Extraits de la conférence de presse de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur les financements innovants pour l'aide au développement, Paris le 1er septembre 2010.

Prononcé le 1er septembre 2010

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion de la "Task Force" sur les transactions financières pour le développement, à Paris le 1er septembre 2010

Texte intégral

Nous étions et nous sommes encore - ce qui est formidable -, avant, après et toujours ensemble, un groupe de douze sous la présidence japonaise, sous la présidence belge de l'Union européenne aussi, bien entendu. Le secrétariat est assuré pour le moment par la France, mais je ne veux oublier personne : il y avait l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, le Brésil, le Chili, l'Espagne, la France, l'Italie, le Japon, la Norvège, le Royaume-Uni et le Sénégal.
C'est dans cette formation que nous avons travaillé avec, je crois, des résultats très positifs puisque, vous l'avez certainement vu, le rapport que nous présentons a été élaboré extrêmement vite.
Ce groupe pilote a décidé aujourd'hui - et je laisserai la parole à tous mes amis - de fonder son raisonnement sur la base de ce rapport qui vous a été remis, que vous connaissez et qui propose cinq options de faisabilité.
J'ai déjà fait la démonstration plusieurs fois mais je la refais devant vous. Quelles que soient les modalités techniques - que la taxe soit assise sur les échanges de monnaie ou sur toutes les transactions financières -, vous verrez dans le rapport que ces deux options sont privilégiées. Nous sommes tous d'accord pour dire que l'on doit ajouter aux financements publics traditionnels, des financements innovants pour assurer un développement plus harmonieux entre les pays pauvres et les pays qui le sont moins.
Nous sommes également tous d'accord pour présenter une position commune le 21 septembre à New York où un "side event" (évènement concomittant) sera réservé, lors de l'Assemblée générale des Nations unies, aux financements innovants. Nous aurons un texte commun marquant la nécessité politique d'avancer sur ce chemin. Voilà ce que nous avons accepté ensemble et depuis longtemps, indépendamment et sans faire mystère d'un nombre de problèmes techniques importants qui demeure. Ce texte sera donc présenté le 21 septembre.
Vous pouvez évidemment poser toutes les questions que vous souhaitez à nos amis, qui sont non seulement à la tribune, c'est-à-dire l'Espagne, le Japon, la Belgique, mais aussi dans la salle, car les douze sont là. Il s'agissait d'un groupe de travail, d'un groupe d'experts et je vous signale que le groupe pilote est composé de soixante pays et instances internationales, ce n'est pas rien. La ministre japonaise, le ministre belge et la ministre espagnole, nous savons tous que, lorsque nous expliquons aux pays en développement qu'il s'agit d'une addition, d'un financement supplémentaire, ils sont d''accord pour avancer avec nous. Prenez l'éducation : la moitié de ce que nous pouvons retirer suffirait à changer l'éducation, la scolarisation des enfants dans le monde.
Un jour ces financements nouveaux seront acceptés, j'en suis sûr, car la volonté politique se manifestera. J'espère qu'elle se manifestera à New York le 21 septembre, mais de toute façon ce sera le cas un jour. C'est une occasion que Charles Michel a qualifié d'"historique" et je crois qu'elle est historique. Sur 1 000 euros, la taxe que nous proposons correspond à cinq centimes d'euros, ce n'est pas beaucoup, mais c'est suffisant pour déclencher le mouvement. Je ne dis pas que ce sera suffisant tout le temps, peut-être faudra-t-il augmenter. Mais cela, je crois que ce n'est plus seulement un rêve.
Voilà. Si la ministre japonaise, si le ministre belge, si la ministre espagnole veulent ajouter quelque chose, ils en ont le loisir et peut-être même l'obligation. Et les autres peuvent parler comme ils veulent, nous sommes à votre disposition. C'est un mouvement important qui a eu lieu une fois de plus sur ce chemin aujourd'hui.
Q - Quand vous parlez des cinq centimes d'euros, c'est cela qui peut faire 9 à 13 milliards de dollars ?
