgré tous les contrôles, alors qu'ils ne sont pas orphelins. C'est cela ?
R - Ils ne sont pas orphelins. Nous avons une sorte de sas, une manière d'accueillir les enfants en Guadeloupe, qui fonctionne très bien. Mais il ne faut pas se précipiter, il faut savoir que tous les enfants haïtiens doivent être aidés. Quant au plan, nous sommes très fiers de l'avoir fait. Je ne peux pas y être tout le temps.
Q - Merci Bernard Kouchner.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 mai 2010
Comment la France marque-t-elle ce matin, sa solidarité avec les Etats-Unis. La marée noire de Louisiane va provoquer des débats considérables durant des mois.
Que faites-vous ? Vous en tant que Français et gouvernant, que dites-vous à Barack Obama et à l'Amérique ?
R - C'est une énorme catastrophe qui se poursuit puisque le puits continue de fuir. Nous sommes en contact permanent avec les Américains. Il y a un centre de crise à Washington ainsi que dans la zone. Dans le domaine de la chimie du pétrole, ayant des spécialistes du nettoyage - nous avons une petite expérience - nous leur avons promis d'être à leur disposition. Pour le moment, aucune équipe n'est partie.
Je vous rappelle qu'il existe une vraie entente entre les grandes compagnies pétrolières pour porter secours, le matériel disponible est déjà considérable. Pour l'heure, les Américains ne nous ont pas demandé une aide précise.
Q - Au niveau du gouvernement, mais ont-ils demandé une aide à d'autres compagnies pétrolières par exemple à Total ?
R - Absolument, c'est ce que je vous dis. Total a été la compagnie qui a recueilli les naufragés, ceux qui se trouvaient sur cette plate-forme qui brûlait. En effet, Total se trouvait tout près de l'accident et elle continue d'offrir ses services.
Vous savez que les Américains ont demandé, ont proposé aux pêcheurs de travailler. Pour l'heure, ce que nous avons entendu et ce que dit notre consul à Houston, c'est que les pêcheurs travaillent avec les sauveteurs.
Q - Mais, si Barack Obama demandait à la France qui a une certaine expérience en la matière, des techniciens, des moyens particuliers, elle pourrait les leur envoyer ?
R - Ils sont prêts.
Q - La Grèce à présent avec, en ce moment-même, ce discours du Premier ministre grec, George Papandréou qui annonce qu'un accord a été conclu avec l'Europe, l'Union européenne, avec le FMI et que cet accord prévoit de grands sacrifices pour les Grecs.
R - C'était indispensable.
Q - Et était-ce indispensable d'exiger à la Grèce une telle cure d'austérité ?
R - Ce qui était indispensable, de notre point de vue, c'était la solidarité. Il y a une exigence de solidarité européenne et en particulier, de la part des 16 pays qui ont adopté l'euro. Je comprends bien que les Grecs sont bouleversés par ce qui leur arrive et par les exigences économiques qui, évidemment, vont entraîner pour eux des conséquences sociales terribles.
Tout d'abord, je voudrais rendre hommage à George Papandréou que nous avons reçu à plusieurs reprises en France et qui porte cette politique, hélas nécessaire, d'assainissement.
Que veut-il ? Eviter la faillite de son pays. Mais, nous, pourquoi nous battons-nous ? Les Français et tous les Européens se battent pour l'Europe et pour l'euro. L'euro, c'est notre monnaie, nous nous battons pour nous et pour éviter que cela nous arrive. Evidemment, ce n'est pas du tout la même situation économique, mais il s'agit d'éviter de faire croire que l'euro était un choix hasardeux. Ce n'était pas un choix hasardeux !
Q - Le choix trop rapide peut-être d'intégrer un pays comme la Grèce qui n'était pas prêt ?
R - Nous avons tous cru que la Grèce, politiquement, devait être intégrée et nous avons cru également que l'élargissement, non pas avec l'euro mais avec d'autres pays, était nécessaire. L'Europe va marcher et cessons de faire de "l'euro-pessimisme". C'est notre avenir, c'est en ce moment que l'on a besoin de penser à l'Europe et que ce rêve européen doit, dans la difficulté, - c'est toujours ainsi en Europe -, permettre que l'Europe évolue.
Q - Parmi les pays fragiles et attaqués dans la zone euro, il y en a d'autres, le Portugal, l'Espagne, peut-être encore d'autres demain. Pouvez-vous garantir aujourd'hui que tout risque de contagion est écarté ?
R - Personne ne peut vous garantir quoique ce soit, surtout pas dans cette situation où les marchés sont attaqués en permanence. Nous parlerons de cette politique du marché qui m'est odieuse.
Q - Ne voulez-vous pas en finir avec les coups de boutoirs donnés... ?
R - Il faut en finir et c'est ce sursaut européen qui va permettre d'en finir.
Mais vous avez cité des pays qui n'ont pas du tout les mêmes problèmes que la Grèce. Les fondamentaux comme l'on dit, la société elle-même, la façon dont elle se développe, les richesses que cela représente ne sont pas du tout comparables. Vous parlez du Portugal, ce pays va donner de l'argent à la Grèce. Nous avons donné en fonction du pourcentage de fonds que nous avons à la Banque centrale européenne et le Portugal y participe. Ne soyons pas pessimistes.
Q - De l'argent que ce pays n'a pas !
R - Non.
Q - Qu'il va emprunter ?
R - Tout le monde emprunte vous le savez et cela dépend à quel taux. Ce qui a été, dans cette affaire, extrêmement désagréable et insupportable même, c'est la manière dont les taux changent, dont les agences de notation fonctionnent. C'est ce que la France a remarqué à plusieurs reprises et ce que le président de la République a demandé plusieurs fois, à savoir de changer ce système.
