Texte intégral
Q - Bernard Kouchner, vous êtes le ministre français des Affaires étrangères et européennes. Pour tous ceux qui l'auraient oublié, je rappelle votre parcours en quelques mots. Médecin de formation, très vite vous avez été emporté aux quatre coins du monde, Biafra, Liban, Kurdistan, Vietnam, par la cause humanitaire. Vous êtes co-fondateur de Médecins sans frontières et, ensuite, de Médecins du monde. Ensuite, le virus de la politique vous a rattrapé : secrétaire d'Etat à l'Action humanitaire, secrétaire d'Etat et ministre de la Santé à plusieurs reprises. De 1999 à 2001, Haut représentant de l'ONU au Kosovo ; à nouveau ministre de la Santé jusqu'en 2002. Ensuite, vous tournez le dos au Parti socialiste ou le Parti socialiste vous tourne le dos, c'est selon.
R - C'est un peu plus tard, mais enfin ce n'est pas grave.
Q - Oui, c'est entre 2002 et 2007, c'est plus près de 2007 que de 2002, on va dire. En tout cas, en 2007, vous soutenez d'abord Ségolène Royale et puis vous acceptez la proposition de Nicolas Sarkozy de rejoindre la majorité présidentielle et de devenir ministre des Affaires étrangères et européennes ; un poste que vous occupez depuis mai 2007.
Alors, beaucoup de questions dans l'actualité internationale ce dimanche, mais d'abord, si vous le permettez, le sujet dont tout le monde parle en France et peut-être aussi dans le reste du monde : l'affaire Anelka, l'affaire des Bleus, ses propos injurieux à l'égard de l'entraîneur Raymond Domenech, la quasi-élimination des Bleus au premier tour de la Coupe du monde. Cela vous inspire quoi ? Vous pensez que cela pourrait avoir une influence sur l'image de la France dans le monde ou ce n'est pas aussi grave que cela ?
R - Cela peut avoir une influence que j'espère passagère. Mais je ne suis pas un spécialiste du foot, je ne suis pas comme ces intellectuels qui font de la stratégie footballistique et ont toutes sortes de théorie. Je pense d'abord à ceux qui aiment le football et cela ne doit pas leur faire plaisir. Et c'est une bien triste affaire. Est-ce que cela va ternir l'image de la France ? J'espère que non. J'espère la France gagnante, ce qu'elle fut. Mais c'est une caricature de la France, c'est vraiment un feuilleton épouvantable.
Q - Cela révèle quoi selon vous ?
R - Encore une fois, je ne suis pas spécialiste, mais j'espère que nous redresserons très vite cette image si elle est endommagée. Le football est une fête universelle ; en tout cas le partage le plus globalisé, mondialisé qui existe. Tout le monde s'intéresse au football, tout le monde, à travers la planète, connaît les acteurs de ce très mauvais feuilleton, les acteurs français. On connaît heureusement aussi les autres et la Coupe du monde continue et nous avons encore un match à jouer.
Q - Je voudrais vous citer justement peut-être l'un de ces intellectuels qui ont des théories footballistiques, c'est Alain Finkelkraut aujourd'hui dans le "Journal du Dimanche", qui dit qu'"à la différence des autres équipes nationales, les joueurs de l'équipe française refusent d'incarner leur nation, en sales gosses boudeurs et trop riches" et il dit que ce qui est arrivé à Domenech, c'est le lot quotidien des éducateurs et des profs dans les cités sensibles. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
R - Cela m'inspire une triste pensée. Ce qui s'est passé ne va pas faciliter le rôle des éducateurs. Et en cela, je crois qu'Alain Finkielkraut a raison. Mais ce n'est pas la coutume, franchement, il ne faut pas exagérer ! Dans les vestiaires - pour avoir pratiqué un certain nombre de sports - on s'insulte, ce n'est pas très nouveau.
Q - Mais est-ce que les joueurs de l'équipe de France sont "des sales gosses boudeurs et trop riches" ?
R - Tout le monde est payé comme ça. C'est scandaleux la façon dont ils sont payés mais ce n'est pas réservé aux Français ! Encore une fois, je n'y connais rien, je ne suis pas un amateur de foot et je ne sais pas combien sont payés les autres. Mais je sais qu'il y en a qui sont encore beaucoup plus payés que les Français. C'est énorme, Ils sont cités en exemple à chaque fois que l'on pense que certains gagnent trop d'argent. Arrêtons ! On fait de la publicité pour cette horrible histoire ! S'il vous plaît !
Q - Un dernier mot là-dessus. Ce que sous-entend en quelque sorte Alain Finkielkraut, c'est que ce serait un peu la fin du mythe "black-blanc-beur" d'une équipe de France...
R - J'espère que non. J'espère qu'il se trompe. Il n'y a pas que cela ! Il y a une tension dans cette équipe qui représente, d'une certaine façon, une très mauvaise image. Est-elle réelle ? Je ne le crois pas. Est-elle véritablement ce qu'il faut retenir de la France ? Je suis sûr que non. Et puis, on perd des matchs, on en gagne... Ca va comme ça ! On ne va pas en faire une salade !
Q - L'actualité en Pologne. Il y a des élections présidentielles aujourd'hui dans ce pays, un enjeu polonais évidemment après la mort du président Lech Kazinski dans le crash de son avion en avril dernier. Son frère jumeau, Jaroslav Kazinski est candidat face au libéral Komarovski. C'est une élection, Bernard Kouchner, qui peut aussi avoir des conséquences au niveau européen ?
R - Quant on connaît M. Kaczynski, bien sûr on pense que cela pourrait avoir des conséquences pour l'Europe. Mais M. Komarovski représente une tendance tout à fait européenne et, apparemment, il était donné favori. Attendons de voir mais, en tout cas, notre collaboration quotidienne, je peux vous le dire - d'ailleurs, Radek Sirkovski vient pour la réunion du Triangle de Weimar mercredi à Paris -, c'est une vraie fraternité avec les Polonais. Notre collaboration se complète d'une meilleure entente avec les Russes - d'ailleurs, mercredi, Sergueï Lavrov, le ministre russe, vient aussi. Je crois que c'est non seulement palpable, mais très important.
Le Nord de l'Europe, dans cette entente, c'est un peu nouveau. Il y a eu malheureusement la mort du président Kaczynski, je regrette tout cela, mais il y a un certain nombre de crises dont on sort un peu grandi ; je ne fais aucune allusion à cette histoire précédente.
Q - Le fait politique que la Pologne soit plutôt européenne ou non, cela a une importance ?
R - Bien sûr que cela a une importance, particulièrement par rapport à la nécessité absolue d'une défense européenne. Les Polonais sont extrêmement favorables à des démarches de ce genre et j'ai eu la bonne surprise de constater que le nouveau gouvernement britannique - vous savez que la France et le Royaume-Uni partagent plus de 50 % de l'effort militaire en réalité, d'abord au niveau du budget et ensuite sur le terrain -, que le ministre des Affaires étrangères de M. Cameron, c'est-à-dire William Hague, est quand même plus ouvert qu'on ne le pense. Il vient de continuer d'assurer la direction de l'Opération anti-piraterie Atalante. Ce n'est pas que je pense que les problèmes de la Somalie pourraient se régler en mer, mais enfin ils sont à Northwood et donc ils continuent, c'est une bonne chose.
Q - Vous allez donc rencontrer vos homologues polonais, allemand et russe prochainement ; pour discuter de quoi ? Est-ce qu'il faut donner à la Russie un rôle dans les questions de sécurité et de défense en Europe ? C'est une idée que la chancelière Merkel commence à pousser avec son homologue russe.
R - Ce ne serait pas mauvais en soi ; c'est quand même une idée française. La première réponse a été française, elle venait à la suite du discours de Kaliningrad de M. Medvedev.
Hier, avec M. Medvedev, à Saint-Petersbourg, nous avons abordé à nouveau le problème. Il y aura davantage de rencontres à trois : c'est-à-dire Allemagne, Russie et France. Et puis, surtout, nous allons approfondir : qu'est-ce cette idée d'une défense commune signifie ? Une sécurité d'abord commune ? Est-ce que cela veut dire que la Russie tenterait de rejoindre l'Union européenne ? Ou qu'au contraire - pardon de ce tunnel, c'est une chose importante -, on pourrait proposer un autre cercle qui joindrait la Biélorussie, la Moldavie, l'Ukraine, etc., éventuellement la Turquie. Tout cela, il faut y travailler pour savoir quels avantages en tireraient nos amis russes.
Q - Il y a eu ces violences tragiques au Kirghizstan. On parle de 2.000 morts en 10 jours, des violences inter-ethniques entre Kirghizes et Ouzbèques auxquelles s'ajoutent des centaines de milliers de réfugiés, le plus souvent ouzbèques d'ailleurs. Le Kirghizstan est un pays stratégique, il est au sud de la Russie, à l'ouest de la Chine, pas très loin de l'Afghanistan d'ailleurs. Ce sont des populations qui sont victimes de rivalités ethniques et aussi géo-stratégiques entre les camps, entre l'Est et l'Ouest ? On parle des intérêts russes, on parle des intérêts américains dans la région ?
R - Bien sûr. Et je me méfie du mot "stratégie" parce que tout est stratégique de nos jours.
Q - "Stratégique" dans le sens où le pays sert de base aérienne pour l'envoi de troupes en Afghanistan.
R - Absolument. Et nous sommes très intéressés par ce qui se passe. Je vais en reparler avec Sergueï Lavrov mercredi. Nous tenterons d'avoir une action commune. Mais je vous signale déjà que nous sommes deux pays, la Russie et la France, à avoir secouru le Kirghizstan et en particulier ces Ouzbeks qui se réfugient en Ouzbékistan parce que la frontière s'ouvre et se ferme. Il y a au moins 100.000 personnes concernées pour le moment. Il y a des milliers de blessés et vous allez me dire : qu'est-ce que vous faites du droit d'ingérence ? Qu'est-ce que vous faites ? Eh bien, nous faisons ce que nous pouvons. Nous sommes les seuls à avoir posé un avion humanitaire à Och.
Q - L'ONU envoie de l'aide humanitaire...
R - Elle n'est pas encore là ! Nous, nous y sommes et la Russie aussi d'ailleurs.
Que peut-on faire de plus ? Lorsque personne ne veut maintenant participer à des opérations de maintien de la paix ou peut-être même des opérations humanitaires - quand je faisais de l'humanitaire, je savais que c'était de la politique - parce que ne pas intervenir au Kirghizstan maintenant, ne pas intervenir humanitairement, c'est de la politique.
Q - L'humanitaire, Monsieur le Ministre, ce n'est pas un rôle de médiation, or beaucoup d'observateurs dont les analystes de "crisis groups" - je crois que vous recevez leur président prochainement -, disent qu'il faut avoir une médiation internationale, pas seulement des envois d'avions et d'aide humanitaire mais une réelle présence avec un effort de médiation internationale. Or, on ne le voit pas du tout dans une région qui est une poudrière ?
R - Vous ne voyez pas l'effort de médiation de la France, vous êtes bien la seule Madame ! Vous en faites des articles toutes les semaines. S'il vous plaît, Madame la Présidente de l'"international crisis group", dont j'ai été l'un des fondateurs, on ne la voit pas non plus faire des entreprises de médiations. Ils informent, tout de même. Faire une entreprise de médiation, c'est avoir évidemment au moins l'oreille des deux côtés. Je pense que c'est que fait la France. Je ne prends que l'exemple de la Géorgie, parce que nous en avons parlé hier à Saint-Pétersbourg. La crise en Géorgie, nous l'avons réglée tout seuls et nous avons, d'une certaine façon, réussi. En tout cas, M. Saakachvili, le président géorgien, et le président russe, hier, approuvaient cette démarche, approuvaient les pourparlers de Genève, même s'ils sont éternels, comme tous les pourparlers. Il faut essayer, et pour cela, il faut d'abord être en position d'essayer. Je pense que la France, la politique étrangère de la France, est écoutée dans le monde entier. Hélas moins en France, je vous l'accorde Madame, mais vous allez changer cela !
