Déclaration de M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire, sur la prise en compte de la coopération transfrontalière dans la politique d'aménagement du territoire, à Paris le 2 juin 2010.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Michel Mercier - Ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire

Circonstance : Séminaire de la Mission opérationnelle transfrontalière (MOT), à Paris le 2 juin 2010

Texte intégral

Monsieur le président de la Mission Opérationnelle Transfrontalière, (Michel Delebarre)
Monsieur le vice président, (Joël Giraud)
Mesdames et messieurs les parlementaires
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le représentant de la Commission européenne, (José Palma Andres DG Régio)
Monsieur le directeur général de la Caisse des Dépôts (Augustin de Romanet),
Monsieur le directeur général de la Mission Opérationnelle Transfrontalière,

Je suis très heureux d'ouvrir le séminaire de la Mission opérationnelle transfrontalière. Vous savez que l'aménagement des territoires transfrontaliers est une priorité de mon ministère car c'est un enjeu très important pour les populations qui y résident, pour les entreprises qui y travaillent et pour les collectivités qui les représentent.
L'existence de la mission que vous présidez, cher Michel DELEBARRE, est le signe de l'intérêt que les pouvoirs publics, nationaux et locaux, ont pris à cette question depuis quelques années et notamment depuis le Rapport LAMASSOURE.
La coopération transfrontalière est un sujet européen, un sujet national, un sujet local, et c'est la raison pour laquelle il est essentiel d'avoir, en la matière, une politique claire et ambitieuse.


1. La coopération transfrontalière, un sujet majeur pour les populations , l'économie et les territoires
La coopération transfrontalière est aujourd'hui un enjeu « de mieux en mieux identifié ». Pendant des siècles, la frontière a été le « limes », au sens latin du terme, au-delà duquel vivaient ceux qui étaient autres, différents et souvent ennemis. Elle était le butoir, la limite. Depuis que l'Europe vit en paix, la frontière a physiquement disparu entre les nombreux pays de l'Union européenne. Pour les habitants de l'espace Schengen, elle a été même été repoussée aux confins des pays membres.
Sous l'impulsion des Etats, mais aussi des aspirations des Européens, les attentes des habitants transfrontaliers ne cessent d'évoluer vers la recherche d'une plus grande facilité dans tous les domaines de la vie quotidienne. Nous devons donc répondre à ces attentes.
Nous sommes tous convaincus de l'importance du fait transfrontalier pour la France et pour l'Europe.
Pour l'Europe : 27% de la population de l'Union européenne habite dans des zones frontalières terrestres.
Pour la France : avec ses 2830 km de frontières terrestres qui concernent 16 régions et 28 départements (y compris d'ailleurs les DOM), 13 Millions de Français résident dans les zones frontalières, soit 22% de la population en France métropolitaine. Quand on sait que la population frontalière des pays voisins de la France métropolitaine est de 20 millions d'habitants, ce sont au total 33 millions d'Européens qui vivent au contact de la frontière française.
Enfin, il s'agit non seulement de populations, mais aussi d'échanges économiques puisque plus de 300 000 travailleurs frontaliers français travaillent dans un pays voisin et le phénomène s'accentue (30% d'augmentation depuis 1999). Même si seulement 11 000 résidents voisins viennent travailler en France.
L'ouverture des frontières constitue une formidable opportunité de développement économique et culturel, mais reste encore une source de difficultés administratives, juridiques et fiscales, voire une source de déséquilibres par les différentiels d'attractivité.
Transformer le handicap des frontières en atout est bien l'enjeu majeur d'une saine émulation. C'est par exemple l'esprit qui anime aujourd'hui le développement des pôles de compétitivité. Je pense à l'Alsace, avec le pôle « BIOVALLEY », centré sur les biotechnologies et le médical, et le nouvel éco-pôle « ENERGIVIE », qui vient de recevoir sa labellisation dans le domaine de l'efficacité énergétique des bâtiments. Ces deux pôles travaillent en étroite coopération avec la Région Métropolitaine, et plus particulièrement les entreprises et les universités du Bade Wurtemberg.
L'enjeu est de taille et il est donc absolument nécessaire et légitime que nous nous préoccupions davantage de cette question qui est un sujet de politique publique.
Pour répondre aux questions concrètes de nos concitoyens, il est plus que jamais nécessaire de prendre en compte la coopération transfrontalière dans la politique d'aménagement du territoire, ainsi que dans les politiques régionales européennes.
Le Président de la République, très attaché à cette question, m'a donné pour mission lors de ma nomination de mettre en oeuvre une véritable politique transfrontalière.
Cela nécessite à la fois une vision globale de cette question et une approche pragmatique et différenciée, par frontière, compte tenu de la diversité économique, sociologique, historique et culturelle des territoires concernés, d'où l'importance de l'expérimentation.
Dans ce contexte, je salue la valeur ajoutée tout à fait reconnue de la Mission Opérationnelle Transfrontalière (MOT) et le rôle qu'elle joue en pleine harmonie avec la DATAR qui vous soutient de façon substantielle.
La MOT apporte un savoir-faire spécifique aux territoires et acteurs frontaliers : assistance opérationnelle aux porteurs de projets, centre de ressources et de diffusion, formation, animation d'un réseau qui s'étend sur 11 pays.
La publication d'un Guide des projets transfrontaliers en mars dernier et la création en 2007 du réseau EUROMOT, réunissant les autorités locales transfrontalières en Europe pour favoriser les échanges et assurer une meilleure prise en compte de la coopération transfrontalière dans les politiques nationales et européennes, constituent autant de témoignages de l'utilité de votre action.
Pour se développer, la coopération transfrontalière a besoin, pour la partie française en tout cas, d'un cadre institutionnel stable, d'une gouvernance améliorée pour une plus grande clarté et efficacité des décisions.

