Interview de M. Jean-Marie-Bockel, secrétaire d'Etat à la justice, à Radio Classique le 8 juin 2010, notamment sur les relations franco-allemandes et sur la réforme des retraites.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

G. Durand.- J.-M. Bockel, bonjour, bienvenu sur Radio Classique.
 
Bonjour.
 
Je rappelle que vous êtes secrétaire d'Etat à la Justice et président de la Gauche Moderne. Alors commençons presque par de la philosophie. La vie n'est-elle pas un casino, puisque aujourd'hui il y a le procès Kerviel, dont on sent de la réprobation dans l'air, et en même temps la société française ouvre les paris en ligne ? Alors vous allez me dire, ce n'est pas du tout les mêmes affaires, mais moralement, est-ce que ce n'est pas quand même paradoxal ?
 
Sur l'affaire Kerviel, évidemment, laissons la justice faire sereinement son travail. Mais c'est vrai que le climat de financiarisation de la société, de l'économie...
 
C'est quand même la moitié des décisions qui ont été prises, la moitié de la somme perdue par la Société Générale c'est la moitié des décisions qui ont été prises par A. Merkel hier ?
 
Oui, on voit bien qu'on est passé dans un autre monde, c'est ce que je voulais dire, et finalement, le côté un peu sain de la situation actuelle, c'est qu'on est peut-être en train de repasser d'une financiarisation excessive, avec toute la dimension de jeu, même au sens le plus dramatique du terme, à une dimension beaucoup plus économique. Et ce que vous dites sur l'Allemagne, nous aussi, en France, nous sommes maintenant dans ce contexte à la fois, de relance, de gouvernance économique de la zone euro, enfin, on revient à des choses sérieuses, et on revient aussi...
 
Mais on n'emploie pas le mot « rigueur » et on autorise les paris en ligne ? C'est quand même totalement contradictoire. C'est-à-dire qu'on juge Kerviel et en même temps on dit aux Français : allez-y ! C'est la Coupe du monde, pariez dans tous les sens, spéculez sur les chances de la France ?
 
Ecoutez, je vais vous répondre par une pirouette. Moi, je ne joue pas, je n'aime pas tellement le jeu, et pourtant, je fais partie au niveau de ma ville, d'un syndicat communal pour créer un casino.
 
Mulhouse.
 
Oui, Mulhouse, pour créer un casino, parce que voilà, le jeu existe, ça fait partie de la vie, je ne sais pas si vous êtes joueur. Moi, je ne le suis pas.
 
Pas du tout. Mais à partir du moment où on taxe le jeu et une partie de cet argent revient finalement pour des missions d'intérêt public, eh bien, voilà quoi ! Et si on n'organise pas le jeu en ligne, de toute façon, on a une démarche non...
 
 Mais ça a un côté paradoxal. Si on s'élève un petit peu et on sort du studio et qu'on prend ça d'un point de vue philosophique, c'est quand même bizarre, de traduire en justice un jeune Breton et d'encourager les Français à parier sur l'équipe de France toute la journée ?
 
On structure, on réglemente, on organise, quelque chose qui fait partie de la vie, qui fait partie de la nature humaine. Ca a toujours été ainsi, moi, je rêve d'une société meilleure, mais ça ne se fera pas du jour au lendemain. Mais en attendant, réglementons le dispositif. Et au passage, si la société peut en avoir quelques profits, au bon sens du terme, eh bien tant mieux !
 
J.-M. Bockel, vous connaissez très bien les problèmes franco-allemands et l'histoire franco-allemande, puisque vous avez été pendant des années, jusqu'à il y a peu de temps, maire de Mulhouse...
 
Oui et très engagé dans le franco-allemand comme parlementaire aussi.
 
Alors que se passe-t-il ? Parce qu'on a l'impression que Sarkozy-Merkel, au-delà des problèmes de rigueur affichés, il y a un problème personnel ?
 
