Interview de M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec la Parlement, à RFI le 7 octobre 2010, sur le débat parlementaire au sujet de la réforme des retraites.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

F. Rivière.- Bonjour H. de Raincourt.
 
Bonjour.
 
Des grèves reconductibles sont annoncées dans plusieurs entreprises, notamment la SNCF, la RATP, EDF, GDF, à partir de mardi prochain, pour protester contre la réforme des retraites. Est-ce que le Gouvernement redoute cette épreuve de force annoncée ?
 
Le Gouvernement savait qu'en raison de l'ampleur de la réforme des retraites qu'il engageait, qu'il se devait d'engager, naturellement sur le plan social ce serait une période extrêmement difficile et qu'il faut être tout à fait attentif. Nous sommes là au coeur du déroulement de la procédure puisque le texte a été examiné à l'Assemblée nationale, il est en ce moment au Sénat et par conséquent nous savions qu'au niveau social, il y aurait des tensions. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement est extrêmement attentif à tout ce qui se déroule jour après jour et que nous essayons, sans toucher au fond parce que nous pensons que nous ne pouvons pas toucher au fond de la réforme, eh bien nous essayons de régler point par point, étape après étape, un certain nombre de problèmes particuliers pour répondre à des questions et à des attentes qui peuvent être tout à fait légitimes de la part de nos compatriotes.
 
Les syndicats estiment que leurs journées de mobilisation avec grève de 24 heures n'ont pas porté leurs fruits. Ils espèrent donc qu'en radicalisant le mouvement et avec des grèves reconductibles dans les secteurs-clés, notamment les transports, ça exerce une pression forte sur le Gouvernement. Si je vous comprends bien, ça n'aura pas plus d'incidence.
 
Je crois qu'il faut bien comprendre qu'en l'espèce, on n'a pas le choix. Nous avons un déficit de notre système de retraite de 30 milliards d'euros qui est dû pour une très large part à la crise et qui anticipe de dix ans le déficit prévu. C'est la raison pour laquelle le président de la République, le Gouvernement, la majorité ne peuvent pas ne pas procéder à cette réforme. Et il y a deux possibilités pour trouver les solutions : soit ce que propose l'opposition, c'est-à-dire une augmentation généralisée des impôts et des taxes ; soit ce que nous, nous préconisons, naturellement, pour préserver la compétitivité de la France, c'est-à-dire un allongement de deux années de la durée du travail.
 
Ce que vous dites au fond donc aux syndicalistes, c'est : « vous perdez votre temps, vos manifestations, vos grèves, ne serviront à rien ».
 
Je ne me permettrais certainement jamais de m'exprimer de cette façon-là. Ce que je dirais aux syndicalistes et ce que je leur dis, c'est qu'il faut que nous discutions, que nous continuions la discussion.
 
Mais ils disent qu'il n'y a pas de discussions.
 
Mais si il y a des discussions, bien entendu, et depuis longtemps, et c'est tout à fait normal qu'il en soit ainsi. Je voudrais les convaincre de la réalité de la situation et du fait que cette réforme est incontournable.
 
Le projet de réforme des retraites ne fait pas l'unanimité au sein même de la majorité, notamment chez les centristes qui veulent des améliorations, en particulier pour les femmes. Est-ce qu'on peut s'attendre à ce que sur ces points-là, il y ait vraiment des changements substantiels ?
 
Je pense que la majorité est très soudée autour de la réforme des retraites, mais la majorité, par définition, elle est diverse.
 
Pas tant que ça. On a entendu G. Larcher, le président du Sénat, dire qu'il fallait faire des choses pour les femmes, ce qui n'était pas au programme du point de vue gouvernemental.
 
Mais ce n'est pas contradictoire. Ce que vous dites et ce que je dis, ce n'est pas contradictoire. La majorité est très soudée autour de la nécessité de la réalisation de cette réforme fondamentale. Simplement, il peut y avoir des points sur lesquels il faut modifier le texte tel qu'il existe aujourd'hui. Donc il est vrai que sur la situation des personnes handicapées, voire des poly-pensionnés, voire des situations particulières pour les femmes, on puisse modifier des choses, simplement sans remettre en cause l'ensemble de la réforme ni détruire l'équilibre financier du système. Je rappelle qu'en 2018, nous devons arriver à l'équilibre financier de notre système de retraite. C'est absolument essentiel.
 