Q - Une forme de médiation serait en fait peut-être d'envoyer des troupes. La Russie a l'air assez réticente...
R - Mais vous ne pouvez pas lancer des opérations de maintien de la paix ainsi.
Q - C'est une question que je vous pose.
R - Oui, mais je vous réponds négativement.
Q - La Russie devrait-elle intervenir, serait-ce souhaitable ?
R - Ils ne veulent pas intervenir parce qu'ils pensent que maintenant, en réalité - je vous donne leur analyse qui n'est pas exactement la mienne -, les Ouzbeks qui sont passés en Ouzbékistan ne reviendront pas, qu'il faut essayer d'apaiser la situation. Il faut que les élections aient lieu, plus précisément le référendum qui interviendrait à la fin du mois de juin. Cela renforcerait-il le gouvernement provisoire ? Je l'espère, c'est du moins la question que se posent les Russes. Les Américains ne veulent pas davantage, ils ont envoyé également de l'aide humanitaire. Je crois qu'elle est maintenant arrivée.
Q - On a quand même le sentiment que les grandes puissances se tiennent à l'écart de cette crise et que la crise se poursuit sans que personne, réellement, ne cherche à l'arrêter ?
R - La France intervient mais, que voulez-vous, il y a eu pendant 20 ans la mode de l'intervention humanitaire, de l'intervention de maintien ou d'imposition de la paix. Or, aujourd'hui, les Nations unies ne représentent plus assez et nous allons essayer, quand Nicolas Sarkozy sera président du G20, de réformer les Nations unies. Tout le monde a renoncé mais il ne faut pas renoncer parce ce que l'on ne peut pas aller très loin avec une Organisation des Nations unies impuissante. Que fait-on sans le Conseil de sécurité ?
Q - On parle des relations de la France avec la Russie. On peut aussi en parler dans le dossier du nucléaire de l'Iran. L'Union européenne a adopté jeudi à Bruxelles de nouvelles sanctions contre l'Iran comme l'interdiction entre autre d'investissements ou de transferts de technologies en particulier dans le secteur du gaz et du pétrole, surtout en ce qui concerne le raffinage, l'un des points faibles de l'Iran. Ce sont des sanctions qui peuvent faire mal à l'Iran. Et puis samedi en Russie, avec le président Medvedev, Nicolas Sarkozy s'est dit prêt à engager sans délai des négociations avec l'Iran et l'Agence internationale de l'énergie atomique. On a l'impression qu'il y a deux politiques, deux fers au feu : en même temps les sanctions et en même temps le dialogue.
R - C'est ce que fut la politique de la France en permanence. Les sanctions sont sans doute intervenues au Conseil de sécurité des Nations unies mais aussi en Europe sur proposition de la France. Sur Gaza, avec mes amis Miguel Angel Moratinos et Franco Frattini - dommage que nous n'ayons pas eu également le ministre britannique avec nous - nous avons proposé...
Q - L'Espagnol Moratinos et Frattini l'Italien.
R - En effet les ministres des Affaires étrangères d'Espagne et d'Italie. Nous avons fait des propositions pour faciliter la levée du blocus de Gaza ce qui a été adopté, non sans difficulté, au Conseil des Affaires extérieures lundi dernier. Nous avons aussi proposé de nouvelles sanctions contre l'Iran. Les 27 les ont acceptés, mais nous avons toujours dit que les sanctions étaient pour signifier l'unité de la communauté internationale et que nous proposions le dialogue parallèlement. Je n'ai pas cessé de parler avec les Iraniens et je continuerai.
Q - Deux pays ont voté contre la résolution de sanctions à l'ONU, dont un la Turquie qui est un membre de l'OTAN, donc un allié. Le comportement de la Turquie sur ce dossier iranien, qui a été une opposition frontale aux Européens et aux Américains, est-il un problème et comment travailler avec la Turquie sur ce dossier de l'Iran ?
R - Il y a deux problèmes distincts sur cette question de la Turquie : la façon dont on les accueille ou on les accueillerait en Europe et leur politique internationale.
Nous avons salué la position internationale, pas seulement de la Turquie mais de la Turquie et du Brésil. Ce n'est pas mal d'essayer de dialoguer, nous l'avons fait à plusieurs reprises, j'ai rencontré à de multiples reprises les Iraniens. En réalité, la démarche du Brésil et de la Turquie n'est pas exactement la même. Le Brésil est une grande puissance en Amérique latine et un nouveau venu dans les pays émergents, tandis que la Turquie, membre de l'OTAN, est la grande amie des Américains. Ce n'est pas pareil et cela pose un certain nombre de problèmes : la Turquie se pose-t-elle en arbitre ou en intermédiaire avec le monde arabe ? Sa politique va-t-elle véritablement changer ? Nous le verrons bientôt.
Q - Vous n'avez pas de réponse ?
R - Attendez, il y a eu deux votes. Et les Libanais - ce qui a été un succès - se sont abstenus. Pourtant les Libanais sont placés aux côtés de la Turquie, de la Syrie. Il y a eu une majorité et je crois que les sanctions ont été bien interprétées, puisque la Turquie a dit elle-même qu'elle allait appliquer les sanctions. Il faut continuer à travailler avec la Turquie, c'est d'ailleurs ce qu'a répété hier soir le président Sarkozy au président Medvedev.
Vous savez ce n'est pas facile, il y a eu un petit raidissement, évidemment ils ont été choqués par l'attitude de leurs amis, je parle des Américains comme des Turcs.
Q - Confirmez-vous cette impression des Brésiliens d'être lâchés par les Américains, ils auraient, en fait, fait cette proposition avec les Turcs, en accord avec les Américains et quand la proposition a été acceptée par l'Iran et a produit le vote que l'on sait à l'ONU, les Américains auraient lâché les Brésiliens en rase campagne. Etes-vous au courant de cela ?
R - Je ne crois pas que l'on puisse dire cela. On peut dire cela pour une entente forte, comme une grande alliance entre la Turquie et les Etats-Unis, mais je pense qu'en Amérique latine la situation est différente. La position du Brésil est particulièrement importante. C'est un pays qui se développe rapidement, une démocratie tout à fait exemplaire, avec notamment des racines ouvrières qui sont, avec le syndicalisme, celles du président, ce qui le porte à ne pas accepter ce qui s'acceptait facilement.
Q - La représentante brésilienne à l'ONU avait des mots très durs contre l'adoption de cette résolution notamment sur le calendrier ?
R - Je pense qu'ils ont été déçus. Je le dis avec beaucoup de respect à l'égard du président Lula, qui est un grand ami de la France - et nous, nous sommes des grands amis du gouvernement brésilien. Nous avions l'habitude, nous savions qu'avec les Iraniens, on parle de tout sauf du sujet principal. Nous les avions informés et nous n'avons pas condamné leur démarche. Nous avons soutenu leur tentative - qui ne s'est pas avérée extrêmement positive -. Cela n'empêche pas que l'on continue de proposer le dialogue avec les Iraniens, et nous continuerons.
Q - La chose la plus importante c'est tout de même le nucléaire, le nucléaire iranien. N'y a-t-il pas une obsession nucléaire de la part des Occidentaux ? L'ancien président iranien Khatami et la Prix Nobel de la Paix Shirin Ebadi ont, tous les deux, regretté cette semaine en disant que les Occidentaux feraient mieux de s'occuper de la répression en Iran et de soutenir l'opposition iranienne plutôt que de s'occuper du nucléaire ?
R - Il y aussi la position de M. Karoubi qui vient de parler et qui a été merveilleusement courageux. L'opposition est symbolisée par le mouvement vert iranien. Madame Shirin Ebadi a toujours tenu ce discours. Elle est contre les sanctions, c'est une position que je comprends très bien, il ne faut pas sanctionner le peuple iranien...
Q - Vous êtes "chaud" pour les sanctions ?
R - Je ne suis pas enthousiaste. Mais dans le cas présent, elles sont ciblées sur le développement éventuel du nucléaire militaire et sur le développement du nucléaire en général avec des sanctions très précises, à l'encontre notamment des gardiens de la révolution qui profitent de la situation économique. Jamais ces sanctions ne visent le mouvement vert, nous sommes au contraire très proche d'eux, dans la mesure où l'on peut être proche sans ingérence, si j'ose dire.
Q - Surtout qu'en Iran, il y a une sorte de consensus autour de la question nucléaire, la plupart des Iraniens sont pour.
R - Non, c'est tout à fait faux ! Le mouvement vert n'est pas en faveur du nucléaire militaire. En revanche, tout le monde est en faveur du nucléaire civil. Nous avons même tenté de les aider, la France et la Russie, nous avions avancé des propositions sur le réacteur de recherche de Téhéran.
Q - C'est un sujet très sensible, cela touche la fibre nationaliste iranienne ?
R - Je ne peux pas vous laisser dire que les Iraniens en général, dans leur grande majorité, soient pour le développement du nucléaire militaire, sûrement pas !
Q - Je n'ai pas dit militaire, j'ai dit pour le nucléaire en général.
R - Mais nous aussi, les Français, sommes favorables et nous leur avons proposé de l'aide .
Q - La question est de savoir s'ils trichent ou pas ?
R - J'aimerais bien le savoir. Nous nous méfions, nous n'avons rien d'anti-iranien. Nous sommes évidemment pour la paix au Moyen-Orient, dans une région où la moindre petite étincelle ferait sauter l'ensemble. Nous nous méfions donc, et nous tentons, comme avec la Syrie, l'Irak, le Liban, la Turquie, d'apaiser les tensions, du moins de ne pas les intensifier. Concernant le développement du nucléaire civil iranien, il n'y a aucun problème de principe. Mais il faut d'abord lever tous les doutes.
Q - S'agissant du dossier iranien dans la perspective du G20. J'avais une question sur le monde multipolaire dans lequel nous nous trouvons aujourd'hui. On a vu la Turquie et le Brésil, on l'évoquait tout à l'heure, joué un rôle sur la question de l'Iran et de son programme nucléaire, qui est perçu comme une question de sécurité internationale. Des pays, comme ces deux là, ne devront-ils pas avoir un peu plus de place à la table pour gérer des grandes questions de paix et de sécurité dans le monde ? Le ministre brésilien des Affaires étrangères, récemment en visite à Paris, a déclaré que le G20 - qui se réunit dans une semaine - devait s'emparer des questions de paix et de sécurité. Etes-vous d'accord avec lui ?
R - Le G20, je vous signale que c'est une création française - une fois de plus, la politique internationale française est à l'honneur - représente 80 % de l'économie de la planète. Ce n'est pas suffisant, et ce n'est pas seulement l'économie qui compte.
Je vous signale que, s'il n'y avait pas eu l'insistance du président Sarkozy, il y aurait eu un G8, tout le monde s'en serait satisfait et il n'y avait pas la moitié de la planète, ni la Chine, ni l'Inde qui étaient juste invitées au déjeuner. Il y a désormais le G20, c'est une raison supplémentaire, je crois que Celso Amorim, le ministre brésilien, a raison de dire que l'on devrait s'occuper de la planète. C'est l'ONU. Mais le G20 s'occupera sans aucun doute de la nécessité et peut-être de la réforme de l'ONU, qui est inachevée.
