Texte intégral
Le ministre des Affaires étrangères espagnol, Miguel Moratinos, et moi-même, revenons de dix heures d'entretiens avec Ehoud Barak, ministre de la Défense, le Premier ministre, Benjamin Netanyahou, Shimon Pérès, le président de l'Etat d'Israël, Tzipi Livni ainsi que Avigdor Liberman. Ce furent des entretiens avec des amis, même si avec M. Liberman nous avons été confrontés à une discussion et à un point de vue un peu différent et je voudrais vous dire que nous sortons de là, malgré toutes ces épreuves, optimistes. « The way we are maintaining this optimism is a strange way, but we are optimistic».
Donc, nous pensons que c'est un moment particulier, difficile. La façon dont les Israéliens et les Palestiniens ont repris, il y a à peine un mois, les négociations directes, la façon dont se sont déroulées les trois rencontres - en particulier Washington, Charm el-Cheikh et puis Jérusalem - et puis cette échéance du maintien du moratoire sur la colonisation, nous placent dans une situation difficile.
C'est pour cette raison que Miguel et moi - qui avons l'habitude de travailler ensemble et qui avons aussi une même vision des difficultés du Moyen-Orient -, avons voulu savoir comment nous pouvions et si nous pouvions être utiles ; ce n'est pas plus. Nous sommes les amis d'Israël et nous sommes les amis des Palestiniens. Miguel et moi sommes impliqués dans les affaires du Moyen-Orient et, singulièrement, dans les affaires qui opposaient les Israéliens aux Palestiniens et les Palestiniens aux Israéliens, depuis plus de trente ans.
Nous nous sommes donc crus autorisés à venir demander, d'abord à nos amis israéliens puis demain à nos amis palestiniens, quel pouvait être l'apport ou le poids supplémentaire qu'apportaient deux ministres des Affaires étrangères, alors que cela n'est pas leur mandat - qui n'ont aucun mandat, simplement la bonne volonté des deux gouvernements, celui de M. Zapatero et le gouvernement de M. Sarkozy et de François Fillon -, et s'ils pouvaient apporter un supplément de succès ou d'aide à un succès potentiel.
Et nous sommes sortis optimistes. Pourquoi ? Parce que, malgré les différences d'analyse, ce que nous a dit le Premier ministre, Benjamin Netanyahou, était encourageant. Oui, il cherche toujours un arrangement, une façon qui serait un agrément, une présentation qui puisse satisfaire à la fois les Palestiniens et la population, le peuple israélien. Il nous dit que les efforts continuent pour trouver un consensus, que ce sera peut-être plus long qu'on le croit. Mais en même temps, il propose, comme vision optimiste et très positive des choses, que l'année 2011 soit celle de la paix et de l'existence, ou du développement, ou du début des relations avec un Etat palestinien. Pour nous, pour Miguel et moi, c'est la seule solution : un Etat palestinien libre, démocratique, indépendant, viable, à côté de l'Etat israélien, déjà fort et très démocratique.
Les problèmes, nous les connaissons, même si nous ne les vivons pas comme les Israéliens ou comme les Palestiniens. Les problèmes existent : de développement économique, de différences de culture, de différences de développement, de différences d'approche politique. Il y a les risques actuels, aussi bien au nord qu'au sud, c'est-à-dire un Liban très fragile, avec une visite prochaine du président Ahmadinejad, mercredi, qui est une visite risquée, comme d'ailleurs le Liban est, par essence, par nature, par culture, par avenir, un pays risqué. Et la France est toujours aux côtés du Liban. Ce qui n'empêche pas le réalisme. Les problèmes du Hamas, nous les connaissons. Les problèmes de la région en général, du Moyen-Orient, je crois que nous les apprécions même si, lorsqu'on habite ici, on peut les apprécier différemment, et peut-être avec plus d'acuité et de réalisme.
Nous venons donc d'avoir une discussion avec le ministre des Affaires étrangères, évidemment très conscients qu'il y a des approches différentes. Nous avons vu Tzipi Livni ici-même, vous l'avez vue avec nous, qui elle-même, venue de Kadima, a une appréciation différente également.
Voilà, vous avez affaire à deux amis, c'est déjà pas mal en Europe, qui pensent la même chose, qui sont heureux de travailler ensemble. L'Espagne et la France sont deux pays qui se complètent très bien. Et ces deux amis ont voulu comprendre ce qui se passait et, en même temps, tenter donc d'apporter un peu d'eau à ce moulin de la paix.
Il y a beaucoup de questions auxquelles on pourrait vous répondre, mais nous n'apportons pas de solution toute faite. Nous n'avons pas une vision impérialiste européenne des choses, nous sommes très heureux d'avoir été reçus par nos amis israéliens et d'apporter peut-être un peu de compréhension en écoutant demain nos amis palestiniens, M. Salam Fayyad, Abou Mazen et puis les autres. Nous avons l'habitude de faire ces allers-retours, les Israéliens aussi. Personne ne connaît mieux les Palestiniens que les Israéliens et personne ne connaît mieux les Israéliens que les Palestiniens, qui se parlent tous les jours quand même. N'oublions pas que tout cela fait partie d'un mouvement qui dure depuis des années et des années pendant lesquelles nous étions impliqués.
Je n'ai pas abordé tous les points, ni Gaza - mais nous en avons parlé avec M. Liberman -, ni les problèmes qui ont retenu aujourd'hui le Premier ministre et ses équipes - le Liban par exemple -, ni l'Iran. Mais nous avons une très forte conscience que ces problèmes pèsent sur la situation ici.
