Interview de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la justice et des libertés, à Europe 1 le 31 août 2010, sur l'évolution judiciaire des affaires dans lesquelles le ministre du travail, Eric Woerth, pourrait être impliqué, sur la réforme de la procédure pénale, la politique de sécurité et sur les perspectives de remaniement gouvernemental.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Vous n'aviez pas parlé pendant l'été, on va vous entendre aujourd'hui. Le procureur général de la Cour de cassation, J.-L. Nadal, a donc été saisi pour examiner tous les éléments concernant E. Woerth. A la fin du mois, il devrait livrer, en conscience, son avis. Qu'est-ce que vous en attendez, vous, ministre de la Justice ?
 
D'abord, moi j'estime que la justice doit suivre son cours et qu'elle doit le suivre sereinement, et sans qu'il y ait des tentatives d'immixtion ou d'intimidation. Et également, sans qu'il y ait des choses fausses qui soient dites. Or j'entends effectivement beaucoup de choses fausses. D'abord, le procureur général près de la Cour de cassation, a eu une interrogation de la part d'un député européen pour lui demander effectivement, si oui ou non, il y aurait des éléments dans cette affaire qui permettraient de saisir la Cour de justice.
 
Vous voulez dire qu'il est prématuré de dire qu'E. Woerth sera passible de la Cour de justice de la République ?
 
Mais c'est évident. D'abord parce que la Cour de justice ne peut être saisie que lorsqu'il y a une faute pénale, ce qui, jusqu'à présent - et il n'est pas question pour moi de m'immiscer dans cette affaire - mais enfin, je constate simplement, jusqu'à présent, que le problème n'est pas posé en ces termes. Le procureur général, lui, qu'est-ce qu'il fait ? On lui pose une question, et il essaie d'y répondre. Pour répondre, il va chercher des éléments lui permettant de savoir si, oui ou non, il y a des éléments qui permettraient éventuellement, non pas de saisir la Cour de justice, mais de saisir la Commission des requêtes...
 
...Les sept magistrats.
 
Qui examinerait, elle, si sur le fond, il y a ou non matière à saisir la Cour de justice. Donc vous voyez que l'on est loin d'un certain nombre d'affirmations que j'ai entendues hier, et qui étaient visiblement un peu légères.
 
J.-L. Nadal est considéré comme un magistrat redoutable, qui est intègre, libre, que vous connaissez. Est-ce qu'on va le laisser agir et décider en toute indépendance ? Je veux dire sans aucune intervention hiérarchique et politique.
 
Vous connaissez ma conception de la justice, c'est que la justice doit travailler en toute sérénité et en toute indépendance. Et je dénonce, moi aussi, les tentatives d'intimidation ou d'immixtion, ou de pression, qui ne viennent pas de la hiérarchie, mais qui souvent vont venir soit de politiques, ce que je ne peux que déplorer, soit également parfois d'une pression médiatique. Alors, s'il vous plaît, pour les uns et pour les autres, laissons la justice travailler. Travailler sereinement, car elle travaille bien.
 
Mais vous savez, M. Alliot-Marie, qu'il est fait appel à J.-L. Nadal parce qu'on accuse la justice d'être court-circuitée, bridée, entravée. Est-ce que vous assurez que l'investigation conduite par le procureur de Nanterre P. Courroye est impartiale - même si vous ne voulez pas vous prononcer ? Est-ce qu'il est libre d'agir et de mener son enquête avec toute la liberté, la rigueur et la compétence qui sont requises ?
 
Il est totalement libre. J'ai d'ailleurs refusé un certain nombre d'immixtions ou de demandes qui me sont faites, et qui sont quand même un peu paradoxales, puisque j'entends certains politiques, certains partis politiques, qui voudraient finalement que ce soit moi qui décide, ou plus exactement eux, qui doit mener une enquête ou comment on doit mener une enquête. Ce n'est pas ça l'indépendance de la justice. Aujourd'hui, la justice travaille, les enquêtes avancent. D'ailleurs, vous le constatez vous-même, elles avancent même vite, puisque les médias, aussi, se font l'écho de ces résultats.
 
Mais vous savez aussi que la gauche se plaint qu'il n'y ait pas de juge d'instruction, et chez les Verts c'est E. Joly, qui a été juge d'instruction, qui est la plus dure pour le réclamer.
 
C'est exactement ce que je vous dis, c'est quand même un peu paradoxal que les socialistes ou les Verts, décident qui doit mener une enquête. Ce n'est pas à eux de le faire. La justice a des règles, elle respecte ces règles, et je suis là, aussi, pour les faire respecter.
 
Ces conflits, est-ce qu'ils auront des effets sur votre réforme de la procédure qui prévoit aussi, entre autres, la suppression du juge d'instruction ?
 
