Texte intégral
Mon collègue Bernard Kouchner est en route pour l'Afrique. Je vais donc assurer le suivi qui commence maintenant avec le déjeuner des ministres des Affaires étrangères et la séance RELEX.
Ce matin, je tenais cependant à vous voir à deux reprises si cela ne vous ennuie pas, parce que nous aurons deux problématiques assez distinctes : ce qu'on a traité ce matin au Conseil Affaires générales y compris le point que j'ai rajouté tout à la fin sur les Roms et puis ensuite il y aura les questions de politique étrangère cet après-midi. J'aimerais que l'on reste centrés ce matin sur ce que j'appelle la "soute", c'est-à-dire les questions internes de l'Union européenne : le Service d'action extérieure, la Présidence belge, l'Islande, le suivi du Conseil européen du 17 juin et les Roms. Je suis d'ailleurs intervenu à peu près sur tous les points.
Le Conseil Affaires générales est bien un lieu où on fait de la politique, c'est l'endroit où l'on coordonne, c'est l'endroit de la cohésion des politiques des différentes présidences techniques juste en dessous du Conseil européen. Pour cette raison, la partie "suivi" du Conseil européen et la préparation du suivant, sont des points extrêmement importants. Je suis heureux de voir que la Présidence belge est tout à fait dans cette ligne et d'ailleurs cette ligne fait l'unanimité aujourd'hui. Cela n'allait pas de soi au début de l'année quand nous avons démarré avec le nouveau système. Nous appliquons, nous ne faisons rien d'autre que d'appliquer l'article 16, de mémoire, du Traité de Lisbonne.
En ce qui concerne l'Islande, nous avons eu un débat. Pour ma part, j'ai simplement voulu insister sur le fait que je me suis rendu sur place, que nous avons reçu à plusieurs reprises les représentants islandais et que nous sommes favorables, pour de nombreuses raisons, à ce que l'Islande soit membre de l'Union, pas plus vite et sans aucun raccourci par rapport aux autres et notamment par rapport aux Etats des Balkans. Cependant, le seul problème qui me soucie et qui a soucié d'autres membres, c'est que, pour être membre de l'Union, encore faut-il le vouloir ; il y a quelque chose qui s'appelle l'affectio societatis, c'est-à-dire la raison pour laquelle on est dans l'Union. Si manifestement il y a, et c'est ce que montrent les sondages, une non-adhésion au projet européen, c'est-à-dire l'absence d'une majorité en faveur de l'adhésion, il n'y a pas franchement de raison pour que l'Europe se précipite et que dans la suite des opérations, elle fasse des concessions dans la négociation de l'acquis. Je pense notamment en matière de pêche. La seule chose que j'ai demandée et cela a d'ailleurs été accepté, c'est que la Présidence et la Commission se rendent sur place et passent ce message clairement aux autorités islandaises. Ce n'est pas à l'Union européenne d'aller convaincre le peuple islandais. Quand on vient vers l'Europe, il y a un consensus ou alors ce n'est pas la peine de s'engager dans une négociation compliquée et coûteuse si, au début, il n'y a pas vraiment de volonté d'appartenance. Cela étant, les portes sont ouvertes et naturellement l'Islande est la bienvenue.
Sur le Conseil européen du 17 juin, ce qui est en train d'être mis en place avec le Groupe Van Rompuy, est quelque chose de très ambitieux. J'ai rappelé les termes de la lettre franco-allemande qui a été rendue publique la semaine dernière, lorsque Wolfgang Schäuble a participé à notre Conseil des ministres. Du côté français, nous voulons aller vite avec nos partenaires allemands en matière de gouvernance économique, de renforcement du Pacte de stabilité, de rétablissement des équilibres de nos finances publiques. J'ai donc rappelé les principaux termes de cette lettre et j'ai cru comprendre que certains pays autour de la table avaient des réserves sur la notion de sanctions, mais les sanctions sont prévues d'ores et déjà dans le Traité. Si nous voulons que les garanties qui ont été mises sur la table, aussi bien en direction de la Grèce que vis-à-vis de la zone euro, soient appliquées - et elles sont considérables -, il faut que nous opérions tous dans la transparence avec pour objectif la réduction des déficits et une coordination macro-économique. C'est exactement ce qui est en train d'être organisé et qui, nous l'espérons, sera mis en place dès la fin de cette année de façon à ce que nous puissions commencer avec un nouveau système de pilotage des économies, tous ensemble à partir du premier semestre de l'année 2011. Et donc le CAG suivra très précisément la mise en oeuvre de ce dispositif.
Sur la préparation du Conseil européen du 16 septembre, là encore, nous avons fait un certain nombre de propositions s'agissant des grands partenaires, notamment en Asie, du renforcement d'une stratégie commerciale extérieure. Pour l'instant, elle reste à construire, mais là encore, le fait que le président Van Rompuy ait choisi de centrer les Conseils européens de rentrée sur l'innovation et sur les partenaires extérieurs me paraît aller dans le bon sens.