Vous comprenez, il y a 60 % des opérations de maintien de la paix dont nous parlions tout à l'heure qui se déroule en Afrique. Or, l'Afrique n'a pas de représentant permanent au Conseil de sécurité. Ce n'est pas sérieux !
Q - On sait que la réforme de l'ONU, et du Conseil de sécurité est complètement bloquée. Ce que propose ces pays du Sud c'est une formule intérimaire, c'est-à-dire intermédiaire avec le G20 qui...
R - C'est la France qui propose cela, ce ne sont pas les pays du Sud qui justement, on l'a vu à Nice, du moins pour les pays africains sont très réticents. Il faut les convaincre. Vous avez raison de dire que ce rôle joué par le Brésil et la Turquie c'est quand même un point charnière de cette globalisation, ou disons de la conscience mondiale. Le jour-même où le Brésil signait avec l'Iran et la Turquie, nous déposions - le reste du monde si j'ose dire - la résolution au Conseil de sécurité...
Q - ...qui mettait en place des sanctions contre l'Iran ?
R - ...qui établissait des sanctions contre l'Iran, dont l'objet était...
Q - ... de renforcer les sanctions ?
R - ...de renforcer les sanctions. C'est une analyse très nouvelle, il ne suffit pas de parler de globalisation, il faut donner un contenu, ce qui est beaucoup plus difficile. La sécurité dans le monde c'est quoi : comment s'y prend-on ? Avec qui ? Quels sont les vrais dangers ? Qu'est-ce que la globalisation représente ? Est-ce simplement la lutte contre le changement climatique ou est-ce que c'est beaucoup plus politique ? Je pense que c'est beaucoup plus politique.
Et le développement dans cette affaire, où est-il ? Est-ce que le G20 parle du développement ? Non, et c'est pourtant tout à fait essentiel.
Q - Le G20 a été créé à l'occasion de la crise économique et financière, vous avez rappelé notamment le rôle de la France. Aujourd'hui est-ce que cela doit rester, comme le pensent certains, un forum avant tout économique ou est-ce que cela doit devenir, y compris de manière intermédiaire pour faciliter l'émergence de nouveaux pays, un forum également diplomatique ?
R - Le G20 est avant tout économique et c'est ce que la France encore une fois vient de faire en demandant aux Canadiens, qui accueillent le G20 prochainement, de continuer sur la lancée de Pittsburgh, c'est-à-dire sur la réforme nécessaire du système économique mondial. Après la présidence coréenne du G20, ce sera le tour de la France, et nous voulons continuer dans cette ligne. Nous souhaiterions offrir véritablement une stratégie de régulation de ce qui a été à l'origine de la crise économique. Doit-il élargir ? Pourquoi pas. Parce que l'on se rencontre, vous savez c'est très rapide un G20. Peut-on parler de tout ? Non, il faut que la réforme des Nations unies, dont je suis infiniment partisan - 192 pays, là où il n'y en a que 20 - se poursuive, que la réforme, dont Mme Nougayrède dit qu'elle est bloquée, soit aérée et débloquée, j'espère.
Q - L'Afghanistan. Malheureusement la France a perdu son 44ème soldat tué vendredi à 60km au nord de Kaboul, il y a une vaste offensive qui est en cours en ce moment contre les Taliban dans la région de Kandahar, alors les combats sont de plus en plus meurtriers pour les forces de l'OTAN, Bernard Kouchner croyez-vous que les Occidentaux peuvent gagner cette guerre contre les Taliban ?
R - Je pense, avant tout, à ce soldat mort, le 44e, ce soldat français, à sa famille. Les opérations sont bien difficiles dans ces deux vallées, à 60 km de Kaboul, mais quels 60 km quand on connaît l'Afghanistan ! C'est un endroit très difficile à tenir. Nous y réussissons, mais au prix de la vie de certains de nos soldats. Alors est-ce qu'à Kandahar cela va être la même chose que dans la région de Marjah ? Vous savez, il y a eu une offensive assez forte, les talibans s'étaient retirés. Reviennent-ils maintenant ? C'est une guerre particulièrement difficile à mener. En ce moment on assiste à des tentatives comme on l'a vu lors de la Conférence de Londres. Du côté américain, britannique, français comme du côté afghan, on a pensé qu'il fallait faire la paix, mais avec qui ? Avec évidemment les gens qui combattent les forces talibanes, d'abord les forces afghanes, et les alliés c'est-à-dire les forces de l'OTAN. Oui cela va se modifier. Suis-je optimiste ? Un jour, cela finira par une paix, nous le savons et ce ne sera pas seulement militaire, nous le savons.
Q - Les soldats français y resteront le temps qu'il faudra ?
R - Oui, c'est ce que le président de la République a affirmé et c'est ce que nous ferons, nous resterons le temps qu'il faudra. Certains déjà, comme vous le savez, ont décidé de se retirer en 2011.
Q - Ce sont les Américains ?
R - Les Américains - dont le président Obama - ont dit, en 2011 : nous donnerons plus de responsabilité et même peut-être des régions entières aux forces afghanes et au gouvernement afghan ! On verra bien, le général Petraeus a dit cela.
Q - Ce calendrier vous paraît-il réaliste ?
R - Je dis cela avec beaucoup de prudence car en ce qui concerne l'Afghanistan il vaut mieux être prudent. Les pourparlers sont commencés, les contacts en tout cas sont pris avec ceux des Taliban qui étaient la composante partisane, c'est-à-dire les partis qui étaient ceux des moudjahidines au moment de l'invasion soviétique, avec ceux-là déjà je crois que le gouvernement Karzaï parle avec assez d'efficacité. Est-ce que cela s'étendra aux Afghans ? Vous connaissez les conditions : pas de lien avec Al Qaida, respect de la Constitution, respect du droit des femmes. J'espère que cela s'étendra. Pour le moment, le grand mouvement a été lancé par la réunion des barbes blanches, la Jirga. Les ministres des Affaires étrangères des pays alliés seront à Kaboul le 20 juillet pour voir où nous en sommes.
Q - Le 20 juillet, c'est-à-dire dans un mois, et le président Karzaï c'est l'homme de la situation et cela reste l'homme de la situation ?
R - Vous savez, il a été élu. Le président Karzaï est sans doute imparfait, le pays aussi, nous le sommes nous aussi. C'est un représentant authentique, il est issu d'une grande famille patchoune, ce sont les Patchounes qui se battent, ce sont les Patchounes qui se battent entre eux et les autres communautés y participent beaucoup moins. Il faut savoir cela pour commencer à comprendre.
Q - A ce jour, il y a eu 44 morts dans les rangs de l'armée française engagée en Afghanistan. Depuis le mois de septembre dernier, je crois que c'est une moyenne d'un mort par mois dans notre contingent. N'avez-vous pas la crainte que la situation se détériore en réalité dans les deux districts où nous sommes déployés ?
R - Je connais bien ces districts et je ne le crois pas. Je crois qu'au contraire, nous gagnons des coeurs, c'est cela qui compte et pas seulement les batailles, car nous maintenons notre présence avec efficacité. C'est, néanmoins, une guerre qui, hélas, fait des morts. Je ne peux pas m'en satisfaire.
Je pense que les soldats français sont valeureux, inventifs. Je les ai rencontrés à plusieurs reprises, je me suis rendu sur place une dizaine de fois, et j'ai vécu des années dans ce pays.
Q - Nous avons plus de morts que depuis le début de la guerre.
R - Il ne faut pas établir de comparaison avec les autres contingents. Ce serait une arithmétique impossible et une concurrence insupportable. Nous sommes engagés dans des opérations solides, en contact avec les populations et en participant à des activités civiles qui sont, je crois, importantes et positives.
Q - Allons-nous régner militairement ?
R - Nous savons très bien qu'il n'y aura pas de victoire militaire proprement dite. Il y aura une victoire politique pour aider à la sécurisation. Que fait-on avec les femmes ? Croit-on que nous allons retourner au Moyen Age pour ce qui concerne les femmes ? Non, nous ne l'acceptons pas. Je parle des femmes afghanes, c'est garanti par la Constitution, est-ce suffisant ? Je crois qu'il faut, hélas, avoir le courage de notre politique. Pour le moment, oui.
Q - Bernard Kouchner, on ne peut pas parler de l'Afghanistan sans parler des journalistes de France-télévision, Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier enlevés depuis bientôt 6 mois là-bas. Ils ont été enlevés le 30 décembre dernier. Avez-vous des nouvelles de ces deux journalistes ? Avez-vous des informations positives ? Pouvez-vous nous dire quelque chose ?
R - Je voudrais bien pouvoir vous dire quelque chose s'agissant d'Hervé et de Stéphane. Nous n'avons pas de renseignement plus précis que ceux que nous avions. Ils sont encore, croit-on, en Afghanistan, ils sont déplacés souvent d'une maison à l'autre. Nous ne savons pas exactement où, en tout cas, ce serait dans la montagne vers le Pakistan. Beaucoup d'efforts sont déployés, je ne parle même pas des efforts vis-à-vis des familles. C'est tout à fait naturel. Nous essayons d'avoir le plus de poids possible sur les autorités afghanes avec nos amis américains pour essayer de les sortir de là au plus vite.
Q - Sont-ils toujours vivants ?
R - Oui, je le pense fortement.
Q - Pensez-vous que l'on en parle assez en France ? Il y a toute une polémique qui est née pour savoir s'il fallait en parler tous les jours dans les médias ?
R - Il n'y a pas de polémique de ma part. Je sais qu'on en a parlé souvent.
Q - Oui, mais faut-il en parler plus ?
R - Je suis favorable à la meilleure façon de les libérer. C'est un petit peu jésuite, mais je suis désolé, c'est ainsi. Que les journalistes parlent d'eux, cela ne me gêne pas du tout.
Q - Certains disent que l'on travaille mieux dans le silence, la discrétion ou bien c'est le contraire ?
R - Les deux sont vrais. On travaille mieux dans le silence au niveau des efforts de contact, éventuellement de négociations, mais on travaille aussi mieux sans les oublier avec une présence presque charnelle. Je ne participe pas de cette polémique. Et puis, les journalistes font leur travail n'est-ce pas ? Le jour où les journalistes ne prendront plus de risques, nous n'en bénéficierons pas au niveau de l'information.
Q - Vous trouvez leur combat tout à fait légitime et normal, ils n'ont pas fait d'imprudence ?
R - Il est très difficile de savoir où se trouve la limite entre les humanitaires et les politiques, peut-être même d'autres. Vous savez qu'il y a un projet de loi que je défends au début du mois de juillet à propos de l'Agence culturelle. A ce projet de loi est ajoutée une responsabilité, qui est donnée pour les touristes, pour les agences de voyage mais pas pour les journalistes ni les humanitaires, de s'assurer.
Q - Récemment, au cours des derniers mois, les autorités françaises ont plus ou moins ouvertement déconseillé aux journalistes français d'aller dans des endroits très exposés comme l'Afghanistan, comme l'Irak.
R - Chacun est dans son rôle. Evidemment, il faut déconseiller, évidemment nous faisons tous nos efforts pour Hervé et Stéphane, bien entendu, mais pour tous. Il y a un homme dont on ne parle pas qui est au Mali, qui a 78 ans. Nous faisons tous nos efforts. Comme nous l'avons fait pour M. Camate. Il a été enlevé au Niger, or vous savez que le Niger est un triangle très difficile. Nous faisons absolument tout ce qui est en notre pouvoir, sans compter ni les efforts, ni évidemment l'argent.
Q - Vous voulez dire que ce sont les efforts qui coûtent chers à l'Etat, donc ce serait normal que les gens s'assurent, est-ce cela ?
