Texte intégral
Q - Laudiovisuel fait manifestement partie de vos priorités. Pourquoi un ministre des Affaires étrangères attache-t-il à ce secteur autant dimportance ?
R - Est-ce que le président Clinton lui-même ne déclare pas ouvertement que la présence audiovisuelle américaine dans le monde est une de ses priorités ? Est-ce que dans les discussions au Gatt ou à lOMC, en Pologne ou dans les pays baltes et, il y a quelques mois, en Corée (démantèlement des quotas de films), les négociateurs américains ne sont pas particulièrement offensifs ? Le rôle des images, est, à lévidence, devenu essentiel dans le façonnement des esprits, des mentalités, des modes de vie, sans parler des modes de consommation. Or il risque de sinstaurer dans le monde un véritable monopole de fait. On ne peut parler de monde multipolaire ou de diversité culturelle et de dialogue des civilisations et être aveugle. Dans de nombreux secteurs économiques, les Européens ont su sorganiser, préserver leur place ou la développer ; ils doivent manifester pour laudiovisuel une détermination à la mesure des enjeux. Cest pourquoi la France et sa diplomatie attachent, depuis longtemps, une si grande importance à laffirmation dune véritable politique audiovisuelle européenne.
Q - Est-ce à dire que les entreprises audiovisuelles françaises et européennes nont pas une taille suffisante pour lutter à armes égales contre les majors et les conglomérats anglo-saxons ?
R - Cest effectivement ma perception. Les poids respectifs des grands groupes de communication mondiaux ne laissent pas dinquiéter sur les résultats de ces confrontations audiovisuelles. Lanalyse faite par la revue professionnelle « Variety » sur les cinquante premières entreprises du secteur montre que huit des dix premiers groupes sont américains. Canal + est au 28ème rang, Vivendi (télécommunications) au 32ème, TF1 au 35ème et M6 au 49ème rang. Time Warner ou Disney pèsent dix fois plus que Canal +, Viacom ou News Corp, cinq fois plus.
Du point de vue des échanges de produits audiovisuels (y compris les recettes des salles de cinéma et la vidéo), le déficit européen à légard des Etats-Unis est denviron 40 milliards de francs et saccroît de 3 milliards par an.
Face à ce rapport de forces totalement déséquilibré, les groupes européens doivent être suffisamment forts pour éviter dêtre à leur tour absorbés, notamment à loccasion des négociations dachats de programmes américains, qui sont souvent assorties de conditions capitalistiques ou de contrôle.
Dans ce contexte, le souci légitime de la concurrence doit aussi tenir compte des réalités de marché très défavorables aux opérateurs européens. Il doit également prendre en considération les impératifs dune politique audiovisuelle dynamique favorisant leur développement.
Il va de soi que le renforcement des grands groupes européens doit saccompagner de règles garantissant le maintien dune production indépendante, vivier de talents nouveaux indispensable au renouvellement de lindustrie européenne des programmes.
Q - Le budget de laudiovisuel extérieur vous parait-il suffisant ? Doit-il augmenter ?
R - La communication que jai faite au Conseil des ministres le 30 avril dernier apporte une première réponse a cette question. Avec un budget de 1 milliard de francs consacrés à laudiovisuel extérieur, le ministère des Affaires étrangères se fixe trois objectifs nouveaux :
· améliorer substantiellement la qualité de TV5 (plus de fiction et de films, dissociation des signaux par grands continents) ;
· inciter les chaînes françaises (qui ne le font pas spontanément) à monter sur des bouquets satellitaires, en payant une partie des frais ;
· aider la vente de programmes aux télévisions étrangères, jusquici parent pauvre par rapport à la diffusion de chaînes publiques (TV5/CFI).
Cette année, nous évaluerons les premiers résultats de leffort financier consenti. Mais beaucoup dépend également de la coopération de nos partenaires francophones dans TV5, de lefficacité du recentrage des missions de CFI, du dynamisme des chaînes thématiques françaises, de la capacité de nos exportateurs de programmes de passer à la vitesse supérieure. Je suis obligé dêtre prudent devant une nouvelle augmentation de moyens pour laudiovisuel, surtout si elle devait être financée par redéploiement sur les autres actions du ministère des Affaires étrangères. Je rappelle que depuis 1994, les crédits consacrés à laudiovisuel par le ministère des Affaires étrangères ont augmenté de 28 %, sans compter les effets de la fusion intervenue en 1999 avec la Coopération. Cela étant, la concurrence internationale est tellement dure, ce secteur est à ce point névralgique, le poids des compagnies américaines tellement écrasant, que nous devons continuer à y consacrer des ressources significatives.
