Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur la réforme des aides à la presse, secteur en difficulté, Le Bourget le 9 septembre 2010.

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Texte intégral

Madame la ministre, chère Anne-Marie COUDERC,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Cher Patrick LE HYARIC,
Mesdames et messieurs,
Chers amis,
À l'occasion de ce dîner confraternel organisé par L'Humanité, il est d'usage de citer son illustre fondateur Jean JAURES, dont nous avons célébré le 150ème anniversaire l'an passé....Je me prête donc volontiers à l'exercice en faisant mienne l'une de ses célèbres citations: « l'abondance est le fruit d'une bonne administration ».
En effet, comme vous le savez, l'Etat est depuis longtemps engagé, à préserver et accompagner le développement de ce pilier de la vie démocratique qu'est la presse d'information. Ce soutien, l'Etat l'a encore confirmé à l'issue des Etats généraux de la presse écrite, avec la mise en oeuvre d'un plan massif et exceptionnel. Le secteur se relève aujourd'hui, difficilement, mais avec énergie de la plus grave crise qu'il ait traversé au cours des cinquante dernières années.
Pour autant, la relation si singulière qu'entretiennent la Presse et l'Etat dans notre pays ne manque pas de créer des interrogations, des crispations, voire des soupçons.... Mais Hubert BEUVE MERY n'avait-il pas l'habitude de rappeler que « le journalisme, c'est le contact et la distance » ?
C'est dans cet esprit que je souhaite devant vous évoquer le rapport de la mission CARDOSO qui m'a été remis hier. Il est consacré à l'un des points de contact les plus tangibles que la presse entretient avec l'Etat. Je parle évidemment des aides à la presse. C'est pourquoi j'accorde la plus grande importance à ce rapport, qui à l'instar de BEUVE MERY a l'immense mérite de rechercher le juste équilibre entre « contact et distance ».
En 2009, après les Etats généraux, certaines aides ont été réformées et d'autres ont été crées, pour redynamiser la presse et lui donner les moyens de s'adapter aux changements auxquels elle doit faire face. A cette fin, des moyens financiers exceptionnels ont été mobilisés par mon ministère depuis 2009.
Pour sauver la presse dans une période de crise profonde, des réformes étaient nécessaires. Nous les avons engagées. Mais elles n'ont pas modifié sur le fond l'organisation des aides. Elles ont par contre ajouté de la complexité qui donne prise à des critiques, à des soupçons sur la façon dont l'Etat administre ces aides.
Paradoxalement, si la légitimité des aides publiques à la presse a ses détracteurs, elle commence à trouver un écho à l'étranger dans un contexte de crise planétaire. Protéger les moyens d'expression et le pluralisme de l'information, garantir le principe de neutralité : ce sont les objectifs que le gouvernement français continuera à défendre. Les craintes d'une menace qui pèserait sur l'indépendance de l'investigation en cas d'intervention publique doivent être levées.
L'aide publique doit aussi être un catalyseur de changement. Or le dispositif actuel est le fruit d'une sédimentation historique de mesures. Le laisser en l'état, c'est courir le risque de voir différées des réformes pourtant indispensables - tout particulièrement face aux enjeux de la révolution numérique.
Ce rapport fixe un cap : celui d'une intervention plus efficace des pouvoirs publics, notamment dans la perspective du dispositif mis en place à l'issue des Etats généraux. J'en partage les principales analyses, et je compte étudier très rapidement, avec François BAROIN, en lien avec les professionnels concernés, les principales propositions.
Fort heureusement les Etats Généraux ont eu la sagesse de ne pas se conclure uniquement par la distribution de nouvelles enveloppes ou l'ouverture de nouveaux « guichets ». Les orientations prises en 2009 par le Président de la République nous permettent d'apporter des réponses globales et fortes pour l'ensemble du secteur.