R - Vous savez, nous sommes les seuls, les Français, à faire ces efforts-là pour libérer nos otages. Nos amis britanniques par exemple, quand un Britannique est enlevé, considèrent que c'est un Britannique qui a pris ses risques. Je dis cela avec admiration d'une certaine façon, mais je n'en suis pas partisan.
Q - Il y a un autre otage en Somalie, un ressortissant français, un agent français détenu depuis juillet 2009. Avez-vous des informations sur sa condition ?
R - Un peu plus et nous nous efforçons d'en obtenir davantage. Oui, nous avons un peu plus d'informations sur l'endroit où il serait détenu, permettez-moi de n'en pas dire davantage.
Q - Quelques mots concernant la crise financière en Europe, vous êtes aussi le ministre des Affaires européennes. Il y a eu un Sommet à Bruxelles jeudi dernier. Après la Grèce, il y a beaucoup d'inquiétudes sur le sort de l'Espagne. Pour vous, Bernard Kouchner, y a-t-il un risque que l'Espagne ne parvienne pas à rembourser ses dettes ?
R - Non, il n'y a pas de risque et je trouve scandaleux le marché en général, le marché débridé...
La dette espagnole est infiniment moindre que l'on croit. Ce n'est pas vrai tout cela, malheureusement, cela fait gagner de l'argent à de nombreuses personnes immorales. C'est ainsi, le marché est immoral. Alors, devons-nous nous en contenter ou le modifie-t-on ? Et nos amis espagnols en souffrent beaucoup vous savez !
Q - Il y a eu pas mal de déclarations des dirigeants européens pour dire que tout va très bien. C'était tellement appuyé que, d'une certaine manière, cela rend peut-être un peu soupçonneux.
R - Que voulez-vous que l'on dise ? Que l'on se taise ? C'est trop appuyé, ils ne disent rien, ils ont peur. Que l'on dise la vérité ? Alors, là, ce n'est pas vrai, le marché est immoral, il faut le réguler.
Q - C'est donc cela l'objectif ?
R - Oui, et puis ce n'est pas facile. Tout le monde n'est pas d'accord, y compris en Europe. C'est compliqué et je crois encore que la France fait son travail et que la politique européenne, c'est une politique qui est tout à fait déterminée, au moins.
Q - Pensez-vous que la France parviendra à imposer cette position au G20 ?
R - Oui, bien sûr, je l'espère. Dans un domaine tout à fait raisonnable, il ne faut pas les rendre dépendantes de ces taxes : c'est en tout cas notre position. Et on va parler des financements innovants, pour la première fois, au G20 à Toronto. Dans la résolution européenne, il y a les financements innovants pour lesquels je me bats depuis 25 ans. La taxation des mouvements de capitaux à 0,005 %, c'est-à-dire, sur 1 000 euros, 5 centimes d'euros, personne ne s'en apercevra. Voilà ce que nous faisons aussi : maintenant, c'est la politique de la France.
Q - Il y a deux taxes, les taxations entre les transactions financières et il y a aussi une taxation...
R - Oui, mais cela, c'est la taxation du FMI ce n'est pas la mienne.
Q - Vous nous parlez de la taxation sur les transactions financières, il y a aussi une taxe sur les banques que l'Union européenne a décidé d'encourager et de proposer au G20 la semaine prochaine. Pensez-vous que l'Europe parviendra à imposer cette vision d'imposer les banques pour obtenir une sorte de fonds de garanties et pour que la prochaine fois, les banques participent elles-mêmes au renflouement ?
R - Il est inutile d'espérer pour entreprendre n'est-ce pas ? Eh bien, nous persévérons.
Q - On entend beaucoup cela dans la bouche des responsables français, c'est la refonte de l'ordre monétaire, de l'ordre financier mondial. Rien de moins. Revisiter Bretton Woods, cela a été évoqué notamment entre le président Sarkozy et le président Medvedev à Saint-Petersbourg hier. En quoi consisterait cette refonte de l'ordre monétaire international dont la France est le seul pays occidental à parler ?
R - Pas du tout, c'est une position qui s'européanise de plus en plus. C'est avec le président Medvedev, puisque vous l'avez cité, un accord absolu et les Russes nous ont toujours soutenus. Il ne faut pas briser la boutique, il faut simplement considérer que Bretton Woods, c'était en 1945, juste après la guerre et que cela ne convient plus. Le FMI, La Banque mondiale, etc. ne sont pas adaptés au monde actuel et à cette économie de marché fracassante qui déferle partout et qui surtout va se tuer elle-même. Si on attaque l'Europe, les 500 millions d'individus les plus riches du monde et relativement les plus producteurs, alors que restera-t-il à taxer ?
Nous allons tenter de corriger cela, c'est-à-dire donner plus de voix aux pays émergents, aux pays en développement, au FMI d'abord. Cela a été tenté et un peu modifié ensuite, c'est mieux qu'avant. Et puis nous continuerons ainsi. Quelle sera la réglementation ? En tout cas, nous ne laisserons pas le libre marché se précipiter vers sa propre perte et vers la nôtre aussi.
Comment un pays comme la Grèce - parce que peut-être, en effet, au moment de Maastricht, on a pu interpréter positivement des promesses qui n'étaient pas extrêmement réalistes, je dis cela avec pudeur n'est-ce pas, ce n'est quand même pas le pays le...
Q - Donc les Grecs avaient triché, en gros ?
R - La situation budgétaire, financière, le déficit n'étaient pas sains. Mais maintenant, nous sommes intervenus, avec la zone euro beaucoup plus qu'avec le FMI. Je crois que cela existe de plus en plus.
Ensuite, il y a eu des attaques contre le Portugal, l'Espagne, on a même parlé de l'Italie. Tout cela s'est révélé faux et surtout très injuste parce que ces pays avaient modifié leur façon d'équilibrer le budget, y compris le Portugal qui a été le premier attaqué.
Q - Sur l'équilibre du budget, c'est très important car un autre enjeu est en cause, c'est ce que l'on appelle la gouvernance. Nicolas Sarkozy préfère parler de gouvernement économique, d'abord de la zone euro, c'est ce qu'il a dit...
R - Avec les Allemands, nous nous sommes mis d'accord, on parle du gouvernement économique des 27, mais avec des possibilités de se réunir plus vite et plus directement entre les 16 pays membres de la zone euro. Tout cela a été accepté. On dit que c'est lent parce qu'il y a les Allemands, mais vous rendez-vous compte !
Q - Ma question est : cette gouvernance doit-elle se faire au niveau des gouvernements ou bien doit-elle se faire au niveau de la Commission européenne ou du Conseil européen présidé par Van Rompuy ?
R - Je crois que la Commission doit comprendre que ce sont les chefs d'Etat et le Conseil européen. Donc, je crois que ce sont les chefs d'Etat qui doivent décider. Que la Commission y participe, comme nous l'avons fait sous Présidence française. Encore une fois, quand j'entends certains qui disent qu'il n'y a pas de politique extérieure de la France, ils rigolent ou quoi ? Ils sont aveugles ou quoi ? Qu'a-t-on fait pendant la Présidence française ? Pas un déplacement ne s'est fait sans associer le président de la Commission, M. Barroso, et c'était des déplacements difficiles.
Q - On va passer au Proche-Orient. Israël a assoupli ces derniers jours le blocus de Gaza...
R - Puisque vous n'allez pas m'en parler, je vais vous dire quand même quelque chose de relativement important quand on parle d'équilibre budgétaire, c'est la réforme des retraites en France, ce n'est pas de la politique...
Q - On en parlera après, mais si vous voulez en parler maintenant, on peut en parler.
R - Mais oui, parlons-en maintenant. Là aussi, vous qui faites de la politique internationale, vous voyez ce qui s'est passé dans tous les pays, c'est douloureux de faire la réforme des retraites parce que chacun croit que l'on va diminuer sa pension, ce qui est entièrement faux. On ne diminuera pas les retraites des gens maintenant ! Au contraire, on va faire un effort que tous les autres ont fait autour de nous : l'Italie, l'Espagne, le Portugal, l'Angleterre, la Belgique, l'Allemagne, etc.
Q - Certains disent qu'à la différence des autres pays européens...
R - Certains, oui. Mais ils auraient voulu le faire auparavant et ils ne l'ont pas fait !
Q - Certains disent qu'à la différence des autres pays européens, en France cela va être un peu la double peine puisque la réforme porte à la fois sur la durée de cotisations et sur l'âge légal de départ à la retraite.
R - Comme cela a porté partout, absolument partout.
Q - Cela n'a pas été fait dans tous les pays...
R - C'est une cécité ! Mais, bien sûr, cela a été fait dans tous les pays avant nous, bien avant nous.
Q - Par exemple, est-ce qu'on n'aurait pas pu dire : voilà, on passe à 41, 41 ans et demie de cotisations mais sans le couperet de l'âge légal, ce qui fait que par exemple...
R - Mais quel couperet de l'âge légal ? C'est nous qui avons, avec la Grèce, le plus bas !
Q - ...pour les professions pénibles, quelqu'un qui commence à 16 ans, à 58, 59 ans, il aurait ses 41 ans de cotisations.
R - C'est exactement ce qu'Eric Woerth a proposé. Exactement. La pénibilité, c'est exactement cela. Rien n'est fermé, la discussion continue, elle n'est pas bloquée du tout, en particulier sur la pénibilité.
Q - Cela veut dire que les gens qui ont un travail pénible pourront partir...
R - ... partiront à 60 ans, oui et peut-être même plus tôt. Il y a des régimes spéciaux qu'on n'a pas modifiés.
Q - Donc, cela ne s'appliquera pas à eux ?
R - Pour ceux qui, pour le moment, et cela aussi va continuer à être discuté, auraient 20 % de pénibilité. Vous savez, l'incapacité, c'est une chose difficile : qui s'en occupe ? Les médecins du travail, etc. ? C'est très important pour les gens. Mais ce que vous dites, c'est-à-dire quand on a commencé à 16 ans : oui, on pourra partir avant si le travail était pénible, bien entendu.
Q - Mais le fait que chaque personne devra passer devant...
R - Mais, encore une fois, ce n'est pas fermé du tout.
Q - Bernard Kouchner, vous qui êtes médecin, le fait que chaque travailleur devra passer devant une commission médicale ou un médecin pour mesurer la pénibilité de son travail, cela vous semble quelque chose de...
R - C'est très difficile, mais il faudra le faire parce que c'est fait ailleurs. Ce n'est pas fait ailleurs aussi bien que ce sera fait en France. Mais vous savez tout le monde passe devant, soit le médecin du travail, soit le médecin de la sécurité sociale, on verra bien. C'est une discussion qui va continuer jusqu'en juillet et en septembre.
Q - Sur le Proche-Orient, vous avez dit il y a quelques jours, à propos du blocus de Gaza, que l'Union européenne était prête à participer au check-point pour faciliter le passage des biens et des matériaux. Concrètement, comment est-ce que cela pourrait se mettre en place ?
R - Tout d'abord, il s'agit d'une proposition française, reprise par nos amis, et qui a été la proposition européenne. Nous avons même demandé que des contrôles en mer puissent s'envisager, mais nous n'avons pas encore réussi. Concernant les check-points, l'Union européenne contrôlait un endroit de passage palestino-égyptien, Rafah, mais là on contrôle les personnes, pas les marchandises.
