Interview de M. Eric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, à Europe 1 le 15 septembre 2010, sur la polémique à propos de la circulaire du 5 août sur les Roms et sur la politique de l'immigration.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Bonjour E. Besson.
 
Bonjour J.-P. Elkabbach.
 
Etiez-vous au courant de la circulaire du 5 août sur les Roms ?
 
Ça ne me paraît pas la question majeure, et celle qui intéresse le plus les Français, par rapport à notre action.
 
Cependant...
 
Mais je ne vais pas l'éluder, la réponse est très claire : ni moi, ni mon cabinet, n'avons été associés à la conception ou à la rédaction de cette circulaire, je n'en ai pas été destinataire et il était normal que je ne le sois pas, puisqu'elle portait sur le démantèlement des campements illicites, tâche qui est de la responsabilité du ministre de l'Intérieur, et nous n'avons pas l'habitude, entre ministres, lorsque nous écrivons à nos services, de mettre en copie les collègues ministres. Donc, quiconque connaît le circuit de conception d'une circulaire et de sa diffusion, sait que c'est exactement comme ça que ça s'est passé. Mais ça n'est pas l'important, l'important c'est que nous mettons en oeuvre la feuille de route du président de la République et ce qu'il a dit à Grenoble : nous démantelons. Le ministre de l'Intérieur, pour ce qui concerne les évacuations, moi-même pour ce qui concerne les reconduites dans le pays d'origine, les étrangers en situation irrégulière sont évacués de leurs campements et reconduits dans leur pays d'origine, c'est ça la politique de la France.
 
D'après le Canard Enchaîné, un de vos collaborateurs était prévenu, le 3 août, à 11h21, par mail, par le conseiller de B. Hortefeux. Votre cabinet était-il au courant, et dans cette réunion, est-ce qu'il a été question de la circulaire ?
 
J.-P. Elkabbach, je ne vais pas entrer dans les cuisines des réunions internes du Gouvernement. Ce mail ne porte ni ordre du jour, ni document sur la table, ni compte-rendu, ni circulaire. Ensuite, je vous rappelle et je vous redis que lorsqu'une circulaire est interministérielle, elle suit un circuit très particulier : elle doit être « bleuie », comme disent les experts, c'est-à-dire être passée entre les mains de Matignon. Si ça avait été le cas, elle aurait été cosignée par B. Hortefeux et par moi-même, comme nous avons, le 24 juin, signé la seule circulaire aujourd'hui valide sur les méthodes de démantèlement des campements illicites. Mais, je vous dis, c'est annexe. Je voudrais que l'on revienne, si vous le voulez bien...
 
On y revient...
 
...A l'action, c'est là l'essentiel.
 
Mais est-ce que le cabinet du Premier ministre a reçu ou lu cette directive ?
 
Je ne le crois pas, c'est à ses services qu'il faut le demander. Encore une fois, tel que le circuit a été organisé, elle n'est d'ailleurs même pas signée du ministre lui-même, mais de son directeur de cabinet. Donc...
 
Donc, vous voulez dire que c'est une circulaire interne ?
 
Ben bien sûr, bien sûr, c'est une évidence.
 
Et, si vous l'aviez lue, est-ce que vous l'auriez signée ?
 
Ecoutez, elle connaît une gloire posthume, puisqu'elle a été remplacée et retirée. Non, je ne l'aurais pas rédigée sous cette forme. Mais encore une fois, je ne crois pas que ça intéresse beaucoup les Français, la cuisine interne du Gouvernement, et par ailleurs, parce que je...
 
C'est dommage qu'on soit là et qu'on assiste à ce qui se fait dans la cuisine.
 