Vous vous trouvez un soir avec un taux particulier et quelques jours après, cela change.
Evidemment, c'est de la spéculation, vous avez raison. Les situations ne sont pas les mêmes, il y a une urgence, une exigence morale, financière et européenne, c'est le sauvetage de la Grèce avec nos amis grecs.
Q - Nicolas Sarkozy a eu hier une longue conversation téléphonique avec la chancelière Merkel. Jeudi, de Pékin, il prenait position, il associait l'Allemagne qui a fait perdre plusieurs mois. Cela veut-il dire que l'on ne fait rien sans l'Allemagne même si elle met du temps, des mois !
R - Je vous dis, que l'on fait tout avec l'Allemagne, c'est autre chose. En effet, Mme Merkel a été, depuis janvier, un peu réticente à l'égard de la proposition française.
Pourquoi ? Parce que les Allemands ont une situation économique assez voire très saine, parce que l'opinion publique allemande, dans une période où il y a des élections, dit : "vous nous demandez d'aider un pays qui veut maintenir l'âge du départ en retraite à 57 ans, alors que nous le repoussons à 67". Il faut expliquer tout cela et à présent, l'explication faite, Mme Merkel a rejoint et même, elle est complètement en tête. C'est l'Allemagne qui donne le plus d'argent à la Grèce et qui va en donner.
Q - C'est parfait. Il y a un Conseil européen qui était prévu sur la Grèce le 10 mai, aura-t-il lieu avant ?
R - Il est possible qu'il ait lieu un ou deux jours avant mais je ne connais pas la date.
Q - Ce que craignent aussi les Allemands, c'est que les Grecs ne remboursent jamais cette dette. Partagez-vous cette crainte et au final, est-ce quelque chose qui risque de coûter de l'argent au contribuable français tout simplement ?
R - Ce qui coûterait de l'argent serait de ne pas le faire, ce serait de ne pas asseoir cette politique européenne. Les positions prises par Nicolas Sarkozy n'étaient pas si mauvaises que cela, la preuve, mais ne pensons pas au pire, pensons au sauvetage. "On se mouille si on saute à l'eau pour sauver quelqu'un ! Oui, on se mouille."
Q - Ce qui a frappé, c'est que, pendant longtemps, les intérêts nationaux en Europe semblaient primer. Cela veut-il dire qu'en ce moment, comme réponse à la crise économique, il y a une sorte de montée des nationalismes qui est peut-être inquiétante pour vous ?
R - Oui. Mais il y a aussi un sursaut qui va au-delà des nationalismes. Je ne dis pas que la crise était nécessaire et que nous nous en réjouissons. Je vous assure que voir comment cela se passe alors que nous étions pris, depuis des années dans des problèmes institutionnels - comment allait-on changer les règles, récemment la nomination d'un président du Conseil et d'une Haute Représentante, le tâtonnement pour établir de nouvelles réglementations...
Cette crise arrive et on constate un sursaut européen. Je vous remercie pour le côté positif de cette question. Nous avons besoin de l'Europe, qui serions-nous sans elle en ce moment, et avec les Grecs ?
Q - Nous changeons de continent. Vous rentrez de Chine où vous accompagniez le président Sarkozy pour une visite qui, dit-on, marque une nouvelle étape dans les relations franco-chinoises. On l'a vu on a célébré la réconciliation, mais qu'est-ce que la France ? Y-a-t-il, en matière commerciale ou économique, des gains et peut-être en contrepartie un abandon des revendications sur les droits de l'Homme par exemple ?
R - Pas du tout. Du moins pas moi, personne n'a fait cela.
Q - Vous voulez dire, pas vous mais le président oui ?
R - Mais pas du tout !
Vous savez, c'est un grand pays, 1 milliard 300 millions de personnes.
Que vous dire, bien sûr il y a des intérêts économiques très importants, très puissants, mais il y a aussi le fait que le monde est en train de changer et en particulier parce que la Chine bouge. A la fin de l'année, vingt Airbus seront fabriqués dans l'usine que nous avons contribuée à implanter avec les Allemands, c'est un signe des temps.
En même temps, il y a un marché formidable. Ils sont à 10 % de croissance, après la crise qu'ils ont plus ou moins absorbée. Il faut voir comment les Chinois réagissent et avec quelle volonté.
Cette situation, que deviendra-t-elle ? Nous le verrons. Etre en position de compréhension et d'écoute avec la Chine me paraît tout à fait nécessaire.
Q - Au-delà, sur le plan politique, peut-on avancer, comme on le voudrait en France, vers le G20, sans avoir la Chine à ses côtés, car la Chine peut tout bloquer ?
R - Mais, la Chine est à nos côtés. L'une des raisons de ce voyage, c'était d'expliquer ce qui allait se passer en terme de changements, de nouvelle régulation du système économique et monétaire. Nous avons commencé à discuter depuis longtemps avec la Chine et c'est grâce à la Chine que la Présidence française du G20 commencera l'an prochain.
Le G20 pose un autre problème. C'est qu'il y a une institution internationale, les Nations unies, il ne faut pas la négliger. Le G20 sera le lieu où les échanges seront - et peut-être les décisions - les mieux pris en charge.
Q - Les premiers pas d'une gouvernance mondiale....
R - ... économique, il y a aussi une autre gouvernance mondiale qui est plus politique, pour le moment, ce sont les Nations unies.
Q - Et les Chinois acceptent d'entrer dans le jeu ?