Je pense effectivement que les défauts du système actuel, que nous pouvons percevoir, notamment avec ces tentatives de pression, ou avec ces mises en cause, disparaîtront dans la réforme, puisque la réforme sera beaucoup plus claire. Il y aura, d'une part, la personne qui mène l'enquête, le magistrat qui mène l'enquête, d'autre part celui qui contrôle l'enquête, le juge qui contrôlera l'enquête, qui est un juge indépendant, juge de l'enquête et des libertés, et la possibilité à la fois pour les parties, mais également pour des personnes extérieures, de demander certains actes d'enquête.
 
Mais est-ce que la réforme verra le jour avant 2012 ?
 
Alors écoutez, la réforme, aujourd'hui, elle est prête. Aujourd'hui, la réforme a été examinée, elle va être transmise - le Conseil d'Etat est en train de l'examiner -, elle sera soumise au Conseil des ministres, et ensuite, bien entendu, puisqu'il s'agit d'une réforme très lourde, elle sera discutée devant le Parlement, en phasant (sic) ce texte, puisque le texte ne peut pas passer d'un seul coup.
 
Est-ce que cet été, comme B. Kouchner, vous avez été tentée de démissionner, vous ?
 
Ah non, moi je ne suis pas tentée de démissionner, je suis passionnée par ce que je fais.
 
Mais par exemple, devant les expulsions de Roms, qui vont continuer - B. Hortefeux l'a dit -, et aujourd'hui devant l'élargissement annoncé par E. Besson des reconduites à la frontière en cas de délinquance répétée ou de mendicité agressive, n'avez-vous pas, comme B. Kouchner, le coeur serré ?
 
Moi, je dis une chose : il y a des règles, il y a une loi, et sans les lois et sans les règles, on ne peut pas vivre ensemble dans la société. Et quand il y a des lois et des règles, elles doivent être respectées.
 
Mais quand les lois font mal, on ne peut pas les assouplir ?
 
Attendez, ce n'est pas un ministre qui peut assouplir des lois, c'est le Parlement qui s'exprime dans le cadre d'une Constitution. Et moi, ce que je note, c'est que le discours, de Grenoble du président de la République, est un discours d'équilibre dans lequel il rappelle que les lois sont faites pour être respectées et respectées par tout le monde.
 
Donc vous approuvez, vous aussi, pour simplifier, ce qui s'appelle la politique sécuritaire actuelle définie par l'Elysée ?
 
Je dis que les Roms, ou les personnes étrangères, qui sont sur notre territoire sont les bienvenues dès lors qu'elles respectent les lois. Mais lorsqu'elles violent les lois, il est normal, aussi, que l'on sanctionne. C'est-à-dire que quand quelqu'un occupe illégalement votre maison ou votre terrain, et que vous n'en voulez pas, il est normal de le faire sortir. Quand quelqu'un est en situation irrégulière sur le territoire, qu'il ne demande pas l'autorisation d'y rester, eh bien il est normal qu'il soit reconduit.
 
Donc vous êtes d'accord, mais vous n'estimez pas qu'en matière de sécurité l'exécutif en fait trop ?
 
Je pense qu'il faut rappeler une chose, c'est que la sécurité c'est aussi ce qui permet de vivre ensemble. Et qu'à force de ne pas faire respecter les lois, eh bien c'est là où les gens s'interrogent. Les lois sont là pour réunir les gens, pour garantir l'unité de la nation, elles sont là pour être respectées.
 
Tout l'été, la presse vous inscrivait dans la courte liste de ceux qui ont le profil pour être un jour à Matignon. Est-ce que vous lisez ça avec plaisir, avec agacement ou avec détachement ?
 
Sans langue de bois, qu'on fasse des compliments sur moi ce n'est jamais désagréable, c'est désagréable pour personne - y compris pour vous J.-P. Elkabbach je suppose. Mais d'un autre côté, les spéculations sur la composition d'un gouvernement, je rappelle que ce n'est pas la presse qui fait les gouvernements, et que le choix d'un Premier ministre relève uniquement du président de la République en fonction d'un moment donné.
 
On le sait ! Des Premiers ministres confient que "Matignon c'est l'enfer", est-ce que vous demandez d'aller, vous, en enfer ?
 
Matignon on ne le demande pas, ce serait inconvenant, on ne le refuse pas non plus d'ailleurs.
 
Oui, mais est-ce que s'il y avait une possibilité, pour le cas où, vous estimez que vous êtes prête ?
 
Il n'y a pas "pour le cas où", je suis dans un poste qui m'intéresse. Il faut toujours... on n'est jamais propriétaire de son poste dans un gouvernement, on doit savoir qu'on peut du jour au lendemain le quitter, rester ou aller sur un autre poste. Et votre devoir, quand vous êtes à un certain niveau, c'est toujours d'être prêt à l'une ou l'autre de ces hypothèses.
 
Donc vous êtes prête ! Mais tout dépend du choix du sélectionneur en chef...
 
M.-O. Fogiel : N. Sarkozy !
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 septembre 2010