Il faut imaginer - nous en avons déjà parlé avec les Israéliens - que le contrôle puisse s'étendre aux deux autres points de passage. Ce que nous avons obtenu - avec l'aide du Quartet et de Tony Blair, qui vient lundi en France pour en parler - c'est une liste limitée - alors que tout était bloqué et que l'on a levé le blocus, tous ensemble, avec les Israéliens - d'environ 180 marchandises très particulières de produits interdits. Le reste serait libéré. C'est quelque chose de très important pour les habitants de Gaza. Ce n'est pas suffisant, bien entendu, mais c'est déjà cela. C'est un léger progrès qui, je l'espère, sera suivi d'autres progrès.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 juin 2010
R - C'est un peu plus tard, mais enfin ce n'est pas grave.
Q - Oui, c'est entre 2002 et 2007, c'est plus près de 2007 que de 2002, on va dire. En tout cas, en 2007, vous soutenez d'abord Ségolène Royale et puis vous acceptez la proposition de Nicolas Sarkozy de rejoindre la majorité présidentielle et de devenir ministre des Affaires étrangères et européennes ; un poste que vous occupez depuis mai 2007.
Alors, beaucoup de questions dans l'actualité internationale ce dimanche, mais d'abord, si vous le permettez, le sujet dont tout le monde parle en France et peut-être aussi dans le reste du monde : l'affaire Anelka, l'affaire des Bleus, ses propos injurieux à l'égard de l'entraîneur Raymond Domenech, la quasi-élimination des Bleus au premier tour de la Coupe du monde. Cela vous inspire quoi ? Vous pensez que cela pourrait avoir une influence sur l'image de la France dans le monde ou ce n'est pas aussi grave que cela ?
R - Cela peut avoir une influence que j'espère passagère. Mais je ne suis pas un spécialiste du foot, je ne suis pas comme ces intellectuels qui font de la stratégie footballistique et ont toutes sortes de théorie. Je pense d'abord à ceux qui aiment le football et cela ne doit pas leur faire plaisir. Et c'est une bien triste affaire. Est-ce que cela va ternir l'image de la France ? J'espère que non. J'espère la France gagnante, ce qu'elle fut. Mais c'est une caricature de la France, c'est vraiment un feuilleton épouvantable.
Q - Cela révèle quoi selon vous ?
R - Encore une fois, je ne suis pas spécialiste, mais j'espère que nous redresserons très vite cette image si elle est endommagée. Le football est une fête universelle ; en tout cas le partage le plus globalisé, mondialisé qui existe. Tout le monde s'intéresse au football, tout le monde, à travers la planète, connaît les acteurs de ce très mauvais feuilleton, les acteurs français. On connaît heureusement aussi les autres et la Coupe du monde continue et nous avons encore un match à jouer.
Q - Je voudrais vous citer justement peut-être l'un de ces intellectuels qui ont des théories footballistiques, c'est Alain Finkelkraut aujourd'hui dans le "Journal du Dimanche", qui dit qu'"à la différence des autres équipes nationales, les joueurs de l'équipe française refusent d'incarner leur nation, en sales gosses boudeurs et trop riches" et il dit que ce qui est arrivé à Domenech, c'est le lot quotidien des éducateurs et des profs dans les cités sensibles. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
R - Cela m'inspire une triste pensée. Ce qui s'est passé ne va pas faciliter le rôle des éducateurs. Et en cela, je crois qu'Alain Finkielkraut a raison. Mais ce n'est pas la coutume, franchement, il ne faut pas exagérer ! Dans les vestiaires - pour avoir pratiqué un certain nombre de sports - on s'insulte, ce n'est pas très nouveau.
Q - Mais est-ce que les joueurs de l'équipe de France sont "des sales gosses boudeurs et trop riches" ?
R - Tout le monde est payé comme ça. C'est scandaleux la façon dont ils sont payés mais ce n'est pas réservé aux Français ! Encore une fois, je n'y connais rien, je ne suis pas un amateur de foot et je ne sais pas combien sont payés les autres. Mais je sais qu'il y en a qui sont encore beaucoup plus payés que les Français. C'est énorme, Ils sont cités en exemple à chaque fois que l'on pense que certains gagnent trop d'argent. Arrêtons ! On fait de la publicité pour cette horrible histoire ! S'il vous plaît !
Q - Un dernier mot là-dessus. Ce que sous-entend en quelque sorte Alain Finkielkraut, c'est que ce serait un peu la fin du mythe "black-blanc-beur" d'une équipe de France...
R - J'espère que non. J'espère qu'il se trompe. Il n'y a pas que cela ! Il y a une tension dans cette équipe qui représente, d'une certaine façon, une très mauvaise image. Est-elle réelle ? Je ne le crois pas. Est-elle véritablement ce qu'il faut retenir de la France ? Je suis sûr que non. Et puis, on perd des matchs, on en gagne... Ca va comme ça ! On ne va pas en faire une salade !
Q - L'actualité en Pologne. Il y a des élections présidentielles aujourd'hui dans ce pays, un enjeu polonais évidemment après la mort du président Lech Kazinski dans le crash de son avion en avril dernier. Son frère jumeau, Jaroslav Kazinski est candidat face au libéral Komarovski. C'est une élection, Bernard Kouchner, qui peut aussi avoir des conséquences au niveau européen ?
R - Quant on connaît M. Kaczynski, bien sûr on pense que cela pourrait avoir des conséquences pour l'Europe. Mais M. Komarovski représente une tendance tout à fait européenne et, apparemment, il était donné favori. Attendons de voir mais, en tout cas, notre collaboration quotidienne, je peux vous le dire - d'ailleurs, Radek Sirkovski vient pour la réunion du Triangle de Weimar mercredi à Paris -, c'est une vraie fraternité avec les Polonais. Notre collaboration se complète d'une meilleure entente avec les Russes - d'ailleurs, mercredi, Sergueï Lavrov, le ministre russe, vient aussi. Je crois que c'est non seulement palpable, mais très important.
Le Nord de l'Europe, dans cette entente, c'est un peu nouveau. Il y a eu malheureusement la mort du président Kaczynski, je regrette tout cela, mais il y a un certain nombre de crises dont on sort un peu grandi ; je ne fais aucune allusion à cette histoire précédente.
Q - Le fait politique que la Pologne soit plutôt européenne ou non, cela a une importance ?
R - Bien sûr que cela a une importance, particulièrement par rapport à la nécessité absolue d'une défense européenne. Les Polonais sont extrêmement favorables à des démarches de ce genre et j'ai eu la bonne surprise de constater que le nouveau gouvernement britannique - vous savez que la France et le Royaume-Uni partagent plus de 50 % de l'effort militaire en réalité, d'abord au niveau du budget et ensuite sur le terrain -, que le ministre des Affaires étrangères de M. Cameron, c'est-à-dire William Hague, est quand même plus ouvert qu'on ne le pense. Il vient de continuer d'assurer la direction de l'Opération anti-piraterie Atalante. Ce n'est pas que je pense que les problèmes de la Somalie pourraient se régler en mer, mais enfin ils sont à Northwood et donc ils continuent, c'est une bonne chose.
Q - Vous allez donc rencontrer vos homologues polonais, allemand et russe prochainement ; pour discuter de quoi ? Est-ce qu'il faut donner à la Russie un rôle dans les questions de sécurité et de défense en Europe ? C'est une idée que la chancelière Merkel commence à pousser avec son homologue russe.
R - Ce ne serait pas mauvais en soi ; c'est quand même une idée française. La première réponse a été française, elle venait à la suite du discours de Kaliningrad de M. Medvedev.
Hier, avec M. Medvedev, à Saint-Petersbourg, nous avons abordé à nouveau le problème. Il y aura davantage de rencontres à trois : c'est-à-dire Allemagne, Russie et France. Et puis, surtout, nous allons approfondir : qu'est-ce cette idée d'une défense commune signifie ? Une sécurité d'abord commune ? Est-ce que cela veut dire que la Russie tenterait de rejoindre l'Union européenne ? Ou qu'au contraire - pardon de ce tunnel, c'est une chose importante -, on pourrait proposer un autre cercle qui joindrait la Biélorussie, la Moldavie, l'Ukraine, etc., éventuellement la Turquie. Tout cela, il faut y travailler pour savoir quels avantages en tireraient nos amis russes.
Q - Il y a eu ces violences tragiques au Kirghizstan. On parle de 2.000 morts en 10 jours, des violences inter-ethniques entre Kirghizes et Ouzbèques auxquelles s'ajoutent des centaines de milliers de réfugiés, le plus souvent ouzbèques d'ailleurs. Le Kirghizstan est un pays stratégique, il est au sud de la Russie, à l'ouest de la Chine, pas très loin de l'Afghanistan d'ailleurs. Ce sont des populations qui sont victimes de rivalités ethniques et aussi géo-stratégiques entre les camps, entre l'Est et l'Ouest ? On parle des intérêts russes, on parle des intérêts américains dans la région ?
R - Bien sûr. Et je me méfie du mot "stratégie" parce que tout est stratégique de nos jours.
Q - "Stratégique" dans le sens où le pays sert de base aérienne pour l'envoi de troupes en Afghanistan.
R - Absolument. Et nous sommes très intéressés par ce qui se passe. Je vais en reparler avec Sergueï Lavrov mercredi. Nous tenterons d'avoir une action commune. Mais je vous signale déjà que nous sommes deux pays, la Russie et la France, à avoir secouru le Kirghizstan et en particulier ces Ouzbeks qui se réfugient en Ouzbékistan parce que la frontière s'ouvre et se ferme. Il y a au moins 100.000 personnes concernées pour le moment. Il y a des milliers de blessés et vous allez me dire : qu'est-ce que vous faites du droit d'ingérence ? Qu'est-ce que vous faites ? Eh bien, nous faisons ce que nous pouvons. Nous sommes les seuls à avoir posé un avion humanitaire à Och.
Q - L'ONU envoie de l'aide humanitaire...
R - Elle n'est pas encore là ! Nous, nous y sommes et la Russie aussi d'ailleurs.
Que peut-on faire de plus ? Lorsque personne ne veut maintenant participer à des opérations de maintien de la paix ou peut-être même des opérations humanitaires - quand je faisais de l'humanitaire, je savais que c'était de la politique - parce que ne pas intervenir au Kirghizstan maintenant, ne pas intervenir humanitairement, c'est de la politique.
Q - L'humanitaire, Monsieur le Ministre, ce n'est pas un rôle de médiation, or beaucoup d'observateurs dont les analystes de "crisis groups" - je crois que vous recevez leur président prochainement -, disent qu'il faut avoir une médiation internationale, pas seulement des envois d'avions et d'aide humanitaire mais une réelle présence avec un effort de médiation internationale. Or, on ne le voit pas du tout dans une région qui est une poudrière ?
R - Vous ne voyez pas l'effort de médiation de la France, vous êtes bien la seule Madame ! Vous en faites des articles toutes les semaines. S'il vous plaît, Madame la Présidente de l'"international crisis group", dont j'ai été l'un des fondateurs, on ne la voit pas non plus faire des entreprises de médiations. Ils informent, tout de même. Faire une entreprise de médiation, c'est avoir évidemment au moins l'oreille des deux côtés. Je pense que c'est que fait la France. Je ne prends que l'exemple de la Géorgie, parce que nous en avons parlé hier à Saint-Pétersbourg. La crise en Géorgie, nous l'avons réglée tout seuls et nous avons, d'une certaine façon, réussi. En tout cas, M. Saakachvili, le président géorgien, et le président russe, hier, approuvaient cette démarche, approuvaient les pourparlers de Genève, même s'ils sont éternels, comme tous les pourparlers. Il faut essayer, et pour cela, il faut d'abord être en position d'essayer. Je pense que la France, la politique étrangère de la France, est écoutée dans le monde entier. Hélas moins en France, je vous l'accorde Madame, mais vous allez changer cela !