R - Non. Cela dépend de l'assiette des changes ou plus largement de celles des transactions financières et du nombre de pays qui la mettent en place. Nous comptons sur quelque 50 milliards d'euros.
Q - Je voudrais savoir de quoi vous parlez exactement ?
R - Je parle de 1000 euros, eh bien cela fait 50 milliards par an si on taxe l'ensemble des transactions financières, moins (30 milliards) si on taxe les changes.
Q - C'est sur tous les produits financiers ? Pas seulement les devises ?
R - Absolument.
(...)
Q - Il y a des mouvements, très critiques, qui s'élèvent sur le fait que la communauté internationale s'est très vite mobilisée concernant le soutien du système financier bancaire face à la crise, en comparaison avec la lenteur de ces discussions. Etes-vous conscients de la pression pour le 21 septembre qui va quand même peser puisque le mouvement est en train de se développer sur ce point ?
R - Je suis très conscient que le processus est lent mais, étape par étape, nous avançons vers ce que je crois, nécessairement si j'ose dire, positivement inéluctable ; c'est-à-dire une taxe sur les transactions financières, quelles qu'elles soient et quelque soit le mécanisme d'application. C'est difficile, mais nous y arriverons.
Vous avez raison : il y a eu une mobilisation européenne importante, d'abord après la crise économique, la crise grecque, et cette crise en général du marché. Ce n'est pas une raison pour ne pas se précipiter, au contraire, il y a presque une unanimité européenne ; nos amis, ici, représentent l'Europe. Nous en avons parlé - ce qui était impossible il y a cinq ans - au sein des 27 pays de l'Union européenne.
Les choses avancent ; c'est difficile, comme d'habitude. Charles a eu raison de dire qu'il s'agit de volonté politique, même si les problèmes techniques, en termes juridiques, en termes financiers, en termes de choix des monnaies, en termes de financement des projets, demeurent. Nous allons devoir les affronter.
Quand on a créé la médecine internationale et les "french doctors", c'était impossible, scandaleux, juridiquement, techniquement, médicalement insupportable. Et puis, quelques années après, c'était évident. Nous allons faire la même chose, j'en suis sûr parce que, comme l'ont dit mes amis, les financements publics ne suffisent pas, comme on l'a vu à Copenhague. La représentante de la Norvège a fort bien rappelé qu'il y a aussi le changement climatique qui accentue encore la nécessité de l'aide au développement puisqu'il creuse les différences. Tout cela, nous en sommes conscients.
Une fois que les organisations non gouvernementales, les associations et surtout les pays auront compris qu'il s'agit d'un financement additionnel, que cela ne va pas remplacer l'aide publique, tout le monde en sera d'accord. Donc, cela viendra, mais les organisations non gouvernementales sont impatientes. Je les connais bien, elles ont raison, c'est lent.
Q - Et où sont les Américains ?
R - Les Américains, si on croit l'orthodoxie financière, ne sont pas tout à fait d'accord. Si on croit le système politique et, en particulier, le gouvernement du président Obama, ils sont plutôt d'accord. Cela va prendre du temps, là aussi.
Q - Pourquoi ne font-ils pas partie du groupe ?
R - Il y a un nouveau gouvernement depuis peu de temps, le précédent n'était pas tout à fait en accord avec nos propositions et les Etats-Unis n'ont donc pas fait partie du groupe pionnier. Mais ils seront à New York et nous avons des contacts plus que précis, étroits avec eux. Nous espérons, nous sommes sûrs de les convaincre. S'il y a un assentiment général, s'il y a vraiment un mouvement politique, cela ne peut passer que par l'ONU. Nous nous préparons et nous sommes très heureux que 60 pays se soient regroupés pour travailler. C'est presque un miracle.
Les Américains sont, dans tous ces sujets, extrêmement importants, mais leur absence n'est pas rédibitoire et le rapport prouve la faisabilité du projet. Il faut surtout que cette démarche, cette taxation des mouvements de capitaux, ces financements innovants s'appuient sur le désir des populations. Là, je suis sûr que les Américains seront partie au projet et très partenaires avec nous, c'est évident.
