Interview de Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat chargée de l'écologie, sur la lutte contre les pesticides, Paris le 3 septembre 2010.

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Circonstance : Signature de l'accord-cadre sur les pesticides utilisés par des professionnels en zones non agricoles

Texte intégral

Mesdames et Messieurs
Je suis très heureuse d'être ici, en ce tout début d'année scolaire, afin de faire, avec vous, un nouveau pas dans la mise en oeuvre de nos engagements dans le cadre du Grenelle de l'environnement, sur un sujet vraiment emblématique : l'utilisation des pesticides par des professionnels en Zone non Agricole.
Cet accord concerne tous les grands utilisateurs non agricoles de pesticides, qu'il s'agisse des collectivités locales, des exploitants d'infrastructures ou des entreprises prestataires de services dans ce domaine. Il ne comporte pas moins de 14 signataires aux côtés de l'Etat !
J'avais eu l'occasion de signer, au mois d'avril, un accord-cadre analogue qui concernait l'utilisation de pesticides par les jardiniers amateurs. Avec l'accord que nous signons aujourd'hui c'est désormais l'ensemble des usages non agricoles des pesticides qui sont couverts.
Cela me semble un signe très important :
- d'une part en direction des professionnels agricoles, car c'est la preuve que c'est l'ensemble des utilisateurs de pesticides qui se mobilise pour en réduire l'utilisation dans notre pays ;
- d'autre part évidemment en direction de l'ensemble du public qui n'est pas suffisamment conscient de ses propres actes.
1. Les Français, la nature et les jardins
L'accord-cadre que nous allons signer aujourd'hui concerne très directement la vie quotidienne de millions de français.
9 Français sur 10 considèrent le vert comme essentiel pour leur équilibre quotidien.
Pour un français sur deux le principal intérêt des jardins et des espaces verts réside dans leurs bienfaits pour l'environnement.
Pour 40% des français la préservation de l'environnement passe par le fait d'accorder une plus grande place à la nature en ville.
Conclusion : le lien entre espace vert et santé est ancré dans l'esprit de nos concitoyens.
Et tant mieux puisque cela nous permet de mieux informer, de mieux éduquer.
Mais attention, l'usage des pesticides en zone non agricole représente environ 5% du total en tonnage. Entre le 1/3 et la moitié des usages agricoles sont réalisés par des professionnels. L'impact est d'autant plus important que nous sommes sur des sols imperméabilisés et surtout directement au contact d'un public nombreux.
2. Pesticides environnement et santé : un constat bien connu
La réduction de l'utilisation des produits pesticides en France est l'un des objectifs phares du Grenelle de l'environnement. C'est, à mes yeux, le principal objectif sanitaire.
Nous vivons dans un aveuglement dangereux, coupable et dangereux. La France est le premier utilisateur de pesticides en Europe et le 4ème mondial. Le marché représente environ 64 000 tonnes de substances actives par an : nous voulons le réduire de moitié à l'horizon 2018 !
Cet objectif ne procède ni d'une démarche idéologique ni d'un oukase en direction d'une profession particulière.
Vous le savez, les produits phytopharmaceutiques sont des produits actifs, pour lesquels des interrogations nombreuses subsistent concernant leur impact sur la santé et l'environnement. Les « vides » sont par définition là pour tuer. Leur usage n'est pas une hérésie. Il faut des pesticides pour lutter contre certaines maladies et éviter des risques sanitaires.
Mais ne sommes-nous pas allés trop loin ? Ils sont aujourd'hui présents partout.
Ils ont été mesurés dans 90 % des points de mesure des cours d'eau et dans 53 % des points de mesure des eaux souterraines, en France métropolitaine.
Or, leur présence n'est pas anodine puisque le lien entre les cancers, les problèmes de fertilité, la maladie de Parkinson chez les professionnels se révèle jour après jour.
3- Les utilisateurs professionnels doivent donc être sensibilisés à ces réalités, ceci d'autant plus que l'utilisation de pesticides, potentiellement dangereux, dans des espaces fréquentés par le grand public, ne peut manquer d'interpeller.
Les risques d'exposition doivent être pris au sérieux par les utilisateurs, notamment quand il s'agit de protéger les populations les plus sensibles que peuvent être l'enfant ou la femme enceinte.
La loi Grenelle 2 présente d'ailleurs des avancées substantielles sur ce point en permettant d'interdire ou encadrer l'utilisation de ces produits dans des zones particulières fréquentées par le grand public ou des groupes de personnes vulnérables, notamment les parcs, les jardins publics, les terrains de sport, les enceintes scolaires et les terrains de jeux, ainsi qu'à proximité d'infrastructures de santé publique.