Q - Une forme de médiation serait en fait peut-être d'envoyer des troupes. La Russie a l'air assez réticente...
R - Mais vous ne pouvez pas lancer des opérations de maintien de la paix ainsi.
Q - C'est une question que je vous pose.
R - Oui, mais je vous réponds négativement.
Q - La Russie devrait-elle intervenir, serait-ce souhaitable ?
R - Ils ne veulent pas intervenir parce qu'ils pensent que maintenant, en réalité - je vous donne leur analyse qui n'est pas exactement la mienne -, les Ouzbeks qui sont passés en Ouzbékistan ne reviendront pas, qu'il faut essayer d'apaiser la situation. Il faut que les élections aient lieu, plus précisément le référendum qui interviendrait à la fin du mois de juin. Cela renforcerait-il le gouvernement provisoire ? Je l'espère, c'est du moins la question que se posent les Russes. Les Américains ne veulent pas davantage, ils ont envoyé également de l'aide humanitaire. Je crois qu'elle est maintenant arrivée.
Q - On a quand même le sentiment que les grandes puissances se tiennent à l'écart de cette crise et que la crise se poursuit sans que personne, réellement, ne cherche à l'arrêter ?
R - La France intervient mais, que voulez-vous, il y a eu pendant 20 ans la mode de l'intervention humanitaire, de l'intervention de maintien ou d'imposition de la paix. Or, aujourd'hui, les Nations unies ne représentent plus assez et nous allons essayer, quand Nicolas Sarkozy sera président du G20, de réformer les Nations unies. Tout le monde a renoncé mais il ne faut pas renoncer parce ce que l'on ne peut pas aller très loin avec une Organisation des Nations unies impuissante. Que fait-on sans le Conseil de sécurité ?
Q - On parle des relations de la France avec la Russie. On peut aussi en parler dans le dossier du nucléaire de l'Iran. L'Union européenne a adopté jeudi à Bruxelles de nouvelles sanctions contre l'Iran comme l'interdiction entre autre d'investissements ou de transferts de technologies en particulier dans le secteur du gaz et du pétrole, surtout en ce qui concerne le raffinage, l'un des points faibles de l'Iran. Ce sont des sanctions qui peuvent faire mal à l'Iran. Et puis samedi en Russie, avec le président Medvedev, Nicolas Sarkozy s'est dit prêt à engager sans délai des négociations avec l'Iran et l'Agence internationale de l'énergie atomique. On a l'impression qu'il y a deux politiques, deux fers au feu : en même temps les sanctions et en même temps le dialogue.
R - C'est ce que fut la politique de la France en permanence. Les sanctions sont sans doute intervenues au Conseil de sécurité des Nations unies mais aussi en Europe sur proposition de la France. Sur Gaza, avec mes amis Miguel Angel Moratinos et Franco Frattini - dommage que nous n'ayons pas eu également le ministre britannique avec nous - nous avons proposé...
Q - L'Espagnol Moratinos et Frattini l'Italien.
R - En effet les ministres des Affaires étrangères d'Espagne et d'Italie. Nous avons fait des propositions pour faciliter la levée du blocus de Gaza ce qui a été adopté, non sans difficulté, au Conseil des Affaires extérieures lundi dernier. Nous avons aussi proposé de nouvelles sanctions contre l'Iran. Les 27 les ont acceptés, mais nous avons toujours dit que les sanctions étaient pour signifier l'unité de la communauté internationale et que nous proposions le dialogue parallèlement. Je n'ai pas cessé de parler avec les Iraniens et je continuerai.
Q - Deux pays ont voté contre la résolution de sanctions à l'ONU, dont un la Turquie qui est un membre de l'OTAN, donc un allié. Le comportement de la Turquie sur ce dossier iranien, qui a été une opposition frontale aux Européens et aux Américains, est-il un problème et comment travailler avec la Turquie sur ce dossier de l'Iran ?
R - Il y a deux problèmes distincts sur cette question de la Turquie : la façon dont on les accueille ou on les accueillerait en Europe et leur politique internationale.
Nous avons salué la position internationale, pas seulement de la Turquie mais de la Turquie et du Brésil. Ce n'est pas mal d'essayer de dialoguer, nous l'avons fait à plusieurs reprises, j'ai rencontré à de multiples reprises les Iraniens. En réalité, la démarche du Brésil et de la Turquie n'est pas exactement la même. Le Brésil est une grande puissance en Amérique latine et un nouveau venu dans les pays émergents, tandis que la Turquie, membre de l'OTAN, est la grande amie des Américains. Ce n'est pas pareil et cela pose un certain nombre de problèmes : la Turquie se pose-t-elle en arbitre ou en intermédiaire avec le monde arabe ? Sa politique va-t-elle véritablement changer ? Nous le verrons bientôt.
Q - Vous n'avez pas de réponse ?
R - Attendez, il y a eu deux votes. Et les Libanais - ce qui a été un succès - se sont abstenus. Pourtant les Libanais sont placés aux côtés de la Turquie, de la Syrie. Il y a eu une majorité et je crois que les sanctions ont été bien interprétées, puisque la Turquie a dit elle-même qu'elle allait appliquer les sanctions. Il faut continuer à travailler avec la Turquie, c'est d'ailleurs ce qu'a répété hier soir le président Sarkozy au président Medvedev.
Vous savez ce n'est pas facile, il y a eu un petit raidissement, évidemment ils ont été choqués par l'attitude de leurs amis, je parle des Américains comme des Turcs.
Q - Confirmez-vous cette impression des Brésiliens d'être lâchés par les Américains, ils auraient, en fait, fait cette proposition avec les Turcs, en accord avec les Américains et quand la proposition a été acceptée par l'Iran et a produit le vote que l'on sait à l'ONU, les Américains auraient lâché les Brésiliens en rase campagne. Etes-vous au courant de cela ?
R - Je ne crois pas que l'on puisse dire cela. On peut dire cela pour une entente forte, comme une grande alliance entre la Turquie et les Etats-Unis, mais je pense qu'en Amérique latine la situation est différente. La position du Brésil est particulièrement importante. C'est un pays qui se développe rapidement, une démocratie tout à fait exemplaire, avec notamment des racines ouvrières qui sont, avec le syndicalisme, celles du président, ce qui le porte à ne pas accepter ce qui s'acceptait facilement.
Q - La représentante brésilienne à l'ONU avait des mots très durs contre l'adoption de cette résolution notamment sur le calendrier ?
R - Je pense qu'ils ont été déçus. Je le dis avec beaucoup de respect à l'égard du président Lula, qui est un grand ami de la France - et nous, nous sommes des grands amis du gouvernement brésilien. Nous avions l'habitude, nous savions qu'avec les Iraniens, on parle de tout sauf du sujet principal. Nous les avions informés et nous n'avons pas condamné leur démarche. Nous avons soutenu leur tentative - qui ne s'est pas avérée extrêmement positive -. Cela n'empêche pas que l'on continue de proposer le dialogue avec les Iraniens, et nous continuerons.
Q - La chose la plus importante c'est tout de même le nucléaire, le nucléaire iranien. N'y a-t-il pas une obsession nucléaire de la part des Occidentaux ? L'ancien président iranien Khatami et la Prix Nobel de la Paix Shirin Ebadi ont, tous les deux, regretté cette semaine en disant que les Occidentaux feraient mieux de s'occuper de la répression en Iran et de soutenir l'opposition iranienne plutôt que de s'occuper du nucléaire ?
R - Il y aussi la position de M. Karoubi qui vient de parler et qui a été merveilleusement courageux. L'opposition est symbolisée par le mouvement vert iranien. Madame Shirin Ebadi a toujours tenu ce discours. Elle est contre les sanctions, c'est une position que je comprends très bien, il ne faut pas sanctionner le peuple iranien...
Q - Vous êtes "chaud" pour les sanctions ?
R - Je ne suis pas enthousiaste. Mais dans le cas présent, elles sont ciblées sur le développement éventuel du nucléaire militaire et sur le développement du nucléaire en général avec des sanctions très précises, à l'encontre notamment des gardiens de la révolution qui profitent de la situation économique. Jamais ces sanctions ne visent le mouvement vert, nous sommes au contraire très proche d'eux, dans la mesure où l'on peut être proche sans ingérence, si j'ose dire.
Q - Surtout qu'en Iran, il y a une sorte de consensus autour de la question nucléaire, la plupart des Iraniens sont pour.
R - Non, c'est tout à fait faux ! Le mouvement vert n'est pas en faveur du nucléaire militaire. En revanche, tout le monde est en faveur du nucléaire civil. Nous avons même tenté de les aider, la France et la Russie, nous avions avancé des propositions sur le réacteur de recherche de Téhéran.
Q - C'est un sujet très sensible, cela touche la fibre nationaliste iranienne ?
R - Je ne peux pas vous laisser dire que les Iraniens en général, dans leur grande majorité, soient pour le développement du nucléaire militaire, sûrement pas !
Q - Je n'ai pas dit militaire, j'ai dit pour le nucléaire en général.
R - Mais nous aussi, les Français, sommes favorables et nous leur avons proposé de l'aide .
Q - La question est de savoir s'ils trichent ou pas ?
R - J'aimerais bien le savoir. Nous nous méfions, nous n'avons rien d'anti-iranien. Nous sommes évidemment pour la paix au Moyen-Orient, dans une région où la moindre petite étincelle ferait sauter l'ensemble. Nous nous méfions donc, et nous tentons, comme avec la Syrie, l'Irak, le Liban, la Turquie, d'apaiser les tensions, du moins de ne pas les intensifier. Concernant le développement du nucléaire civil iranien, il n'y a aucun problème de principe. Mais il faut d'abord lever tous les doutes.
Q - S'agissant du dossier iranien dans la perspective du G20. J'avais une question sur le monde multipolaire dans lequel nous nous trouvons aujourd'hui. On a vu la Turquie et le Brésil, on l'évoquait tout à l'heure, joué un rôle sur la question de l'Iran et de son programme nucléaire, qui est perçu comme une question de sécurité internationale. Des pays, comme ces deux là, ne devront-ils pas avoir un peu plus de place à la table pour gérer des grandes questions de paix et de sécurité dans le monde ? Le ministre brésilien des Affaires étrangères, récemment en visite à Paris, a déclaré que le G20 - qui se réunit dans une semaine - devait s'emparer des questions de paix et de sécurité. Etes-vous d'accord avec lui ?
R - Le G20, je vous signale que c'est une création française - une fois de plus, la politique internationale française est à l'honneur - représente 80 % de l'économie de la planète. Ce n'est pas suffisant, et ce n'est pas seulement l'économie qui compte.
Je vous signale que, s'il n'y avait pas eu l'insistance du président Sarkozy, il y aurait eu un G8, tout le monde s'en serait satisfait et il n'y avait pas la moitié de la planète, ni la Chine, ni l'Inde qui étaient juste invitées au déjeuner. Il y a désormais le G20, c'est une raison supplémentaire, je crois que Celso Amorim, le ministre brésilien, a raison de dire que l'on devrait s'occuper de la planète. C'est l'ONU. Mais le G20 s'occupera sans aucun doute de la nécessité et peut-être de la réforme de l'ONU, qui est inachevée.
Vous comprenez, il y a 60 % des opérations de maintien de la paix dont nous parlions tout à l'heure qui se déroule en Afrique. Or, l'Afrique n'a pas de représentant permanent au Conseil de sécurité. Ce n'est pas sérieux !
Q - On sait que la réforme de l'ONU, et du Conseil de sécurité est complètement bloquée. Ce que propose ces pays du Sud c'est une formule intérimaire, c'est-à-dire intermédiaire avec le G20 qui...
