Interview de M. Eric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique, à France Info le 19 mai 2010, sur le contre-projet du Parti socialiste sur la réforme des retraites.

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Média : France Info

Texte intégral

R. Duchemin.- E. Woerth bonjour.
 
Bonjour.
 
Merci d'être en direct avec nous ce matin pour commenter bien sûr le contre-projet du Parti socialiste, le PS vient donc de le formuler. Propositions pour réformer les retraites. Projet juste efficace, a dit hier soir M. Aubry. C'est bizarre, j'ai cru déjà entendre ça dans votre bouche, E. Woerth.
 
Oui c'est vrai mais tant mieux, ça veut dire que la façon dont on travaille sur cette réforme majeure des retraites est en train de convaincre les uns et les autres. Il faut que la réforme soit juste, c'est le titre de notre document d'orientation. Il faut évidemment qu'elle soit efficace, on ne comprendrait pas une réforme inefficace, donc il faut qu'elle soit efficace c'est-à-dire qu'elle assure l'équilibre des régimes de retraite pendant longtemps, qu'elle garantisse au fond la retraite des Français, c'est ça qui est important en toute justice et en tout équité.
 
Alors c'est la volonté affichée en tout cas des deux côtés, au niveau de l'opposition mais aussi du Gouvernement. On va prendre dans l'ordre : l'idée d'une retraite à la carte proposée par le PS par exemple, c'est quelque chose qui peut faire son chemin du côté du Gouvernement, ou pas du tout ?
 
Moi je n'ai pas compris ce que ça voulait dire parce que ce n'est pas développé, donc on verra. Au fond, le PS a proposé très rapidement des propositions un peu dans l'urgence, au fond un peu la cacophonie hier. Donc on va rentrer dans le détail au fur et à mesure du temps. Retraite à la carte, ça veut dire - au fond c'est sympathique - mais ça veut dire qu'on part quand on veut dans n'importe quelles conditions ; ça veut dire qu'en réalité ce n'est donc pas l'âge qui devient l'élément principal.
 
Vous avez vu que l'âge ça pose problème, vous n'êtes pas du tout d'accord, le PS dit 60 ans on n'y touche pas.
 
Mais c'est le montant de la retraite et donc ça veut dire que la retraite à la carte, c'est au fond la diminution des pensions de retraite, c'est ça, et ça nous n'en voulons pas, nous ne voulons pas diminuer les pensions de retraite des Français. Mais M. Aubry, quand elle avait fait les 35 heures, avait arbitré en réalité en faveur d'une diminution du pouvoir d'achat contre une diminution du temps de travail. Mais c'est la même chose : la proposition du PS c'est au fond l'arbitrage pour une diminution du montant des pensions et des retraites des Français. Ca je trouve que ce n'est pas acceptable parce qu'on ne peut pas...
 
Je ne suis pas sûr qu'ils fassent exactement la même lecture.
 
Oui mais c'est le cas, oui mais c'est exactement le cas. C'est un choc fiscal sans précédent la proposition du Parti socialiste. C'est 20, 30, 40 milliards d'euros de fiscalité et de cotisations en plus. Ce choc fiscal sans précédent curieusement est là pour répondre à un choc démographique. Il n'y a pas de réponse démographique, alors qu'il y a une réponse par l'impôt et par les cotisations. La « Dame des 35 heures » se transforme en « Dame des impôts ».
 
Parlons justement des leviers démographiques : l'âge légal de départ et aussi la durée de cotisations. Visiblement, le Parti socialiste ne souhaite pas toucher à l'allongement de cette durée de cotisations. Vous c'est une piste que vous envisagez plus sérieusement ?
 
Je trouve vraiment que... enfin le Parti socialiste se trompe d'analyse, et donc il se trompe de réponse. Le régime par répartition qui est notre régime, qui fait parti de notre patrimoine je trouve social, fonctionne tout simplement parce que c'est la solidarité entre des générations. Et quand vous vivez plus longtemps - et c'est tant mieux, c'est une formidable nouvelle pour les uns et pour les autres - quand vous vivez plus longtemps, au fond vous restez plus longtemps à la retraite. Et donc votre retraite coûte beaucoup plus cher, et il faut de plus en plus d'actifs pour payer cette retraite. Et comme il n'y a pas de plus en plus d'actifs pour payer cette retraite, il faut à ce moment là évidemment au coeur d'un changement mettre l'idée qu'on travaillera à un moment donné plus longtemps. Il faut l'accepter comme d'autres pays l'ont accepté, c'est inéluctable. Soit on veut sauver notre système par répartition...
 
Reste à savoir où est-ce qu'on met le curseur : 61, 62, 63 ?
 
