Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur les permanences et la modernisation de l'action publique et sur la réforme de l'Etat, à Paris le 16 septembre 2010.

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Circonstance : Assemblée plénière du Conseil d'Etat, dans la salle de l'Assemblée générale du Conseil d'Etat, à Paris le 16 septembre 2010

Texte intégral

Madame le Garde des Sceaux, Chère Michèle,
Monsieur le Secrétaire d'Etat,
Monsieur le Vice-Président,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,


A l'heure où notre pays s'égare sous les flots d'une actualité brouillonne, à l'heure où beaucoup de nos concitoyens sont tentés de croire que leur sort ne s'attache plus à un destin commun, il est utile de rappeler que notre unité vient de loin et il est nécessaire de les rassurer sur la permanence de l'ordre républicain dont votre juridiction constitue l'un de socles.
Il ne m'est pas indifférent de venir, selon la tradition, devant vous, dans ce palais du Cardinal de Richelieu, qui fut l'un des fondateurs de l'Etat moderne.

Le grand corps que vous formez n'oeuvre qu'au service de l'État; et en venant présider aujourd'hui son assemblée générale, je veux saluer ses travaux, rendre hommage à ses membres et rappeler avec force les idéaux qui les guident.
Je dis «idéaux», car rien ne se fait ici, qui ne traduise une vision élevée des intérêts de la République.

A ceux qui parlent bureaucratie, lourdeurs administratives, pesanteur du système; à ceux qui pensent jeux de pouvoirs et bruits de couloirs; à ceux qui, par une sorte de délectation morose, arrêtent leur vision de l'État à celle de ses petitesses, je réponds au contraire que l'idée de l'État ne cesse pas de transcender ces obstacles et que l'intérêt général demeure son horizon permanent.

Vous devinez, et sans doute vous partagez les inquiétudes qui justifient ce préambule. Elles sont d'ordre historique.
Les années récentes ont lancé à l'idée même d'État un défi nouveau, par son ampleur, et par sa complexité. L'affaiblissement des valeurs républicaines et la perte des repères nationaux y ont instillé le doute. Les coups de boutoir de la mondialisation l'ont ébranlée. Les forces de l'économie de marché ont mis sa légitimité en cause; et peut-on nier que la volonté politique, elle aussi, lui ait parfois fait défaut ?

Dans ces épreuves, il était tentant, il était facile de faire le procès de l'État.
J'ai entendu comme vous, et avec amertume, les accusations portées contre l'inefficacité de nos institutions.
J'ai déploré comme vous, les évolutions trop lentes d'une loi trop souvent profuse et indécise.
J'ai regretté comme vous, ces réquisitoires sévères à l'endroit de nos administrations dont les manquements n'étaient pas imputables à leurs principes et leurs agents, mais à leur organisation.

Depuis trois ans, malgré la crise, nous avons oeuvré ensemble à une mise à jour de l'action publique.
Depuis trois ans, j'ai plaidé le courage, la réforme, la modernisation.
La difficulté, je le crois, justifie nos combats plus qu'elle ne les infirme. Jamais le besoin d'un État crédible, efficace et respecté n'a été aussi fort.

Rien ne répond mieux à la critique de l'État que l'image de pays qui se meurent d'un manque d'État.

A cette heure, le véritable défi de l'Irak, ou de l'Afghanistan, n'est pas d'inventer un nouveau modèle de laisser-faire, mais bien de rétablir l'autorité de la puissance publique, et les garanties essentielles dont elle est porteuse, en termes de sécurité, de cohésion, de développement.
Sur le continent africain, il est des nations qui jouissent de ressources exceptionnelles et d'une société civile active, mais qui paient le prix d'une faiblesse des pouvoirs centraux.
Ailleurs, il est des nations qui encourent les hasards d'un État en trompe-l'oeil, dont les actes arbitraires révèlent une démocratie d'apparences.

Prôner la liberté sans en assurer les conditions politiques réelles; prôner l'autonomie d'un peuple sans fonder l'autorité représentative qui l'incarne; prôner la démocratie sans lui donner aucune structure en termes d'administration, de réglementation ou de service public, c'est prendre un risque pour toute nation.

Sur notre propre sol, l'instabilité inquiétante de certains quartiers délaissés, l'augmentation alarmante de certaines violences, sont-elles autre chose que le symptôme d'une inadaptation de l'action publique ?