Q - Laudiovisuel extérieur, ce sont principalement des diffuseurs publics spécialisés. Compte tenu de limportance croissante de la dimension internationale dans laudiovisuel, est-ce quil ne serait pas plus rationnel que toutes les entreprises publiques aient une action extérieure conséquente ?
R - Je suis tout à fait daccord avec vous. Cest pour cette raison que jai proposé que la Cinquième/Arte et RFO rejoignent France 2 et France 3 dans TV5, afin de faire de cette chaîne une expression internationale de lensemble des chaînes publiques françaises. De même, le capital de CFI, détenu à 100 % par la Sofirad, va souvrir majoritairement aux chaînes publiques nationales, devenant ainsi leur instrument direct dingénierie audiovisuelle extérieure.
Q - Pourquoi lessentiel de leffort dépendrait-il dentreprises publiques et non pas des entreprises privées ?
R - Il ne sagit nullement dun choix a priori, mais je constate quaujourdhui, à lexception de Canal + et de MCM International (grâce à laide publique), il ny a pratiquement pas de présence internationale des chaînes françaises. Sur des continents entiers, Amérique latine et Asie par exemple, il ny a en tout et pour tout que TV5 et MCMI ! Cest pour cette raison que jai pris linitiative de réunir les grands patrons de laudiovisuel (public et privé ensemble) pour élaborer une stratégie internationale française. Cest pour cela que le ministère des Affaires étrangères lance en 1999 deux appels à propositions pour inciter les chaînes françaises à sexporter. A terme, si nous disposions de chaînes françaises privées très dynamiques sur tous les continents, la question de lexistence des opérateurs publics chargés de linternational se poserait. On en est encore loin, me semble-t-il.
Q - Envisagez-vous des mesures pour inciter dautres chaînes françaises à être présentes à létranger ?
R - Pour linstant, lessentiel de laction du ministère des Affaires étrangères repose, sur ce point, sur une enveloppe dune cinquantaine de millions de francs, destinée à faciliter la diffusion internationale de chaînes françaises. Un premier appel à propositions lancé en décembre a permis de réunir un certain nombre de dossiers sur lesquels nous allons statuer dans les semaines qui viennent. Un second appel sera lancé en mai ou juin pour permettre aux dossiers venus plus tard à maturité de se présenter.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier notre réseau à létranger, notamment les attachés audiovisuels des ambassades dont la compétence est de plus en plus reconnue et appréciée dans le milieu professionnel. Ils sont au service des exportateurs de programmes et des chaînes soucieuses daccroître leur zone de diffusion. Je mentionnerai aussi les relations étroites établies avec lAssociation des chaînes du câble et du satellite ou encore linstauration dun Prix du ministère des Affaires étrangères dans le cadre des Ithème du câble. Là encore, notre rôle est dinciter les opérateurs à prendre des initiatives.
Q - Bien quelle ait augmenté, laide à lexportation de programmes français de télévision reste très inférieure à laide à lexportation de films français. Or le chiffre daffaires à lexportation de la télévision est sensiblement plus important que celui du cinéma. Peut-on espérer au moins une aide équivalente pour la télévision ?
R - Jugées à laune de limpitoyable concurrence mondiale dans le domaine des images, les querelles de clochers ou de personnes me semblent dérisoires. Sortons de nos conflits et attaquons le marché mondial ! Pour répondre plus précisément à votre question, je crois que laide à lexportation de programmes télévisuels doit être soutenue vigoureusement. Encore faut-il que les exportateurs puissent eux aussi développer leur effort dans de plus grandes proportions. Pour sa part, le ministère des Affaires étrangères a déjà plus que triplé son aide à TVFI. Il faut sassurer que ces moyens nouveaux sont correctement utilisés.
Par ailleurs, en dehors des subventions directes, ce sont toutes les procédures de soutien qui doivent être revues. Soyons imaginatifs ! Jattends avec impatience les résultats du rapport demandé par M. Jacques Dondoux à M. Frank Soloveicik sur cette question. Concernant laide à lexportation du cinéma qui, pour sa partie commerciale, passe surtout par Unifrance, je suis attentif au travail de réflexion sur la stratégie qui est actuellement mené. Je pense également que le recentrage partiel de lactivité dUnifrance vers les grandes télévisions étrangères, nos principaux clients, est un pas positif.