Oui, on répondra à tout cela... Soit on veut sauver notre système par répartition et on regarde les choses en face, on ne nie pas la réalité, on n'essaye pas de contourner l'obstacle comme le fait le Parti socialiste ; ils essayent de contourner l'obstacle pour des raisons je ne sais pas démagogiques, électoralistes ou des raisons de conviction, je ne sais pas, ce n'est pas ma question. A force de vouloir éviter l'obstacle, on passe à côté de la question. Et ce choc fiscal c'est un choc fiscal contre l'emploi des Français, c'est un choc fiscal contre le pouvoir d'achat parce que ce sont des classes moyennes qui sont touchées. Ce n'est pas uniquement les hauts revenus. En plus, l'ensemble des données qui sont là dans le document pour dire « on fera 20 ou 30 milliards d'euros de plus de recettes », ce sont des données qui sont souvent fausses, qui sont erronées.
 
Il y a un chiffrage : 45 milliards d'euros.
 
Oui mais vous vous rendez compte ! L'impôt sur le revenu c'est déjà 50 milliards, donc ça veut dire que vous allez créer une énorme bombe fiscale dans le pays. Mais c'est ça elle explose, une bombe fiscale que vous faites exploser dans le pays. Qu'est-ce qui est touché ? C'est au fond le revenu des Français et puis c'est l'emploi. Mais on peut prendre des exemples pour montrer que le PS doit revoir sa copie parce que le PS doit retravailler pour donner de vrais chiffres et pas des chiffres fantaisistes.
 
Mais je voudrais qu'on en vienne au revenu du capital.
 
Je peux vous donner des exemples...
 
Oui je voudrais quand même qu'on avance un petit peu.
 
Allez-y, bien sûr, mais on avance.
 
Les revenus du capital, E. Woerth, ça c'est une piste que vous avez-vous aussi évoquée, donc ça veut dire que sur la philosophie, vous êtes quand même assez d'accord. En revanche, l'idée socialiste c'est de taxer les banques, d'augmenter aussi les prélèvements sociaux sur les bonus et les stock-options, d'appliquer de la CSG sur les revenus du capital qui en sont actuellement exonérés, alors ?
 
Moi je suis, je l'ai dit, le président de la République l'a dit, donc évidemment nous sommes favorables à des ressources supplémentaires. Donc en cela, on a un accord, on est évidemment favorables pour des raisons d'équité et parce que c'est très important qu'il y ait des ressources supplémentaires. On a dit des « ressources ciblées, pas d'augmentation générale ». Ce n'est pas la bombe fiscale du Parti socialiste. Donc ça c'est évidemment important.
 
Mais l'augmentation générale, ce serait quelque chose de plus juste, peut-être, aux yeux des Français, non ?
 
Non, bien sûr que non, enfin si les classes moyennes c'est bien de les faire payer, il ne faut pas hésiter. Augmenter les cotisations sociales ? Chaque fois qu'on augmente d'un point les cotisations sociales des entreprises, c'est 50.000 emplois de moins, c'est 50.000 chômeurs de plus. Il faut voir ça parce qu'elles sont déjà très élevées. On ne peut pas jouer avec le feu. Quand le Parti socialiste va chercher des recettes, en fait il trouve de fausses recettes. L'impôt sur les sociétés : ils disent il faut augmenter les banques, bon. Ce qui est très important dans un système de retraites, c'est d'avoir des ressources stables dans le temps parce qu'on va payer vos retraites, donc il vaut mieux que les ressources elles soient stables. Là, ce sont des ressources qui ne sont pas stables du tout ; l'impôt sur les sociétés des banques, il n'y a rien de plus volatile, ça dépend des marchés financiers. Si on veut lier les retraites des Français aux marchés financiers, il faut surtout faire ça. Et l'impôt sur les sociétés des banques, le PS dit on va trouver 3 milliards de plus. Sauf que l'impôt sur les sociétés des banques, tout l'impôt sur les sociétés payées par les banques en 2009 c'est 2 milliards, c'est 2 milliards. Donc je ne sais pas comment on fait. On peut toujours doubler, au fond ce sont les Français qui payeront parce qu'à ce moment là les banques le refactureront à tout le monde, c'est juste pas possible. Quand on dit les bonus, les stock-options, tout ça c'est bien, il faut dire stock-options parce que ça c'est bien sur le plan électoral...
 
Ben ça parle aux Français.
 
Oui mais nous on a ... mais peut-être que d'ailleurs on fera quelque chose sur les stock-options, on a déjà fait depuis deux ans. Depuis deux ans, on a déjà rétabli une vraie justice sur les stock-options mais peut-être faut-il aller plus loin, je ne ferme pas la porte. Mais quand le Parti socialiste dit on va trouver 2 milliards là-dessus, entre les stocks options et le bonus des traders, les bonus des traders c'est 700 millions, on l'a déjà taxé à 50%. Et sur les stock-options, la base, l'assiette, tous les stock-options qui sont distribués au fond en France c'est 2 milliards d'euros. Moi je veux bien qu'on les taxe à 100% ou à 70% mais à ce moment là, il n'y a plus d'assiette. Donc ce sont des recettes qui sont virtuelles, tout simplement parce que ce n'est pas possible d'imposer à la société française un tel choc fiscal.
 