R - Les Chinois sont dans le jeu. Nous parlerons peut-être de l'Iran. Les Chinois sont membres permanents du Conseil de sécurité, il est évident que nous devons parler avec eux en permanence.
Ce voyage a été une réussite, pourquoi ? Parce qu'il y avait des ombres et des nuages. Maintenant, apparemment, il n'y en a plus.
Q - Cela veut-il dire que la France a infléchi sa position ?
R - Non, pas du tout.
Q - Cela veut-il dire que vous vous êtes rendu compte qu'il était illusoire de se lancer dans de grandes proclamations sur les droits de l'Homme, de chercher à infléchir...
R - Pourquoi répondez-vous à ma place ?
Q - Non, je vous pose la question.
R - Je ne me suis rendu compte de rien du tout, je continue à parler des droits de l'Homme et en effet, il y a eu, par rapport à la visite du Dalaï Lama un petit problème qui est effacé.
Q - Mais avec les Américains, ils ont été un peu plus "cool" ?
R - Oui, c'était une position. La période a été plus courte, peut-être n'attachent-ils pas la même valeur à nos échanges ?
Q - Vous êtes sortis du purgatoire.
R - Nous n'étions pas dans le purgatoire, nous étions dans l'incompréhension et nous nous sommes exprimés.
Q - La Chine, tient, nous l'avons vu, à la croissance de son économie grâce au pétrole iranien.
R - Pas seulement.
Q - Mais aussi le pétrole iranien. Jusqu'ici, elle refusait de sanctionner l'Iran. Après ce voyage, pensez-vous qu'elle commence à prendre ses distances réelles avec Ahmadinedjad et son Iran ?
R - Il est difficile de savoir si oui ou non. Le président de la République et M. Hu Jintao en ont parlé.
La position de la Chine est assez semblable de la position russe, également membre permanent du Conseil de sécurité. Ne ciblons pas les populations et n'empêchons pas le commerce. En dehors de cela, je le rappelle, ce n'est pas une découverte, il y a déjà eu trois résolutions des Nations unies avec des sanctions contre l'Iran et avec le vote chinois.
Q - Mais la Chine veut-elle bientôt s'associer à une résolution des Nations unies demandant des sanctions contre le régime ?
R - Si vous ne me demandez pas de date, je vous dirais oui.
A New York et encore demain, lundi, il y aura des discussions avec la Chine qui se montre beaucoup plus souple qu'elle ne l'était il y a trois semaines.
Q - Sur la prolifération nucléaire.
R - En effet.
Q - Sur cet armement nucléaire lui-même, y a-t-il des progrès dans les ralentissements de la marche de l'Iran vers l'arme atomique ou vont-ils l'obtenir et comment les en empêcher ?
R - Hélas non. La visite du ministre iranien des Affaires étrangères à Vienne nous a semblé ne manifester aucun progrès. Vous savez, la France et la Russie avaient proposé d'enrichir l'uranium pour les usages médicaux en particulier du réacteur de recherches de Téhéran. Là, ils n'ont pas beaucoup avancé, je crois que c'est de la poudre aux yeux.
Malheureusement pour eux, on parle de leur "habileté", je pense que c'est une erreur de parler de l'habileté iranienne. Ils s'enferrent et cela est regrettable, c'est leur population qui est dans la rue et qui va en pâtir.
Q - Mais pourquoi, Bernard Kouchner l'Iran n'aurait-elle pas le droit, elle aussi, d'avoir et de maîtriser la technologie nucléaire civile ?
R - Personne ne dit qu'elle n'a pas le droit de la maîtriser et au contraire, nous proposons de l'aider. Nous l'avons proposé pendant des années et nous avons rencontré régulièrement les Iraniens.
J'ai, personnellement, rencontré près de 25 fois les Iraniens, ils ne veulent pas parler du seul problème important pour le monde, pour le Moyen-Orient et pour éviter une explosion, c'est-à-dire de l'usage qui serait éventuellement fait de cette technologie pour le nucléaire militaire.
S'agissant du nucléaire civil, bien sûr qu'ils ont le droit de le faire, s'ils respectent leurs engagements.
Q - Peut-on vous demander ?
R - Vous pouvez me demander mais vous pouvez aussi écouter ma réponse.
Q - Mais, bien sûr, c'est ce que nous faisons avec beaucoup d'attention. Si vous parliez plus souvent dans l'expression publique, nous n'aurions pas cette pression pour vous poser des questions.
R - Il y a beaucoup de personnes qui me reprochent de parler trop !
Q - Pas ces temps-ci Bernard Kouchner ! Vous avez fait dans la discrétion ! Etait-ce la période électorale, les élections régionales qui vous...
R - Je ne suis pas concerné par les élections régionales, je fais de la politique extérieure.
Q - Justement.
R - Un gouvernement de la France, ce n'est pas une ONG, il ne faut pas parler à tort et à travers, j'ai aussi compris cela.
Q - J'aimerais savoir si vous confirmez que le régime des Ayatollahs écrase les opposants en ce moment, emprisonne, viole et même pend sans contrôle, des étudiants, des intellectuels et même jusqu'à leur famille. Le confirmez-vous ?
R - Nous avons compris - tout le monde l'a compris, et non seulement la France - que c'est un mouvement profond et populaire. Probablement 60 à 80 % de la population ont dénoncé la suite des élections.
Q - Mais les violences continuent-elles aujourd'hui ?
R - Les violences continuent, il n'y a aucun doute. Mais les manifestations sont moins nombreuses, il faut aussi le constater, la répression a été féroce, évidemment nous l'avons dénoncée. Vous dites que je ne parle pas sur cette affaire, or j'en ai beaucoup parlé !
