Texte intégral
Monsieur le Ministre, Cher Werner Hoyer,
Monsieur le Président, Cher Pierre Lequiller
Monsieur le Président, Cher Jean Bizet
Mesdames et Messieurs les Députés,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Je souhaite tout d'abord saluer Werner Hoyer, qui nous fait l'honneur de se présenter devant vous aujourd'hui.
Je tiens ensuite à remercier Pierre Lequiller et Jean Bizet pour avoir organisé cette audition conjointe, qui constitue le premier exemple d'application d'une mesure figurant parmi les 80 initiatives contenues dans l'agenda franco-allemand 2020 adopté par le Conseil des ministres franco-allemand du 4 février dernier. Cette idée est d'ailleurs issue d'une contribution que Pierre Lequiller nous avait fait parvenir, à Werner Hoyer et à moi-même, au moment où nous travaillions à l'élaboration de l'agenda 2020 que nous avons présenté à la chancelière et au président de la République à l'occasion de la journée franco-allemande.
Cette audition tombe surtout à point nommé puisque le président de la République était hier à Berlin pour préparer le Conseil européen et le Sommet du G20 de Toronto avec la chancelière. Je reviendrai naturellement avec Werner sur les initiatives annoncées à cette occasion par nos dirigeants.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je souhaiterais mentionner un domaine très concret de la coopération entre nos deux pays : l'espace. Je sais que c'est un dossier que cette Commission suit avec beaucoup d'attention. Ce matin, Werner et moi, avons visité l'Agence spatiale européenne, en compagnie de nombreux parlementaires.
La France et l'Allemagne doivent être au coeur de la relance du spatial européen, au moment où le Traité de Lisbonne (art 189) attribue une compétence nouvelle à l'Union européenne dans ce domaine. Le Conseil des ministres franco-allemand du 4 février a permis de rappeler la nécessité de poursuivre notre coopération dans le domaine spatial pour garantir l'accès de l'Europe à l'espace, avec la construction conjointe d'un satellite de détection du méthane - l'un des principaux gaz à effet de serre - qui doit être lancée en 2013-2014.
Aujourd'hui, la présence de M. Hoyer me conduit naturellement à évoquer avec vous la question des relations franco-allemandes dans la crise européenne.
1. Commençons, d'abord, par prendre la mesure de la crise.
La crise que nous traversons est systémique et globale : elle a commencé en 2007 aux Etats-Unis avec la crise des sub-primes ; en 2008, nous sommes passés tout près de l'effondrement total du système bancaire, toujours à partir des Etats-Unis ; depuis le début de cette année 2010, nous sommes confrontés à la crise de l'euro et cette fois, c'est l'Europe qui est prise pour cible.
Cette spéculation est alimentée par la défiance des investisseurs devant le niveau excessif des dettes publiques et privées et des déficits publics dans le monde occidental : les Etats-Unis (où tout a commencé) l'Union européenne mais aussi le Japon (ou le déficit dépasse 200 % du PIB).
Face à cette crise, je rappelle tout de même, qu'en 2008, c'est grâce à un accord franco-allemand que, sous Présidence française de l'Union européenne, trois décisions fondamentales ont pu être adoptées :
- la coordination des plans de relance nationaux ;
- l'intervention massive de l'Europe pour sauver le système bancaire ;
- l'invention du G20 pour réguler le système financier international.
Certes, ces décisions n'ont pas été prises instantanément. Il a fallu discuter, batailler parfois, mais les réponses ont été trouvées entre Français et Allemands. Ainsi, je rappelle que le président Sarkozy a pu réunir, au coeur de la crise de l'automne 2008, pour la première fois, l'Eurogroupe au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement, avec en prime si j'ose dire, la présence du Premier ministre britannique !
Tout ceci a été possible, car la France et l'Allemagne ont agi ensemble.
2. Dans la crise actuelle, qu'avons-nous fait ?
Je voudrais insister sur le caractère historique de cette crise : les attaques répétées contre la Zone euro depuis six mois sont un moment de vérité pour l'Europe et bien entendu pour le couple franco-allemand qui la sous-tend.
Les attaques contre la Zone euro ont commencé au début de l'année. Elles ont conduit à une série de ripostes initiées par la France et l'Allemagne :
- tout d'abord le plan de soutien à la Grèce, véritable expression de la solidarité européenne, avec un plan de sauvetage de 110 milliards d'euros, dont 80 milliards pris en charge par les Européens, la moitié de cette somme étant apportée par la France et l'Allemagne moyennant un programme très dur de remise en ordre des finances publiques grecques que le gouvernement de M. Papandréou s'est engagé à mener à bien.
- ensuite, lorsque les marchés ont ciblé l'Espagne et le Portugal, créant un risque de crise systémique immédiate, là encore, le président de la République et la chancelière ont initié, lors d'une réunion extraordinaire des 16 chefs d'Etat et de gouvernement de la Zone euro, le 7 mai, un accord historique, sans précédent, qui a débouché sur l'adoption par le Conseil Ecofin des 9 et 10 mai du mécanisme européen de stabilisation : 750 milliards d'euros, soit 500 milliards d'euros mis sur la table par l'Europe - dont la moitié apportée par la France et l'Allemagne - complétés par 250 milliards d'euros du FMI.
Je voudrais revenir quelques instants sur ce plan et sur ces conséquences.
Le premier volet de ce mécanisme a été créé conformément au nouvel article 122.2 du Traité de Lisbonne, qui prévoit que lorsqu'un Etat membre connaît des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, en raison d'événements exceptionnels échappant à son contrôle, le Conseil peut accorder, sous certaines conditions, une assistance financière de l'Union à l'Etat membre concerné. Or, nous sommes confrontés à de telles circonstances exceptionnelles.
Le second volet de ce mécanisme repose sur un accord des Etats membres de la Zone euro pour créer une facilité de soutien, jusqu'à un montant de 440 milliards d'euros.
Je le dis devant M. Hoyer : ce volet est de nature strictement intergouvernemental et ne peut donc être, par construction, contraire aux stipulations du Traité de Lisbonne, notamment son article 125. En présence d'un danger imminent pour l'ensemble de l'union économique et monétaire, des aides bilatérales visant à garantir la liquidité étaient possibles en dernier ressort.