Sur le Service pour l'action extérieure, là, nous nous sommes tous félicités du travail qui a été accompli par Mme Ashton et par la Présidence espagnole. C'est un processus complexe qui a été mené à bien pendant ces derniers mois. Nous espérons tous qu'à la suite du document qui a été adopté aujourd'hui et qui résulte de beaucoup de travail avec la Commission d'une part, le Parlement européen d'autre part, les autres documents qui touchent au budget et au statut des personnels, ne viennent pas remettre en cause les équilibres qui ont été actés dans ce document ; c'est la première question. La deuxième sur laquelle j'ai beaucoup insisté, c'est vraiment la nécessité de donner à Mme Ashton les moyens de bien coordonner l'action de la Commission à l'extérieur auprès de ceux qui, parmi les autres commissaires, ont naturellement une activité externe. Je pense à l'énergie, je pense au commerce, à l'aide d'urgence et à bien d'autres domaines, l'élargissement et le partenariat oriental. Tout cela a des répercussions sur l'action extérieure de l'Union et c'est ce qui rend le travail de Mme Ashton passionnant. Cela consiste non seulement à refléter des positions communes mais aussi à les décliner concrètement par une action concertée de tous les commissaires qui participent de près ou de loin à l'action extérieure de l'Union. Ce souci-là a été parfaitement compris.
Ce matin, Mme Ashton a donc rendu publique la dernière mouture d'un organigramme. Une première version avait circulé juste avant le week-end, cet organigramme est pour l'essentiel conforme à ce que nous souhaitions, côté français. Il y a encore quelques détails ici ou là à regarder sans doute mais globalement il renforce la cohérence de l'ensemble. Cet organigramme va donner à Mme Ashton les moyens de mener sa mission.
J'ai fait une remarque sur le titre du service d'action extérieure. En anglais, c'était "conflict prevention security and stability", et je lui ai dit qu'il n'y avait pas que le "conflict prevention" mais qu'il y avait aussi le "conflict resolution". Il faut tout de même un petit peu d'ambition pour 500 millions d'Européens qui sont le tiers du PIB de la planète et donc un service à la hauteur d'une Union européenne en tant qu'acteur global. Ce ne serait pas plus mal... Donc là, tout le monde est d'accord sur l'idée qu'il faut probablement trouver le titre ou le slogan adéquat pour le service, mais on a pas mal avancé.
On a maintenant un organigramme qui tient la route, elle va avoir un Secrétaire général qui va avoir deux adjoints sous son contrôle et quelqu'un qui s'occupera des affaires de personnel et de finances. Le résultat sera quelque chose de conforme à ce que nous, les Etats, et nous, la France, nous souhaitions avec un système de pilotage à part pour tout ce qui touche aux affaires de politique étrangère et de défense et pour tout ce qui touche aux affaires de sécurité.
Enfin, j'ai fait une présentation, à la demande de la France, sur la situation des Roms qui a été soutenue par un certain nombre de collègues et notamment par Franco Frattini. C'est une affaire sensible et délicate. Bien entendu, il ne s'agit pas de faire preuve de la moindre volonté de stigmatiser qui que ce soit, que ce soit une communauté ou que ce soit encore moins les Etats qui sont autour de la table du Conseil. Mais il faut quand même prendre conscience que nous avons un réel problème. Il ne sert à rien d'utiliser la notion de non discrimination en direction d'une communauté qui a beaucoup souffert et qui continue à souffrir pour laisser se dérouler sur notre sol des choses parfaitement inacceptables comme les trafics d'enfants, les violences contre les hommes et les femmes et les actes de délinquance qui prennent des proportions vraiment difficiles.
Le problème des Roms est considérable. Il y a 11 millions de Roms en Europe. Depuis l'élargissement de 2007, 9 millions sont aujourd'hui détenteurs de passeports de l'Union européenne et le temps est venu de s'en occuper, vraiment. Le devoir d'insertion, tout le monde l'a naturellement, mais il appartient d'abord aux Etats dont ils sont les ressortissants. Comme l'a dit la Commission tout à l'heure, on a mis beaucoup d'argent dans le système pour aider à l'insertion de ces populations, des fonds de cohésion, des fonds de toute sorte et la mobilisation est insuffisante. Je le sais parce que j'étais à Cordoue il y a trois mois lors du Sommet sur les Roms et franchement, à part des discours, il ne s'est rien passé.
Cela ne peut pas continuer comme cela d'autant que, et c'est le deuxième volet, la majorité de la population migrante ne cherche pas à s'installer. Ce sont des gens qui sont envoyés par des groupes qui utilisent des mineurs par la violence soit pour voler, soit pour mendier soit pour la prostitution et qui enrichissent un certain nombre de trafiquants.