Q -Une question, peut-être en liaison avec ce que l'on évoquait (l'Iran, le Proche-Orient), un attentat à New York a été déjoué, une bombe aurait pu exploser dans le quartier très fréquenté de Times Square, cela veut-il dire que les terroristes continuent de vouloir frapper le symbole de l'Occident, l'Amérique et ses intérêts ?
R - Bien sûr, cela veut dire que les temps sont dangereux. Cela veut dire que cette menace terroriste peut nous frapper aussi, que tout le monde peut être frappé. Cela veut dire que le terrorisme, loin d'avoir cessé ses activités, le pratique avec beaucoup d'inventivité malsaine.
Q - C'est-à-dire que la politique étrangère de Barack Obama ne donne pas de résultat, si on lui répond à la main tendue par des menaces de bombe ?
R - Non, je crois que c'est l'instinct mortifère de ces terroristes qui est en cause et pas les formidables déclarations de Barack Obama. Vous faites allusion au discours du Caire. Oui, bien sûr c'était formidable, mais là il s'adressait au monde musulman. Ne confondons pas les terroristes et le monde musulman, cela n'a rien à voir. La politique de M. Obama était une politique de la main tendue, de l'ouverture, de la générosité. Nous l'avons salué et nous travaillons étroitement - lorsque c'est possible - avec les Américains mais pas seulement avec eux. Je pense que la politique extérieure de la France est très active maintenant. Hélas, en France, on ne s'en aperçoit pas beaucoup mais partout ailleurs on s'en aperçoit.
Q - On ne confond pas mais diriez-vous que tant que le conflit israélo-palestinien n'aura pas connu, ne serait ce, qu'une avancée importante, ces problèmes resteront et la menace continuera de peser sur le monde, que ce conflit-là est au centre, ou au sommet, au-dessus de toutes les menaces ?
R - C'est très important, vous avez raison. Je connais trop les hommes, j'ai vu trop de guerres. Par exemple, pour obtenir la résolution de ce conflit entre Israéliens et Palestiniens, suffirait-il d'arrêter ce que j'appellerai l'instinct mortifère ? Je ne le crois pas, c'est plus compliqué que cela. Pour régler le problème du Proche-Orient, il faut d'abord lever ce blocage qui existe aujourd'hui et favoriser les négociations indirectes, "proximity talks" comme les Américains les ont appelées. M. Mitchell, avec qui j'ai parlé hier soir, part aujourd'hui pour le Proche-Orient. Pendant deux jours il va parler avec les Israéliens, puis pendant deux jours avec les Palestiniens.
Q - Dialogue indirect.
R - Il s'agit d'un dialogue indirect qui débouchera, nous l'espérons- ce qui était déjà le cas avec le gouvernement de M. Olmert - sur un dialogue direct et sur des avancés que nous avions tous constatées. Cela fonctionnera-t-il ? Nous l'espérons tous fortement. La France le soutient-elle ? Bien entendu, comme l'Europe d'ailleurs.
Q - Elle peut faire quelque chose au-delà d'un simple soutien, elle peut faciliter, elle peut intervenir. Qu'est-ce qu'elle peut offrir ? Peut-elle obtenir le gel de la colonisation que le gouvernement Benjamin Netanyahou continue ?
R - Je crois, je crois, je crois que le gel de la colonisation à Jérusalem Est, des 1 600 nouvelles habitations, est obtenu pour un certain nombre de mois.
Q - Etes-vous toujours partisan, Bernard Kouchner, de deux Etats, et donc d'un Etat palestinien ? Et si Mahmoud Abbas finissait par en prendre l'initiative, c'est-à-dire l'initiative de la création d'un Etat palestinien, faudrait-il que la France reconnaisse tout de suite cet Etat palestinien ?
R - Oui, c'est mon avis personnel, mais c'est compliqué. Je pense que nous y viendrons mais pas tout de suite parce que les Palestiniens eux-mêmes souhaiteraient avoir des frontières reconnues et améliorées par rapport à ce qu'on leur propose aujourd'hui. Je ne souhaite pas que ce soit indispensable. Si ces pourparlers indirects débouchent sur des pourparlers directs ce serait bien mieux. Oui, un jour il faudra reconnaître l'Etat palestinien.
Q - Un jour, on le dit depuis longtemps.
R - On le dit depuis longtemps mais on fait tous des efforts ! Vous ne pouvez pas accuser la France de ne pas avoir fait ces efforts, la France est au premier rang. Le discours qui a été fait par le président de la République française à la Knesset et à Ramallah est le même. Il a dit très clairement : deux Etats pour deux peuples avec une seule capitale Jérusalem. Certes, il y a bien d'autres nécessités, comme échanger les territoires, etc. mais continuons d'essayer et de nous acharner.
Q - C'est un conflit important, dangereux qui dépasse de beaucoup, la dimension locale.
R - Qui le dépasse mais qui s'y enracine, les racines sont là, c'est vrai.
Q - Justement Shimon Peres, président israélien récemment à Paris lors de sa visite, a dénoncé la livraison de missiles au Hezbollah ainsi qu'à d'autres mouvements terroristes de la région. Les Français sont sur place, ils sont dans la région, ils observent. Y a-t-il, selon vous, des risques de nouveaux conflits comme il y a quatre ans qui se font jour ?
R - La situation au sujet de l'armement du Hezbollah est grave. Ils prétendent faire partie de l'armée libanaise que nous soutenons ainsi que l'Etat libanais qui abrite cette armée et qui l'a construite. C'est l'Etat libanais que nous soutenons ainsi que le président Sleiman et le Premier ministre Saad Hariri dans leur action. Il est vrai que la situation est dangereuse, il y a un surarmement en missiles à courte, moyenne voire longue portée, et cela nous préoccupe vivement.