Et faut-il encore plaider pour que dans nos frontières, comme au dehors, la défense de l'État reste un mot d'ordre constant ?
Je n'ai, pour ma part, aucune hésitation à dire que l'action du gouvernement va dans le bon sens, quand elle exalte les symboles de la République, quand elle protège ses représentants, et quand elle sanctionne avec une sévérité particulière les coups qui leur sont portés.
Aujourd'hui, le mépris de l'État est dangereux.

Entendons-nous sur ce mépris. Je ne crois pas que l'État coure, en France, le danger de disparaître. Mais je crois que le dédain dont il est trop souvent l'objet révèle une incompréhension majeure.
Juges administratifs, vous savez mieux que personne:que l'État n'est pas coupé des Français. Il est leur interlocuteur quotidien. L'État n'est pas indépendant des Français. Il est l'interprète de leurs projets et l'émanation de leur volonté concertée.
Le lien qui unit l'État aux particuliers n'est pas un lien théorique. C'est un lien direct et vivant !
Certains veulent croire que l'État n'agit que pour lui-même, en pesant sur l'individu. Mais croit-on vraiment qu'au sein de la crise économique, quand il s'est agi de garantir le crédit des banques, d'assurer la sécurité des dépôts et d'éviter l'effondrement des monnaies, l'État ait eu d'autre horizon que l'intérêt de chacun des Français ?
La crise financière l'a montré, au sein du désordre mondial, la compétence des États reste le pivot de la sécurité individuelle.
Nos concitoyens ne s'y trompent pas, qui attendent toujours plus de l'État, même quand ils en critiquent les décisions.
Jusque dans la rue, les Français se prononcent en faveur d'un État qui rassemble, qui protège et qui inspire.

L'État qui rassemble, c'est celui qui, dans l'histoire singulière de la France, n'a cessé de fédérer populations, , langues et cultures locales.
Celui qui a cimenté la nation, autour des valeurs de sa devise. Celui dont le Général de GAULLE disait ici même, le 28 janvier 1960, en présence du Président CASSIN : «Il n'y a eu de France que grâce à l'Etat. La France ne peut se maintenir que par lui».

Eh bien cet État qui rassemble n'est pas achevé !
Il doit aujourd'hui affronter de nouvelles lignes de clivage identitaires, communautaires ou confessionnelles.
Il doit prendre en compte de nouveaux réseaux de solidarité, de nouveaux cercles d'appartenance.

Il doit apprendre, avec tout le respect nécessaire, à apprécier leur légitimité spirituelle ou sociale. Mais il doit aussi soumettre, et sans indulgence, leurs forces de division aux valeurs communes du pays.
Nous savons que l'ouverture sur le monde estompe progressivement les marqueurs de l'identité nationale. Notre langue, notre culture, nos élites s'internationalisent; nos grandes entreprises se fondent dans un marché sans attaches.
Il y a dans ces évolutions beaucoup d'aspects positifs; et leur premier avantage est évidemment de diffuser au-delà de nos frontières ce que j'appellerai - l'expression vaut ce qu'elle vaut... - le génie français. L'écho international de votre réflexion juridique en est un exemple.
Mais risquerons-nous délibérément que cette ouverture encourage le relativisme, et qu'à force de diluer ses principes, l'État invite les Français à chercher dans d'autres sphères, sous d'autres étendards, la protection de leur identité ?

Il est aujourd'hui trop clair - et votre contentieux en témoigne - que la revendication des particularismes teste la solidité du modèle républicain.
Seul l'Etat, par les principes de laïcité, d'égalité, d'impartialité et de progrès partagé qu'il incarne, a la capacité de lui répondre.

Je vous demande de rester les garants de la vigilance avec laquelle cette réponse se formule. Je compte sur vous pour que la justice et le droit restent les références uniques de son application.

Rassembler les Français sous l'abri de la loi commune, c'est au fond les protéger de l'émergence de nouveaux privilèges.
De même, c'est au nom de tous que l'État qui protège assure la défense du territoire national, la protection des personnes et des biens, la sécurité des situations juridiques, les libertés publiques et les droits inaliénables de la personne humaine, ou la protection de ceux que menacent un état de faiblesse physique ou économique.

L'Etat qui protège n'est plus dans son rôle si, par faiblesse ou par choix doctrinal, il n'affronte plus qu'une partie des facteurs d'insécurité.
Sa protection doit procéder d'une vision globale et continue. Une cohérence profonde unit d'ailleurs les politiques publiques qui y concourent, de la création d'un défenseur des droits, désormais prévue par notre Constitution, au renforcement des services chargés de réprimer le crime organisé.
L'honneur de notre République est de concilier les dispositifs qu'elle inaugure avec les principes généraux de son droit.
L'aide du Conseil d'Etat, dans la phase d'élaboration des textes, a contribué à cette réussite, comme y contribuent l'oeuvre des juridictions administratives et judiciaires et le contrôle vigilant du Conseil constitutionnel.