Ecoutez, je peux témoigner pour entendre le Président en parler, après chaque semaine, lors du petit déjeuner des chefs de la majorité, ce sera encore le cas ce matin, vraiment de l'attention particulière qu'il porte et à la qualité de cette relation sur le plan personnel et à l'importance stratégique qu'elle comporte. Simplement, le couple franco-allemand, moi, qui suis un vieux militant du franco-allemand, qui jadis était quelque chose d'un peu naturel, aujourd'hui c'est une démarche à construire en permanence. De même que les Britanniques jouent leur rôle, de même que les pays d'Europe du Sud jouent leur rôle. Il n'y a pas d'automaticité, ce sont des pays qui ont des intérêts différents, que...
 
Enfin ça a changé, vous, vous souvenez des images, Mitterrand/Kohl à Verdun se tenant par la main...
 
Mais c'est formidable qu'on ait passé le cap...
 
Merkel/Sarkozy c'est au dernier moment paf ! On annule un rendez-vous et on annonce une rigueur monumentale ?
 
Partageons cette émotion de la réconciliation. L'Europe, elle s'est d'abord basée sur la paix et donc la réconciliation franco-allemande. Ensuite, on est en train de passer à autre chose. On est en train de passer à la construction de l'Europe de demain, où le couple franco-allemand continue à jouer un rôle très important, mais qui se construit chaque jour. Ce sont des grandes démocraties qui ont des intérêts qui ne sont parfois pas les mêmes. La Chancelière par exemple, a affaire à un Parlement extrêmement exigeant, dans la manière dont cette rigueur se met en place dans son pays, à une opinion publique qui considère que c'est toujours l'Allemagne qui paie. Et donc, je peux vous garantir que tant sur le plan politique que sur le plan personnel entre les deux leaders, la relation est une relation qualité. Rappelez-vous la relation Chirac...
 
Mais vous souvenez J.-M. Bockel, à un moment... oui...
 
Schröder au début, ce n'était pas gagné d'avance !
 
Oui, vous, vous souvenez qu'à un moment, encore récent, on envisageait qu'il y ait même des ministres communs et là, on annule les agendas au dernier moment. En France, on ne veut pas parler de rigueur, parce qu'on a peur du mot. En Allemagne, paf ! Tout d'un coup, 11 milliards d'économies ?
 
Je pense sincèrement...
 
Où est l'Europe ? Où sont les décisions communes ?
 
Je pense sincèrement qu'on ne doit pas être toujours dans l'immédiateté. Il faut tenir compte, encore une fois, des difficultés auxquelles la Chancelière avec notamment une coalition qui elle-même est également compliquée, est confrontée avec son Parlement. Ca a été le cas déjà, il y a quelques semaines. C'est le cas, en ce moment, et je ne vois pas d'autres raisons à ce report de quelques jours tout de même ! Le 14, ce rendez-vous aura lieu. Et je crois que nous sommes le 8, aujourd'hui.
 
Mais enfin, il y aura 11 milliards d'économies du côté allemand, qui seront sur la table, enfin bref...
 
Ca m'étonne, nous sommes aussi dans une démarche, actuellement, de ce point de vue-là, extrêmement volontariste.
 
J.-M. Bockel, si ma mémoire est bonne, en 83, vous avez voté la retraite à 60 ans, donc aujourd'hui, qu'est-ce que vous dites, justement à tous ceux qui essaient de faire bouger dans votre gouvernement l'âge de la retraite ?
 
Franchement, j'assume pleinement cette décision.
 
Laquelle ? Celle d'E. Woerth...
 
Je me souviens d'avoir voté en 83 la retraite à 60 ans. Vous faisiez allusion à mon vote. Donc je dis : j'assume pleinement ce vote à l'époque. Et c'était une conquête sociale importante, et au fond, c'est une manière de dire que dans l'esprit des Français, cela reste extrêmement important. Et à partir du moment où on considère - encore une fois, E. Woerth fait un excellent travail - qu'il n'y a pas d'autres solutions, car il y a plusieurs alternatives possibles, le nombre de trimestres, de points, etc., mais qu'il n'y a pas d'autres solutions possibles à un moment donné, que d'augmenter l'âge légal, il est important pour que ce soit compris, y compris notre dialogue avec les organisations syndicales - la CFDT tient son congrès en ce moment - que les Français se rendent compte qu'au moment où vraiment on décidera...
 
Vous voulez dire que ça va changer ; c'était justifié en 83, ça ne l'est plus aujourd'hui ?
 