Le gouvernement a assumé pleinement son rôle: avec vous il a identifié les grands enjeux industriels du secteur. Je pense à la distribution de la presse, à la révolution numérique, à la reconquête du lectorat et de la confiance du public. Il a fait jouer les leviers budgétaires permettant de favoriser l'investissement, avec la création d'un fonds de développement aux services de presse en ligne ; avec la création d'une aide structurante au portage ; avec des dispositifs de soutien à la vente au numéro ainsi qu'à la formation professionnelle. Il a également favorisé la régulation, en instituant un nouveau cadre juridique pour la gestion des droits d'auteur plurimédia voté en juin 2009.
Mais c'est dès à présent à « l'après-Etats généraux » qu'il faut nous atteler, afin de poursuivre la refondation économique qu'ils ont annoncée.
Si nous voulons que la contribution publique à cette refondation soit déterminante, il faut qu'elle soit organisée sur des bases solides, vertueuses et irréprochables. Le paysage complexe des aides à la presse ressemble aujourd'hui à un maquis. En l'état, il ne permet pas d'élaborer et de conduire une stratégie globale en direction du secteur.
Il s'agit donc de réviser les modalités de cette contribution afin de la renforcer. A ce titre, je souhaite que les aides publiques à la presse retrouvent l'élan citoyen qui a permis leur mise en place depuis la Libération. Je n'ignore pas non plus qu'elle doive en même temps s'adapter aux exigences nouvelles de notre époque, et répondre aux défis de l'avenir.
Ce qu'il nous faut viser ensemble, c'est l'inscription du pluralisme démocratique de la presse dans la durée. Pour cela, il est nécessaire que ses entreprises puissent atteindre à moyen terme une autonomie financière réelle qui ne les obligent plus à faire appel aux subventions publiques. Entendons-nous bien : Il ne s'agit ici en aucun cas d'un désengagement de l'État. Ce vers quoi nous devons tendre, c'est une intervention de l'Etat qui puisse jouer pleinement son rôle de levier. Ce vers quoi nous devons aller, ce sont des entreprises d'information fortes, indépendantes et donc capables d'enrichir fortement le débat démocratique.
C'est bien l'esprit des dispositifs installés pour trois ans à l'issue des Etats généraux. Je souhaite qu'un forum rassemblant les représentants de l'Etat et les professionnels de la presse puisse se réunir en octobre. Je veillerai personnellement à son installation.
Ce forum aura notamment pour mission de définir dans l'année qui vient les modalités d'application des mesures de la mission CARDOSO qui seront finalement retenues par le gouvernement.
Je voudrais citer quelques unes des mesures phares qui sont proposées dans le rapport extrêmement bien documenté et argumenté que vient de me remettre Aldo CARDOSO :
- la généralisation du principe de contractualisation des aides sur la base d'engagements mesurables, reprenant le principe des conventions cadres signées depuis mars 2010 avec les bénéficiaires du Fonds de modernisation de la presse (FDM) et du fonds d'aide aux services de presse en ligne (SPEL) ;
- la création d'un fonds stratégique réunissant les aides directes aux éditeurs ;
- l'installation d'un nouveau pilotage des aides complété par une instance de contrôle et de validation indépendante et renforcée. Cette instance devra garantir la transparence et l'efficacité et la neutralité de l'intervention publique.
Le mode de fonctionnement proposé pourrait ainsi permettre un dialogue plus serré entre l'Etat et les éditeurs bénéficiaires. Il serait aussi plus souple : l'Etat pourrait ainsi fixer chaque année les priorités de son intervention en accord avec les besoins réels du marché.
Le nouveau Fonds stratégique proposé par la mission CARDOSO entend fusionner une dizaine de dispositifs actuels. Il ne concernerait que les aides directes aux éditeurs.
Les aides au pluralisme, notamment le fonds d'aide aux quotidiens à faibles ressources publicitaires, n'entreraient pas immédiatement dans le périmètre du fonds stratégique. Il s'agit de garantir de la clarté et de la lisibilité.