Et par ailleurs, je veux vous dire, ça ne nous détourne pas de l'essentiel. B. Hortefeux et moi, nous sommes dans un Gouvernement, solidaires dans l'action, et nous mettons en oeuvre une feuille de route qui est le discours de Grenoble et un cap républicain. Et ce cap républicain, permettez-moi de le rappeler, il est très simple, deux principes : égalité devant la loi, article premier de la Constitution, respect de la propriété et égalité de tous devant la loi, ça veut dire qu'on n'a pas le droit, impunément, d'occuper des terrains privés ou publics, illicites.
 
Donc, ceux qui le feront, seront expulsés, ou continueront de l'être comme ceux qui sont partis, hier, à Bucarest.
 
Oui, dans le respect de nos procédures, dans le respect de la loi, et après traitement individuel, mais, effectivement, la loi républicaine est exigeante, elle l'est même, par certains côtés, intransigeante.
 
E. Besson, la commissaire européenne, V. Reding, on l'a entendu, vous a écrit. Elle veut des explications sur la circulaire et des précisions. Est-ce que, d'abord, vous retournerez à Bruxelles ?
 
Pour l'instant, ça n'est pas envisagé, elle m'a écrit hier, et donc au Gouvernement français, à travers moi, pour nous demander des explications sur la circulaire que nous venons d'évoquer. Nous allons donc lui répondre et lui donner des explications. A ma connaissance, pour l'instant, il n'est pas prévu de nouvelle rencontre avec madame Reding.
 
Mais vous lui répondrez. Elle a déclaré hier, assez violemment : « Je pensais que l'Europe ne serait plus témoin de ce genre de situation, après la Deuxième guerre mondiale ». Qu'est-ce que vous pensez de la comparaison ? Est-ce que vous avez le sentiment qu'elle représente toute l'Europe quand elle parle ?
 
Je ne suis même pas sûr qu'elle représente vraiment elle-même, madame Reding est d'ordinaire quelqu'un de plus pondéré. Elle nous pose des questions qui sont des questions légitimes. Elle est gardienne des Traités et elle veut savoir si la France a respecté le droit communautaire et sa propre législation. Et la réponse est oui, la France a respecté cela. En revanche, lorsque, après l'avoir beaucoup entendu au Parlement, parce que ça a été l'argument de beaucoup de parlementaires européens, dont des socialistes et des Verts, députés européens, qui ont parlé de la Seconde guerre mondiale, à propos de l'action menée contre les Roumains en situation irrégulière, reconduits dans leur pays d'origine, elle dérape, si je peux dire, c'est-à-dire qu'elle utilise une expression qui est à la fois choquante, anachronique, et qui procède d'amalgame. Mais nous ne sommes pas là pour polémiquer...
 
Mais quand elle dit : « Les discriminions ethniques ou raciales n'ont pas leur place en Europe », est-ce que vous vous sentez visé ?
 
Je viens de vous répondre très clairement. Mais mon état d'esprit n'est pas de polémiquer avec la commission et madame Reding. Nous avons eu P. Lellouche et moi-même, il y a quelques jours, une réunion qui s'était très bien passée, où nous avons apporté toutes les garanties : la France respecte le droit communautaire, la France respecte sa législation, et surtout la France, permettez-moi de le dire d'un mot, est la plus généreuse en matière de retour dans le pays d'origine, puisque nous sommes le seul pays en Europe à donner de l'argent pour reconduire, et que le droit protecteur des étrangers en situation irrégulière est plus protecteur, en France, qu'ailleurs en Europe.
 
Est-ce que vous demander à l'Europe, à toute l'Europe, de s'occuper des Roms aussi ?
 
Ce sont deux questions distinctes, ce n'est pas une question dite transnationale, comme le gouvernement roumain l'avait suggéré à un moment, et il y a renoncé depuis. Dans le Traité de Lisbonne, chaque pays, chaque Etat s'occupe de ses propres ressortissants.
 
E. Besson, ce matin en nous quittant, vous allez présenter devant la commission des lois de l'Assemblée le nouveau projet de loi sur l'immigration et l'intégration. Est-ce que vous accepterez que pendant le débat, les députés élargissent le principe de déchéance de la nationalité ?
 