Enfin, je souhaite que TVFI et Unifrance travaillent plus étroitement ensemble. Je me réjouis de constater que cest aussi lune des principales conclusions de laudit stratégique préparé à la demande dUnifrance par M. René Bonnell. Il convient maintenant de faire rentrer cette coordination dans les faits, grâce au soutien actif de ces organismes.
Q - Les chaînes thématiques offrent plus dopportunités dexportation de la création française que les télévisions hertziennes. Que faites-vous spécifiquement pour aider lexportation ou limplantation à létranger de chaînes thématiques ?
R - La complexité du système des droits de diffusion et lindisponibilité de nombreux programmes entraînent la conséquence que vous indiquez. Concernant les chaînes thématiques, jai déjà exposé notre action plus haut. Cela étant, je ne me résigne pas à labsence de chaînes hertziennes. Nous sommes bien parvenus à diffuser France 2 en Tunisie, avec des résultats remarquables pour la Francophonie dans ce pays. Même si lexpérience nest pas reproductible - encore que dans deux ou trois pays comme le Maroc, jy verrais des avantages considérables -, il convient de poursuivre nos efforts pour que ces chaînes nationales hertziennes soient de facto reprises dans les bouquets satellite diffusés à létranger. Certes, cest une réception payante, mais cest mieux que rien.
Q - Les producteurs se plaignent de la liste excessivement longue de pays pour lesquels ils sont obligés, quand ils produisent pour les chaînes publiques, de donner leurs programmes dans le cadre de la « diffusion culturelle ». La plupart de ces pays, comme ceux de lEurope orientale, sont solvables. Comptez-vous revoir cette liste ?
R - Je suis très soucieux des intérêts des producteurs, mais il faut quils fassent des efforts accrus à lexportation. Nous avons déjà supprimé de cette liste en 1998 tous les pays dAmérique latine, dAsie du Sud-Est et une bonne partie des pays dEurope orientale. Cest dire combien le ministère des Affaires étrangères est favorable à une adaptation de la liste de diffusion culturelle. A la demande des professionnels qui mont récemment saisi, une nouvelle concertation vise à réduire à nouveau cette liste, tout en tenant compte de lexistence de partenaires aux moyens réduits, mais capitaux pour nos relations internationales (péninsule indochinoise et Afrique notamment). Mais que chacun joue pleinement son rôle : aux producteurs de se montrer dautant plus actifs sur les nouveaux marchés émergents.
Q - Les grands groupes français de radio simplantent rapidement à létranger. Les pouvoirs publics doivent-ils et peuvent-ils accompagner ce développement ?
R - Le dynamisme international des opérateurs radiophoniques français est remarquable, et je tiens à le saluer. Il est dailleurs très divers. Les stratégies de NRJ, de Nostalgie - désormais sous linfluence du premier - et dEurope sont dailleurs très différentes. Le ministère des Affaires étrangères intervient déjà très fréquemment au profit de ces opérateurs : recherche dinformations et de partenaires ; démarches auprès des gouvernements et des autorités de régulation ; relations publiques au profit de ces groupes. Mon seul souci serait que ce dynamisme ne sétiole un jour, compte tenu des difficultés inhérentes à laction internationale. Mais pour linstant, ce nest pas le cas. Par ailleurs, au-delà des grands groupes, je crois que le ministère des Affaires étrangères doit sappuyer aussi sur certaines des radios françaises indépendantes, à la programmation souvent très pointue, animées dune formidable volonté de coopérer.
Q - Ne craignez-vous pas que la prochaine discussion sur le commerce international dans le cadre de lOMC ne conduise à la victoire totale du « laisser-faire », notamment dans le secteur audiovisuel ?
R - Le combat, car il sagit bien dun combat, sera difficile, car le secteur audiovisuel est stratégique pour plusieurs des grands partenaires de lOMC, tant pour son poids économique que par sa dimension culturelle.
Il faut bien sûr se mobiliser mais la France ne peut, dans une telle négociation multilatérale, faire entendre sa voix quà travers lunion européenne.