Dans cette perspective, j'accorde une importance particulière a la question de la distribution.
Dans le cadre de sa mission, Aldo CARDOSO en a fait, à juste titre, l'un des quatre axes fondamentaux de son rapport.
Le gouvernement a agi dans ce domaine. Il s'est engagé à vous accompagner.
Je salue par ailleurs la mobilisation de la profession. Elle a manifesté engagement et détermination quant aux évolutions envisagées du Conseil Supérieur des Messageries de Presse (le CSMP) ou dans l'accompagnement au plan de redressement de PRESSTALIS.
Je veillerai à ce que toutes les préconisations du rapport METTLING soient mises en oeuvre le plus rapidement possible. Grâce au concours du groupe des éditeurs de presse et du groupe Lagardère, un appui financier indispensable a été apporté afin de garantir la pérennité de la messagerie. L'Etat a pris toute sa part afin de préserver les équilibres dans la distribution des quotidiens nationaux. Le gros de l'orage PRESSTALIS est désormais derrière nous. Les nuages ne sont pas pour autant dissipés. Le gouvernement reste pleinement engagé, à vos côtés, afin de poursuivre les réformes nécessaires annoncées au mois de mai.
Ces réformes impliquent notamment la réorganisation du réseau de dépositaires et l'établissement de nouvelles normes professionnelles. Elles doivent faciliter le travail de tous les agents de la vente. Elles devront inévitablement être complétées un renforcement de la régulation professionnelle du système. Le Conseil Supérieur des Messageries de Presse (CSMP) doit disposer des moyens appropriés, sans qu'il soit porté atteinte aux principes coopératifs auxquels la profession reste très attachée. Cette préoccupation, je la fais mienne.
La réforme envisagée permettra au CSMP de disposer de réels pouvoirs de décision qui s'imposeront à toute la profession. Ses missions générales seront redéfinies, ses compétences renforcées. Une instance indépendante viendra en renfort du CSMP afin d'assurer le respect des équilibres.
Plus largement, une réflexion sur les fondements et la modernisation de l'intervention publique s'impose.
Comme le souligne Aldo CARDOSO, il importe de passer d'une « logique visant à aider des acteurs et une industrie, à une logique dédiée à l'accompagnement d'une fonction - celle d'informer - et à une démarche » - celle de l'innovation permanente. C'est cet esprit, résolument tourné vers les contenus et les publics, qui guide mon action en faveur de la presse au ministère de la Culture et de la Communication.
Cette formule s'avère particulièrement appropriée à l'heure de la deuxième phase des Etats généraux, dans laquelle nous entrons de plain-pied. A l'heure de la convergence multimédia et de la dématérialisation de l'information, il s'agit de vous donner les moyens d'adapter des contenus, des métiers et des pratiques. En d'autres termes de faire de la numérisation une chance et non un épouvantail.
Ce n'est pas seulement l'outil industriel ou le réseau de distribution physique de la presse qu'il faut mettre en ordre de marche. Il faut aussi veiller à ce que la créativité et l'inventivité, confrontées aux bouleversements de l'ère numérique, ne s'épuisent pas et se réinventent.
C'est bien parce que la question de l'évolution des contenus et des pratiques professionnelles est essentielle que nous sommes résolument intervenus dans ce domaine. Nous avons agi à trois niveaux :
1. la clarification des conditions d'exploitation des contenus plurimédia à travers la loi de juin 2009 ;
2. le soutien au développement des services de presse en ligne avec la création d'un nouveau fonds spécifique ;
3. enfin l'évolution des moyens consacrés à la question essentielle de la formation professionnelle.
Le succès du fonds d'aide aux services de presse en ligne n'est plus à démontrer. Le nombre de dossiers déposés depuis la mise en place du dispositif, tant par les éditeurs de presse papier que par les nouveaux acteurs du numérique, en témoigne.
Je tiens d'ailleurs à saluer particulièrement la diligence de mes services qui ont su s'adapter à l'augmentation croissante des demandes.