J'essayerai de les convaincre que non, puisque d'abord ça a fait...
 
Ni excision, ni polygamie ?
 
...ça a fait l'objet d'un arbitrage très clair du président de la République, qui a dit : tout Grenoble, rien que Grenoble si je peux dire, c'est-à-dire que nous allons étendre la déchéance de la nationalité à des Français récemment naturalisés, c'est-à-dire moins de dix ans, qui auraient commis des crimes les plus graves contre des autorités de l'Etat. En clair, quelqu'un qui a été naturalisé récemment, et qui tuerait...
 
Est-ce qu'on continuera à dire des Français « d'origine étrangère » ou est-ce qu'on supprime cette formule ?
 
Je veux finir pour vos auditeurs : qui tuerait un gendarme, un policier, un préfet ou un magistrat, donc un crime particulièrement grave. Et l'arbitrage du président de la République auquel je souscris, c'est de dire rien que cela, qui est d'ailleurs conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Donc je suggèrerais aux députés de la majorité, mais je crois qu'ils en sont assez d'accord, que nous n'élargissions pas à d'autres sujets la déchéance qui doit rester une procédure exceptionnelle.
 
Combien chaque année vous prévoyez de déchéances ?
 
Très peu, très peu, et j'aimerais même que ce soit zéro. Cela voudrait dire qu'aucun Français récemment naturalisé ne tue un préfet ou un gendarme ou un policier. Ce serait mieux.
 
E. Besson, depuis quelques jours les tuiles s'accumulent sur l'exécutif et vous le vivez. On l'entend : on a l'impression qu'il perd pied, ça part dans tous les sens. Je ne vais pas citer tous les exemples.
 
Non, non ! Vous lisez trop la presse, J.-P. Elkabbach.
 
Non, non, non, non ! On entend le Premier ministre qui déplore les fuites répétées de l'intérieur de l'administration et du cabinet du garde des Sceaux. On entend vos bisbilles avec Hortefeux.
 
Non, non ! Ça, c'est l'écume.
 
 Peut-être ça s'appelle la solidarité ou la décomposition.
 
Non, non ! Mais c'est surtout que nous sommes dans l'action, chacun d'entre nous.
 
Mais vous ne pourriez pas être dans l'action sans KO ? Ou sans une impression de cacophonie ?
 
Si vous voulez me faire dire qu'on peut avoir quelques réglages ou quelques ajustements et que l'écume représente un peu mieux le fond, oui. Mais le fond existe, nous sommes dans l'action. La ministre de l'Economie essaye de raffermir la croissance et je crois que nous sommes en train de le faire. Le ministre de l'Intérieur s'occupe de la sécurité. Je m'occupe de l'immigration. Nous sommes tous dans l'action.
 
E. Besson, pour les auditeurs : les sondeurs commencent à placer F. Fillon dans la compétition présidentielle, même si lui n'a rien demandé. Est-ce qu'à droite il y a une alternative à N. Sarkozy ?
 
Selon moi très clairement non, et F. Fillon a clairement répondu à cette éventuelle question.
 
Non mais vous. Vous ?
 
Je vous réponds de la même façon. F. Fillon a dit : au sein de la majorité, il n'y a qu'un candidat possible, le président de la République. C'est exactement ce que je pense et je crois que c'est ce que pensent toute la majorité et tout le Gouvernement.
 
Et il garde des chances d'être candidat et vainqueur en 2012 ? Aujourd'hui ? Dans cette impression noire que vous laissez ?
 
N. Sarkozy ? Mais il n'y a pas d'impression noire, croyez-moi. Il y a un côté B. Hinault chez N. Sarkozy, c'est-à-dire que lorsqu'il est sur une pente raide, il ne change pas de braquet, il ne change pas de rythme. Il monte à son rythme, lentement, sûrement mais inexorablement et souvent, vous l'avez vu, B. Hinault gagnait dans ces conditions.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 16 septembre 2010