Cette augmentation, de toute façon, le monde a changé, vous êtes d'accord. Mais ce que je veux dire, de mon point de vue et du point de vue de la Gauche Moderne, c'est qu'il faut que nous ayons au moment où la décision sera prise, une vision d'ensemble, de tous les aspects qui seront pris en considération pour qu'un certain nombre de personnes, sur des questions de pénibilité, de nombre de trimestres, de nombre de points, de situations particulières, puissent s'y retrouver. Donc moi, évidemment je suis solidaire du Gouvernement, mais je considère que ce débat est utile, et je considère qu'il est important et utile que l'aile gauche de la majorité, en l'occurrence la Gauche Moderne, puisse sur la question de la retraite à 60 ans, rappeler ces principes, rappeler les engagements qui sont les nôtres et ensuite, bien sûr, rentrer dans cette négociation. Nous avons par exemple insisté sur la retraite des seniors, qui est un sujet extrêmement sérieux, extrêmement prégnant, sur lequel d'ailleurs le ministre Wauquiez est également engagé. Voilà les points sur lesquels nous allons le moment venu construire notre consensus.
 
Alors je voudrais qu'on écoute les grands entretiens de la matinée, sur les autres radios. C'est une des marques de Radio Classique grâce à la rédaction, grâce à R. Blanc. On va balayer tous les sujets, et après on prend J. Veil, donc l'avocat de la Société Générale. RTL, 7 heures 51 minutes, le bouillant J.-P. Escalettes président de la Fédération Française de Football, vous imaginez bien qu'il revient sur la polémique autour de l'hôtel des Bleus, amenée par R. Yade.
 
J.-P. Escalettes : Tout le monde le sait, madame la ministre la première, que les hôtels sont des hôtels de luxe, certes, mais imposés par la FIFA. Cet hôtel, il n'a pas été choisi, parce qu'il était plus luxueux que les autres. Il a été choisi parce qu'on jouait le premier match au Cap, il est à 50 minutes de vols du Cap, etc. etc. c'était, ce qui s'est passé hier, de manière... mais vendredi, il y a quelque chose de beaucoup plus important et je pense que madame R. Yade est déterminée, elle aussi, et qu'elle sera heureuse si l'équipe de France fait un bon résultat.
 
Voilà ! Canal+, 7 heures 53, on va prendre les choses les unes après les autres, après. J.-L. Borloo aime-t-il l'idée d'un candidat centriste en 2012 ? Voilà, une bonne interrogation pour vous, parce que après tout la Gauche Moderne pourrait y aller !
 
J.-L. Borloo (document Canal+) : Moi, j'aime bien.
 
M. Biraben : Vous ! Pff ! J.-L. Borloo : On n'en est pas là ! On n'en est pas là, enfin non.
 
C. Roux : Il y a une inflation de candidats au centre, donc il y a une multiplication. J.-L. Borloo : Ca ne m'a pas échappé. Ça ne m'a pas échappé, mais attendez, pour l'instant, je ne suis candidat à rien !
 
Voilà ! P. Devedjian, France 2, 7 heures 56, même question.
 
P. Devedjian (document France 2) : Je ne suis pas convaincu, mais bien sûr, tout le monde a le droit de se présenter. En 2007, ça nous a réussi d'avoir un candidat qui rassemblait toute la droite, à ce moment-là, la droite républicaine, et qui a atteint un score que n'atteignaient jamais nos candidats au premier tour, dépasser les 30 %.
 
Voilà ! Et maintenant, D. Cohn-Bendit qui parle du plan allemand, déséquilibré, celui qui est intervenu hier, c'était à LCI sur l'antenne de LCI il était 8 heures 18.
 
D. Cohn-Bendit (document LCI) : Ce plan est déséquilibré, parce qu'il coupe dans la protection sociale d'une manière unilatérale, même les plus grands représentants de l'économie allemande avaient demandé une augmentation d'impôts pour les hauts salaires et tout ça, mais les libéraux n'ont pas voulu. Je crois que donc il est mauvais pour l'Allemagne, parce qu'il mettra encore plus Merkel en crise. On est dans une crise politique majeure en Allemagne de déséquilibre, on a un gouvernement, disons simplement, incapable.
 