L'arrêté d'application de ce texte est en cours de notification à la Commission européenne.
Un loisir, apparemment sain et proche de la nature, ne doit pas devenir un risque pour les familles !
4- Un rôle pédagogique
Je suis convaincue que l'engagement, notamment des collectivités locales, a un impact considérable sur le grand public.
A titre d'exemple, la ville de Versailles, qui nous accueille a mis en place depuis plusieurs années un dispositif pionnier « Zéro phyto » sur l'ensemble de ses parcs et jardins et n'utilise plus de produits phytosanitaires pour le désherbage ou d'engrais chimiques polluants pour l'entretien des massifs.
Forte de cette expérience la Ville de Versailles est en position de pouvoir proposer à ses habitants de n'utiliser pour l'entretien de leur jardin que des méthodes non toxiques pour l'environnement. Cette démarche fera prochainement l'objet d'une charte.
5- Contenu de l'accord cadre
L'objectif de cet accord est de mobiliser l'ensemble des signataires autour de 4 objectifs opérationnels :
I. Améliorer la formation, la recherche et la connaissance des organismes nuisibles par les applicateurs et les donneurs d'ordre.
La baisse de l'utilisation de pesticides passe bien sûr par une meilleure formation de l'ensemble des intervenants et une connaissance plus fine des organismes nuisibles et des méthodes de lutte alternative.
II. Améliorer la conception des espaces, en privilégiant les aménagements urbains qui nécessitent un usage en pesticides aussi minimal que possible
Il s'agit lors de la conception et du réaménagement des espaces en ZNA de considérer comme un préalable la prise en compte de la gestion phytosanitaire et de la maîtrise de la végétation. Les donneurs d'ordre, qui font construire des espaces notamment devront prendre en compte ces orientations chaque fois que cela est possible.
III. Améliorer les pratiques, en promouvant la gestion différenciée, les plans d'entretien phytosanitaires, et l'application de la protection intégrée
Il ne faut utiliser les pesticides qu'en cas de nécessité et en absence d'autres solutions techniquement et économiquement viables, en privilégiant les préparations à faible impact et en réduisant les quantités apportées (traitement localisé, etc).
IV. Améliorer la diffusion des meilleures expériences et la communication
L'amélioration des pratiques des professionnels sera facilitée par le partage des meilleures expériences.
Une plate-forme dédiée à l'usage professionnel des pesticides en ZNA sera développée d'ici la fin de l'année 2010 pour favoriser ces échanges. Par ailleurs la communication avec le grand public et les jardiniers amateurs sera également renforcée afin de faire comprendre et partager les efforts des donneurs d'ordre (conception ou gestion différenciée des espaces) pour utiliser moins de pesticides et faire évoluer l'acceptation par le citoyen des « herbes indésirables » en ville.
6- Perspectives
Nous accompagnerons cet engagement des parties prenantes.
a. En matière de sensibilisation du public, nous poursuivrons dans les mois qui viennent la campagne que nous avons lancée à la fin du printemps sur l'utilisation des pesticides par les jardiniers amateurs. L'idée est simple, on n'asperge pas ses enfants de pesticides.
b. Je signerai prochainement, avec Bruno Le Maire et Rama Yade une charte, analogue à celle que nous signons aujourd'hui, avec les représentants des propriétaires et exploitants de golfs.
c. La loi Grenelle 2 nous a donné une feuille de route très complète, sur la mise en place de dispositifs d'encadrement de la vente, de la distribution et de l'application des produits phytopharmaceutiques ; sur les traitements aériens ; sur l'utilisation de produits phytopharmaceutiques dans des lieux fréquentés par le grand public ou sur la publicité. Nous nous attelons aujourd'hui, aux côtés du ministère de l'agriculture, à la mise en place des dispositifs réglementaires associés ;
d. La mise en oeuvre du plan Ecophyto se poursuit : je suis pour ma part particulièrement attentive à la mise en place du réseau de fermes expérimentales, qui doit atteindre 1000 fermes d'ici la fin de l'année et 3000 fermes à terme.
Mesdames et Messieurs,
Nous avons une responsabilité face au français. Leur dire la vérité sur les risques liés à l'utilisation de pesticides, dans des espaces qui, à leurs yeux, les rapprochent de la nature.
Il nous faut aussi les aider à ouvrir les yeux et à trouver les outils pertinents pour changer leurs pratiques.
Je vous remercie pour votre engagement.Source http://www.developpement-durable.gouv.fr, le 3 septembre 2010