Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec RTL le 6 mai 2010, sur la crise et le plan de sauvetage européen pour la Grèce et ses conséquences sur l'euro et le fonctionnement de l'Union européenne.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Bonjour Bernard Kouchner.
R - Bonjour.
Q - "Nous sommes au bord du gouffre", voilà ce qu'a dit hier soir le président de la République grecque après la grève générale dont le déroulement a entraîné la mort de trois personnes à Athènes. Partagez-vous ce sentiment, Bernard Kouchner, la Grèce est-elle au bord du gouffre?
R - La Grèce va mal mais la Grèce va se redresser et nous allons l'y aider. Je voudrais d'abord saluer le courage de Georges Papandréou, notamment son attitude face à la difficulté et le courage du peuple grec. Ne croyez pas que ce qui s'est passé hier, ces violences terribles, ces trois personnes mortes asphyxiées dans une banque que quelques manifestants ont incendiée, représentent la Grèce, au contraire. Je crois, au soutien de Georges Papandréou dont, encore une fois, j'admire l'autorité et le courage.
Q - Vous dites que la Grèce va se redresser, mais beaucoup d'économistes, d'observateurs pensent que le plan de rigueur qui lui est imposé est beaucoup trop violent et que loin de se redresser, elle pourrait plier le genou.
R - Les économistes sont les critiques et non pas les payeurs. Les économistes ne sont jamais contents. Il faudrait peut-être un peu moins les écouter et davantage écouter le bon sens, la politique et les populations.
Q - Le bon sens suggère que la purge qui est imposée à la Grèce - elle est en partie responsable - ne l'aidera pas à se relever, à rembourser ses dettes, mais l'empêchera plutôt de le faire ?
R - Je crois le contraire, je crois que c'est une exigence. Tout d'abord, il nous faut, nous les Français, les Européens, aider la Grèce. Il y va non seulement du sort de ce pays que nous aimons, mais du sort de notre monnaie commune. C'est notre monnaie, notre niveau de vie que nous défendons. C'est en aidant la Grèce et en n'autorisant plus - par des réformes indispensables - que les dérives soient à ce point dommageables, que nous allons pouvoir poursuivre ce rêve européen.
Q - Beaucoup de voix, là aussi s'élèvent pour dire qu'il serait plus sage que la Grèce quitte l'euro pour ne pas entraîner tout le monde dans une éventuelle chute ?
R - Cette huile-là se jette sur le feu déjà important, le feu déclenché par les émeutiers. Que voulez-vous dire ? Est-ce qu'il faudrait arrêter l'Europe ? Voyons, vous n'y songez pas !
Q - Est-il envisageable que la Grèce quitte la zone euro ?
R - Qu'elle reprenne la drachme ?
Q - Par exemple oui. Ce serait envisageable ?
R - Je crois que ce serait tout d'abord une grosse erreur de leur part. Ensuite sur le plan européen, ce ne serait pas supportable. La population grecque souffrirait beaucoup plus encore qu'elle ne souffre aujourd'hui - et je sais qu'elle souffre. Je pense qu'il est plus simple de se réunir à Bruxelles pour décider d'un plan de rigueur que de l'appliquer aux retraités, à ceux qui vont voir supprimer leur 13ème, 14ème mois, à ceux qui prenaient leur retraite à 57 ans alors que le monde entier se met à travailler plus. Tout cela n'était pas sérieux et c'est d'ailleurs pour cela qu'un récent Premier ministre grec avait voulu démissionner, voyant la réalité lui sauter à la gorge.
Non, je crois que ce serait pire. Il ne faut pas affaiblir l'Europe.
Q - Cette crise nous permet de regarder le fonctionnement de l'Europe et de noter tout ce qui ne va pas. Le plan a été tardif...
R - Le plan de sauvetage ?
Q - Oui, le plan de sauvetage et Angela Merkel, la chancelière allemande semble avoir une lourde part de responsabilité dans le déclenchement de ce plan.
R - Le plan a tout de même été accepté, notamment sous l'impulsion de la France...
Q - Pourquoi a-t-elle été plus tardive ?
R - Parce qu'elle a une coalition difficile, des élections qui se présentent demain et puis qu'il fallait convaincre !
Q - Vous convenez que cela a aggravé la crise ou du moins rend sa résolution plus difficile ?
