Interview de M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, à "Canal Plus" le 22 septembre 2010, sur les réductions des niches fiscales prévues dans le budget 2011.

Prononcé le

Média : Canal Plus

Texte intégral

M. Biraben et C. Roux.- M. Biraben : F. Baroin, le ministre du Budget, des Comptes publics et de la Réforme de l'Etat. Il met la dernière main à la loi de finances pour 2011. Il est coincé entre des Français, qui ont un seuil de tolérance, limité, sur la question fiscale, et sa majorité qui lui demande de ranger sa lime à ongles et de sortir son rabot pour les niches fiscales. Et pendant ce temps, les banques s'entendent tranquillement sur le dos des consommateurs. F. Baroin, bonjour.

Bonjour.

C. Roux : Bonjour. M. Biraben : Soyez le bienvenu.

Merci.

C. Roux : Alors, c'est vrai, l'Autorité de concurrence a infligé une amende aux banques françaises, 384 millions d'amende, donc les banques sont accusées de s'être entendues sur le dos du consommateur. La question qui se pose ce matin, F. Baroin, c'est : est-ce qu'il y a une chance que les consommateurs soient remboursés ?

Bon, en tout cas, déjà, on va mettre de l'ordre, et C. Lagarde a annoncé, à juste titre, la nécessité de créer de la transparence, des obligations des droits et des devoirs pour les consommateurs. La question du remboursement, elle se pose, oui, elle peut se poser, ça me paraîtrait, pas absurde, de la mettre sur la table dans le débat.

C. Roux : Comment est-ce qu'on la met sur la table dans le débat ?

Ça, il faut voir les modalités, mais à cette question-là, je pense que lorsqu'il y a eu une faiblesse, un abus, ce n'est pas absurde de dire : « Pour l'avenir, on ne peut plus l'accepter » et « Pour le passé, on regarde les modalités d'indemnisations ».

C. Roux : Parce qu'on va rappeler que c'est une sanction administrative, donc que la somme, l'amende, serait perçue par le Trésor public, donc vous avez toute la latitude pour nous dire aujourd'hui que le service public, le cas échéant, rendrait, d'une certaine manière, cet argent aux clients.

Alors, je vais vous dire tout de suite, le ministre du Budget, qui a 40 milliards à trouver, pour combler les déficits, ne va certainement pas vous dire qu'on va faire un chèque et payer rubis sur ongle une telle affaire. Négocier avec les banques, comme nous le faisons, dans le cadre de la préparation de la taxe bancaire, pour préparer un fonds pour éviter ce qui s'est passé au moment de la crise de 2009 ou la crise de ces derniers mois, que tout le monde a oubliée, en Europe, et qui a secoué très fort notre monnaie, et je dirais que c'est d'égale valeur pour la protection des consommateurs. Mais ce n'est certainement pas l'Etat et le contribuable qui va payer les faiblesses ou l'organisation d'un dispositif de « dis-concurrence », à l'intérieur du système bancaire.

C. Roux : Pourquoi ne pas imposer des règles aux banques ? Vous dites : on va aller vers plus de transparence, pourquoi ne pas imposer, tout simplement, par la voie réglementaire, par la voie législative, des règles strictes aux banques ? La question que l'on a envie de vous poser, ce matin aussi, c'est : est-ce que vous leur faites toujours confiance ?

Vous savez, il ne faut quand même pas oublier que les banques ont un rôle irremplaçable. Au début des années 80, on se finançait auprès de la Banque centrale, aujourd'hui on se finance auprès des marchés, c'est toute la difficulté de la gestion de notre dette. Aujourd'hui, sans les banques, il n'y a pas d'activité économique. Donc il ne faut pas leur taper dessus, il faut leur rappeler les règles et leurs responsabilités. Les règles, elles existent, encore faut-il qu'elles soient appliquées.

M. Biraben : On va passer maintenant au casse-tête qui doit occuper vos journées mais également vos nuits : le budget.

C. Roux : Oui, alors selon F. Fillon, les niches fiscales seront réduites d'au moins 12,5 milliards d'euros en 2012. Alors, c'est deux fois plus que l'objectif initial du Gouvernement pour 2012. Est-ce que c'est un arbitrage de F. Fillon tout seul ou est-ce que ça a été arbitré également par le président de la République ? Rappelons que 2012 est une année électorale.

