Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur la politique culturelle vers les jeunes dans le cadre du Fonds d'expérimentation pour la jeunesse, Paris le 8 juillet 2010.

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Circonstance : Lancement de l'appel à projets culturels dans le cadre du Fonds d'expérimentation pour la jeunesse à Paris le 8 juillet 2010

Texte intégral


C'est avec un immense plaisir que je me trouve aujourd'hui parmi vous, dans cet espace exceptionnel d'invention, de dialogue et d'échange entre les artistes et les publics qu'est le Palais de Tokyo, et je tiens tout d'abord à remercier son directeur, M. Marc-Olivier WAHLER, de nous y accueillir et de nous permettre de donner un nouvel élan à ce dialogue, à ces échanges et à cette inventivité, grâce à ce « Fonds d'expérimentation pour la jeunesse ».
« Expérimentation » : je trouve ce terme particulièrement bien choisi pour rendre compte de l'originalité de cette opération, de l'esprit de recherche et d'innovation qui l'anime, comme elle animera les projets qui vont bientôt la décliner et l'incarner. Car c'est bien, aussi, d'une recherche de nouvelles formes d'action politique, culturelle et sociale qu'il s'agit, d'un renouvellement de nos conceptions et de nos pratiques, et, en somme, d'une nouvelle phase de la démocratisation culturelle.
En cela, cette « Expérimentation pour la jeunesse », lancée par mon collègue Marc-Philippe DAUBRESSE, entre en pleine résonance avec mon idéal d'une « culture pour chacun », dont j'ai fait l'axe structurant de mon action à la tête du ministère de la Culture et de la Communication. Il était, en effet, devenu indispensable de dépasser la logique quelque peu uniformisante de la « culture pour tous », qui ne prenait pas suffisamment en compte la diversité de plus en plus foisonnante des publics et de leurs pratiques culturelles, qui devait s'adapter davantage aux spécificités des différents publics qui composent désormais notre société.
Quels sont donc les publics qui ont besoin de cette adaptation ? J'ai envie de dire : tous. Mais, d'abord, tous ceux qui sont enclavés, géographiquement, socialement, culturellement : je pense aux habitants des zones rurales, à ceux des banlieues, aux populations marginalisées, que ce soit par un handicap, par la maladie, par la vieillesse ou la réclusion carcérale, mais je pense aussi, bien sûr, aux jeunes.
« En démocratie, chaque génération est un nouveau peuple », a dit très justement TOCQUEVILLE. Et c'est d'autant plus vrai lorsque les évolutions, notamment technologiques, se font plus rapides, à l'instar de l'explosion numérique à laquelle nous participons, et qui, comme l'a montré la récente « Enquête décennal du ministère sur les pratiques culturelles des Français », modifie en profondeur nos comportements, nos pratiques, nos manières de penser même, ou de percevoir notre rapport au monde, comme au temps et à l'espace. Il y a aujourd'hui une génération de « natifs d'Internet », comme on dit, et dont la culture - dont les cultures sont très différentes de celles que nous connaissions et dont nous avions l'habitude.
Cette révolution multiple crée de nouveaux supports et de nouvelles formes de création, mais aussi un nouveau rapport au patrimoine, et en général aux contenus culturels. Et cela implique évidemment de nouveaux modes d'intervention publique, dont cette opération constitue une illustration emblématique.
Elle manifeste d'abord qu'aujourd'hui, plus que jamais, rien n'est solitaire - tout est solidaire. Solidaire au sein du gouvernement, dans la politique de réformes et dans notre action dans le sens de la cohésion. Beaucoup de problèmes d'exclusion, nous le savons, sont aussi et peut-être avant tout des problèmes de culture, et la culture est précisément l'un des leviers pour lutter contre certaines formes d'exclusion.
La première des exclusions, c'est celle de l'intimidation sociale qui, trop souvent, retient les gens, et en particulier les jeunes, aux portes de la culture : c'est d'abord à briser ces barrières et ces plafonds de verre que vise notre idéal d'une « culture pour chacun », et à permettre à chacun de construire un rapport intime avec la culture, tant avec les oeuvres qu'avec les diverses formes de pratique culturelle, d'abord amateur.