H. de Raincourt, vous êtes le ministre des Relations avec le Parlement et la vie parlementaire a connu récemment un épisode d'une assez rare violence, lorsque le président de l'Assemblée nationale a décidé de mettre fin aux explications individuelles de l'opposition sur ce texte des retraites justement. B. Accoyer a été poursuivi jusqu'à la porte de ses appartements personnels, des insultes, des insultes lourdes ont fusé, des appels à la démission ont été lancés. Est-ce que B. Accoyer a commis une erreur ?
 
Le président de l'Assemblée nationale, en l'espèce le président de séance, est le maître de l'organisation et du déroulement du débat dans son Assemblée. C'est valable à l'Assemblée nationale, c'est valable au Sénat. Le règlement de l'Assemblée nationale tel qu'il a été modifié après la réforme de la Constitution de juillet 2008 prévoit qu'à l'issue du débat - il y avait quand même eu 75 heures de débat sur ce texte des retraites - des explications de vote individuelles peuvent intervenir. Mais si l'on reprend tous les comptes-rendus des groupes de travail qui ont précédé cette réforme du règlement, on voit que cette disposition est offerte pour permettre à des parlementaires qui ne partagent pas le point de vue exprimé au nom du groupe auquel ils appartiennent de pouvoir le faire. Et donc, qu'est-ce que nous avons constaté ? 166 députés socialistes s'inscrivent pour une explication de vote individuelle...
 
De 5 minutes chacun.
 
5 minutes chacun. 23 le font, 23 disent la même chose, qu'ils sont contre le texte des retraites. Donc le président de l'Assemblée nationale a considéré que l'esprit de cet article du règlement n'était pas respecté et qu'il convenait de mettre un terme à cette dérive. Je pense qu'effectivement...
 
Il n'aurait pas été plus sage et plus démocratique de laisser l'opposition s'exprimer ?
 
On peut toujours avoir un point de vue et une opinion différente. Je pense que le président de l'Assemblée nationale, en l'espèce, est en train d'écrire la jurisprudence de l'application du règlement et il faut éviter d'utiliser le règlement d'une Assemblée pour en faire un outil d'obstruction du débat parlementaire. Ça, c'est quelque chose qui est utile.
 
La lettre de démission adressée par B. Kouchner en août dernier au président de la République est publiée aujourd'hui par Le Nouvel Observateur. Le ministre des Affaires étrangères s'y plaint d'être victime d'humiliations de la part d'un certain nombre de conseillers de N. Sarkozy. Ils ne sont pas nommés mais enfin, on sait auxquels il pense. Est-ce que ça fait partie de la fonction d'être humilié quand on est ministre ?
 
Je crois qu'être ministre c'est être serviteur. Donc quand on est serviteur, par définition, on ne fait pas toujours ce qu'on veut ou on n'exprime pas toujours ce qu'on dit au moment où on le souhaite. Donc il faut accepter effectivement de respecter un certain nombre de choses qui forcément ne font peut-être pas toujours plaisir au moment opportun. Si on ne peut pas quand on est ministre supporter ce genre de choses, alors il faut s'interroger sur sa place effectivement au Gouvernement. C'est ce qu'a fait B. Kouchner, me semble-t-il.
 
Mais est-ce qu'il ne le fait pas trop tard ?
 
C'est à lui de juger, ce n'est pas à moi à titre personnel. C'est un collègue du Gouvernement, je n'ai rien à dire là-dessus.
 
Est-ce que pour votre part vous serez toujours ministre après le prochain remaniement gouvernemental qui devrait avoir lieu le mois prochain ?
 
Ce n'est pas à moi qu'il faut poser la question, mais à celui qui nomme les ministres puisque ça dépend exclusivement...
 
Alors est-ce que vous le souhaitez, puisqu'un certain nombre de vos collègues m'ont dit : « écoutez, moi je m'en vais » ?
 
Ça dépend exclusivement de la responsabilité et du choix du président de la République. C'est à lui de dire s'il pense que je peux continuer ma mission ou si, au contraire, dans la nouvelle architecture gouvernementale à laquelle il songe, eh bien il faut mettre d'autres visages. Moi, par définition et par anticipation, je me range à la décision du président de la République.
 
Mais vous n'exprimez pas le désir de partir ?
 
Je n'exprime naturellement pas le désir de partir mais c'est le choix du Président.
 
Merci H. de Raincourt. Bonne journée.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 7 octobre 2010