On travaille pour l'année prochaine, et on travaille sur les trois années qui viennent. On a un objectif global, qui est de revenir en 2013 au niveau de déficit d'avant la crise. Au début de l'année, le Gouvernement, auquel je n'appartenais pas, a fixé des objectifs auprès de ses partenaires européens, pour dire : on va faire 2 milliards l'année prochaine de réductions de niches, 2 milliards l'année suivante, 2 milliards la troisième année. On est à 10 milliards cette année, c'est dire si la marge d'efforts proposée par le Gouvernement est très importante. Ce n'est pas une lime à ongles, c'est un très gros rabot, qui va bâtir une charpente d'une maison solide, mais on le met dans la durée. Et donc les 12,5 milliards font partie du radar général sur lequel nous travaillons, sous l'autorité du Premier ministre et naturellement nous allons en discuter avec le président de la République et je présenterai au moment de la loi de finances, pour 2011, une loi de programmation des finances publiques pour les trois années qui viennent, qui va proposer la trajectoire de maîtrise de ces déficits. Nous voulons être à 3 % du niveau de déficit par rapport à la richesse nationale en 2013, et nous souhaitons aller au-delà, 2 % en 2014. Les Allemands ont par exemple fixé à 0,3, c'est-à-dire l'équilibre budgétaire en 2016, on a un chemin un peu plus long à parcourir mais nous devons être sur cette tendance-là.

C. Roux : C'est un moment compliqué pour la presse, le moment de l'avant-discussion sur le budget, parce que tout n'est pas arbitré, donc je vous repose ma question : sur ces 12,5 milliards, est-ce que cette décision a été arbitrée par le chef de l'Etat, ou pas encore ?

C'est dans la préparation. Je le présenterai dans la loi de programmation et évidemment, l'engagement du Premier ministre vaut pour celui de l'Etat, et à commencer par le président de la République. Ce n'est pas soumis à arbitrage, c'est une trajectoire.

C. Roux : Maïtena a parlé tout à l'heure de « lime à ongle », alors que c'était G. Carrez qui parlait de « lime à ongle ». C'est vrai que votre majorité vous presse à faire plus, plus d'économies. Est-ce qu'il y aura des marges de manoeuvre lors de la discussion budgétaire ?

Il y a naturellement toujours de manoeuvre, et puis j'ai une culture parlementaire et c'est un débat qui sera vertueux, je trouve ça naturellement intéressant. Je voudrais quand même rappeler l'esprit dans lequel on a travaillé. Notre pays est un pays qui dépense plus de 55 %, presque 56 % de sa dépense publique ; on a 2.000 milliards de richesse nationale, on en met plus de 1.000 dans la dépense. On est le champion d'Europe de la dépense publique. Donc, le travail du Gouvernement ça a été de travailler sur la dépense. Nous réduisons les dépenses : c'est le train de vie de l'Etat, c'est le gel des dotations de l'Etat aux collectivités locales, c'est fixer des dépenses d'assurance maladie, comprimées, à hauteur de 2,9. Ça va nous rapporter 7 milliards. Et puis on a un deuxième bloc de relance des recettes, à travers la relance de la croissance, ça nous fait 7 milliards, on abandonne le plan de relance à hauteur de 16 milliards et on a 10 milliards de niches fiscales. On n'a pas la même définition de la manucure, on n'a pas la même définition du dispositif de beauté, on a une définition avec l'immense majorité de la majorité, d'un objectif très élevé : 10 milliards, ça ne s'est jamais fait, de réduction de niches fiscales. Une partie va servir pour les retraites - l'annualisation des charges des entreprises - ; une partie va servir pour la gestion de la dette sociale, c'est 130 milliards cumulés. Si la crise est pour partie derrière nous, les stigmates de la crise sont à l'intérieur des caisses de l'Etat et des caisses sociales, donc nous devons les gérer. Et puis une partie, c'est tous les sujets équilibrés entre l'effort demandé aux entreprises et aux particuliers.

C. Roux : Très vite, sur la suppression des niches « jeunes mariés », on va les appeler comme ça. F. Fillon, là aussi, a arbitré hier en disant qu'il y était favorable. Qu'est-ce que vous répondez à ceux, y compris dans votre famille politique, qui disent que ça malmène la famille et les classes moyennes ?

Je réponds qu'un acquis fiscal c'est n'est pas un acquis social et ce n'est pas un élément de la politique familiale. Je veux dire c'est le même avantage fiscal pour le mariage ou pour le divorce, donc on ne peut pas dire « le dispositif fiscal favorise le mariage ». C'est une politique qui va dans le sens du renforcement de la famille, puisque c'est le même avantage. Je réponds, deuxièmement qu'il n'y a pas de perdant, ceux qui ont été mariés ou ceux qui ont été divorcés, ça peut nous arriver tous autour de la table, ou ça nous est arrivé, n'ont pas un bénéfice qui est rogné. Et pour les autres, je rappelle que c'est 500 millions, globalement, c'est un million de déclarations en moins et que nous devons trouver des économies. Je ne crois pas que ce soit injuste, parce que, ce qui serait injuste, c'est que les plus modestes d'entre nous bénéficient d'un avantage qui serait rogné, ce n'est pas le cas, ce sont ceux qui ont le plus de moyens qui bénéficient, en général, de cet avantage-là.

