Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la réalisation et les nouveaux enjeux des Objectifs du millénaire pour le développement, Paris le 19 mai 2010.

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Circonstance : Clôture du colloque "En route vers le Sommet des Objectifs du Millénaire pour le développement" à Paris le 19 mai 2010

Texte intégral

Monsieur le Ministre, Mon Cher Charles
Monsieur le Sénateur,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Je suis admiratif de votre travail, j'ai vu le programme. Je trouve que les sujets abordés et les propositions, que je ne connais pas encore, me réjouissent d'avance. Il faut que nous travaillions ensemble, avec vous, élus, représentants des institutions internationales, des organisations non gouvernementales des entreprises, des syndicats, universitaires et journalistes. Merci de votre participation, de votre engagement, de votre conviction, de votre expertise : le chemin qui conduit au Sommet des Objectifs du Millénaire à New York, dans quelques mois, sera un chemin collectif ou ne sera pas.
Les combats pour les grandes causes présentent une difficulté particulière : les objectifs doivent se transformer en horizon. Plus on avance, et plus on a le sentiment que cet horizon recule. Le danger des Objectifs du Millénaire pour le Développement est exactement celui-là : ils font désormais partie du paysage. Ils ne doivent pas devenir une habitude ! Voulons-nous être condamnés à parler indéfiniment des "objectifs" du millénaire ? ou bien voulons-nous avoir la fierté de parler bientôt des "réalisations" du millénaire ? Le choix nous appartient.
Vous avez procédé à une première analyse des facteurs de succès et d'échec dans la réalisation des objectifs. Vous avez débattu de la meilleure manière de nous attaquer aux nouveaux enjeux. Vous avez également proposé des messages qui devront être portés à New York. J'attends avec beaucoup d'intérêt le compte rendu de vos échanges.
Je voudrais vous faire part de quelques remarques concernant le bilan des dix dernières années, le changement de contexte et les lignes directrices de notre action.
Depuis le sommet du Millénaire nous avons enregistré des succès.
L'objectif de scolarisation primaire pour tous est atteint à 88 %. La progression en Afrique subsaharienne est particulièrement nette : + 15 % entre 2000 et 2007.
Le nombre de décès d'enfants de moins de 5 ans est passé de 13 millions à 9 millions par an, mais c'est encore énorme. La lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme a également permis des évolutions encourageantes, et notre pays n'y a pas été pour rien.
Mais enfin, tout de même : la crise alimentaire de 2007-2008 -, puis la crise économique et financière ont provoqué une augmentation du nombre de personnes touchées par la faim. 800 millions en 2006. Aujourd'hui : plus d'un milliard.
Les évolutions démographiques et climatiques nous obligent à augmenter la production agricole de 70 % d'ici 2050 pour nourrir les 9 milliards d'habitants que comptera alors la planète. L'accès aux infrastructures d'assainissement reste très en retard. La santé maternelle aussi. Et je n'oublie pas l'inégalité permanente entre les hommes et les femmes.
Les inégalités de développement sont dangereuses. Elles ne sont pas seulement inacceptables. Elles sont perçues, de plus en plus, comme étant inacceptables. A l'injustice s'ajoute le sentiment d'injustice : la conjonction reste explosive.
Bien sûr il est coûteux d'agir. Mais il est encore plus coûteux de ne rien faire. Le coût de l'inaction est - de très loin - supérieur au coût de la prévention. Il n'est pas seulement question de notre solidarité, de notre devoir moral, de notre humanité ; il est question d'agir de façon raisonnable.
Le bilan des Objectifs du Millénaire donne des raisons d'y croire. Les objectifs les plus ambitieux peuvent être atteints, quand on obtient la conjonction de trois facteurs : l'engagement des autorités locales, la mobilisation sans faille de la communauté internationale, et l'association pleine et entière de la société civile et particulièrement des collectivités locales.
Le premier message que la France porte, en vue du Sommet de New York, est celui-ci : les objectifs ne sont pas hors de portée, et en tout cas rien ne nous fera fléchir !
L'engagement est intact. Mais le contexte a changé. Ne nous masquons pas la réalité des sentiments, justes ou injustes. On ne peut pas faire comme s'il ne s'était rien passé depuis l'an 2000.
En premier lieu, il y a la crise économique. Les pays développés se retrouvent soumis à une contrainte budgétaire beaucoup plus forte. Malgré ce contexte difficile, la France a maintenu son effort : en 2009 elle était le deuxième bailleur mondial en volume, avec 8, 92 milliards d'euros. Elle était aussi le deuxième bailleur en termes d'augmentation de son aide publique nette. Je sais que sur les chiffres vous aurez des interprétations peut-être un peu différentes.
La crise a provoqué une contraction de l'activité économique, une réduction de la demande mondiale, une diminution des investissements qui ont fini par peser sur les pays en développement.
Certes, certains pays pauvres, quand ils en avaient les moyens, ont pu maintenir des politiques performantes et donc minimiser les conséquences sociales du ralentissement économique. C'est une avancée positive.
Mais la crise a surtout mis en évidence l'utilité des filets de protection sociale et des interventions ciblées en faveur des plus vulnérables. Cette préoccupation doit être au coeur des politiques publiques et des programmes de développement.
Nous avons absolument besoin de politiques de redistribution, et d'actions ciblées pour améliorer les revenus des groupes les plus vulnérables. Les Objectifs du Millénaire ne seront pas atteints sans un meilleur équilibre entre les besoins sociaux et les besoins économiques.