Il est donc pour nous capital de convaincre nos partenaires européens de limportance des enjeux du futur cycle de négociations de lOMC pour chacun dentre eux et pour lEurope dans son ensemble. La politique française, ce nest pas la défense de la seule culture française, cest avant tout laffirmation de lidentité européenne, riche de sa diversité, et la recherche dun véritable équilibre dans les échanges commerciaux audiovisuels./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr le 23 mars 1999)
R - Est-ce que le président Clinton lui-même ne déclare pas ouvertement que la présence audiovisuelle américaine dans le monde est une de ses priorités ? Est-ce que dans les discussions au Gatt ou à lOMC, en Pologne ou dans les pays baltes et, il y a quelques mois, en Corée (démantèlement des quotas de films), les négociateurs américains ne sont pas particulièrement offensifs ? Le rôle des images, est, à lévidence, devenu essentiel dans le façonnement des esprits, des mentalités, des modes de vie, sans parler des modes de consommation. Or il risque de sinstaurer dans le monde un véritable monopole de fait. On ne peut parler de monde multipolaire ou de diversité culturelle et de dialogue des civilisations et être aveugle. Dans de nombreux secteurs économiques, les Européens ont su sorganiser, préserver leur place ou la développer ; ils doivent manifester pour laudiovisuel une détermination à la mesure des enjeux. Cest pourquoi la France et sa diplomatie attachent, depuis longtemps, une si grande importance à laffirmation dune véritable politique audiovisuelle européenne.
Q - Est-ce à dire que les entreprises audiovisuelles françaises et européennes nont pas une taille suffisante pour lutter à armes égales contre les majors et les conglomérats anglo-saxons ?
R - Cest effectivement ma perception. Les poids respectifs des grands groupes de communication mondiaux ne laissent pas dinquiéter sur les résultats de ces confrontations audiovisuelles. Lanalyse faite par la revue professionnelle « Variety » sur les cinquante premières entreprises du secteur montre que huit des dix premiers groupes sont américains. Canal + est au 28ème rang, Vivendi (télécommunications) au 32ème, TF1 au 35ème et M6 au 49ème rang. Time Warner ou Disney pèsent dix fois plus que Canal +, Viacom ou News Corp, cinq fois plus.
Du point de vue des échanges de produits audiovisuels (y compris les recettes des salles de cinéma et la vidéo), le déficit européen à légard des Etats-Unis est denviron 40 milliards de francs et saccroît de 3 milliards par an.
Face à ce rapport de forces totalement déséquilibré, les groupes européens doivent être suffisamment forts pour éviter dêtre à leur tour absorbés, notamment à loccasion des négociations dachats de programmes américains, qui sont souvent assorties de conditions capitalistiques ou de contrôle.
Dans ce contexte, le souci légitime de la concurrence doit aussi tenir compte des réalités de marché très défavorables aux opérateurs européens. Il doit également prendre en considération les impératifs dune politique audiovisuelle dynamique favorisant leur développement.
Il va de soi que le renforcement des grands groupes européens doit saccompagner de règles garantissant le maintien dune production indépendante, vivier de talents nouveaux indispensable au renouvellement de lindustrie européenne des programmes.
Q - Le budget de laudiovisuel extérieur vous parait-il suffisant ? Doit-il augmenter ?
R - La communication que jai faite au Conseil des ministres le 30 avril dernier apporte une première réponse a cette question. Avec un budget de 1 milliard de francs consacrés à laudiovisuel extérieur, le ministère des Affaires étrangères se fixe trois objectifs nouveaux :
· améliorer substantiellement la qualité de TV5 (plus de fiction et de films, dissociation des signaux par grands continents) ;
· inciter les chaînes françaises (qui ne le font pas spontanément) à monter sur des bouquets satellitaires, en payant une partie des frais ;
· aider la vente de programmes aux télévisions étrangères, jusquici parent pauvre par rapport à la diffusion de chaînes publiques (TV5/CFI).
Cette année, nous évaluerons les premiers résultats de leffort financier consenti. Mais beaucoup dépend également de la coopération de nos partenaires francophones dans TV5, de lefficacité du recentrage des missions de CFI, du dynamisme des chaînes thématiques françaises, de la capacité de nos exportateurs de programmes de passer à la vitesse supérieure. Je suis obligé dêtre prudent devant une nouvelle augmentation de moyens pour laudiovisuel, surtout si elle devait être financée par redéploiement sur les autres actions du ministère des Affaires étrangères. Je rappelle que depuis 1994, les crédits consacrés à laudiovisuel par le ministère des Affaires étrangères ont augmenté de 28 %, sans compter les effets de la fusion intervenue en 1999 avec la Coopération. Cela étant, la concurrence internationale est tellement dure, ce secteur est à ce point névralgique, le poids des compagnies américaines tellement écrasant, que nous devons continuer à y consacrer des ressources significatives.