Le fonds de garantie de 440 milliards d'euros qui a été constitué, c'est, en quelque sorte, "l'article 5" de l'OTAN transposé à la monnaie unique. En cas d'attaque contre l'un des leurs, les autres membres de la Zone euro se sont engagés à venir à son aide.
Enfin, et cela aussi mérite d'être souligné, la BCE a également décidé d'intervenir en achetant sur le marché secondaire des obligations de dettes souveraines, ce qu'elle s'était jusqu'alors interdit de faire.
Je saisis cette occasion pour remercier les Parlementaires français et allemands qui ont donné leur aval à ce mécanisme. Bien sûr, ce sont des décisions difficiles à prendre : les montants engagés représentent sept fois l'effort de réduction du déficit qui nous est demandé jusqu'en 2013 !
Mais à ceux qui disent que les choses ne sont pas allées assez vite, je réponds qu'il était indispensable que le principe de solidarité que nous avons mis en oeuvre s'accompagne aussi d'un principe de responsabilité. C'est pourquoi des engagements très fermes ont été demandés à la Grèce - pour éviter de devoir lancer un nouveau plan de soutien dans quelques mois.
Tout ceci n'a été rendu possible que grâce à l'accord personnel entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy. A ceux qui parlent un peu vite de "divorce" et de "torchon qui brûle" je veux leur demander de nous dire ce qui se serait passé sans cet accord franco-allemand !
La première leçon, c'est que sans accord entre la France et l'Allemagne, il ne se passe rien en Europe et l'Histoire se fait sans elle. Les exemples sont là pour le prouver : c'est le désaccord sur le réarmement de l'Allemagne et l'échec de la CED en 1954 qui sonnent le glas de la "défense européenne". C'est aussi, il y a 20 ans, la désunion et l'impuissance de l'Europe au moment de l'éclatement de la Yougoslavie. Sans accord franco-allemand, c'est une Europe sans SME, sans monnaie unique, sans Traité de Lisbonne. De même, lorsque l'Allemagne et la France ne convergent pas, c'est le divorce Siemens-Areva, TKNS-DCNS.
En revanche lorsqu'il y a un accord, cela donne Airbus, Ariane, EADS, l'ESA, le marché unique, le Traité de Lisbonne et bien sûr l'euro.
La deuxième leçon, c'est qu'il n'est jamais facile de parvenir à un accord. Nos pays sont différents. Un Etat fédéral d'un côté, un régime centralisé de l'autre, une coalition aux règles complexes d'un côté, un système, longtemps quelque peu monarchique, aujourd'hui présidentiel, de l'autre. Sans parler des conceptions industrielles ou bancaires, qui ne sont pas les mêmes en France et en Allemagne.
Comme l'a dit le président de la République devant les ambassadeurs, il y a un an : la France et l'Allemagne ont les mêmes droits que les autres Etats membres, mais ils ont en plus des devoirs particuliers envers l'Europe.
3. Sortir ensemble de la crise :
3.1 La discipline budgétaire
Il reste aux Européens, à partir de ce socle de garanties financières, qui a été finalisé par les ministres des Finances, la semaine dernière, à définir de nouvelles règles de transparence et de surveillance mutuelle des budgets des Etats membres. C'est le corollaire indispensable des garanties accordées, qui doit s'inscrire dans le respect des prérogatives des Parlements nationaux.
Je partage, de ce point de vue, la remarque récemment exprimée par le président Gerhard Cromme : "On ne veut pas simplement être invité à passer à la caisse comme s'il existait une carte de crédit commune dont une autre personne connaîtrait le code secret. Il n'y aura plus de chèque en blanc".
Une discipline commune en matière de dépenses publiques est absolument indispensable pour éviter le renouvellement des déséquilibres ayant mené à la crise grecque.
- en 2009, l'Allemagne a introduit un mécanisme de limitation des déficits dans sa "Loi fondamentale" qui oblige l'Etat fédéral à réduire progressivement son déficit structurel, puisqu'en 2016 le seuil d'endettement toléré sera de 0,35 % du PIB ;
- lors de la dernière conférence des déficits, le président de la République a souhaité qu'une nouvelle gouvernance en matière de finances publiques soit inscrite dans notre Constitution.
Par ces mesures, la France et l'Allemagne montrent l'exemple à l'ensemble de la zone Euro et envoient un signal fort aux marchés sur leur engagement à réduire les déficits.
Quant à la mécanique de notre surveillance des budgets nationaux, plusieurs voies ont été proposées, c'est le travail de la mission du groupe présidé par Herman Van Rompuy, qui poursuivra ses travaux jusqu'à l'automne dans trois directions :
- la possibilité de sanctions en cas de manquements répétés au Pacte de stabilité et de croissance. La crise l'a montré : le dispositif actuel n'est pas satisfaisant. C'est pourquoi, hier soir, le président de la République et la chancelière ont annoncé la nécessité de renforcer les sanctions, y compris sous forme de suspension des droits de vote. La France et l'Allemagne feront des propositions pouvant aller, si nécessaire, jusqu'à une modification des traités ;
- le renforcement de la surveillance des budgets nationaux, à l'occasion des débats sur les programmes de stabilité et de convergence, dans le respect des obligations constitutionnelles de chaque Etat membre ;
- une meilleure prise en compte du niveau de la dette et pas seulement du déficit.
Je rappelle également que les pouvoirs de contrôle d'EUROSTAT en matière de données de finances publiques ont été considérablement renforcés, ce qui interdira à l'avenir que se reproduise l'épisode des statistiques grecques. Il y va de la crédibilité de la Zone euro vis-à-vis des marchés et de nos partenaires.
3.2 Le Gouvernement économique
L'Europe doit se doter d'un gouvernement économique à même de garantir une fois pour toutes la stabilité de sa monnaie et de son économie.
Le président de la République et la chancelière l'ont dit hier soir à Berlin : le gouvernement économique doit être réuni au niveau des instances ayant une légitimité démocratique pour le faire, c'est-à-dire le Conseil européen réunissant les 27 chefs d'Etat et de gouvernement.