2. Dans cet objectif, vous le savez, une mission parlementaire est en cours
Sur ma proposition et celle de Pierre Lellouche, le Premier ministre a confié cette mission aux parlementaires que je salue : Monsieur Etienne Blanc, député, Madame Fabienne Keller, sénatrice, avec l'appui de Marie Thérèse Sanchez-Schmid, député européen. Je remercie également Monsieur le Préfet Francis Idrac et Mme l'Ambassadrice de Bourmont qui lui apportent leur expérience précieuse.
Un travail considérable a déjà été effectué, et je vous en remercie :

  • audition de très nombreux acteurs, élus, hauts fonctionnaires, acteurs économiques et décideurs,
  • déplacements sur l'ensemble des frontières pour percevoir la diversité des situations, les difficultés, mais aussi les bonnes pratiques qui se développent et qui constituent autant d'exemples d'actions à développer,
  • élaboration d'un rapport d'étape qui développe les principaux constats sur la situation des territoires transfrontaliers et surtout qui esquisse 12 propositions pour la compétitivité économique des entreprises, pour la vie quotidienne des populations et aussi en matière de gouvernance pour le pilotage de cette politique.

A plusieurs reprises, j'ai réuni les préfets des territoires transfrontaliers pour faciliter les échanges directs et transparents avec ces responsables de terrain, et nous souhaitons tous que les propositions que vous allez remettre dans votre rapport définitif dans quelques jours, puissent trouver une application la plus opérationnelle qui soit. Naturellement ces propositions feront l'objet de discussions et d'échanges sous l'égide du cabinet du Premier ministre auquel je proposerai de réunir un comité interministériel d'aménagement du territoire (CIADT) pour arrêter ces décisions.
Nous devrons ainsi :

  • valider et approfondir certains dispositifs, je pense notamment aux mesures destinées à rééquilibrer les différentiels fiscaux et sociaux, c'est un sujet difficile et la mise en oeuvre de « zones à caractère spécial » pour le développement des entreprises demandera sans doute encore de larges concertations ;
  • mettre en oeuvre des dispositifs innovants, car les solutions et les schémas d'organisation devront être adaptés aux situations spécifiques de chaque frontière.