Q - Laudiovisuel extérieur, ce sont principalement des diffuseurs publics spécialisés. Compte tenu de limportance croissante de la dimension internationale dans laudiovisuel, est-ce quil ne serait pas plus rationnel que toutes les entreprises publiques aient une action extérieure conséquente ?
R - Je suis tout à fait daccord avec vous. Cest pour cette raison que jai proposé que la Cinquième/Arte et RFO rejoignent France 2 et France 3 dans TV5, afin de faire de cette chaîne une expression internationale de lensemble des chaînes publiques françaises. De même, le capital de CFI, détenu à 100 % par la Sofirad, va souvrir majoritairement aux chaînes publiques nationales, devenant ainsi leur instrument direct dingénierie audiovisuelle extérieure.
Q - Pourquoi lessentiel de leffort dépendrait-il dentreprises publiques et non pas des entreprises privées ?
R - Il ne sagit nullement dun choix a priori, mais je constate quaujourdhui, à lexception de Canal + et de MCM International (grâce à laide publique), il ny a pratiquement pas de présence internationale des chaînes françaises. Sur des continents entiers, Amérique latine et Asie par exemple, il ny a en tout et pour tout que TV5 et MCMI ! Cest pour cette raison que jai pris linitiative de réunir les grands patrons de laudiovisuel (public et privé ensemble) pour élaborer une stratégie internationale française. Cest pour cela que le ministère des Affaires étrangères lance en 1999 deux appels à propositions pour inciter les chaînes françaises à sexporter. A terme, si nous disposions de chaînes françaises privées très dynamiques sur tous les continents, la question de lexistence des opérateurs publics chargés de linternational se poserait. On en est encore loin, me semble-t-il.
Q - Envisagez-vous des mesures pour inciter dautres chaînes françaises à être présentes à létranger ?
R - Pour linstant, lessentiel de laction du ministère des Affaires étrangères repose, sur ce point, sur une enveloppe dune cinquantaine de millions de francs, destinée à faciliter la diffusion internationale de chaînes françaises. Un premier appel à propositions lancé en décembre a permis de réunir un certain nombre de dossiers sur lesquels nous allons statuer dans les semaines qui viennent. Un second appel sera lancé en mai ou juin pour permettre aux dossiers venus plus tard à maturité de se présenter.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier notre réseau à létranger, notamment les attachés audiovisuels des ambassades dont la compétence est de plus en plus reconnue et appréciée dans le milieu professionnel. Ils sont au service des exportateurs de programmes et des chaînes soucieuses daccroître leur zone de diffusion. Je mentionnerai aussi les relations étroites établies avec lAssociation des chaînes du câble et du satellite ou encore linstauration dun Prix du ministère des Affaires étrangères dans le cadre des Ithème du câble. Là encore, notre rôle est dinciter les opérateurs à prendre des initiatives.
Q - Bien quelle ait augmenté, laide à lexportation de programmes français de télévision reste très inférieure à laide à lexportation de films français. Or le chiffre daffaires à lexportation de la télévision est sensiblement plus important que celui du cinéma. Peut-on espérer au moins une aide équivalente pour la télévision ?
R - Jugées à laune de limpitoyable concurrence mondiale dans le domaine des images, les querelles de clochers ou de personnes me semblent dérisoires. Sortons de nos conflits et attaquons le marché mondial ! Pour répondre plus précisément à votre question, je crois que laide à lexportation de programmes télévisuels doit être soutenue vigoureusement. Encore faut-il que les exportateurs puissent eux aussi développer leur effort dans de plus grandes proportions. Pour sa part, le ministère des Affaires étrangères a déjà plus que triplé son aide à TVFI. Il faut sassurer que ces moyens nouveaux sont correctement utilisés.
Par ailleurs, en dehors des subventions directes, ce sont toutes les procédures de soutien qui doivent être revues. Soyons imaginatifs ! Jattends avec impatience les résultats du rapport demandé par M. Jacques Dondoux à M. Frank Soloveicik sur cette question. Concernant laide à lexportation du cinéma qui, pour sa partie commerciale, passe surtout par Unifrance, je suis attentif au travail de réflexion sur la stratégie qui est actuellement mené. Je pense également que le recentrage partiel de lactivité dUnifrance vers les grandes télévisions étrangères, nos principaux clients, est un pas positif.