En cas de nécessité, les 16 chefs d'Etat et de gouvernement de la Zone euro peuvent se réunir de façon pragmatique et opérationnelle sur les sujets propres à la Zone euro. C'est un signal politique très important qui a ainsi été envoyé aux marchés financiers.
Le principe du gouvernement économique que la France appelle de ses voeux est qu'il n'y ait pas trop d'écart entre les économies peu compétitives et les économies très compétitives.
Cela signifie un minimum d'harmonisation fiscale et sociale, et le renforcement de notre compétitivité. Il faut aussi davantage de coordination entre nous dans la mise en oeuvre des mesures de consolidation afin d'éviter que des plans d'austérité trop brutaux ne viennent casser la consommation intérieure et donc la croissance en Europe.
3.3 La croissance et l'emploi / Stratégie "Europe 2020"
Car la priorité, c'est bien la croissance, qui seule permet de créer des emplois. Avec la crise, l'Europe doit repenser son modèle de croissance à partir d'une question simple : une grande économie développée peut-elle vivre durablement sans industrie et sans innovation ? C'est la raison pour laquelle la mise en oeuvre de la stratégie "Europe 2020" de l'Union européenne pour les dix années à venir, qui doit être adoptée par les chefs d'Etat et de gouvernement lors du Conseil européen du 17 juin, sera décisive.
A l'heure où nos concitoyens sont essentiellement préoccupés par le maintien de leur emploi, et attendent de l'Europe des mesures fortes et des projets concrets en faveur de la croissance, la France et l'Allemagne sont sur la même ligne pour faire en sorte que cette stratégie Europe 2020 prenne toute la mesure de ces enjeux et permette à l'Europe de retrouver le point de croissance qui lui manque.
Premier objectif : assurer la mobilisation effective des politiques pour des actions concrètes, comme le développement d'une politique de l'énergie efficace et une politique industrielle ambitieuse, incluant le développement de technologies clés dans des domaines comme l'efficacité énergétique, la communication, la mobilité, l'agenda numérique.
Deuxième objectif : coordonner les actions et les politiques des Etats membres, afin d'assurer qu'elles concourent toutes aux mêmes buts, en matière de réformes ou d'assainissement des finances publiques par exemple.
Troisième objectif : développer le volet international de la stratégie, la loyauté dans les échanges internationaux, la réciprocité dans les marchés publics. C'est une dimension que la Commission doit davantage prendre en compte.
Il y va au final, de la place de l'Europe dans le monde, de son rôle comme acteur international respecté. Il y va aussi de la préservation de nos modes de vie, de nos valeurs, de nos systèmes de protection sociale auxquels nous sommes attachés. Si nous ne prenons pas la mesure de ces enjeux, l'Europe va vers un déclassement durable.
3.4 Régulation financière
Le dernier étage de cet édifice, c'est la régulation financière européenne et internationale.
Pas moins de trois lettres ont été écrites en commun par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel pour demander à la Commission européenne des propositions en matière de régulation des marchés de produits dérivés un renforcement de la régulation et transparence des marchés financiers et, tout récemment, dans leur lettre du 8 juin, pour demander au président de la Commission d'accélérer ses travaux sur l'encadrement des produits dérivés et des ventes à découvert.
Mais l'Europe ne peut pas taxer seule les transactions financières, comme elle ne peut pas seule interdire les ventes à découvert sur les obligations souveraines. On ne peut pas non plus légiférer seuls sur les "hedge funds". Les Etats-Unis viennent d'adopter une loi historique sur la régulation du secteur financier, l'Europe doit faire de même.
C'est pourquoi le président et la chancelière ont annoncé hier qu'ils adresseraient une lettre commune au Premier ministre canadien, en amont du G20 de Toronto, pour rehausser le niveau d'ambition en matière de régulation financière, et pour présenter un projet de taxe sur les transactions financières.
4. Elargissement
Permettez-moi à présent d'en venir au dossier de l'élargissement, puisque le Conseil Affaires étrangères hier comportait un point relatif aux Balkans occidentaux et que le prochain Conseil européen doit évoquer le dossier de l'Islande.
J'ai déjà eu l'occasion de le dire devant vous : notre position sur l'élargissement de l'Union européenne est liée à notre vision d'une Europe politique forte et volontariste, à laquelle nos concitoyens peuvent s'identifier, ce qui implique de fixer des limites et donc des frontières. Avec la perspective européenne des Balkans occidentaux et de l'Islande, cet objectif est proche d'être accompli.
S'agissant des Balkans, la principale bonne nouvelle vient du résultat positif du référendum organisé en Slovénie le 6 juin qui conclut la procédure de ratification par la Slovénie de l'accord d'arbitrage avec la Croatie et qui confirme la volonté des deux pays de résoudre leur différend frontalier dans un esprit européen.
Ce processus ouvre la voie à la poursuite du processus d'adhésion de la Croatie à l'Union européenne, qui entre dans une phase déterminante à condition que la Croatie poursuive ses efforts pour répondre aux dernières demandes du procureur du TPIY et pour mener à bien les réformes engagées dans le domaine de l'Etat de droit, notamment en ce qui concerne la justice.
La réunion de haut niveau sur les Balkans occidentaux organisée par la Présidence espagnole et Mme Ashton le 2 juin dernier à Sarajevo et à laquelle je représentais la France, constitue une autre bonne nouvelle, dans la mesure où elle a permis pour la première fois de rassembler tous les Etats des Balkans occidentaux, avec une participation des ministres serbe et kosovar qui est un signe d'espoir pour l'avenir. Cette réunion a permis de réaffirmer la perspective européenne des pays des Balkans, fixée dès 2000 lors du Sommet de Zagreb sous Présidence française. Cette perspective qui dépend avant tout des efforts de chaque pays pour respecter les critères de Copenhague et les conditionnalités rigoureuses posées ces dernières années.
Je voudrais dire un mot rapide sur chacun des principaux dossiers évoqués hier à Luxembourg :
- les efforts accomplis par l'Ancienne république yougoslave de Macédoine sur le chemin de l'Union européenne méritent d'être reconnus et il faut que Skopje parvienne avec Athènes à un accord mutuellement acceptable sur la question du nom si elle souhaite que les négociations d'adhésion soient enfin ouvertes comme nous l'espérons ;
- s'agissant de la Serbie, il faut se réjouir que les conditions soient à présents réunies pour la ratification de l'accord de stabilisation et d'association par les Etats membres.