Q - Et cela veut dire que ces armes continuent de passer par le Nord, par la Syrie, par la frontière nord du Liban ?
R - En tout cas, nous demandons aux Syriens de garantir la sécurité de cette frontière.
Q - C'est-à-dire que ce ne soit plus une passoire, mais elle continue à être une passoire.
R - Je n'ai pas dit qu'elle continuait à être une passoire parce qu'un certain nombre de choses ne sont pas prouvées. Vous m'avez demandé si c'était dangereux ? Oui c'est dangereux et cela renforce bien des extrémismes.
Q - Une question de Gilles Kepel sur la France et ses relations avec les pays arabo-musulmans. A propos de l'affaire de la burqa. Ne croyez-vous qu'il serait temps que les responsables français prennent l'avis de ceux qui ont une connaissance, une compétence sur cette question et se prononcent en connaissance de cause ?
R - Si c'est une offre d'emploi M. Kepel, nous qui nous voyons régulièrement, j'y répondrai volontiers !
Q - Sur le fond ?
R - Je vais vous répondre sur le fond car il s'agit là de cacher le visage. Ce n'est pas seulement un problème pour les musulmans, c'est aussi un problème pour les Français, pour la République française et pour bien d'autres gens. J'ai été, d'ailleurs avec Gilles Kepel, l'un de ceux qui doutait de l'efficacité des mesures contre le voile. Je m'en souviens Jean-Pierre Elkabbach, vous en avez parlé souvent, je n'étais pas sûr et cela a très bien marché. Il faut faire confiance aux Musulmans, il faut leur expliquer - Gilles Kepel a raison. D'ailleurs dans cette loi si elle est votée, je n'en connais pas le texte puisqu'il n'a pas encore été présenté, il y aura une période de pédagogie et d'explication.
Q - Six mois dit-on ?
R - J'ai entendu le président évoquer de six mois à deux ans, je ne sais pas ce qui sera choisi. C'est très important, les gens comprendront et je fais confiance parce que l'immense majorité des Musulmans de France ne souhaitent pas enfermer la femme. C'est aussi une question de dignité de la femme et j'y suis très sensible. Vous trouverez très peu de femmes, en dehors des "récentes converties" qui sont contre cette loi. Il faut discuter de la question de l'espace public ou des lieux publics. Je comprends bien et Gilles Kepel parlait du Maroc. Le Maroc comprendra, le Maroc comprend déjà, c'est un pays avancé, où l'islam n'est pas oppressif. Regardez ce que disent MM. Boubakeur ou Moussaoui en France, ils comprennent et je pense que quelque part - je pense sous ma responsabilité - ils sont peut être soulagés, du moins les femmes le sont. On ne peut pas prôner l'égalité, on ne peut pas avoir été, comme je l'ai été, au service des femmes le plus longtemps possible et puis s'apercevoir qu'on les met dans une prison de tissu. Il ne s'agit pas d'une affaire religieuse, il s'agit d'une affaire de dignité, de solidarité, de compréhension de la marche du monde.
Q - Vous savez qu'il y a des pays du Maghreb, comme la Tunisie par exemple qui n'acceptent pas le port du voile intégral dans certains domaines. Mais faut-il interdire totalement pour autant la burqa par une loi totale. Est-ce que cela ne peut pas être pris aux Etats-Unis, dans certains pays arabo-musulman comme un acte contre l'Islam ?
R - Je n'ai pas de secret avec vous, c'est ce que j'ai dit en quatre points au Conseil des ministres. C'est mon travail de ministre des Affaires étrangères de dire : "Voilà les obstacles que nous rencontrerons". Vous parlez des Etats-Unis, oui, c'était le premier exemple, ils tiennent à la liberté religieuse et il y aura beaucoup d'ONG voire de fondations américaines qui viendront nous démontrer notre erreur. Je crois qu'ils seront convaincus aussi que nous sommes pour la liberté religieuse. Il n'y a aucune prescription religieuse de se voiler le visage.
Q - C'était une mise en garde au Conseil des ministres ?
R - Ce n'était pas une mise en garde, c'est mon travail de faire cela.
Q - De dire quelles seront les conséquences diplomatiques ?
R - Attendez ! Je n'ai pas fini, il s'agissait des Etats-Unis, mais il y aura aussi des pays d'Europe qui vont protester. Je pense au Danemark, aux Pays-Bas par exemple qui vont soulever la question de la liberté religieuse, disant qu'ils ont déjà dû affronter ce problème. Dans un certain nombre de pays musulmans, par exemple au Pakistan, en Turquie nous serons critiqués. Il y a aussi des pays qui condamnent à mort les "aposta" c'est à dire ceux qui abjurent leur religion sont condamnés à mort, ceux-là protesteront. Et puis il y a un dernier pays, l'Arabie Saoudite qui dira : "chez vous, vous avez raison, vous avez le droit de faire ce que vous voulez mais chez moi, j'ai également le droit de faire ce que je veux et en particulier par exemple de ne pas laisser conduire les femmes".
Q - Quand vous avez fini de présenter toutes ces mesures et toutes ces réserves, cette photographie de ces réactions possibles, est-ce que vous, personnellement, Bernard Kouchner, vous êtes pour une loi interdisant totalement la burqa en France ?
