Interview de M. Éric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, à RTL le 26 avril 2010, sur la nationalité française, la polygamie et le projet d'interdiction du port du voile intégral.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie.- Parlons d'abord des faits. Pouvez vous nous dire, trois jours après avoir été saisi du dossier par le ministre de l'Intérieur, B. Hortefeux, si L. Hebbadj, né en Algérie, naturalisé français en 1999, est ou non polygame et fraude ou non les allocations familiales ?
 
Je ne peux pas le dire et surtout je ne m'aventurerai pas sur ce terrain, ce n'est pas la question qui m'est posée. Moi, la question que me pose mon collègue, B. Hortefeux, c'est celle d'une éventuelle déchéance. Sur les faits eux mêmes il a demandé au préfet de saisir le procureur. Il a, j'imagine, un dossier qui lui permet d'étayer le soupçon qui pèse sur cette personne. A la justice d'établir les faits, à la justice éventuellement de le condamner. C'est le préalable bien évidemment.
 
Mais 3 jours après, vous, ministre de la République, sur les faits, vous ne pouvez pas...
 
Ministre de la République qui n'est ni ministre de l'Intérieur ni ministre de la Justice. La question qui m'est posée c'est éventuellement celle de la nationalité qui relève de mon champ ministériel.
 
Alors, on va y venir. On a tout de même noté que samedi, J.- M. Ayrault, député maire de Nantes, la ville ou en tout cas l'agglomération où habite la personne concernée, a dit ceci - il l'a dit samedi J.-M. Ayrault - : "La situation de cet homme est connu depuis un bon moment par les services de l'Etat et la caisse d'allocations familiales. Pourquoi rien a été fait, pourquoi feint-on aujourd'hui de découvrir la situation ?"
 
J.-M. Ayrault ferait mieux de se prononcer sur le fond, que sur les procédures et les enquêtes. Pourquoi, cela a été mis sur la place publique ? Cela a été dit il y a un instant par F.-O. Giesbert. Parce qu'à partir d'une contravention, que la personne pouvait éventuellement contester, même si à mon avis le policier, a bon droit, lui a donné cette contravention. La personne et son compagnon, ou son mari, ont choisi de faire une conférence de presse. Quand vous faites une conférence de presse et que vous vous affichez, il y a des chances qu'on regarde votre environnement. Et donc le ministre de l'Intérieur a eu accès à un dossier qui montrait qu'il y avait soupçon, suspiscion de polygamie d'une part, de fraude aux prestations sociales d'autre part.
 
Mais s'il apparaissait que les pouvoirs publics étaient au courant depuis longtemps de la situation de cet homme, qui a fait l'objet visiblement d'une surveillance policière parce qu'il allait à Londres, il a été au Pakistan. Son radicalisme religieux l'a mis depuis longtemps dans le collimateur des autorités. S'il s'avérait que les services de l'Etat connaissaient depuis longtemps sa situation et que c'est dans la circonstance du débat sur le voile intégral...
 
Peut-être, l'enquête le montrera. Comme je sais que votre émission est beaucoup trop courte pour prendre beaucoup de plaisir, j'aimerais beaucoup, si vous le voulez bien, venir aux questions de fond plutôt que sur l'enquête elle même, dont je ne sais rien, et qui relève de la justice. Moi, la question qui m'est posée par mes collégues, c'est de dire : est ce que si la justice le condamne pour polygamie, d'une part, fraude aux prestations sociales d'autres part, est-ce que l'on peut et est-ce que l'on doit prononcer la déchéance de la nationalité française ? C'est à dire lui retirer la nationalité française qu'il a acquise par le mariage.
 
Alors, c'est une bonne question. et la presse ce matin répond "non", puisque l'article 25 du code civil ne le permet pas pour polygamie.
 
C'est controversé juridiquement et moi je serais moins catégorique que la presse. D'abord, je pense que politiquement, B. Hortefeux a raison. Une personne, au-delà de cette personne, une personne qui frauderait dans ces conditions, je crois, effectivement, mériterait d'être déchue de la nationalité française, si elle a acquis la nationalité française par le mariage. Juridiquement, aujourd'hui, est-ce possible sur la base de l'article 25 du code civil ? C'est très controversé. J'ai rencontré hier des experts, certains m'ont dit oui, d'autres m'ont dit non, etc.
 
Beaucoup disent non. La plupart.
 
Oui, certains disent non, vous avez raison. Mais peu importe, politiquement ça veut dire que si nous nous considérons, si le peuple français considère qu'on ne peut pas frauder dans ces conditions - polygamie, prestations sociales -, et bien à ce moment-là, sous l'arbitrage du président de la République et du Premier ministre, parce que c'est un sujet sensible, on pourrait très bien concevoir une évolution législative. En clair, il y a un certain nombre de textes, dont celui que j'ai proposé au Conseil des ministres, qui a été adopté au Conseil des ministres il y a quelques semaines, qui pourrait servir de véhicule pour une adaptation législative.
 