Bien sûr, rien n'est parfait. Les efforts déployés auprès de Bruxelles par le gouvernement français pour que taux de TVA de la presse numérique soit aligné sur les taux réduits de la presse papier doivent notamment être poursuivis. Sachez que je demeure attentif à cette évolution légitime et nécessaire.
L'accès aux nouveaux médias est la « nouvelle frontière » de notre politique. Je tiens à saluer l'initiative de la presse quotidienne nationale en faveur du lancement d'un kiosque numérique. Cette initiative témoigne d'une volonté affichée et d'une ambition partagée : fédérer l'ensemble des acteurs, revaloriser les contenus d'actualité, développer les modèles économiques innovants.
Puisque cette nouvelle révolution technologique - une de plus dans cette profession - bouleverse les pratiques et les métiers des journalistes, j'ai souhaité associer mon ministère à la Conférence Nationale des Métiers du Journalisme, qui se tiendra les 29 et 30 septembre à Paris. Elle sera placée sous le patronage conjoint de Valérie PECRESSE, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, et de Laurent WAUQUIEZ, secrétaire d'Etat en charge de l'Emploi. Ce triple parrainage montre l'intérêt que le gouvernement porte à cette question.
C'est la première fois que la profession se réunit autour d'une même table afin d'envisager l'avenir de la formation professionnelle des journalistes. Une visibilité et une lisibilité plus grandes sont indispensables. C'est un enjeu pour les journalistes et pour les éditeurs d'aujourd'hui. C'est aussi un enjeu pour ceux de demain. Je souhaite que votre profession, dans toute sa richesse, dans toute sa diversité, y participe activement.
Dans l'ambition d'une « culture pour chacun » qui anime mon action rue de Valois, il y a la volonté de cueillir toutes les promesses de l'âge numérique. Notre exigence en terme de contenus doit être intacte afin de favoriser l'accès de chacun à une information claire et accessible, quelles que soient ses origines, ses horizons sociaux et culturels, quel que soit son lieu de résidence, quel que soit son âge aussi.
Je pense notamment aux jeunes. Ils sont les lecteurs de demain, ils sont l'avenir de la presse dans notre pays. C'est à leur attention que nous avons lancé collectivement l'opération « Mon journal offert », qui s'avère un formidable succès, avec près de 300.000 inscriptions de jeunes de 18 à 24 ans lors de sa première édition.
Sur le modèle de ce qui a fait son succès en 2009, il y aura donc une « saison 2 ». Elle sera lancée à la mi octobre, pour la période 2010-2011.
La reconquête des lecteurs, y compris les plus jeunes, passe par une exigence d'éthique professionnelle. C'est une ambition à laquelle le projet de code déontologique proposé par Bruno FRAPPAT devrait participer activement. Je note malheureusement que nous fêtons ces jours-ci son premier anniversaire et que la profession ne s'en est toujours pas emparée. A nouveau, je ne peux que vous encourager à vous rassembler autour de ce texte. Vous ne pouvez pas passer à côté de cette chance historique d'affirmer vos valeurs, à l'heure de la démocratisation de masse de l'information, Vos lecteurs ne le comprendraient pas !
Enfin, je voulais vous dire très simplement l'attention que je porte à la préservation d'une presse pluraliste, libre et indépendante. En vous rappelant cela, je pense aux combats de Jean FERRAT pour la liberté, au combat du poète auquel la FETE DE L'HUMANITE rend hommage cette année, au combat de l'insoumis qui chantait : « fermez vos grilles, fermes vos cages, la liberté est en voyage ».
Cet engagement contre toutes les formes de censure et d'intolérance, c'est aussi le nôtre aujourd'hui, celui que nous menons pour la libération d'Hervé GHESQUIERE et Stéphane TAPONIER. Ce soir, j'ai une pensée pour eux, leurs proches et leurs familles.Source http://www.culture.gouv.fr, le 23 septembre 2010