Nous sommes favorables à la transmission pour avis à la Commission européenne de la candidature serbe à l'adhésion à l'Union européenne, considérant qu'il s'agit d'un acte technique qui ne préjuge en rien des décisions politiques que le Conseil devra prendre par la suite sur cette base.
Mais il est clair que pour avancer vers l'Union européenne, la Serbie devra nécessairement procéder à l'arrestation des deux importants fugitifs recherchés par le TPIY (Mladic et Hadzic) et rechercher un modus vivendi avec le Kosovo.
- le sujet le plus sensible au Conseil à l'heure actuelle concerne le processus de libéralisation conditionnelle des visas de court séjour pour l'Albanie et la Bosnie-Herzégovine proposée par la Commission.
Je voudrais être clair sur ce point : tout nouveau progrès doit répondre à des avancées effectives par les pays concernés, notre principal souci est de souligner que la décision finale appartient au Conseil et au Parlement européen.
Il ne s'agit donc pas de remettre en cause de l'objectif final, encore moins la perspective européenne des Balkans, que nous soutenons. Mais les visas sont un instrument de gestion des flux migratoires, non un élément de négociation diplomatique.
L'élargissement, c'est aussi le dossier de l'Islande, alors que le Conseil européen devrait décider d'ouvrir les négociations d'adhésion après que Londres et La Haye aient levé leurs objections relatives au contentieux Icesave.
La candidature de l'Islande doit être examinée en fonction de ses mérites propres, sans traitement privilégié ni calendrier accéléré.
Nous devons être particulièrement attentifs à l'assainissement du secteur financier et, pour la suite, tenir compte d'un élément politique important qui reste la faiblesse du consensus national pour l'adhésion, alors même que l'adhésion à l'Union européenne est une démarche qui doit engager le pays dans son ensemble.
En ce qui concerne enfin la Turquie, où je me suis rendu en fin de semaine dernière, la position française très clairement fixée par le président de la République n'a pas varié :
- la France n'est pas favorable à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.
- dans le même temps l'intérêt bien compris de la Turquie comme de la France est que le rapprochement de la Turquie avec l'Europe se poursuive.
La France, non seulement ne s'y oppose pas, mais elle considère ces négociations utiles, indispensables même, pour la modernisation de la nation turque, de son économie, de son système juridique et fiscal, et de sa vie politique et démocratique.
Concrètement, cela signifie que la France est favorable à la poursuite des négociations, et à l'ouverture de nouveaux chapitres, dès lors qu'ils sont compatibles avec notre vision du résultat final de la négociation. En revanche, nous nous opposons à l'ouverture des 5 chapitres dont nous estimons qu'ils relèvent directement de la logique d'adhésion.
- enfin, troisième point, nous, Français et Turcs, sommes d'accord pour développer une relation bilatérale dynamique et mutuellement profitable.
S'agissant de Chypre, la France a toujours rappelé qu'il est indispensable que la Turquie fasse respecte le Protocole d'Ankara et qu'elle normalise ses relations avec Chypre.
Sur le plan international, chacun aura remarqué l'intense activité diplomatique de la Turquie lancée par M. Erdogan au Proche-Orient, en Iran, mais aussi dans les Balkans, au Maghreb, en Asie centrale, au Caucase, envers la Russie, ou dans le Golfe. Cette politique répond aux aspirations de puissance émergente affichées par une Turquie de plus en plus soucieuse de défendre ses intérêts. C'est son droit.
Mais nous sommes aussi en droit, comme je l'ai dit au président Gül et à mon homologue, Egemen Bagis, d'appeler la Turquie à faire preuve de responsabilité, de rechercher la désescalade avec Israël, et s'agissant de l'Iran, à rester en phase avec les autres membres du Conseil de sécurité. On verrait mal en quoi la nucléarisation de l'Iran et la cascade de prolifération nucléaire qui en résulterait dans la région pourrait servir les intér??ts de sécurité de la Turquie.
Parce que la Turquie est un partenaire essentiel de l'Union européenne, notre allié au sein de l'OTAN, je m'inscris en faux contre ceux qui affirment que l'Europe aurait "poussé" la Turquie vers l'Orient et le monde arabe et que nous aurions "perdu la Turquie".
5. ITER
Je voudrais enfin évoquer devant vous ITER : je tiens à vous dire, en présence de mon homologue allemand, que nous mettons tout en oeuvre pour parvenir au plus vite avec nos partenaires et en premier lieu avec l'Allemagne, à un accord sur les conditions de financement de ce projet de coopération le plus ambitieux jamais proposé à l'échelle mondiale.
ITER est l'un des "projets phares" de l'Union européenne : future vitrine technologique de l'Europe, il est l'exemple de ce que nous souhaitons promouvoir : une Europe de projets concrets dans des domaines stratégiques, tournée vers la R&D et l'innovation, conjuguant vision d'avenir et forte dimension industrielle.
Nous jouons en ce moment, vis-à-vis de nos partenaires dans le projet, mais également vis-à-vis d'autres pays, la crédibilité de l'Europe, en tant que puissance industrielle capable de porter des projets ambitieux et nous n'avons pas droit à l'erreur.
Tous ces défis ne pourront être relevés sans le couple franco-allemand. Je sais que c'est difficile. C'est à tort que l'on croit que la relation franco-allemande est un lit de roses. Lorsque l'on vante la relation franco-allemande, on oublie les efforts quotidiens que cela représente. C'est toujours difficile de gouverner un pays. C'est encore plus difficile de coordonner l'action de deux pays démocratiques différents. Lorsque Angela Merkel dit que l'on ne saurait réduire la construction européenne à "une Union faite de transferts financiers", elle a raison. Et quand Nicolas Sarkozy dit vouloir résorber nos déficits et améliorer notre compétitivité sans alourdir nos impôts qui sont parmi les plus élevés en Europe, il a raison aussi.