R - Mais elle n'était pas seule. Les seuls qui n'ont pas aggravé la crise sont les Français qui ont commencé à exiger un plan de rigueur et surtout une aide pour la Grèce dès le début du mois de février. La France et l'Allemagne sont à ce point de stabilité que ce sont les deux pays à qui l'on continue à prêter volontiers mais surtout qui prouvent et qui ont prouvé que leur économie est saine. Quand vous dites aux Allemands qu'ils vont prendre leur retraite à 67 ans, qu'il faut payer pour ceux qui la prenaient à 57, je comprends qu'ils hésitent un petit peu.
Cela aurait pu être un peu plus rapide mais ce n'était pas seulement à cause de l'Allemagne. Il fallait aussi changer certains critères. Vous savez dans cette zone euro, les seize pays membres ne pouvaient pas s'aider les uns les autres parce qu'il y avait des critères qui avaient été acceptés et qui portaient notamment sur l'équilibre budgétaire. Tout cela devait se modifier et se modifiera de façon beaucoup plus automatique et saine, je le crois. Nous avons été surpris, peut-être nous aurions du nous méfier beaucoup plus.
Q - Tous les responsables politiques français disent : "nous ne risquons pas la contagion".
R - Ils ont raison. Nous ne risquons pas la contagion. Je vous le dis, nous sommes les mieux notés, notre signature économique...
Q - La note va et vient visiblement ?
R - Non, ce n'est pas un va-et-vient. C'est AAA, on ne peut pas faire mieux !
Q - Un jour, on est AA !
R - Un jour peut-être. Il faut conduire la politique que nous conduisons maintenant, il ne faut pas commencer à dire que l'on n'a pas besoin de réformer nos retraites par exemple.
Q - C'est ce que le Premier ministre a dit hier : "il faut baisser la dépense publique". Il faut employer le mot qui fâche ou pas ?
R - Le mot qui fâche ?
Q - La rigueur, on y est ?
R - Il ne s'agit pas de rigueur. Ce n'est pas un plan de rigueur qui est en train de se dérouler, c'est une rigueur intellectuelle, c'est la rigueur du courage et de l'élémentaire aide. Je crois qu'il n'y a rien d'autre à faire.
Ensuite, il faut s'interroger et nous nous interrogeons sur les réformes nécessaires. Mais franchement, allons-nous abandonner les Grecs ? Pour la première fois en France, la majorité et l'opposition votent ensemble. Il y a une vraie acceptation de ces sacrifices que l'on fait pour les autres, et en même temps nous les faisons pour nous, pour conserver notre niveau de vie.
Q - J'aimerais évoquer avec vous l'affaire Polanski. Nous avons tous pris connaissance d'une lettre de Roman Polanski que Libération a publié : "Je ne peux plus me taire". Confirmez-vous qu'à la mi-avril quand il a été aux Etats-Unis, le président Sarkozy a transmis au président Obama une lettre de Roman Polanski ?
R - Je n'ai rien à confirmer du tout et pourtant j'y étais.
Q - Vous le confirmez ou pas ?
R - Non.
Q - Mais la lettre existe.
R - Je ne sais pas. Vous savez, nous avons essayé depuis longtemps d'expliquer à nos amis américains que Roman Polanski ce n'était pas n'importe qui pour nous, que nous étions touchés, bouleversés...
Q - Vous essayez d'éviter son extradition aux Etats-Unis ?
R - C'est aux Suisses de le faire.
Q - Et la diplomatie française tente d'éviter l'extradition ?
R - La diplomatie française l'a tenté à maintes reprises. C'est maintenant aux Suisses de se prononcer et la déclaration de M. Polanski que l'on a récemment lu voulait dire : "on m'a menti, un autre juge m'a menti aux Etats-Unis" et c'est là-dessus qu'il avait fondé toute sa conduite.
Q - 69 % des Français sont déçus de l'action de Nicolas Sarkozy, en faites vous partie Bernard Kouchner ?
R - Non, je n'en fais pas partie. Je vous dis que les mesures que nous avons prises, toutes les mesures que le président de la République a prises, vont dans le sens du maintien non seulement de notre rang en Europe, de la possibilité d'aider la Grèce mais de l'avenir. Si maintenant, puisqu'il s'agissait de retraite, nous ne les aménagions pas tous ensemble alors nous serions sur le chemin de la Grèce.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 mai 2010