Q - Ce texte pourrait-il sortir avec seulement les 60 pays, éventuellement sans les Américains ?
R - C'est un problème que nous avons abordé. Les 27 de l'Union européenne, c'est un début et c'est faisable ! Mais leur participation est infiniment souhaitable bien sûr. Comme l'ont dit Charles Michel et notre amie Soraya, la ministre espagnole : il y a des financements innovants qui sont destinés à d'autres fonctions dans un nombre important de pays - la Suède en a depuis longtemps, l'Autriche en a aussi. D'ailleurs, la représentante de l'Autriche est ici et elle l'a fait remarquer. Cela existe, on peut le faire à une échelle plus réduite parce que ce qui compte, c'est l'argent.
Mais, bien entendu, c'est infiniment préférable de le faire à l'échelle du monde. C'est pour cela que nous passons par les Nations unies. Bien sûr, toutes les transactions financières, c'est beaucoup mieux. Ce serait beaucoup plus simple et ce n'est pas, techniquement, plus compliqué, comme l'explique le rapport. Ce rapport règle l'essentiel des problèmes, même s'il demeure des problèmes techniques, dans le prolongement du rapport Landeau pour la France et de bien d'autres rapports.
Et s'il y a une journée des financements innovants à l'ONU, ce n'est pas un hasard. C'est à travers l'Organisation des Nations unies, organisation multilatérale par excellence, que nous devons passer.
Mais rien n'interdit que, de toute façon, nous montrions l'exemple. Là-dessus, je suis d'accord avec Charles Michel. C'est infiniment mieux de le faire tous ensemble mais, vous savez, avec 500 millions d'Européens, les gens les plus riches du monde, à qui il manque peut-être un second souffle, ce n'est pas non plus impossible. Je veux surtout que cela soit mis en place avec le soutien des Nations unies.
Q - Peut-on vous poser une question sur le Proche-Orient, avec cet attentat juste avant le démarrage des discussions à Washington ? Quelle est votre réaction, et d'autre part, le fait que l'Europe ne soit pas présente à cette négociation ?
R - Vous me permettrez d'être bref. D'abord, ma réaction devant cet horrible attentat d'Hébron est évidemment l'indignation et la ferme condamnation. Hélas ! C'est toujours un peu comme cela lorsque l'on annonce des pourparlers directs. Cela a été le cas plusieurs fois. Ceux qui sont opposés à un arrangement, à la création d'un Etat palestinien, à la paix, se manifestent.
Cela n'empêchera pas que la paix se fasse un jour. Les paramètres de la paix, on les connaît très bien : il y a eu des pourparlers directs pendant des années et des années, les protagonistes se connaissent très bien et se voient souvent. Nous sommes passés des pourparlers indirects aux pourparlers directs. Nous ne pouvons que saluer ce progrès, mais on connaît les paramètres de la paix. Frontière et sécurité sont les deux problèmes qui émergent, les autres se règleront.
L'Europe ne sera pas représentée directement aujourd'hui à ce dîner qui s'annonce, et on peut le regretter. L'Europe n'est pas condamnée à être simplement un partenaire financier, rôle qu'elle remplit d'ailleurs en tête des autres. Je pense que l'Europe doit jouer un rôle politique, particulièrement d'ailleurs dans la recherche de la paix au Moyen-Orient. Voilà ce que je peux vous dire. Je pense que Charles Michel partage ma position, je pense que nos amis anglais et allemands partagent notre position. Nul doute que la ministre espagnole la partage aussi. Nous voulons être un partenaire, je crois que nous avons, dans ce domaine précis, un rôle politique et pas seulement financier à jouer. Mais je souhaite que le dîner de ce soir et la rencontre avec Hillary Clinton demain, avec M. Mahmoud Abbas et M. Benjamin Netanyahou, soient un succès et que cela permettra d'avancer vers d'autres rendez-vous de ces pourparlers directs. Merci.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 septembre 2010