La vérité, c'est que la France et l'Allemagne ne sortiront de la crise qu'ensemble, main dans la main. Et vous pouvez nous faire confiance. Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 juin 2010
Monsieur le Président, Cher Pierre Lequiller
Monsieur le Président, Cher Jean Bizet
Mesdames et Messieurs les Députés,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Je souhaite tout d'abord saluer Werner Hoyer, qui nous fait l'honneur de se présenter devant vous aujourd'hui.
Je tiens ensuite à remercier Pierre Lequiller et Jean Bizet pour avoir organisé cette audition conjointe, qui constitue le premier exemple d'application d'une mesure figurant parmi les 80 initiatives contenues dans l'agenda franco-allemand 2020 adopté par le Conseil des ministres franco-allemand du 4 février dernier. Cette idée est d'ailleurs issue d'une contribution que Pierre Lequiller nous avait fait parvenir, à Werner Hoyer et à moi-même, au moment où nous travaillions à l'élaboration de l'agenda 2020 que nous avons présenté à la chancelière et au président de la République à l'occasion de la journée franco-allemande.
Cette audition tombe surtout à point nommé puisque le président de la République était hier à Berlin pour préparer le Conseil européen et le Sommet du G20 de Toronto avec la chancelière. Je reviendrai naturellement avec Werner sur les initiatives annoncées à cette occasion par nos dirigeants.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je souhaiterais mentionner un domaine très concret de la coopération entre nos deux pays : l'espace. Je sais que c'est un dossier que cette Commission suit avec beaucoup d'attention. Ce matin, Werner et moi, avons visité l'Agence spatiale européenne, en compagnie de nombreux parlementaires.
La France et l'Allemagne doivent être au coeur de la relance du spatial européen, au moment où le Traité de Lisbonne (art 189) attribue une compétence nouvelle à l'Union européenne dans ce domaine. Le Conseil des ministres franco-allemand du 4 février a permis de rappeler la nécessité de poursuivre notre coopération dans le domaine spatial pour garantir l'accès de l'Europe à l'espace, avec la construction conjointe d'un satellite de détection du méthane - l'un des principaux gaz à effet de serre - qui doit être lancée en 2013-2014.
Aujourd'hui, la présence de M. Hoyer me conduit naturellement à évoquer avec vous la question des relations franco-allemandes dans la crise européenne.
1. Commençons, d'abord, par prendre la mesure de la crise.
La crise que nous traversons est systémique et globale : elle a commencé en 2007 aux Etats-Unis avec la crise des sub-primes ; en 2008, nous sommes passés tout près de l'effondrement total du système bancaire, toujours à partir des Etats-Unis ; depuis le début de cette année 2010, nous sommes confrontés à la crise de l'euro et cette fois, c'est l'Europe qui est prise pour cible.
Cette spéculation est alimentée par la défiance des investisseurs devant le niveau excessif des dettes publiques et privées et des déficits publics dans le monde occidental : les Etats-Unis (où tout a commencé) l'Union européenne mais aussi le Japon (ou le déficit dépasse 200 % du PIB).
Face à cette crise, je rappelle tout de même, qu'en 2008, c'est grâce à un accord franco-allemand que, sous Présidence française de l'Union européenne, trois décisions fondamentales ont pu être adoptées :
- la coordination des plans de relance nationaux ;
- l'intervention massive de l'Europe pour sauver le système bancaire ;
- l'invention du G20 pour réguler le système financier international.
Certes, ces décisions n'ont pas été prises instantanément. Il a fallu discuter, batailler parfois, mais les réponses ont été trouvées entre Français et Allemands. Ainsi, je rappelle que le président Sarkozy a pu réunir, au coeur de la crise de l'automne 2008, pour la première fois, l'Eurogroupe au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement, avec en prime si j'ose dire, la présence du Premier ministre britannique !
Tout ceci a été possible, car la France et l'Allemagne ont agi ensemble.
2. Dans la crise actuelle, qu'avons-nous fait ?
Je voudrais insister sur le caractère historique de cette crise : les attaques répétées contre la Zone euro depuis six mois sont un moment de vérité pour l'Europe et bien entendu pour le couple franco-allemand qui la sous-tend.
Les attaques contre la Zone euro ont commencé au début de l'année. Elles ont conduit à une série de ripostes initiées par la France et l'Allemagne :
- tout d'abord le plan de soutien à la Grèce, véritable expression de la solidarité européenne, avec un plan de sauvetage de 110 milliards d'euros, dont 80 milliards pris en charge par les Européens, la moitié de cette somme étant apportée par la France et l'Allemagne moyennant un programme très dur de remise en ordre des finances publiques grecques que le gouvernement de M. Papandréou s'est engagé à mener à bien.
- ensuite, lorsque les marchés ont ciblé l'Espagne et le Portugal, créant un risque de crise systémique immédiate, là encore, le président de la République et la chancelière ont initié, lors d'une réunion extraordinaire des 16 chefs d'Etat et de gouvernement de la Zone euro, le 7 mai, un accord historique, sans précédent, qui a débouché sur l'adoption par le Conseil Ecofin des 9 et 10 mai du mécanisme européen de stabilisation : 750 milliards d'euros, soit 500 milliards d'euros mis sur la table par l'Europe - dont la moitié apportée par la France et l'Allemagne - complétés par 250 milliards d'euros du FMI.
Je voudrais revenir quelques instants sur ce plan et sur ces conséquences.
Le premier volet de ce mécanisme a été créé conformément au nouvel article 122.2 du Traité de Lisbonne, qui prévoit que lorsqu'un Etat membre connaît des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, en raison d'événements exceptionnels échappant à son contrôle, le Conseil peut accorder, sous certaines conditions, une assistance financière de l'Union à l'Etat membre concerné. Or, nous sommes confrontés à de telles circonstances exceptionnelles.
Le second volet de ce mécanisme repose sur un accord des Etats membres de la Zone euro pour créer une facilité de soutien, jusqu'à un montant de 440 milliards d'euros.
Je le dis devant M. Hoyer : ce volet est de nature strictement intergouvernemental et ne peut donc être, par construction, contraire aux stipulations du Traité de Lisbonne, notamment son article 125. En présence d'un danger imminent pour l'ensemble de l'union économique et monétaire, des aides bilatérales visant à garantir la liquidité étaient possibles en dernier ressort.