Alors il y a quelque chose qui a beaucoup parlé aux Français ces derniers jours, c'est quand vous avez évoqué la possibilité de taxer justement les hauts revenus, en tout cas de demander une contribution. La barrière on l'a situe où, E. Woerth, aujourd'hui ? Est-ce qu'on a une idée précise ?
 
On est dans un processus de concertation, j'ai rencontré hier Force Ouvrière sur le document d'orientation, qui est un document sérieux, qui dit beaucoup de choses. Donc on est dans ce rythme de concertation. Et à partir de ce document, je lance une deuxième phase de concertation...
 
Mais vous avez bien une idée ?
 
Et cette deuxième phase de concertation, elle va nous permettre d'affiner tout cela. On a dit « hauts revenus ». On précisera lesquels.
 
Oui parce que certains disent que c'est peut-être juste une mesure cosmétique pour...
 
C'est un peu flou, je suis d'accord parce que quand on dit hauts revenus, après, il faut préciser. Mais ça sera précisé dans le texte et le texte, eh ben on ne va pas aller plus vite que la musique, on nous a déjà dit qu'on allait trop vite. Alors maintenant on nous dit qu'on va trop lentement. On va à notre rythme ; il y a des contributions des uns et des autres, tout d'un coup il y a une contribution du Parti socialiste, bon ben très bien, on va la prendre en compte mais il faut surtout que le Parti socialiste revoit sa copie. Et puis de l'autre côté, il y a des contributions des partenaires sociaux.
 
Alors justement...
 
On sait qu'il y a des oppositions. Et l'opposition majeure, au fond, c'est de travailler plus longtemps, c'est de dire il n'y a pas de raison de travailler plus longtemps. Sauf que notre système de retraite il est fondé sur la vie, sur la vie des Français, et la vie des Français elle s'allonge, et ça c'est une bonne idée. Et donc il faut bien en tenir compte. Si on oublie ça, voilà il y a un obstacle, on décide que la meilleure façon de le passer c'est surtout de ne pas le sauter, de passer à côté. Sauf que quand on passe à côté de l'obstacle, eh bien comme en 110 mètres haies, à ce moment-là, on est disqualifié.
 
E. Woerth il y a une question qui taraude pas mal les Français ce matin dans l'actualité : c'est y a-t-il ou pas une nouvelle polémique concernant les logements de fonction, en l'occurrence de C. Estrosi. Il est montré du doigt dans le Canard Enchaîné, il a démenti ; mais visiblement, il aurait deux appartements de fonction, l'un dans le 7ème arrondissement, l'autre au ministère à Bercy. Bercy, un lieu que vous connaissez bien puisque vous y étiez aussi. Qu'est-ce qu'on fait, deux logements de fonction c'est possible ou pas ?
 
Moi je connais les deux endroits, donc je ne connais pas... Enfin, je connais les deux endroits, donc c'est assez clair. A Bercy, il y a des studios, je crois que C. Estrosi en a fait un bureau. Et puis il y a un appartement, enfin une sorte de petit appartement de fonction, rue de Lille, où Bercy a une sorte de bâtiment annexe au centre de Paris, et c'est celui là qui est affecté comme logement de fonction, comme les membres du Gouvernement y ont le droit dans des circonstances très transparentes puisque ce sont des circulaires qui règlent cela.
 
Mais ça fait quand même plusieurs affaires sur les logements.
 
Non, pourquoi plusieurs affaires ?
 
Il y a eu beaucoup d'affaires sur les logements ces dernières années, est-ce qu'il ne faut pas faire quelque chose ?
 
Non, il y en a eu une qui a permis au Gouvernement, il y a quelques années...
 
L'affaire Gaymard...
 
...J.-P. Raffarin, de revoir les mètres carrés disponibles, de dire dans quelles conditions... Je voudrais dire quand même que ces logements parce qu'il faut toujours assumer les choses, c'est normal d'avoir un logement de fonction quand vous n'habitez pas Paris et que vous avez une fonction comme celle-là. Deux : c'est normal aussi de payer des impôts là-dessus, donc les logement de fonction ils sont réintégrés dans les revenus, ce sont des avantages en nature, donc réintégrés dans le revenus des ministres, évidemment les ministres payent la taxe d'habitation, les ordures ménagères et les charges de ces logements, donc ne fantasmons pas. Et C. Estrosi respecte la règle.
 
Merci E. Woerth.
 
Merci.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 21 mai 2010