La libre circulation en Europe et la notion de non discrimination à l'égard de ces populations qui souffrent ne doivent pas servir d'alibi à ces trafics et laisser de façon impunie des gens s'enrichir sur la misère humaine. Cela n'est plus possible.
A Paris et dans la région parisienne, les taux de délinquance sont considérables sur les ressortissants mineurs détenteurs de passeport roumain, on en est à plus de 150% d'augmentation par an et rien qu'au premier semestre de cette année on est à 140%. Il faut que cela cesse. J'ai encore vu hier dans ma circonscription des choses qui ne sont pas acceptables. Il ne faudrait pas être dans une situation où, tout en dénonçant l'inacceptable, la machine européenne continue à laisser se dérouler des processus comme ceux de l'évaluation Schengen promis pour le début de l'année prochaine.
Si nous ne voulons pas nous trouver à contretemps d'un mouvement d'opinion aux effets négatifs, qui en stigmatisant tel ou tel pays accablerait en fait l'Europe toute entière, nous devons reprendre l'initiative et agir immédiatement tous ensemble. Et je suis content de voir que la Présidence belge, pays également concerné par le phénomène, mais également la Commission sont déterminées à mobiliser différents organismes notamment, le Conseil JAI et d'autres pour essayer de régler ce problème.
Donc, voilà ce que je voulais vous dire s'agissant de cette matinée qui a été très chargée, je dois maintenant rejoindre le CAE, est-ce qu'il y a une question ou deux rapidement sur ce que je viens de dire ?
Q - Y a-t-il des noms cités dans l'organigramme de Mme Ashton ?
R - Non, il n'y a pas de noms. C'est à elle qu'il revient de nommer. L'affaire des nominations a été mentionnée par elle d'ailleurs. Je pense que tout cela va être finalisé dans les semaines qui viennent, à la rentrée sans doute, avec la nomination d'une bonne dizaine de personnes au moins dans les postes de direction.
Q - Cette réunion se passe curieusement, alors qu'il y a un mouvement de grève des diplomates italiens. Cela n'est pas nécessairement lié mais est-ce que cette problématique a été évoquée ?
R - Le collègue allemand a dit qu'à ses yeux le Service allait servir à économiser de l'argent pour un certain nombre d'Etats membres. C'est probablement le cas, il y aura des rationalisations dans un certain nombre de pays. S'agissant de la France, je ne suis que le secrétaire d'Etat donc ce n'est pas à moi, à ce stade de tirer toutes les conclusions du système qui, de toute façon, est en train de monter en puissance. Je crois qu'il est souhaitable que la France continue à conserver un réseau mondial ; c'est un des rares pays à le faire. Il y a sans doute des synergies et des économies à trouver avec la montée en puissance d'un système qui va permettre de soulager tel ou tel aspect des choses en matière consulaire et autre. Pour ma part, je souhaite que la France continue à avoir un grand réseau quitte à travailler en parallèle avec celui de l'Union ; c'est d'ailleurs l'idée.
Le Service européen d'action extérieure n'est pas fait pour remplacer les services nationaux mais pour donner un plus, pour justement faire en sorte que la synergie se fasse avec les différents commissaires qui, eux, disposent de l'argent de l'aide au développement. Vous savez que nous avons "communautarisé" beaucoup de notre aide et donc l'argent pour l'aide d'urgence est à la Commission. Tout cela doit permettre à l'Union d'être plus efficace, cela ne veut pas dire se substituer aux Etats.
Je dis toujours, que nous, nous souhaitons un service qui soit, comme vous le savez, équidistant entre le Conseil et la Commission. Son statut est à part, ce n'est pas un bras de la Commission, c'est bien un service qui travaille pour mettre en oeuvre une politique commune actée au niveau du Conseil et sur laquelle naturellement, le Parlement européen est consulté en même temps d'ailleurs que les parlements nationaux dans la mesure de ses attributions. Qu'on n'aille pas inventer une sorte de diplomatie conduite par la Commission sous le contrôle du Parlement européen, ce n'est pas le Traité. Ce que nous demandons, c'est le Traité et rien que le Traité, et c'est ce qui se passe. Ce document reflète les équilibres nécessaires.
Q - Mme Ashton a-t-elle pris son cours de français ?
R - Je crois qu'elle l'a reporté, mais elle s'est mise au français. Moi je ne fais pas de séjour linguistique en Allemagne cet été, mais je me mets à l'allemand. Je la trouve d'ailleurs plus à l'aise en français que moi je le suis encore en allemand. Vous voyez, j'ai des progrès à faire. Dans ma bouche il n'y a nulle critique, il y a simplement le souhait que Mme Ashton parle les deux langues qui sont les deux langues de base de la coopération diplomatique de l'Europe.
Q - C'est pris en charge par la France ?
R - Oui, bien sûr, elle est invitée quand elle le voudra et quand elle le pourra.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 juillet 2010