Le fonds de garantie de 440 milliards d'euros qui a été constitué, c'est, en quelque sorte, "l'article 5" de l'OTAN transposé à la monnaie unique. En cas d'attaque contre l'un des leurs, les autres membres de la Zone euro se sont engagés à venir à son aide.
Enfin, et cela aussi mérite d'être souligné, la BCE a également décidé d'intervenir en achetant sur le marché secondaire des obligations de dettes souveraines, ce qu'elle s'était jusqu'alors interdit de faire.
Je saisis cette occasion pour remercier les Parlementaires français et allemands qui ont donné leur aval à ce mécanisme. Bien sûr, ce sont des décisions difficiles à prendre : les montants engagés représentent sept fois l'effort de réduction du déficit qui nous est demandé jusqu'en 2013 !
Mais à ceux qui disent que les choses ne sont pas allées assez vite, je réponds qu'il était indispensable que le principe de solidarité que nous avons mis en oeuvre s'accompagne aussi d'un principe de responsabilité. C'est pourquoi des engagements très fermes ont été demandés à la Grèce - pour éviter de devoir lancer un nouveau plan de soutien dans quelques mois.
Tout ceci n'a été rendu possible que grâce à l'accord personnel entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy. A ceux qui parlent un peu vite de "divorce" et de "torchon qui brûle" je veux leur demander de nous dire ce qui se serait passé sans cet accord franco-allemand !
La première leçon, c'est que sans accord entre la France et l'Allemagne, il ne se passe rien en Europe et l'Histoire se fait sans elle. Les exemples sont là pour le prouver : c'est le désaccord sur le réarmement de l'Allemagne et l'échec de la CED en 1954 qui sonnent le glas de la "défense européenne". C'est aussi, il y a 20 ans, la désunion et l'impuissance de l'Europe au moment de l'éclatement de la Yougoslavie. Sans accord franco-allemand, c'est une Europe sans SME, sans monnaie unique, sans Traité de Lisbonne. De même, lorsque l'Allemagne et la France ne convergent pas, c'est le divorce Siemens-Areva, TKNS-DCNS.
En revanche lorsqu'il y a un accord, cela donne Airbus, Ariane, EADS, l'ESA, le marché unique, le Traité de Lisbonne et bien sûr l'euro.
La deuxième leçon, c'est qu'il n'est jamais facile de parvenir à un accord. Nos pays sont différents. Un Etat fédéral d'un côté, un régime centralisé de l'autre, une coalition aux règles complexes d'un côté, un système, longtemps quelque peu monarchique, aujourd'hui présidentiel, de l'autre. Sans parler des conceptions industrielles ou bancaires, qui ne sont pas les mêmes en France et en Allemagne.
Comme l'a dit le président de la République devant les ambassadeurs, il y a un an : la France et l'Allemagne ont les mêmes droits que les autres Etats membres, mais ils ont en plus des devoirs particuliers envers l'Europe.
3. Sortir ensemble de la crise :
3.1 La discipline budgétaire
Il reste aux Européens, à partir de ce socle de garanties financières, qui a été finalisé par les ministres des Finances, la semaine dernière, à définir de nouvelles règles de transparence et de surveillance mutuelle des budgets des Etats membres. C'est le corollaire indispensable des garanties accordées, qui doit s'inscrire dans le respect des prérogatives des Parlements nationaux.
Je partage, de ce point de vue, la remarque récemment exprimée par le président Gerhard Cromme : "On ne veut pas simplement être invité à passer à la caisse comme s'il existait une carte de crédit commune dont une autre personne connaîtrait le code secret. Il n'y aura plus de chèque en blanc".
Une discipline commune en matière de dépenses publiques est absolument indispensable pour éviter le renouvellement des déséquilibres ayant mené à la crise grecque.
- en 2009, l'Allemagne a introduit un mécanisme de limitation des déficits dans sa "Loi fondamentale" qui oblige l'Etat fédéral à réduire progressivement son déficit structurel, puisqu'en 2016 le seuil d'endettement toléré sera de 0,35 % du PIB ;
- lors de la dernière conférence des déficits, le président de la République a souhaité qu'une nouvelle gouvernance en matière de finances publiques soit inscrite dans notre Constitution.
Par ces mesures, la France et l'Allemagne montrent l'exemple à l'ensemble de la zone Euro et envoient un signal fort aux marchés sur leur engagement à réduire les déficits.
Quant à la mécanique de notre surveillance des budgets nationaux, plusieurs voies ont été proposées, c'est le travail de la mission du groupe présidé par Herman Van Rompuy, qui poursuivra ses travaux jusqu'à l'automne dans trois directions :
- la possibilité de sanctions en cas de manquements répétés au Pacte de stabilité et de croissance. La crise l'a montré : le dispositif actuel n'est pas satisfaisant. C'est pourquoi, hier soir, le président de la République et la chancelière ont annoncé la nécessité de renforcer les sanctions, y compris sous forme de suspension des droits de vote. La France et l'Allemagne feront des propositions pouvant aller, si nécessaire, jusqu'à une modification des traités ;
- le renforcement de la surveillance des budgets nationaux, à l'occasion des débats sur les programmes de stabilité et de convergence, dans le respect des obligations constitutionnelles de chaque Etat membre ;
- une meilleure prise en compte du niveau de la dette et pas seulement du déficit.
Je rappelle également que les pouvoirs de contrôle d'EUROSTAT en matière de données de finances publiques ont été considérablement renforcés, ce qui interdira à l'avenir que se reproduise l'épisode des statistiques grecques. Il y va de la crédibilité de la Zone euro vis-à-vis des marchés et de nos partenaires.
3.2 Le Gouvernement économique
L'Europe doit se doter d'un gouvernement économique à même de garantir une fois pour toutes la stabilité de sa monnaie et de son économie.
Le président de la République et la chancelière l'ont dit hier soir à Berlin : le gouvernement économique doit être réuni au niveau des instances ayant une légitimité démocratique pour le faire, c'est-à-dire le Conseil européen réunissant les 27 chefs d'Etat et de gouvernement.