Il s'agit de donner aux jeunes les moyens de se frayer un chemin, un chemin personnel, leur chemin vers les arts et vers la culture, de se construire un « parcours » de liberté et d'autonomie.
Pour cela, il faut à la fois leur offrir une initiation aux formes d'art qui leur sont parfois le plus éloignées, voire étrangères, telles que l'opéra, la musique classique ou la peinture ; c'est d'ailleurs aussi à cette exigence que répond l'éducation artistique et culturelle que nous avons récemment introduite à l'école. Mais il faut aussi apporter aux jeunes une reconnaissance des pratiques artistiques et culturelles qui leurs sont propres et qui, trop souvent, ont été reléguées comme inacceptables aux marges d'une culture officielle, qu'il faut bien appeler élitiste. Il faut absolument leur donner droit de cité si nous ne voulons pas méconnaître le droit imprescriptible à la différence.
Alors, je me réjouis que ces deux aspects complémentaires, et même indissociables, de l'initiation et de la juste reconnaissance de la diversité culturelle soient pleinement pris en compte par ce programme, notamment à travers les projets de sensibilisation et de médiation qui, en étroit partenariat avec le ministère de l'Education nationale, ouvrent l'école à d'autres espaces de sensibilité et d'expression. Cela, grâce à des collaborations avec les associations qui, jour après jour, oeuvrent sur le terrain, avec autant que patience que de passion, en faveur des jeunes et de leur accès à toutes les formes de culture.
Ce qu'incarne au fond cette opération, c'est la conviction d'un enjeu fondamentalement social et sociétal de la culture. La culture, ce n'est pas l'esthétisme, ce n'est pas un supplément d'âme ou un luxe - sauf à considérer celui-ci comme « cette chose très nécessaire » dont parle VOLTAIRE - ; la culture, c'est l'âme même de la société, c'est ce qui la fait tenir ensemble, ce qui fonde notre bien vivre-semble et même notre savoir-vivre ensemble, c'est quelque chose de profondément ancré dans la vie sociale.
Voilà pourquoi cette opération prend aussi pleinement en compte, dans les « parcours » dessinés pour les jeunes, la dimension professionnelle essentielle, que représentent les divers métiers de la culture, ces métiers qui en déclinent les divers visages, au plus près des réalités contemporaines.
La « culture pour chacun » s'inscrit, je le disais, dans une logique gouvernementale, et le partenariat qui lie, depuis bientôt dix ans, le ministère de la Culture et de la Communication et celui de la Jeunesse et des Solidarités actives est, à cet égard, exemplaire : ce programme lui donne un nouveau souffle. Mais cette « extension du domaine de la culture et de ses publics » est aussi, indissociablement, une « extension du domaine des acteurs de la culture », publics comme privés. Nous avons enfin compris que, pour s'adapter et s'adresser véritablement à chacun, et non pas indistinctement « à tous » - ou, comme trop souvent, à quelques-uns, toujours les mêmes -, la culture ne devait plus être seulement une « affaire d'Etat », une affaire de l'Etat, mais celle de chacun : oui, je suis convaincu que le mécénat culturel doit jouer, dans nos projets culturels, un rôle moteur, que je travaille d'ailleurs à renforcer. Eh bien, là encore, ce « Fonds d'expérimentation pour la jeunesse » me semble absolument exemplaire, et je tiens à remercier très chaleureusement l'entreprise TOTAL, et la Fondation qui en est l'expression culturelle - en particulier sa Déléguée générale, Mme Catherine FERRANT - pour leur générosité et leur engagement, tout à fait décisifs.
C'est ainsi qu'ensemble - pouvoirs publics et acteurs privés -, nous sommes en train de relever le défi d'une culture mieux partagée, plus participative, car plus attentive aux attentes réelles de l'ensemble des publics dans toute leur diversité, qui fait leur richesse. C'est ainsi que nous sommes en train, ensemble, de donner réalité à cette ambition et cet idéal - nullement utopique - d'une culture véritablement « pour chacun ».
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 9 juillet 2010