Dans chacun des domaines que j'ai évoqués, les réponses doivent être concrètes, effectives et s'adapter en permanence à l'évolution des risques.
Depuis trois ans, cette conviction a conduit le Gouvernement et le Parlement à porter une attention particulière aux questions de sécurité et à déployer plus efficacement les moyens juridiques et matériels dont dispose l'Etat pour accomplir ses missions: modernisation de notre outil de défense, ajusté aux nouvelles menaces; modernisation de l'institution judiciaire et de la législation pénale, à la lumière des nouvelles attentes qu'elles rencontrent; modernisation des moyens d'action de nos forces de police, qui garantissent le respect des droits et des libertés; modernisation de l'ensemble des services publics chargés de la prévention et de l'aide aux personnes en difficulté.

La procédure de la question prioritaire de constitutionnalité, instaurée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, tient évidemment une place révélatrice dans ce combat pour les droits de chacun.
Six mois après l'entrée en vigueur de cette révolution juridique, il est clair que la possibilité donnée, par le Président de la République et le Parlement, à chaque citoyen, à chaque entreprise ou association, de contester la constitutionnalité des lois qui lui sont opposées est un véritable renforcement de l'État de droit.
Le succès de cette réforme doit beaucoup à l'acuité avec laquelle le Conseil d'Etat exerce sa mission de filtrage et de transmission. Je tiens à vous en rendre hommage.

Aux représentations caricaturales d'un État passéiste, rigide, répressif, je veux opposer, Mesdames et Messieurs, sa capacité d'inspirer et de servir le progrès.
Notre besoin de réformes est l'indice du rôle déterminant que conserve l'État dans le développement économique et social.
Depuis le début de notre histoire contemporaine, chaque grande étape de notre histoire contemporaine a été le fruit d'un Etat créatif et ambitieux, qui a su peser sur le cours des choses, pour rénover une société bloquée ou meurtrie.
Vous-mêmes, vous participez constamment à ce dialogue entre permanence et innovation. Votre expérience et votre capacité de proposition, votre connaissance de la jurisprudence et votre habileté à l'infléchir sont l'image même d'une culture d'État.

Voilà pourquoi nous voulons d'un État qui dialogue, qui débat, qui intègre une réflexion de plus en plus complexe, et voilà pourquoi nous ne voulons pas d'un État technicien. Voilà pourquoi nous voulons d'un État qui pense sa propre histoire, et pas d'un État gestionnaire.
Vous l'avez compris, je ne crois pas à la postmodernité en politique.

Je ne crois pas que l'histoire de l'État soit achevée, et que notre marge d'action se réduise à en combiner les procédures, dans un bricolage de plus en plus frénétique et de plus en plus stérile.
Je crois au contraire que les conditions existent pour perpétuer la culture d'État à la française.

Depuis un quart de siècle, notre pays a traversé des périodes de doute et d'immobilisme. La frilosité des responsables, et la rigidité des structures ont débouché sur l'affaiblissement du pays.
Aujourd'hui, la volonté réformatrice a été replacée au coeur de l'Etat; elle exige une immense détermination de la part de tous ceux qui en ont la charge.

Aucun des grands domaines d'intervention de la puissance publique ne peut rester à l'écart de la réforme :
- ni la vie sociale, qui appelle la modernisation des règles de représentativité des organisations syndicales et la consolidation des régimes de protection sociale, notamment celui des retraites ;
- ni la vie économique, qui exige de nouvelles règles de gouvernance, une réduction de nos déficits et la relance des grands investissements d'avenir;
- ni la vie éducative, qui profite déjà des nouvelles libertés universitaires;
- ni la vie locale, qui appelle une simplification des compétences et des structures;
- ni la vie internationale enfin, avec la nouvelle dynamique insufflée à l'Union européenne et les progrès de la gouvernance mondiale.

L'Etat lui même se réforme, pour être plus efficace, plus économe et plus proche des usagers. L'immobilisme est inadmissible en cette matière où le gouvernement dispose de tous les leviers d'action.
Nous conduisons, dans le cadre d'une révision générale des politiques publiques, la rénovation de l'ensemble de l'appareil étatique - carte judiciaire, administration de la défense, administrations centrales, régionales et départementales, réseaux financiers ...
C'est d'abord au Gouvernement qu'il appartient de conduire cette mutation, mais il doit pouvoir compter sur tous ceux qui, dans les administrations de l'Etat, travaillent sous son autorité.