En cas de nécessité, les 16 chefs d'Etat et de gouvernement de la Zone euro peuvent se réunir de façon pragmatique et opérationnelle sur les sujets propres à la Zone euro. C'est un signal politique très important qui a ainsi été envoyé aux marchés financiers.
Le principe du gouvernement économique que la France appelle de ses voeux est qu'il n'y ait pas trop d'écart entre les économies peu compétitives et les économies très compétitives.
Cela signifie un minimum d'harmonisation fiscale et sociale, et le renforcement de notre compétitivité. Il faut aussi davantage de coordination entre nous dans la mise en oeuvre des mesures de consolidation afin d'éviter que des plans d'austérité trop brutaux ne viennent casser la consommation intérieure et donc la croissance en Europe.
3.3 La croissance et l'emploi / Stratégie "Europe 2020"
Car la priorité, c'est bien la croissance, qui seule permet de créer des emplois. Avec la crise, l'Europe doit repenser son modèle de croissance à partir d'une question simple : une grande économie développée peut-elle vivre durablement sans industrie et sans innovation ? C'est la raison pour laquelle la mise en oeuvre de la stratégie "Europe 2020" de l'Union européenne pour les dix années à venir, qui doit être adoptée par les chefs d'Etat et de gouvernement lors du Conseil européen du 17 juin, sera décisive.
A l'heure où nos concitoyens sont essentiellement préoccupés par le maintien de leur emploi, et attendent de l'Europe des mesures fortes et des projets concrets en faveur de la croissance, la France et l'Allemagne sont sur la même ligne pour faire en sorte que cette stratégie Europe 2020 prenne toute la mesure de ces enjeux et permette à l'Europe de retrouver le point de croissance qui lui manque.
Premier objectif : assurer la mobilisation effective des politiques pour des actions concrètes, comme le développement d'une politique de l'énergie efficace et une politique industrielle ambitieuse, incluant le développement de technologies clés dans des domaines comme l'efficacité énergétique, la communication, la mobilité, l'agenda numérique.
Deuxième objectif : coordonner les actions et les politiques des Etats membres, afin d'assurer qu'elles concourent toutes aux mêmes buts, en matière de réformes ou d'assainissement des finances publiques par exemple.
Troisième objectif : développer le volet international de la stratégie, la loyauté dans les échanges internationaux, la réciprocité dans les marchés publics. C'est une dimension que la Commission doit davantage prendre en compte.
Il y va au final, de la place de l'Europe dans le monde, de son rôle comme acteur international respecté. Il y va aussi de la préservation de nos modes de vie, de nos valeurs, de nos systèmes de protection sociale auxquels nous sommes attachés. Si nous ne prenons pas la mesure de ces enjeux, l'Europe va vers un déclassement durable.
3.4 Régulation financière
Le dernier étage de cet édifice, c'est la régulation financière européenne et internationale.
Pas moins de trois lettres ont été écrites en commun par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel pour demander à la Commission européenne des propositions en matière de régulation des marchés de produits dérivés un renforcement de la régulation et transparence des marchés financiers et, tout récemment, dans leur lettre du 8 juin, pour demander au président de la Commission d'accélérer ses travaux sur l'encadrement des produits dérivés et des ventes à découvert.
Mais l'Europe ne peut pas taxer seule les transactions financières, comme elle ne peut pas seule interdire les ventes à découvert sur les obligations souveraines. On ne peut pas non plus légiférer seuls sur les "hedge funds". Les Etats-Unis viennent d'adopter une loi historique sur la régulation du secteur financier, l'Europe doit faire de même.
C'est pourquoi le président et la chancelière ont annoncé hier qu'ils adresseraient une lettre commune au Premier ministre canadien, en amont du G20 de Toronto, pour rehausser le niveau d'ambition en matière de régulation financière, et pour présenter un projet de taxe sur les transactions financières.
4. Elargissement
Permettez-moi à présent d'en venir au dossier de l'élargissement, puisque le Conseil Affaires étrangères hier comportait un point relatif aux Balkans occidentaux et que le prochain Conseil européen doit évoquer le dossier de l'Islande.
J'ai déjà eu l'occasion de le dire devant vous : notre position sur l'élargissement de l'Union européenne est liée à notre vision d'une Europe politique forte et volontariste, à laquelle nos concitoyens peuvent s'identifier, ce qui implique de fixer des limites et donc des frontières. Avec la perspective européenne des Balkans occidentaux et de l'Islande, cet objectif est proche d'être accompli.
S'agissant des Balkans, la principale bonne nouvelle vient du résultat positif du référendum organisé en Slovénie le 6 juin qui conclut la procédure de ratification par la Slovénie de l'accord d'arbitrage avec la Croatie et qui confirme la volonté des deux pays de résoudre leur différend frontalier dans un esprit européen.
Ce processus ouvre la voie à la poursuite du processus d'adhésion de la Croatie à l'Union européenne, qui entre dans une phase déterminante à condition que la Croatie poursuive ses efforts pour répondre aux dernières demandes du procureur du TPIY et pour mener à bien les réformes engagées dans le domaine de l'Etat de droit, notamment en ce qui concerne la justice.
La réunion de haut niveau sur les Balkans occidentaux organisée par la Présidence espagnole et Mme Ashton le 2 juin dernier à Sarajevo et à laquelle je représentais la France, constitue une autre bonne nouvelle, dans la mesure où elle a permis pour la première fois de rassembler tous les Etats des Balkans occidentaux, avec une participation des ministres serbe et kosovar qui est un signe d'espoir pour l'avenir. Cette réunion a permis de réaffirmer la perspective européenne des pays des Balkans, fixée dès 2000 lors du Sommet de Zagreb sous Présidence française. Cette perspective qui dépend avant tout des efforts de chaque pays pour respecter les critères de Copenhague et les conditionnalités rigoureuses posées ces dernières années.
Je voudrais dire un mot rapide sur chacun des principaux dossiers évoqués hier à Luxembourg :
- les efforts accomplis par l'Ancienne république yougoslave de Macédoine sur le chemin de l'Union européenne méritent d'être reconnus et il faut que Skopje parvienne avec Athènes à un accord mutuellement acceptable sur la question du nom si elle souhaite que les négociations d'adhésion soient enfin ouvertes comme nous l'espérons ;
- s'agissant de la Serbie, il faut se réjouir que les conditions soient à présents réunies pour la ratification de l'accord de stabilisation et d'association par les Etats membres.