R - Je suis pour la dignité de la femme, je suis pour être solidaire de ce combat. J'ai été très interrogatif sur cette loi. Je pensais que l'on pouvait faire la différence entre le lieu public et ce qui n'était pas les lieux publics. Je pense que c'est finalement un peu démagogique et pas possible. Je crois qu'il faut dire dans notre République française, qu'il y a des règles, que ces règles doivent être respectées. C'est ce qui s'est passé avec l'interdiction des signes religieux au lycée. Qui a-t-on arrangé avec les voiles aux lycées ? Les directeurs d'école. Il faut donner des règles. La République c'est de passer de la morale à la règle. Nous avons peut être besoin d'une loi, du moins, j'ai compris que pour la dignité de la femme, il fallait le faire. La dignité de la femme au sens des droits de l'Homme. C'est de cela qu'il s'agit.
Q - On dit que deux mots symbolisent Bernard Kouchner : absence et silence. Est-ce qu'il faut en rajouter un troisième : indifférence. Ce n'est pas direct, cela ?
R - C'est provocant, je reste impassible. On me reproche en général d'être trop présent, on me reproche de parler à tort et à travers. Vous, vous prenez le contre-pied, je vous félicite de votre courage. Ce n'est pas une question. "Indifférence". Je m'occupe tous les jours du sort du monde : quelle prétention ! Je fais ce que je peux pour que la politique étrangère de la France, décidée par le président de la République soit, à mon avis, équilibrée, dynamique et que tout le monde le reconnaisse. Je pense que vraiment nous faisons beaucoup de travail. S'il vous plaît, pas de caricature.
Q - Mais sur les grands problèmes intérieurs ?
R - Mais qu'est ce que c'est que les grands problèmes intérieurs ? Je suis chargé des affaires extérieures.
Q - Mais vous êtes membre d'un gouvernement !
R - Je suis solidaire de mon gouvernement. Que voulez-vous que je vous dise ? Sur le dossier des retraites, je pense que tout le monde s'en rend compte, il faut changer. Regardez par qui nous sommes entourés : l'Italie, l'Espagne, le Portugal, le Royaume-Uni, la Belgique et l'Allemagne. Quel est âge de la retraite dans ces pays ? Tous à 65 ans et allant même vers 67. La France au milieu dit qu'elle peut rester à 60 ans. C'est une question qui relève de l'intérieur ou de l'extérieur ? Juste un petit détail, en Italie, parce que l'on parlait des femmes, l'âge de la retraite pour les femmes est fixé entre 57 et 60 ans.
Q - Quand c'est le secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant qui va en Afrique, qui négocie à Damas, à Alger et dans d'autres capitales arabes, quand c'est Jean-David Levitte conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy, qui fait aussi de la politique étrangère, est ce normal ou n'empiètent-ils pas sur votre rôle ?
R - C'est normal sous la Ve République, cela a toujours été ainsi. Il y a toujours eu auprès du président de la République, une cellule diplomatique. Néanmoins, je vous assure que c'est la première fois sous la Ve République que Jean-David Levitte vient au Quai d'Orsay et que je vois Claude Guéant à l'Elysée toutes les semaines. Figurez-vous, cela ne s'est jamais fait, jamais ! Ne croyez donc pas qu'il s'agisse de politiques différentes.
Q - La diplomatie est moins parallèle qu'avant ?
R - Elle est beaucoup moins parallèle, je peux avoir des divergences avec eux. Heureusement que l'on se parle. D'ailleurs, je vais vous dire : c'est beaucoup plus facile de discuter avec le président de la République et avec ceux que j'ai cités : Jean-David Levitte et Claude Guéant, bien entendu. Nous discutons fermement, ouvertement, fraternellement, même avec le président de la République. Heureusement que l'on se parle, heureusement que nous ne sommes pas d'accord sur tout.
Q - Quand on vit dans un monde multipolaire, dans une Europe émiettée, quand les chefs d'Etat se rencontrent et se parlent si directement, quand on a un président comme Nicolas Sarkozy, comment peut-on être ministre des Affaires étrangères d'un pays comme la France ?
R - En pleurant, en souffrant, en se plaignant tous les jours !
Q - C'est ce que les autres imaginent...
R - Evidemment, cela a changé, évidemment les ambassadeurs ne sont plus à attendre la dépêche qu'ils apporteraient avec leur canne et leur chapeau, évidemment les chefs d'Etat se téléphonent, il y a des conférences téléphoniques, il y a des décisions prises en urgence. Heureusement, en cette période de crise, qu'il y a eu des dialogues entre les chefs d'Etat mais ce qui n'empêche pas qu'il y a eu des dialogues avec les ministres des Affaires étrangères et puis évidemment il y a aussi une concertation. Sur le long terme, il faut toujours travailler après que les décisions soient prises ou non.
Q - Un mot sur les retraites, si j'ai bien entendu, vous avez parlé des 65-67 ans, c'est à dire que vous ne seriez pas choqué si les 60 ans en France étaient d'une manière ou d'une autre assouplis ?
R - Non, je ne serai pas choqué. J'ai toujours écrit cela, à gauche comme à droite, et heureusement à gauche il y a des gens intelligents qui le comprennent.
Je n'ai pas dit qu'il fallait fixer - et surtout pas moi - l'âge de la retraite, il y a aussi d'autres facteurs comme la durée de cotisation, la pénibilité, que oui ou non, il y a des gens qui doivent prendre leur retraite avant. Cependant, nous ne pouvons pas rester à 60 ans alors que tout le monde, nos concurrents, nos amis, nos voisins sont à 65 ou 67 ans. C'est une évidence pour tout le monde parce que la durée de vie augmente - nous gagnons trois mois de durée de vie par an, nous en sommes pour les hommes à environ 78 - 79 ans et 83 ans pour les femmes. Alors il faut travailler un peu plus si les retraites par répartition, comme on dit, c'est à dire qu'en travaillant on prépare la retraite des autres doivent demeurer. Cela relève du bon sens. Vous l'avez compris, ne pensez pas que ce soit un grand drame, au contraire tout le monde l'a compris.