R - C'est la France qui propose cela, ce ne sont pas les pays du Sud qui justement, on l'a vu à Nice, du moins pour les pays africains sont très réticents. Il faut les convaincre. Vous avez raison de dire que ce rôle joué par le Brésil et la Turquie c'est quand même un point charnière de cette globalisation, ou disons de la conscience mondiale. Le jour-même où le Brésil signait avec l'Iran et la Turquie, nous déposions - le reste du monde si j'ose dire - la résolution au Conseil de sécurité...
Q - ...qui mettait en place des sanctions contre l'Iran ?
R - ...qui établissait des sanctions contre l'Iran, dont l'objet était...
Q - ... de renforcer les sanctions ?
R - ...de renforcer les sanctions. C'est une analyse très nouvelle, il ne suffit pas de parler de globalisation, il faut donner un contenu, ce qui est beaucoup plus difficile. La sécurité dans le monde c'est quoi : comment s'y prend-on ? Avec qui ? Quels sont les vrais dangers ? Qu'est-ce que la globalisation représente ? Est-ce simplement la lutte contre le changement climatique ou est-ce que c'est beaucoup plus politique ? Je pense que c'est beaucoup plus politique.
Et le développement dans cette affaire, où est-il ? Est-ce que le G20 parle du développement ? Non, et c'est pourtant tout à fait essentiel.
Q - Le G20 a été créé à l'occasion de la crise économique et financière, vous avez rappelé notamment le rôle de la France. Aujourd'hui est-ce que cela doit rester, comme le pensent certains, un forum avant tout économique ou est-ce que cela doit devenir, y compris de manière intermédiaire pour faciliter l'émergence de nouveaux pays, un forum également diplomatique ?
R - Le G20 est avant tout économique et c'est ce que la France encore une fois vient de faire en demandant aux Canadiens, qui accueillent le G20 prochainement, de continuer sur la lancée de Pittsburgh, c'est-à-dire sur la réforme nécessaire du système économique mondial. Après la présidence coréenne du G20, ce sera le tour de la France, et nous voulons continuer dans cette ligne. Nous souhaiterions offrir véritablement une stratégie de régulation de ce qui a été à l'origine de la crise économique. Doit-il élargir ? Pourquoi pas. Parce que l'on se rencontre, vous savez c'est très rapide un G20. Peut-on parler de tout ? Non, il faut que la réforme des Nations unies, dont je suis infiniment partisan - 192 pays, là où il n'y en a que 20 - se poursuive, que la réforme, dont Mme Nougayrède dit qu'elle est bloquée, soit aérée et débloquée, j'espère.
Q - L'Afghanistan. Malheureusement la France a perdu son 44ème soldat tué vendredi à 60km au nord de Kaboul, il y a une vaste offensive qui est en cours en ce moment contre les Taliban dans la région de Kandahar, alors les combats sont de plus en plus meurtriers pour les forces de l'OTAN, Bernard Kouchner croyez-vous que les Occidentaux peuvent gagner cette guerre contre les Taliban ?
R - Je pense, avant tout, à ce soldat mort, le 44e, ce soldat français, à sa famille. Les opérations sont bien difficiles dans ces deux vallées, à 60 km de Kaboul, mais quels 60 km quand on connaît l'Afghanistan ! C'est un endroit très difficile à tenir. Nous y réussissons, mais au prix de la vie de certains de nos soldats. Alors est-ce qu'à Kandahar cela va être la même chose que dans la région de Marjah ? Vous savez, il y a eu une offensive assez forte, les talibans s'étaient retirés. Reviennent-ils maintenant ? C'est une guerre particulièrement difficile à mener. En ce moment on assiste à des tentatives comme on l'a vu lors de la Conférence de Londres. Du côté américain, britannique, français comme du côté afghan, on a pensé qu'il fallait faire la paix, mais avec qui ? Avec évidemment les gens qui combattent les forces talibanes, d'abord les forces afghanes, et les alliés c'est-à-dire les forces de l'OTAN. Oui cela va se modifier. Suis-je optimiste ? Un jour, cela finira par une paix, nous le savons et ce ne sera pas seulement militaire, nous le savons.
Q - Les soldats français y resteront le temps qu'il faudra ?
R - Oui, c'est ce que le président de la République a affirmé et c'est ce que nous ferons, nous resterons le temps qu'il faudra. Certains déjà, comme vous le savez, ont décidé de se retirer en 2011.
Q - Ce sont les Américains ?
R - Les Américains - dont le président Obama - ont dit, en 2011 : nous donnerons plus de responsabilité et même peut-être des régions entières aux forces afghanes et au gouvernement afghan ! On verra bien, le général Petraeus a dit cela.
Q - Ce calendrier vous paraît-il réaliste ?
R - Je dis cela avec beaucoup de prudence car en ce qui concerne l'Afghanistan il vaut mieux être prudent. Les pourparlers sont commencés, les contacts en tout cas sont pris avec ceux des Taliban qui étaient la composante partisane, c'est-à-dire les partis qui étaient ceux des moudjahidines au moment de l'invasion soviétique, avec ceux-là déjà je crois que le gouvernement Karzaï parle avec assez d'efficacité. Est-ce que cela s'étendra aux Afghans ? Vous connaissez les conditions : pas de lien avec Al Qaida, respect de la Constitution, respect du droit des femmes. J'espère que cela s'étendra. Pour le moment, le grand mouvement a été lancé par la réunion des barbes blanches, la Jirga. Les ministres des Affaires étrangères des pays alliés seront à Kaboul le 20 juillet pour voir où nous en sommes.
Q - Le 20 juillet, c'est-à-dire dans un mois, et le président Karzaï c'est l'homme de la situation et cela reste l'homme de la situation ?
R - Vous savez, il a été élu. Le président Karzaï est sans doute imparfait, le pays aussi, nous le sommes nous aussi. C'est un représentant authentique, il est issu d'une grande famille patchoune, ce sont les Patchounes qui se battent, ce sont les Patchounes qui se battent entre eux et les autres communautés y participent beaucoup moins. Il faut savoir cela pour commencer à comprendre.
Q - A ce jour, il y a eu 44 morts dans les rangs de l'armée française engagée en Afghanistan. Depuis le mois de septembre dernier, je crois que c'est une moyenne d'un mort par mois dans notre contingent. N'avez-vous pas la crainte que la situation se détériore en réalité dans les deux districts où nous sommes déployés ?
R - Je connais bien ces districts et je ne le crois pas. Je crois qu'au contraire, nous gagnons des coeurs, c'est cela qui compte et pas seulement les batailles, car nous maintenons notre présence avec efficacité. C'est, néanmoins, une guerre qui, hélas, fait des morts. Je ne peux pas m'en satisfaire.
Je pense que les soldats français sont valeureux, inventifs. Je les ai rencontrés à plusieurs reprises, je me suis rendu sur place une dizaine de fois, et j'ai vécu des années dans ce pays.
Q - Nous avons plus de morts que depuis le début de la guerre.
R - Il ne faut pas établir de comparaison avec les autres contingents. Ce serait une arithmétique impossible et une concurrence insupportable. Nous sommes engagés dans des opérations solides, en contact avec les populations et en participant à des activités civiles qui sont, je crois, importantes et positives.
Q - Allons-nous régner militairement ?
R - Nous savons très bien qu'il n'y aura pas de victoire militaire proprement dite. Il y aura une victoire politique pour aider à la sécurisation. Que fait-on avec les femmes ? Croit-on que nous allons retourner au Moyen Age pour ce qui concerne les femmes ? Non, nous ne l'acceptons pas. Je parle des femmes afghanes, c'est garanti par la Constitution, est-ce suffisant ? Je crois qu'il faut, hélas, avoir le courage de notre politique. Pour le moment, oui.
Q - Bernard Kouchner, on ne peut pas parler de l'Afghanistan sans parler des journalistes de France-télévision, Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier enlevés depuis bientôt 6 mois là-bas. Ils ont été enlevés le 30 décembre dernier. Avez-vous des nouvelles de ces deux journalistes ? Avez-vous des informations positives ? Pouvez-vous nous dire quelque chose ?
R - Je voudrais bien pouvoir vous dire quelque chose s'agissant d'Hervé et de Stéphane. Nous n'avons pas de renseignement plus précis que ceux que nous avions. Ils sont encore, croit-on, en Afghanistan, ils sont déplacés souvent d'une maison à l'autre. Nous ne savons pas exactement où, en tout cas, ce serait dans la montagne vers le Pakistan. Beaucoup d'efforts sont déployés, je ne parle même pas des efforts vis-à-vis des familles. C'est tout à fait naturel. Nous essayons d'avoir le plus de poids possible sur les autorités afghanes avec nos amis américains pour essayer de les sortir de là au plus vite.
Q - Sont-ils toujours vivants ?
R - Oui, je le pense fortement.
Q - Pensez-vous que l'on en parle assez en France ? Il y a toute une polémique qui est née pour savoir s'il fallait en parler tous les jours dans les médias ?
R - Il n'y a pas de polémique de ma part. Je sais qu'on en a parlé souvent.
Q - Oui, mais faut-il en parler plus ?
R - Je suis favorable à la meilleure façon de les libérer. C'est un petit peu jésuite, mais je suis désolé, c'est ainsi. Que les journalistes parlent d'eux, cela ne me gêne pas du tout.
Q - Certains disent que l'on travaille mieux dans le silence, la discrétion ou bien c'est le contraire ?
R - Les deux sont vrais. On travaille mieux dans le silence au niveau des efforts de contact, éventuellement de négociations, mais on travaille aussi mieux sans les oublier avec une présence presque charnelle. Je ne participe pas de cette polémique. Et puis, les journalistes font leur travail n'est-ce pas ? Le jour où les journalistes ne prendront plus de risques, nous n'en bénéficierons pas au niveau de l'information.
Q - Vous trouvez leur combat tout à fait légitime et normal, ils n'ont pas fait d'imprudence ?
R - Il est très difficile de savoir où se trouve la limite entre les humanitaires et les politiques, peut-être même d'autres. Vous savez qu'il y a un projet de loi que je défends au début du mois de juillet à propos de l'Agence culturelle. A ce projet de loi est ajoutée une responsabilité, qui est donnée pour les touristes, pour les agences de voyage mais pas pour les journalistes ni les humanitaires, de s'assurer.
Q - Récemment, au cours des derniers mois, les autorités françaises ont plus ou moins ouvertement déconseillé aux journalistes français d'aller dans des endroits très exposés comme l'Afghanistan, comme l'Irak.
R - Chacun est dans son rôle. Evidemment, il faut déconseiller, évidemment nous faisons tous nos efforts pour Hervé et Stéphane, bien entendu, mais pour tous. Il y a un homme dont on ne parle pas qui est au Mali, qui a 78 ans. Nous faisons tous nos efforts. Comme nous l'avons fait pour M. Camate. Il a été enlevé au Niger, or vous savez que le Niger est un triangle très difficile. Nous faisons absolument tout ce qui est en notre pouvoir, sans compter ni les efforts, ni évidemment l'argent.
Q - Vous voulez dire que ce sont les efforts qui coûtent chers à l'Etat, donc ce serait normal que les gens s'assurent, est-ce cela ?
R - Vous savez, nous sommes les seuls, les Français, à faire ces efforts-là pour libérer nos otages. Nos amis britanniques par exemple, quand un Britannique est enlevé, considèrent que c'est un Britannique qui a pris ses risques. Je dis cela avec admiration d'une certaine façon, mais je n'en suis pas partisan.