C'est tout le sens du travail interministériel qu'anime actuellement la DATAR, il n'y a pas de solution uniforme correspondant à la diversité de ces territoires.
Je peux vous annoncer que l'Assemblée Nationale, dans le cadre de la réforme des collectivités territoriales, a voté, sur ma proposition, lundi soir, l'article permettant la création de « pôles métropolitains » dans les territoires frontaliers, tel que le préconise la mission parlementaire.
Je souhaite aussi agir rapidement, en me fondant sur notre capacité à innover et à expérimenter. Je pense par exemple au projet de Esch-Belval à la frontière luxembourgeoise. C'est un territoire que la mission parlementaire a visité. A la demande du Président de la République, j'ai mis en place en janvier dernier une mission de préfiguration pour créer sur cet espace transfrontalier une Opération d'Intérêt National. Je retournerai prochainement sur place. Je sais que ce sera une opération emblématique sur laquelle toutes les propositions prendront un sens. Je sais aussi que d'autres territoires attendent des mesures pour faciliter les relations transfrontalières : dans le Nord avec la Belgique, votre région Monsieur le Président, où je sais que vous avez développé des expériences intéressantes pour les services de santé, mais aussi à la frontière Suisse, avec l'Italie, l'Espagne.

3. Une priorité pour la politique européenne de cohésion
Je souhaite également que nous engagions ces réflexions avec l'Europe. Les espaces frontaliers sont des territoires où la construction de l'Europe doit prendre toute sa signification, ce sont des lieux où l'Europe s'invente, s'expérimente, et au bout du compte s'améliore. Au quotidien, ils constituent de véritables vecteurs d'intégration. Les territoires frontaliers sont partie intégrante de la démarche européenne, et des dispositifs spécifiques accompagnent ces territoires :

  • Les programmes de coopération, et je sais que vous êtes nombreux aujourd'hui à porter des projets transfrontaliers et à bénéficier des aides européennes pour concrétiser ces actions. L'Europe apporte 9 milliards d'euros à cette politique. La France, quant à elle, est concernée par 12 programmes transfrontaliers et 860 millions d'Euros.
  • Les Groupements Européens de Coopération Territoriale (GECT), qui offrent un cadre juridique innovant, permettant de réunir des collectivités, des groupements de collectivités et l'Etat pour porter un projet de territoire, pour gérer un équipement ou des services, pour piloter des programmes de coopération. Il s'agit d'une innovation territoriale porteuse d'avenir.
  • Les « macro régions » qui permettent de coordonner les politiques publiques sur de vastes territoires par-delà les frontières administratives classiques.

Aujourd'hui la cohésion territoriale est au coeur des objectifs de la Commission et du Parlement. J'ai rencontré dernièrement le Commissaire à la politique régionale, M. Johannes Hahn et la Présidente de la commission REGI du Parlement, Mme Danuta Hübner. J'ai évoqué avec eux toutes les attentes de la France pour le maintien d'une politique de cohésion et au sein de celle-ci l'importance de la coopération transfrontalière.
J'entends bien que ce soutien de l'Europe soit maintenu après 2013. La coopération transfrontalière nous oblige non seulement à coopérer intelligemment, mais surtout à avoir de l'imagination, je suis sûr que vous n'en manquerez pas lors de ce séminaire.
Cet espace de vie transfrontalier constitue un territoire paradoxal où la circulation des personnes est libre mais où les droits sont différents, engendrant des différentiels économiques et de services parfois importants. Mais les projets exemplaires, sous l'impulsion des collectivités et des entreprises, se développent pour donner vie à cette coopération au quotidien.
Mon ambition est donc de vous aider, de vous dire tout le soutien, avec la DATAR, du Ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire. Je souhaite que vos travaux soient fructueux et je vous assure que nous en tiendrons compte dans la mise en oeuvre du rapport parlementaire.

Source http://www.espaces-transfrontaliers.org, le 8 juin 2010