Q - A propos de gens intéressants à gauche que vous citiez à l'instant, si en 2012 vous vous trouviez face à la présidentielle, à Dominique Strauss-Kahn d'un côté, et Nicolas Sarkozy de l'autre, où irait votre coeur ?
R - Je vais tomber dans ce piège immense. Contentons-nous de la crise en Grèce, des problèmes du monde, du terrorisme, du Moyen-Orient...
Q - Cela va arriver très vite !
R - Quand cela arrivera, on fera une nouvelle émission, ainsi vous m'entendrez.
Q - Ce n'est pas une manière de fuir la réponse ?
R - C'est une manière de ne pas répondre.
Q - Vous n'avez jamais la nostalgie du PS ?
R - Mais comment la nostalgie ! Je les vois, je les connais. Ce sont mes amis. Je n'ai pas renoncé à être social-démocrate, au contraire d'ailleurs si j'avais renoncé, je n'aurais plus aucun intérêt.
Q - L'ouverture, cela a du bon ou est-ce une erreur politique ?
R - Le type vous dit : "Se casser une jambe c'était bien" ! Enfin voyons ! Je trouve que c'était une bonne idée, excellente et d'ailleurs cela se poursuit.
L'ouverture d'esprit c'est important. Pouvoir profiter d'un éclairage différent, et soi-même profiter de l'éclairage des autres, c'est un exercice qui serait dans tous les pays extrêmement profitable. Dans le monde et en Europe, quelles sont les positions de gauche ou de droite par rapport à la marche du monde, par rapport au terrorisme ? J'ai créé un pôle des religions au ministère des Affaires étrangères, moi qui suis laïc et athée !
Q - Vous voulez dire qu'il n'y a pas, en France, de politique étrangère de gauche ou de droite ?
R - Je crois qu'aujourd'hui il y a une politique de l'Occident, une globalisation, qui fait que l'on s'aperçoit que les autres travaillent autant sinon plus et mieux que nous, que le monde est divisé, que certains font des sacrifices par rapport à nous qui avons une protection sociale qui caractérisait l'Europe, comme la démocratie. Cette protection sociale n'est pas mise à mal, mais elle doit s'adapter. En Chine, les retraites et le système de santé bouleversent actuellement le tarif horaire et le coût du travail. C'est beaucoup plus important que la gauche et la droite. Dans les conflits internes, cela demeure, la différence est là. Il faut bien faire fonctionner la démocratie, pour cela il faut au moins deux partis.
Q - La France va-t-elle vendre un navire Mistral à la Russie ?
R - Cela n'est pas fait mais c'est probable, la discussion a lieu.
Q - Cela vous pose-t-il problème ? Je rappelle qu'un Mistral est un bateau de guerre qui peut accueillir 16 hélicoptères, quelques dizaines de chars et jusqu'à 900 hommes... C'est une décision française qui inquiète autant les Etats-Unis que les anciennes Républiques de l'ex-Union soviétique, notamment parce que l'on a entendu l'amiral, Vissotsky, chef d'état-major de la marine russe, expliquer qu'avec un Mistral il aurait gagné la guerre contre la Georgie en 40 minutes au lieu de 26 h.
R - C'est exact. Il a eu tort de parler ainsi. D'abord, ce n'est pas vrai. Ce bateau est vendu coque nue. Un certain nombre de pays européens étaient prêts et avaient déjà fait des offres, nous ne sommes pas les seuls. C'est une politique que nous avons choisie, ce n'est pas la vente d'un bateau Mistral armé. D'ailleurs, j'aurais fait une autre utilisation du Mistral : entrer dans le golfe de l'Irrawaddy, au moment où les Birmans mourraient. Faut-il considérer que la Russie évolue vers la démocratie sans rien négliger, ni les droits de l'Homme, ni les assassinats ? Le mouvement en cours est un mouvement démocratique et, pour les Russes, M. Medvedev représente une part de l'avenir. C'est ce pari politique que nous faisons.
Q - Des sénateurs américains protestent.
R - Cela prouve que nous ne sommes pas aux ordres des sénateurs américains !
Q - Ce serait la première fois depuis la guerre qu'un pays de l'OTAN vendrait du matériel militaire lourd à la Russie.
R - Et c'est la première fois depuis la guerre que la Russie n'est plus un pays communiste. C'est la première fois qu'il y a une révolution.
Q - Quand on entend votre vieil ami André Glucksmann protester contre cette décision, devant le désespoir des petits peuples qui entourent la Russie, on se dit que le Kouchner d'avant le Quai d'Orsay n'aurait pas approuvé cette vente.
R - On se dit aussi que le André Glucksmann d'avant doit évoluer un peu. Les petits pays n'ont pas peur. J'étais en Estonie pour le sommet de l'OTAN, nous en avons parlé et ils ont compris. Dans le ciel de l'Estonie, vous savez qui patrouillait ? Des avions français. Nous parions politiquement sur l'évolution positive de la Russie. Il faut parler avec nos voisins et établir un espace de sécurité commun.
Q - On a dit que récemment, nos deux confrères otages en Afghanistan étaient sur le point d'être relâchés et qu'au dernier moment, leurs geôliers Taliban ont changé d'avis. Qu'avez-vous comme nouvelles des deux confrères français actuellement détenus en Afghanistan ?