Q - Il y a un autre otage en Somalie, un ressortissant français, un agent français détenu depuis juillet 2009. Avez-vous des informations sur sa condition ?
R - Un peu plus et nous nous efforçons d'en obtenir davantage. Oui, nous avons un peu plus d'informations sur l'endroit où il serait détenu, permettez-moi de n'en pas dire davantage.
Q - Quelques mots concernant la crise financière en Europe, vous êtes aussi le ministre des Affaires européennes. Il y a eu un Sommet à Bruxelles jeudi dernier. Après la Grèce, il y a beaucoup d'inquiétudes sur le sort de l'Espagne. Pour vous, Bernard Kouchner, y a-t-il un risque que l'Espagne ne parvienne pas à rembourser ses dettes ?
R - Non, il n'y a pas de risque et je trouve scandaleux le marché en général, le marché débridé...
La dette espagnole est infiniment moindre que l'on croit. Ce n'est pas vrai tout cela, malheureusement, cela fait gagner de l'argent à de nombreuses personnes immorales. C'est ainsi, le marché est immoral. Alors, devons-nous nous en contenter ou le modifie-t-on ? Et nos amis espagnols en souffrent beaucoup vous savez !
Q - Il y a eu pas mal de déclarations des dirigeants européens pour dire que tout va très bien. C'était tellement appuyé que, d'une certaine manière, cela rend peut-être un peu soupçonneux.
R - Que voulez-vous que l'on dise ? Que l'on se taise ? C'est trop appuyé, ils ne disent rien, ils ont peur. Que l'on dise la vérité ? Alors, là, ce n'est pas vrai, le marché est immoral, il faut le réguler.
Q - C'est donc cela l'objectif ?
R - Oui, et puis ce n'est pas facile. Tout le monde n'est pas d'accord, y compris en Europe. C'est compliqué et je crois encore que la France fait son travail et que la politique européenne, c'est une politique qui est tout à fait déterminée, au moins.
Q - Pensez-vous que la France parviendra à imposer cette position au G20 ?
R - Oui, bien sûr, je l'espère. Dans un domaine tout à fait raisonnable, il ne faut pas les rendre dépendantes de ces taxes : c'est en tout cas notre position. Et on va parler des financements innovants, pour la première fois, au G20 à Toronto. Dans la résolution européenne, il y a les financements innovants pour lesquels je me bats depuis 25 ans. La taxation des mouvements de capitaux à 0,005 %, c'est-à-dire, sur 1 000 euros, 5 centimes d'euros, personne ne s'en apercevra. Voilà ce que nous faisons aussi : maintenant, c'est la politique de la France.
Q - Il y a deux taxes, les taxations entre les transactions financières et il y a aussi une taxation...
R - Oui, mais cela, c'est la taxation du FMI ce n'est pas la mienne.
Q - Vous nous parlez de la taxation sur les transactions financières, il y a aussi une taxe sur les banques que l'Union européenne a décidé d'encourager et de proposer au G20 la semaine prochaine. Pensez-vous que l'Europe parviendra à imposer cette vision d'imposer les banques pour obtenir une sorte de fonds de garanties et pour que la prochaine fois, les banques participent elles-mêmes au renflouement ?
R - Il est inutile d'espérer pour entreprendre n'est-ce pas ? Eh bien, nous persévérons.
Q - On entend beaucoup cela dans la bouche des responsables français, c'est la refonte de l'ordre monétaire, de l'ordre financier mondial. Rien de moins. Revisiter Bretton Woods, cela a été évoqué notamment entre le président Sarkozy et le président Medvedev à Saint-Petersbourg hier. En quoi consisterait cette refonte de l'ordre monétaire international dont la France est le seul pays occidental à parler ?
R - Pas du tout, c'est une position qui s'européanise de plus en plus. C'est avec le président Medvedev, puisque vous l'avez cité, un accord absolu et les Russes nous ont toujours soutenus. Il ne faut pas briser la boutique, il faut simplement considérer que Bretton Woods, c'était en 1945, juste après la guerre et que cela ne convient plus. Le FMI, La Banque mondiale, etc. ne sont pas adaptés au monde actuel et à cette économie de marché fracassante qui déferle partout et qui surtout va se tuer elle-même. Si on attaque l'Europe, les 500 millions d'individus les plus riches du monde et relativement les plus producteurs, alors que restera-t-il à taxer ?
Nous allons tenter de corriger cela, c'est-à-dire donner plus de voix aux pays émergents, aux pays en développement, au FMI d'abord. Cela a été tenté et un peu modifié ensuite, c'est mieux qu'avant. Et puis nous continuerons ainsi. Quelle sera la réglementation ? En tout cas, nous ne laisserons pas le libre marché se précipiter vers sa propre perte et vers la nôtre aussi.
Comment un pays comme la Grèce - parce que peut-être, en effet, au moment de Maastricht, on a pu interpréter positivement des promesses qui n'étaient pas extrêmement réalistes, je dis cela avec pudeur n'est-ce pas, ce n'est quand même pas le pays le...
Q - Donc les Grecs avaient triché, en gros ?
R - La situation budgétaire, financière, le déficit n'étaient pas sains. Mais maintenant, nous sommes intervenus, avec la zone euro beaucoup plus qu'avec le FMI. Je crois que cela existe de plus en plus.
Ensuite, il y a eu des attaques contre le Portugal, l'Espagne, on a même parlé de l'Italie. Tout cela s'est révélé faux et surtout très injuste parce que ces pays avaient modifié leur façon d'équilibrer le budget, y compris le Portugal qui a été le premier attaqué.
Q - Sur l'équilibre du budget, c'est très important car un autre enjeu est en cause, c'est ce que l'on appelle la gouvernance. Nicolas Sarkozy préfère parler de gouvernement économique, d'abord de la zone euro, c'est ce qu'il a dit...
R - Avec les Allemands, nous nous sommes mis d'accord, on parle du gouvernement économique des 27, mais avec des possibilités de se réunir plus vite et plus directement entre les 16 pays membres de la zone euro. Tout cela a été accepté. On dit que c'est lent parce qu'il y a les Allemands, mais vous rendez-vous compte !
Q - Ma question est : cette gouvernance doit-elle se faire au niveau des gouvernements ou bien doit-elle se faire au niveau de la Commission européenne ou du Conseil européen présidé par Van Rompuy ?
R - Je crois que la Commission doit comprendre que ce sont les chefs d'Etat et le Conseil européen. Donc, je crois que ce sont les chefs d'Etat qui doivent décider. Que la Commission y participe, comme nous l'avons fait sous Présidence française. Encore une fois, quand j'entends certains qui disent qu'il n'y a pas de politique extérieure de la France, ils rigolent ou quoi ? Ils sont aveugles ou quoi ? Qu'a-t-on fait pendant la Présidence française ? Pas un déplacement ne s'est fait sans associer le président de la Commission, M. Barroso, et c'était des déplacements difficiles.
Q - On va passer au Proche-Orient. Israël a assoupli ces derniers jours le blocus de Gaza...
R - Puisque vous n'allez pas m'en parler, je vais vous dire quand même quelque chose de relativement important quand on parle d'équilibre budgétaire, c'est la réforme des retraites en France, ce n'est pas de la politique...
Q - On en parlera après, mais si vous voulez en parler maintenant, on peut en parler.
R - Mais oui, parlons-en maintenant. Là aussi, vous qui faites de la politique internationale, vous voyez ce qui s'est passé dans tous les pays, c'est douloureux de faire la réforme des retraites parce que chacun croit que l'on va diminuer sa pension, ce qui est entièrement faux. On ne diminuera pas les retraites des gens maintenant ! Au contraire, on va faire un effort que tous les autres ont fait autour de nous : l'Italie, l'Espagne, le Portugal, l'Angleterre, la Belgique, l'Allemagne, etc.
Q - Certains disent qu'à la différence des autres pays européens...
R - Certains, oui. Mais ils auraient voulu le faire auparavant et ils ne l'ont pas fait !
Q - Certains disent qu'à la différence des autres pays européens, en France cela va être un peu la double peine puisque la réforme porte à la fois sur la durée de cotisations et sur l'âge légal de départ à la retraite.
R - Comme cela a porté partout, absolument partout.
Q - Cela n'a pas été fait dans tous les pays...
R - C'est une cécité ! Mais, bien sûr, cela a été fait dans tous les pays avant nous, bien avant nous.
Q - Par exemple, est-ce qu'on n'aurait pas pu dire : voilà, on passe à 41, 41 ans et demie de cotisations mais sans le couperet de l'âge légal, ce qui fait que par exemple...
R - Mais quel couperet de l'âge légal ? C'est nous qui avons, avec la Grèce, le plus bas !
Q - ...pour les professions pénibles, quelqu'un qui commence à 16 ans, à 58, 59 ans, il aurait ses 41 ans de cotisations.
R - C'est exactement ce qu'Eric Woerth a proposé. Exactement. La pénibilité, c'est exactement cela. Rien n'est fermé, la discussion continue, elle n'est pas bloquée du tout, en particulier sur la pénibilité.
Q - Cela veut dire que les gens qui ont un travail pénible pourront partir...
R - ... partiront à 60 ans, oui et peut-être même plus tôt. Il y a des régimes spéciaux qu'on n'a pas modifiés.
Q - Donc, cela ne s'appliquera pas à eux ?
R - Pour ceux qui, pour le moment, et cela aussi va continuer à être discuté, auraient 20 % de pénibilité. Vous savez, l'incapacité, c'est une chose difficile : qui s'en occupe ? Les médecins du travail, etc. ? C'est très important pour les gens. Mais ce que vous dites, c'est-à-dire quand on a commencé à 16 ans : oui, on pourra partir avant si le travail était pénible, bien entendu.
Q - Mais le fait que chaque personne devra passer devant...
R - Mais, encore une fois, ce n'est pas fermé du tout.
Q - Bernard Kouchner, vous qui êtes médecin, le fait que chaque travailleur devra passer devant une commission médicale ou un médecin pour mesurer la pénibilité de son travail, cela vous semble quelque chose de...
R - C'est très difficile, mais il faudra le faire parce que c'est fait ailleurs. Ce n'est pas fait ailleurs aussi bien que ce sera fait en France. Mais vous savez tout le monde passe devant, soit le médecin du travail, soit le médecin de la sécurité sociale, on verra bien. C'est une discussion qui va continuer jusqu'en juillet et en septembre.
Q - Sur le Proche-Orient, vous avez dit il y a quelques jours, à propos du blocus de Gaza, que l'Union européenne était prête à participer au check-point pour faciliter le passage des biens et des matériaux. Concrètement, comment est-ce que cela pourrait se mettre en place ?
R - Tout d'abord, il s'agit d'une proposition française, reprise par nos amis, et qui a été la proposition européenne. Nous avons même demandé que des contrôles en mer puissent s'envisager, mais nous n'avons pas encore réussi. Concernant les check-points, l'Union européenne contrôlait un endroit de passage palestino-égyptien, Rafah, mais là on contrôle les personnes, pas les marchandises.
Il faut imaginer - nous en avons déjà parlé avec les Israéliens - que le contrôle puisse s'étendre aux deux autres points de passage. Ce que nous avons obtenu - avec l'aide du Quartet et de Tony Blair, qui vient lundi en France pour en parler - c'est une liste limitée - alors que tout était bloqué et que l'on a levé le blocus, tous ensemble, avec les Israéliens - d'environ 180 marchandises très particulières de produits interdits. Le reste serait libéré. C'est quelque chose de très important pour les habitants de Gaza. Ce n'est pas suffisant, bien entendu, mais c'est déjà cela. C'est un léger progrès qui, je l'espère, sera suivi d'autres progrès.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 juin 2010