En second lieu, le monde n'est plus simplement partagé entre pays développés et pays en développement. Il faut compter avec les pays émergents. Le dynamisme de leurs économies leur a permis d'avancer, chez eux, sur le chemin des Objectifs. Il a aussi des conséquences importantes - et positives - sur leurs voisins plus pauvres. Ce doit être un moteur et un atout pour la réalisation des Objectifs du Millénaire.
En troisième lieu, nous savons que la lutte contre le changement climatique, la préservation de la biodiversité, la protection de l'environnement sont les conditions d'un développement durable. Le développement ne dépend pas seulement des infrastructures. Il ne dépend pas seulement du capital humain - les services sociaux, la santé, l'éducation. Il ne dépend pas seulement du capital social - gouvernance démocratique, institutions, droits et normes. Il dépend aussi du capital naturel.
Mesdames et Messieurs, dans ce nouveau contexte, quelles sont les lignes directrices de notre action ?
D'abord, je crois qu'il faut replacer l'aide au développement dans une perspective d'ensemble. Le développement repose sur trois piliers indissociables : une croissance équilibrée, ce qui suppose notamment un soutien accru au secteur privé ; la lutte contre la pauvreté ; et la préservation des biens publics mondiaux. Si l'on néglige un de ces trois piliers, c'est l'ensemble du processus qui prend du retard.
Pour parvenir à cet objectif, il faut continuer de lutter contre la fragilité et l'instabilité des Etats, et contre les défauts de gouvernance. Même si les conflits ont été moins fréquents - ce qui est exact ce sont toujours les obstacles les plus sérieux dans le rattrapage des pays en développement et la diminution de l'extrême pauvreté. Le développement est aussi une question politique. Quand on travaille à la résolution des crises politiques, on travaille aussi pour le développement économique !
Les responsabilités sont partagées, et toutes les énergies sont nécessaires. Tout ne repose pas sur les bailleurs. La responsabilité première incombe aux pays en développement eux-mêmes, dont la communauté internationale doit encourager les efforts. Il faut aussi mobiliser efficacement les ressources privées, qui dépassent largement le montant de l'aide publique au développement.
A cet égard, vous me permettrez de dire un mot d'un sujet qui me tient particulièrement à coeur : les financements innovants. Ils concrétiseront l'engagement de tous en faveur des plus pauvres. Ils s'appuient sur les secteurs qui profitent le plus de la mondialisation : le transport aérien, les transactions financières surtout. Ils permettent de dégager des ressources qui viennent non pas supprimer, non pas réduire, mais s'ajouter à l'aide publique et de loin la dépasser, et ils ont le double avantage d'être plus stables et plus prévisibles. Alors qu'est-ce qui nous arrête ? Il y a presque un an - 25 ans pour ce qui me concerne -, nous avons relancé le débat. Depuis, l'idée a fait un chemin considérable et nous avons rendez-vous à New York en septembre ! Nous attendons le rapport des experts avant la fin du mois de mai. 53 pays sont avec nous. Ce que la France a proposé, c'est une taxe sur toutes les transactions de 0,005 %. Sur 1000 euros, je demande 5 centimes ; cela ne devrait pas trop se voir. Qu'est-ce que l'on attend ? Tout le monde semble d'accord. Quant aux experts qui se rencontrent tous les mois, j'attends leur rapport, Vous pouvez me dire que l'on peut doubler et passer à 10 centimes. Bien sûr, mais faisons d'abord avec 5 centimes ; ce qui fera entre 40 et 60 milliards d'euros par an. Je voulais simplement vous rappeler l'importance de trouver un accord international et cela ne peut se faire qu'au moment de l'Assemblée générale des Nations unies. Je saisis cette occasion pour rendre hommage à Philippe Douste-Blazy et à la taxe sur les billets d'avion ainsi qu'à toutes les innovations, toutes les transactions que l'on dit "mobilières".
Voilà les grandes lignes. Rien de tout cela n'est dogmatique et figé. La préparation de la position française est en cours et votre apport, Mesdames et Messieurs, sera essentiel.
Le Secrétaire général des Nations unies a souhaité ne pas limiter les engagements aux seuls gouvernements, il a eu raison. Les séances d'audition avec la société civile, les 14 et 15 juin, et le Sommet du Pacte Mondial sont des moments importants de la préparation du Sommet de New York. Pour nous aussi, pour la préparation de notre position nationale, vos idées, vos plaidoyers, votre expertise sont indispensables.
Qu'attendons-nous du Sommet de New York ? Nous attendons que toutes les parties prenantes réaffirment solennellement leur engagement. Nous attendons une analyse lucide des dix années passées, capable d'éclairer le chemin des cinq années qui restent. Nous attendons une impulsion nouvelle en faveur des nouvelles modalités de financement, en particulier de celles dont je viens de parler et que j'ai déjà présentées à l'ONU, à New York l'année dernière.
Nous attendons que la diversité des situations locales soit mieux prise en compte : tous les pays en développement ne partaient pas en 2000 sur la même ligne. Ils font face à des situations très contrastées et ne peuvent donc pas atteindre les objectifs au même moment. Il vaut mieux apprécier et valoriser les chemins parcourus, Je veux remercier tout particulièrement les co-organisateurs de cette journée : les équipes du ministère, l'Institut du Développement durable et des Relations internationales (IDDRI), la Fondation pour les Etudes et Recherches sur le Développement international (FERDI) ainsi que l'Agence française de Développement (AFD).
La réunion de vos efforts me fait penser à une phrase de Marc Bloch qui pourrait être notre devise : "L'avenir est en marche par l'union jamais lasse de ceux qui ont l'audace d'y croire".
Je vous remercie et vous laisse poursuivre vos travaux en écoutant Charles Josselin, qui parlera de l'importance de la gouvernance locale.
Merci.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mai 2010