Voilà donc pour les principales déclarations avant les vôtres. Alors prenons les problèmes dans l'ordre. R. Yade qui est une ânerie monumentale, qu'elle a raconté sur cet hôtel ?
 
Comme elle le dit elle-même aujourd'hui, maintenant, on est derrière les joueurs. Elle a peut-être traduit un sentiment qu'on peut avoir, à partir d'images de télévision. Mais je crois qu'aujourd'hui, on est passé à autre chose. Et puis voilà quoi !
 
Oui, mais enfin, elle, elle rame, et vous aussi, sur ce sujet-là ? Parce qu'elle dit : ces Bleus, finalement, ils ne sont pas très bons, ils ne vont probablement pas aller jusqu'au bout, ils sont dans un hôtel de luxe, mais enfin, bon !
 
Ecoutez Rama est mon amie, elle est très engagée dans sa mission...
 
Mais ce n'est pas un argument ça ?
 
Elle est très engagée dans sa mission de secrétaire d'Etat aux Sports. Aujourd'hui, elle l'a dit elle-même à Rabah : on est passé à autre chose. Et puis, allons-y !
 
Mais vous l'imaginez allant serrer la main de T. Henry et les autres après avoir dit ça ?
 
Mais oui, bien sûr que oui ! Bien sûr que oui !
 
Ah ! Oui, oui, oui, elle oui, mais eux, ce n'est pas sûr. Enfin bon !
 
Mais si, mais si. Vous savez, tout passe !
 
Deuxième question, elle est importante, on envisage des candidatures de Borloo, des candidatures d'H. Morin, pour essayer d'élargir celle de N. Sarkozy au centre, lors de la prochaine présidentielle. Est-ce que ça veut dire que vous, au nom de la Gauche Moderne, vous pourriez y aller ? Et pas simplement l'envisager ? Là, il faut être franc, parce que je vous tiens, je ne vous lâcherai pas ?
 
Vos confrères de Canal et d'Europe m'ont moqué ce week-end, parce que j'avais dit sur la question de la candidature centriste, il y a du pour et du contre. Mais franchement, il y a des moments où il faut réfléchir. On sait que le Président est plutôt favorable à une candidature unique pour éviter que les voix ne se dispersent, parce qu'au premier tour, s'il y en a en dessous d'un certain seuil, ça devient difficile. Et d'un autre côté, il faut aussi savoir faire le plein des voix. Alors moi, aujourd'hui...
 
Vous y allez ou pas ?
 
Aujourd'hui, je considère que la Gauche Moderne doit... On est au fond dans une nouvelle phase d'une ouvertement, on n'est plus dans l'ouverture des personnalités. Il faut qu'il y ait une aile gauche de la majorité, et cette aile gauche, bien sûr qu'elle doit dialoguer avec l'UMP, mais elle doit également dialoguer avec les centristes. Est-ce qu'on peut un jour se coaliser autour d'un candidat ? En tout cas, s'agissant de la Gauche Moderne...
 
Mais vous y croyez à la nécessité d'une coalition d'une autre candidature ?
 
Je dis que ça mérite réflexion. Franchement, on n'a pas encore tous les éléments aujourd'hui, on ne peut pas l'exclure d'emblée. Il faudrait que cette candidature -vous avez parlé de Borloo, on pourrait parler de Morin - si elle prend des voix à N. Sarkozy, sans ouvrir...
 
Ça lui ramène, vous voulez dire...
 
Non, mais si elle ne fait que lui prendre des voix au premier tour, ça n'a pas de sens. Donc là, il faut être contre. S'il apparaît à un moment donné - aujourd'hui, les sondages ne disent pas vraiment cela - qu'elle peut vraiment ramener des voix, il y a aussi la problématique Bayrou, qui est posée. Ça mérite réflexion. S'agissant de la Gauche Moderne, nous sommes aujourd'hui une force trop petite...
 
Brièvement, s'il vous plaît !
 
...Pour imaginer y partir seule, ça n'aurait pas de sens. Donc pour le moment, je construis l'aile gauche de la majorité, c'est un gros travail et ensuite on verra.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 8 juin 2010