Enfin, je souhaite que TVFI et Unifrance travaillent plus étroitement ensemble. Je me réjouis de constater que cest aussi lune des principales conclusions de laudit stratégique préparé à la demande dUnifrance par M. René Bonnell. Il convient maintenant de faire rentrer cette coordination dans les faits, grâce au soutien actif de ces organismes.
Q - Les chaînes thématiques offrent plus dopportunités dexportation de la création française que les télévisions hertziennes. Que faites-vous spécifiquement pour aider lexportation ou limplantation à létranger de chaînes thématiques ?
R - La complexité du système des droits de diffusion et lindisponibilité de nombreux programmes entraînent la conséquence que vous indiquez. Concernant les chaînes thématiques, jai déjà exposé notre action plus haut. Cela étant, je ne me résigne pas à labsence de chaînes hertziennes. Nous sommes bien parvenus à diffuser France 2 en Tunisie, avec des résultats remarquables pour la Francophonie dans ce pays. Même si lexpérience nest pas reproductible - encore que dans deux ou trois pays comme le Maroc, jy verrais des avantages considérables -, il convient de poursuivre nos efforts pour que ces chaînes nationales hertziennes soient de facto reprises dans les bouquets satellite diffusés à létranger. Certes, cest une réception payante, mais cest mieux que rien.
Q - Les producteurs se plaignent de la liste excessivement longue de pays pour lesquels ils sont obligés, quand ils produisent pour les chaînes publiques, de donner leurs programmes dans le cadre de la « diffusion culturelle ». La plupart de ces pays, comme ceux de lEurope orientale, sont solvables. Comptez-vous revoir cette liste ?
R - Je suis très soucieux des intérêts des producteurs, mais il faut quils fassent des efforts accrus à lexportation. Nous avons déjà supprimé de cette liste en 1998 tous les pays dAmérique latine, dAsie du Sud-Est et une bonne partie des pays dEurope orientale. Cest dire combien le ministère des Affaires étrangères est favorable à une adaptation de la liste de diffusion culturelle. A la demande des professionnels qui mont récemment saisi, une nouvelle concertation vise à réduire à nouveau cette liste, tout en tenant compte de lexistence de partenaires aux moyens réduits, mais capitaux pour nos relations internationales (péninsule indochinoise et Afrique notamment). Mais que chacun joue pleinement son rôle : aux producteurs de se montrer dautant plus actifs sur les nouveaux marchés émergents.
Q - Les grands groupes français de radio simplantent rapidement à létranger. Les pouvoirs publics doivent-ils et peuvent-ils accompagner ce développement ?
R - Le dynamisme international des opérateurs radiophoniques français est remarquable, et je tiens à le saluer. Il est dailleurs très divers. Les stratégies de NRJ, de Nostalgie - désormais sous linfluence du premier - et dEurope sont dailleurs très différentes. Le ministère des Affaires étrangères intervient déjà très fréquemment au profit de ces opérateurs : recherche dinformations et de partenaires ; démarches auprès des gouvernements et des autorités de régulation ; relations publiques au profit de ces groupes. Mon seul souci serait que ce dynamisme ne sétiole un jour, compte tenu des difficultés inhérentes à laction internationale. Mais pour linstant, ce nest pas le cas. Par ailleurs, au-delà des grands groupes, je crois que le ministère des Affaires étrangères doit sappuyer aussi sur certaines des radios françaises indépendantes, à la programmation souvent très pointue, animées dune formidable volonté de coopérer.
Q - Ne craignez-vous pas que la prochaine discussion sur le commerce international dans le cadre de lOMC ne conduise à la victoire totale du « laisser-faire », notamment dans le secteur audiovisuel ?
R - Le combat, car il sagit bien dun combat, sera difficile, car le secteur audiovisuel est stratégique pour plusieurs des grands partenaires de lOMC, tant pour son poids économique que par sa dimension culturelle.
Il faut bien sûr se mobiliser mais la France ne peut, dans une telle négociation multilatérale, faire entendre sa voix quà travers lunion européenne.
Il est donc pour nous capital de convaincre nos partenaires européens de limportance des enjeux du futur cycle de négociations de lOMC pour chacun dentre eux et pour lEurope dans son ensemble. La politique française, ce nest pas la défense de la seule culture française, cest avant tout laffirmation de lidentité européenne, riche de sa diversité, et la recherche dun véritable équilibre dans les échanges commerciaux audiovisuels./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr le 23 mars 1999)