L'Etat doit viser la même exemplarité dans son rôle d'employeur que dans la conduite de ses politiques. Il doit veiller en permanence à l'optimisation de ses structures et garantir à ceux qu'il emploie les conditions d'un travail efficace.
Chaque agent de l'Etat doit avoir l'ambition et la capacité d'incarner un rôle de progrès. Quant à ceux qui les encadrent, ils doivent porter encore plus haut cette ambition, et animer cette mobilisation avec d'autant plus d'énergie.
La rénovation du dialogue social au sein de la fonction publique, à laquelle le législateur vient de procéder après une concertation approfondie, doit permettre à l'ensemble des agents de l'Etat d'y contribuer.

Au niveau même des institutions, la stabilité de notre Ve République n'exclut pas la recherche d'un progrès dans le fonctionnement des pouvoirs.

Pour avoir été longtemps parlementaire, dans la majorité et dans l'opposition, et pour avoir siégé dans les deux chambres, je sais que le rééquilibrage des institutions va porter des effets positifs. Et je suis heureux que cette réforme de la Constitution permette désormais au Conseil d'Etat d'épauler les assemblées parlementaires dans l'élaboration de leurs propositions de lois.


Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs

Le Conseil d'Etat a apporté un concours irremplaçable à chacune des réformes que j'ai mentionnées. Il a su s'organiser pour accompagner le Gouvernement et le Parlement dans un processus de rénovation du droit.
Bien sûr, il arrive que le Gouvernement ne suive pas complètement les avis de votre assemblée générale. Mais ce n'est jamais à la légère. L'exemple récent de la loi sur la burqua illustre cette dialectique nécessaire entre la sécurité juridique et les faits de société qui poussent le législateur à intervenir.
Tout a été dit à ce propos par le rapport que vous m'avez remis.

Le Gouvernement a pris le parti d'assumer politiquement un choix qu'il croit nécessaire pour la cohésion de la société française, en sachant bien que l'interdiction générale de la burqua procédait d'une conception novatrice de l'ordre public. L'avenir nous dira si ce pari, fait en connaissance de cause grâce à vous, était le bon.

J'apprécie à sa juste valeur la sécurité que le Conseil d'Etat apporte à la marche des affaires publiques.
Et je vois en vous l'expression de la rigueur intellectuelle et même morale.
Je ne cesserai de rappeler, à ceux qui servent l'Etat, l'exigence éthique aussi bien que technique dont le respect s'impose.

Cette exigence est la contrepartie des prérogatives de puissance publique. Elle se rattache aussi à une conception du service public dont votre maison a constitué la doctrine au long des décennies.
Cette doctrine n'a jamais été aveugle au regard des nécessités publiques. Elle a toujours su fixer le juste équilibre entre les droits individuels et l'impératif de l'action publique.
L'Etat ne saurait en effet être désarmé face à l'exercice de droits individuels. Cela est vrai quand il agit. Cela est vrai aussi quand il se défend.
Notre législation sur les interceptions de sécurité en est un exemple. Votre jurisprudence sur la déontologie des agents publics en est un autre. Les fonctionnaires et les magistrats doivent à l'Etat le respect du secret professionnel.
Dans l'univers médiatique où nous sommes tous, ce rappel est nécessaire. Il n'enlève rien à la considération que l'on doit à l'indépendance de la presse !

Je sais, Monsieur le Vice Président, que vous avez à coeur que les promesses de rénovation de la juridiction administrative se poursuivent.
L'Etat a consenti depuis plusieurs années un effort budgétaire important en faveur des cours d'appel et des tribunaux administratifs. Cet effort a produit des résultats
D'autres projets sont en instance, comme vous l'avez rappelé.
Il nous faudra ensemble tenir compte des contraintes de l'agenda parlementaire, mais cela n'empêchera en rien la dynamique que vous portez de produire ses effets.


Mesdames et messieurs,
La position de notre pays dans le monde, le rôle de l'État au coeur du pays, et nos propres pratiques au coeur de cet État, connaissent des remises en question profondes.

Elles nous demandent une détermination de chaque instant, mais elles ne condamnent pas la confiance que nous plaçons en l'action publique au service des Français, et si nous le voulons, elles en raviveront le sens.
C'est là l'idéal républicain que nous avons en partage, lui qui dicte nos efforts et nos devoirs.


Source http://www.gouvernement.fr, le 21 septembre 2010