R - Hélas, je n'en ai aucun pour le moment, pas plus que nous n'en avions. Nous savons où ils se trouvent. Nous connaissons la région, nous ne connaissons pas la maison, ni le lieu précis. Nous travaillons nuit et jour avec le Centre de crise, avec nos services, avec les Américains.
Q - Et tous les moyens sont mis en oeuvre. L'ancien chef d'état major, le général Jean-Louis Georgelin, et Claude Guéant avaient estimé que l'on dépensait trop d'argent, que cette histoire cela coûtait beaucoup d'argent. Qu'en pensez-vous ?
R - J'aimerais que cela coûte beaucoup d'argent. C'est notre honneur de dépenser cet argent. Je voudrais dire un mot là-dessus. Il y a une réforme dont vous ne parlerez pas, parce qu'elle est très importante ! C'est la réforme culturelle. Je suis attaché à cette réforme culturelle du Quai d'Orsay, c'est-à-dire la possibilité d'avoir un institut qui rivaliserait avec l'Institut Cervantès, l'Institut Goethe, etc. Il y a un petit cavalier - on appelle cela un cavalier - et nous souhaitons que les voyagistes soient assurés, que les voyagistes et les voyageurs respectent les observations.
Q - Un projet de loi a déjà été adopté au Sénat, qui va aller à l'Assemblée, qui pourrait demander le remboursement des dépenses engagées pour secourir des Français à l'étranger.
R - Oui, dans des conditions d'assurance particulières. Nous avons exclu les journalistes et les humanitaires.
Q - Ils sont bien exclus ?
R - Complètement exclus. Le journalisme sans risques, je n'y crois pas.
Q - L'humanitaire non plus. Mais il n'y a pas de risque inconsidéré. Il faut choisir ses risques.
R - Bien sûr, il y a des risques inconsidérés, entraînant d'importantes dépenses pour ramener nos compatriotes chez nous. Oui, c'est notre honneur, c'est leur métier. C'est parfois incompatible.
Q - Il y a encore des exemples.
R - Oui, il y a encore des exemples. Il y a un homme qui a été enlevé au Niger, dont nous n'avons pas de nouvelles. Son chauffeur algérien a été relâché, mais ils ont été séparés très vite. Il n'y a pas de revendication, et nous n'avons pas plus de nouvelles.
Il y en a tous les jours, mais vous savez le Centre de crise, composé de cinquante personnes - encore une réforme du Quai d'Orsay - travaille nuit et jour. C'est une machine. Allez voir comme ce monde est dangereux, allez voir comment nous intervenons. Nous souhaitons que les gens respectent les règles de prudence. Mais un monde qui ne serait fait que de prudence, à mon avis, cela n'existe pas. C'est la raison pour laquelle j'ai parlé du Moyen-Orient avec d'autres risques, parce qu'il y a aussi l'appétit des hommes, l'appétit de domination, la violence. Qu'est-ce que c'est que la politique, sinon la canalisation des violences ?
Q - C'est justement aujourd'hui, Bernard Kouchner, la journée mondiale de la liberté de la presse. Très vite, un journaliste va vous interpeller, vous le connaissez, c'est Taoufik Ben Brik, il a été libéré il y a quelques jours, par le régime tunisien, après six mois de détention. Vous aviez dénoncé son arrestation, vous aviez salué sa libération, mais il voudrait vous interpeller à propos d'autres propos que vous avez tenus il y a quinze jours.
Monsieur Kouchner, le 15 avril, quand même vous êtes allé trop loin en disant que la Tunisie a fait des progrès en matière de droits de l'Homme. Ben Ali les a bien cachés. Tout le monde le sait, ce n'est pas une question. C'est le désert. Personne ne détient un pouvoir absolu comme le détient Ben Ali.
R - C'est gentil qu'il ne me remercie pas. Demandons aux femmes tunisiennes, par exemple. Je crois que cette évolution, par rapport à ce que nous avons dit est tout à fait positive. Je ne me fais aucune illusion, Monsieur. Je crois que les Tunisiens ont bien fait de vous libérer. J'avais manifesté mon soutien au moment où ils vous avaient arrêté, ne l'oubliez pas non plus M. Ben Brik.
Q - Allez-vous aller à Haïti ou y retourner, parce que l'on dit que vous n'y êtes pas allés ?
R - Comment ? J'y suis allé trois fois! On ne va pas y aller tous les jours pour se montrer devant les caméras. Ce n'est pas cela qu'il faut. Nous avons consacré 326 millions d'euros pour aider Haïti. Il y a un groupe en permanence chez nous, dirigé par Pierre Duquesne, un certain nombre de gens, qui sous la direction de l'ensemble du comité interministériel a proposé ce plan. Nous avons été décisifs dans les choix à long terme d'Haïti. Il y a un problème qui demeure à Haïti et je voudrais, avec beaucoup de précautions et de mesure, en parler. Il faut que les gens qui veulent adopter un enfant, le fassent dans des conditions internationalement reconnues.
Q - Cela veut dire ?
R - Cela veut dire que Haïti n'a pas signé la Convention de La Haye qui organise tout cela.
Q - Cela veut dire que la moitié des enfants adoptés le sont malgré tous les contrôles, alors qu'ils ne sont pas orphelins. C'est cela ?
R - Ils ne sont pas orphelins. Nous avons une sorte de sas, une manière d'accueillir les enfants en Guadeloupe, qui fonctionne très bien. Mais il ne faut pas se précipiter, il faut savoir que tous les enfants haïtiens doivent être aidés. Quant au plan, nous sommes très fiers de l'avoir fait. Je ne peux pas y être tout le temps.
Q - Merci Bernard Kouchner.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 mai 2010