M. Biraben : On passe à l'UMP. C. Roux : Oui, ce matin, dans Libération, J.-F. Copé fait quasi acte de candidature pour le poste de Secrétaire général de l'UMP, il dit : « Je suis dans une logique de continuer ma mission, et si le Président de le souhaite, de la prolonger, en animant notre parti ». Vous dites, ce matin : « C'est le meilleur pour le job » ?

En tout cas, il a toutes les qualités pour animer le parti : il a cette appétence, il a cette connaissance des militants, il a quand même, comme moi et quelques autres, une certaine expérience depuis longtemps, ça fait 17 ans qu'on est au Parlement, lui et moi et quelques autres, donc, voilà, ce n'est pas... on n'est pas les enfants trouvés de la politique. On est je crois dans une génération qui a eu des responsabilités, qui souhaite en avoir. On se met au service de N. Sarkozy, parmi les tous premiers, et si J.-F. Copé est choisi, en quelque sorte par N. Sarkozy, parce que c'est lui le patron, son leadership n'est pas contesté, son autorité sur la droite est incontestable et sa légitimité pour être candidat à la prochaine présidentielle, n'est pas en doute non plus.

C. Roux : Il y a un petit problème, la place est prise : X. Bertrand est actuellement secrétaire général de l'UMP et il n'a pas franchement l'intention de partir.

Voyez, moi, j'ai été secrétaire général de l'UMP sous A. Juppé et puis ensuite pour préparer l'avènement de N. Sarkozy. Il y a eu un successeur. Et puis avant X. Bertrand il y a eu P. Devedjian et après X. Bertrand ça sera peut-être J.-F. Copé, ou quelqu'un d'autre. Il y a un avant, il y a un après, ce qui compte, c'est que l'UMP soit vraiment en ordre de marche, de mobilisation, d'animation d'activités, parce que cette présidentielle va partir un peu plus vite.

C. Roux : Juste, très vite, une toute petite question. Quand on demande à C. Lagarde...

Je ne sais pas comment faire plus vite, sur des phrases où il faut quand même un verbe, un nom, un complément.

M. Biraben : Oh la ! la !

C. Roux : Pardonnez-moi. Quand on demande à C. Lagarde si elle se sent prête à relever le défi de Matignon, elle répond : « Non ». Donc, je vous repose cette phrase, vous répondez par oui ou par non : « Vous sentez-vous prêt à relever le défi de Matignon ? »

Je vais réponde ce que je veux. Moi je fais de la politique, mais je ne veux pas alimenter les spéculations. On a un très bon Premier ministre et puis au final, c'est quand même le président qui choisit.

M. Biraben : Vous êtes bien parti, néanmoins. On va passer au « J'aime, j'aime pas », vous allez nous dire si vous aimez ou si vous n'aimez pas : D. de Villepin qui affirme que le Gouvernement crée la panique sur les attentats ?

Je n'aime pas.

M. Biraben : Vous n'aimez pas... Ça sert sa cause et ça dessert... c'est de l'anti-sarkozysme primaire.

Je n'aime pas, parce que ça donne l'impression que le Gouvernement exploite cette situation, or, on a des otages qui sont enlevés, dont la vie est menacée, il faut être extraordinairement prudent et le plus on est silencieux, le mieux on se porte.

C. Roux : « J'aime, j'aime pas », J. Chirac qui veut aller, physiquement, devant ses juges ? C'est ce qu'a dit son avocat, hier.

J'aime bien, j'aime bien. Il apportera les réponses que la justice souhaite encore sur ce sujet.

M. Biraben : Vous aimez, vous n'aimez pas : passer du G20 au G25 et l'ouvrir aux pays pauvres, comme le suggère C. Boutin ?

Déjà, le G20 il faut le gérer, si j'ose dire, donc, si on devait aller plus loin, il faut quand même quelques étapes. L'idée, elle est singulière, elle est originale, elle se fera peut-être un jour.

C. Roux : Enfin, « J'aime, j'aime pas », la polémique autour du film « Hors la loi » ?

Alors là, je sèche, en fait.

C. Roux : C'est pas vrai ?

M. Biraben : Vous ne l'avez pas vu, encore.

Non, je ne l'ai pas vu, encore.

C. Roux : Vous étiez où les deux dernières semaines ?

A faire des soustractions.

M. Biraben : Polémique à Cannes, également. Ecoutez, on vous renvoie à ce film, donc, qui sort aujourd'hui, il me semble, et qui parle donc...

C. Roux : Du massacre de Sétif.

M. Biraben : Voilà, du massacre de Sétif et de l'Algérie. Merci beaucoup d'avoir été avec nous aujourd'hui.

Merci.

C. Roux : Merci. M. Biraben : Et bon courage avec votre calculette, ainsi que vos camarades. Merci beaucoup.

Merci.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 23 septembre 2010