Nous sommes favorables à la transmission pour avis à la Commission européenne de la candidature serbe à l'adhésion à l'Union européenne, considérant qu'il s'agit d'un acte technique qui ne préjuge en rien des décisions politiques que le Conseil devra prendre par la suite sur cette base.
Mais il est clair que pour avancer vers l'Union européenne, la Serbie devra nécessairement procéder à l'arrestation des deux importants fugitifs recherchés par le TPIY (Mladic et Hadzic) et rechercher un modus vivendi avec le Kosovo.
- le sujet le plus sensible au Conseil à l'heure actuelle concerne le processus de libéralisation conditionnelle des visas de court séjour pour l'Albanie et la Bosnie-Herzégovine proposée par la Commission.
Je voudrais être clair sur ce point : tout nouveau progrès doit répondre à des avancées effectives par les pays concernés, notre principal souci est de souligner que la décision finale appartient au Conseil et au Parlement européen.
Il ne s'agit donc pas de remettre en cause de l'objectif final, encore moins la perspective européenne des Balkans, que nous soutenons. Mais les visas sont un instrument de gestion des flux migratoires, non un élément de négociation diplomatique.
L'élargissement, c'est aussi le dossier de l'Islande, alors que le Conseil européen devrait décider d'ouvrir les négociations d'adhésion après que Londres et La Haye aient levé leurs objections relatives au contentieux Icesave.
La candidature de l'Islande doit être examinée en fonction de ses mérites propres, sans traitement privilégié ni calendrier accéléré.
Nous devons être particulièrement attentifs à l'assainissement du secteur financier et, pour la suite, tenir compte d'un élément politique important qui reste la faiblesse du consensus national pour l'adhésion, alors même que l'adhésion à l'Union européenne est une démarche qui doit engager le pays dans son ensemble.
En ce qui concerne enfin la Turquie, où je me suis rendu en fin de semaine dernière, la position française très clairement fixée par le président de la République n'a pas varié :
- la France n'est pas favorable à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.
- dans le même temps l'intérêt bien compris de la Turquie comme de la France est que le rapprochement de la Turquie avec l'Europe se poursuive.
La France, non seulement ne s'y oppose pas, mais elle considère ces négociations utiles, indispensables même, pour la modernisation de la nation turque, de son économie, de son système juridique et fiscal, et de sa vie politique et démocratique.
Concrètement, cela signifie que la France est favorable à la poursuite des négociations, et à l'ouverture de nouveaux chapitres, dès lors qu'ils sont compatibles avec notre vision du résultat final de la négociation. En revanche, nous nous opposons à l'ouverture des 5 chapitres dont nous estimons qu'ils relèvent directement de la logique d'adhésion.
- enfin, troisième point, nous, Français et Turcs, sommes d'accord pour développer une relation bilatérale dynamique et mutuellement profitable.
S'agissant de Chypre, la France a toujours rappelé qu'il est indispensable que la Turquie fasse respecte le Protocole d'Ankara et qu'elle normalise ses relations avec Chypre.
Sur le plan international, chacun aura remarqué l'intense activité diplomatique de la Turquie lancée par M. Erdogan au Proche-Orient, en Iran, mais aussi dans les Balkans, au Maghreb, en Asie centrale, au Caucase, envers la Russie, ou dans le Golfe. Cette politique répond aux aspirations de puissance émergente affichées par une Turquie de plus en plus soucieuse de défendre ses intérêts. C'est son droit.
Mais nous sommes aussi en droit, comme je l'ai dit au président Gül et à mon homologue, Egemen Bagis, d'appeler la Turquie à faire preuve de responsabilité, de rechercher la désescalade avec Israël, et s'agissant de l'Iran, à rester en phase avec les autres membres du Conseil de sécurité. On verrait mal en quoi la nucléarisation de l'Iran et la cascade de prolifération nucléaire qui en résulterait dans la région pourrait servir les intér??ts de sécurité de la Turquie.
Parce que la Turquie est un partenaire essentiel de l'Union européenne, notre allié au sein de l'OTAN, je m'inscris en faux contre ceux qui affirment que l'Europe aurait "poussé" la Turquie vers l'Orient et le monde arabe et que nous aurions "perdu la Turquie".
5. ITER
Je voudrais enfin évoquer devant vous ITER : je tiens à vous dire, en présence de mon homologue allemand, que nous mettons tout en oeuvre pour parvenir au plus vite avec nos partenaires et en premier lieu avec l'Allemagne, à un accord sur les conditions de financement de ce projet de coopération le plus ambitieux jamais proposé à l'échelle mondiale.
ITER est l'un des "projets phares" de l'Union européenne : future vitrine technologique de l'Europe, il est l'exemple de ce que nous souhaitons promouvoir : une Europe de projets concrets dans des domaines stratégiques, tournée vers la R&D et l'innovation, conjuguant vision d'avenir et forte dimension industrielle.
Nous jouons en ce moment, vis-à-vis de nos partenaires dans le projet, mais également vis-à-vis d'autres pays, la crédibilité de l'Europe, en tant que puissance industrielle capable de porter des projets ambitieux et nous n'avons pas droit à l'erreur.
Tous ces défis ne pourront être relevés sans le couple franco-allemand. Je sais que c'est difficile. C'est à tort que l'on croit que la relation franco-allemande est un lit de roses. Lorsque l'on vante la relation franco-allemande, on oublie les efforts quotidiens que cela représente. C'est toujours difficile de gouverner un pays. C'est encore plus difficile de coordonner l'action de deux pays démocratiques différents. Lorsque Angela Merkel dit que l'on ne saurait réduire la construction européenne à "une Union faite de transferts financiers", elle a raison. Et quand Nicolas Sarkozy dit vouloir résorber nos déficits et améliorer notre compétitivité sans alourdir nos impôts qui sont parmi les plus élevés en Europe, il a raison aussi.
La vérité, c'est que la France et l'Allemagne ne sortiront de la crise qu'ensemble, main dans la main. Et vous pouvez nous faire confiance. Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 juin 2010