Vous voulez modifier la loi sur la nationalité ?
 
On pourrait. Le conditionnnel est de rigueur. Il y a un arbitrage qui ne dépend pas de moi, je viens de le dire, mais du Président et du Premier ministre. Mais à condition de faire très attention. F.-O. Giesbert a raison, nous ne sommes pas en train d'instruire le procès de l'Islam. L'islam a droit de citer en France. C'est la deuxième religion de France et on ne peut pas dire que parce que nous stigmatisons des dérives de l'islam, parce que ça n'a rien à voir avec l'islam, qu'on s'en prendrait ou qu'on voudrait stigmatiser des musulmans. Je crois très sincèrement que ce sont deux sujets distincts, exactement comme la prohibition du voile intégral par la loi est un sujet disjoint, déconnecté de la question qui est posée ce matin.
 
Il faudra l'expliquer à la communauté musulmane que vous ne stigmatisez pas l'islam, parce que tous les reportages que l'on entend sur RTL, ou ailleurs, ou que l'on lit, montrent des musulmans très déstabilisés, à la fois par la volonté de légiférer sur le voile intégral, et à la fois bien sûr par cette affaire. Beaucoup disent que c'est l'islam qu'on attaque. Beaucoup le disent.
 
Eh bien moi je suis bien plus optimiste que les quelques reportages que j'ai pu entendre. Je crois que les musulmans de France font partie de ceux qui en Europe sont les mieux intégrés, les plus respectueux des valeurs de la République, y compris celle qui nous est particulière de la laïcité, d'une part. Et j'ai été frappé dans les auditions à l'Assemblée nationale, celles que j'ai menées, les rencontres que j'ai pu faire, par le nombre de musulmans et surtout de musulmanes qui nous disent " ce n'est pas un précepte religieux, interdisez-le". Et je dis aussi que dans le monde arabo-musulman, beaucoup de femmes, beaucoup de musulmanes, disent "la France, terre des droits de l'homme, terre de l'égalité hommes-femmes, terre de laïcité, doit interdire le voile intégral. Nous avons besoin de l'interdiction en France pour mener le combat, nous, dans nos pays". A condition, encore une fois, de bien distinguer l'islam du voile intégral. Ce sont deux sujets disjoints.
 
Les mosquées de Nantes dénoncent une stigmatisation. Les musulmans nantais s'inquiètent de cette stigmatisation systématique de l'islam qui va à l'encontre des valeurs de la République et ils invitent les pouvoirs publics à prendre leurs responsabilités. Le climat est quand même aussi mauvais que le disent les reportages.
 
Moi je ne le crois pas, qu'il y ait de telles déclarations. Je pourrais vous en donner beaucoup d'autres qui vont dans le sens inverse. Mais on est quand même sur un sujet majeur. Est-ce que, oui ou non, nous considérons que le voile intégral est attentatoire aux droits de la femme, à la dignité de la femme ? Si oui, il faut bien trouver une solution. J'entends la position du Parti socialiste : ni burqa ni loi. C'est bien gentil le ni-ni permanent, mais on fait quoi si par la pédagogie on n'y arrive pas, on est bien obligé de passer par la loi pour interdire.
 
Je voudrais vous soumettre une dernière réflexion entendue hier soir dans un journal télévisé : communauté musulmane de Marseille , une femme sur un marché : si on déchoit de sa nationalité quelqu'un qui est polygame, est-ce qu'on déchoira de la même manière de la nationalité quelqu'un qui a tué quelqu'un d'autre ?
 
La question ne se pose absolument pas en ces termes. La France a déjà renoncé à la peine de mort, c'est même dans notre Constitution...
 
Déchoir de sa nationalité un assassin...
 
Ah, "déchoir de sa nationalité un assassin" ! Non, non, non, on n'est pas sur ce terrain-là.
 
C'est une manière de dire que vous n'êtes pas dans un engrenage que peut-être vous ne maitriserez pas E. Bessson ?
 
Mais là, il y a la polygamie. Mais vous savez, le cas n'est pas totalement nouveau. On a déjà eu des cas pour l'excision. La question qui est posée : est-ce que l'atteinte fondamentale aux valeurs de la République, à ce qui fait notre communauté nationale, mérite débat ? Moi je vous dis que oui.
 
A quel moment saura-t-on si cet homme est polygame ou pas, s'il fraude ou pas les allocations ?
 
Je ne sais pas. Je ne maitrise pas les enquêtes et encore moins la justice.
 
Vous dites merci à B. Hortefeux pour vous avoir passé le dossier ?
 
Il a eu raison, je suis concerné. Et deuxièmement, c'est un sujet sensible. La preuve, vous m'invitez pour en parler.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 mai 2010