Nous allons continuer. Est-ce que nous avons été utiles ? Je ne sais pas. J'espère en tout cas que nous avons mieux compris ce qui se passait. Et c'est toujours mieux, vous savez, d'aller voir les gens, de les sentir, des les toucher, de les saluer, d'être avec eux, même si c'est une journée. Parce que les journées que nous avons passées, Miguel Angel Moratinos et moi-même, dans les pays de la région, se comptent par centaines.
Q - Monsieur le Ministre, à Paris est organisée une conférence de paix. Avez-vous obtenu l'accord de principe du gouvernement israélien ?
R - Je n'ai pas du tout oublié de vous parler, ni de cette idée de la Conférence de Paris ni de cette idée de la Conférence de Barcelone. Au contraire, nous en avons parlé très longuement et avec chacun de nos interlocuteurs. Mais c'est un peu tôt pour dire, d'abord, quelle serait la date. La date de Barcelone, nous le savons, c'est le 21 novembre. La date de Paris, s'il y a une Conférence de Paris, et le Premier ministre Netanyahou a l'air favorable à cela, il faut qu'on trouve une date pour tous les gens qui y participeraient et il faut qu'on trouve une géographie qui pourrait convenir, qui soit liée à l'Union pour la Méditerranée. Oui bien sûr, nous en avons parlé, mais je ne peux pas dire que les choses sont définies avec précision.
Tout simplement, il y a eu beaucoup de bonne volonté à écouter ces deux propositions. Je vous rappelle que la réunion de Paris serait une préparation politique à ce qui se passerait en novembre à Barcelone. Nous en avons parlé, bien sûr, et cela peut être une étape très importante, mais tout dépend un peu de ce qui va se passer dans ces tentatives de rapprochement et de consensus.
Les pourparlers directs, tout le monde souhaite y revenir. Mais cela peut mettre un certain temps et cela peut emprunter des chemins divers. Nous avons essayé d'être inventifs et nous avons proposé des choses qui seront peut-être acceptées. Je ne peux pas vous en dire plus.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez évoqué aujourd'hui dans une interview au quotidien palestinien al-Ayyam l'éventualité d'un recours au Conseil de sécurité pour la reconnaissance de l'Etat palestinien, en cas d'impasse prolongée des négociations. S'agit-il d'une nouveauté dans la diplomatie française ou d'une simple option ?
R - Non, il ne s'agit pas d'une nouveauté du tout et il s'agit en tout cas d'un raccourci de ce que j'ai vraiment dit dans cette interview. Je disais que nous sommes concentrés et nous le sommes sur les négociations ici. Si, par hypothèse, un jour, cela devait être au Conseil de sécurité, je rappelle que Miguel Moratinos et moi, dans une tribune commune, avions évoqué cette perspective. Non, il ne s'agit pas du tout d'un message adressé. Je le répète et je ferai demain un communiqué, parce que cela n'est pas du tout ce que j'ai dit. En tout cas, nous sommes concentrés tous les deux et nous sommes venus pour essayer d'être utiles dans un processus de négociation qui est passé, après un moratoire qui a duré neuf mois, des pourparlers indirects aux pourparlers directs, acceptés de part et d'autre. Pourparlers directs qui se sont interrompus très vite et que nous souhaitons infiniment, Miguel et moi, voir se poursuivre. Mais ce n'est pas à nous de le dire.
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que vous pensez que la France et l'Espagne peuvent réussir là où les Américains ont échoué ?
R - Nous ne sommes pas contre les Américains. Nous avons parlé tous les deux, et longuement, d'abord à New York avec Hillary Clinton, puisque nous avons passé une semaine ensemble. Et hier, nous avons dit à nos amis américains que nous allions ensemble, Miguel et moi, ici, et puis ensuite écouter les Palestiniens. Hillary est non seulement d'accord avec nous, mais en complet accord puisque nous avons rendez-vous jeudi, non pas pour lui en rendre, mais pour parler avec elle, lui faire savoir ce que nous avons compris. Elle continue, elle pense que c'est très bien. Je pense d'ailleurs qu'un autre ministre, Alex Stubb, le ministre finlandais visitera aussi la région. Je pense que c'est très bien que l'on puisse témoigner de l'intérêt et de l'expression de notre désir d'être utiles.
Q - Est-ce que vous pensez que les Américains sont prêts à vous faire une place ?
R - Ce n'est pas un problème de place, on ne joue pas à la pétanque. Il s'agit de politique. Nous sommes cinq cent millions d'Européens, cinq cents millions et les plus riches du monde. Nous pensons peut-être être utiles. Nous savons quelle place tiennent les Américains, ici au Moyen-Orient, et nous n'essayons pas de les concurrencer ; en rien. Ceci s'est fait en toute transparence, en toute complémentarité. Si c'est utile, on verra dans quelle direction il faudra porter nos efforts. Si une nouvelle stratégie est définie par les Israéliens et les Palestiniens et que nous pouvons, nous les Européens, et peut-être aussi l'Espagne et la France qui sommes assez proches, être utiles, nous le ferons. Mais je vous assure que ce n'est pas le début, qu'on ne veut pas sauter plus haut.
Q - Peut-on, avec les positions actuelles du gouvernement israélien, parvenir à un accord de paix ?
R - Je le souhaite infiniment. Nous avons un gouvernement élu, dans un Etat démocratique. Il y a une opposition qui s'est manifestée, nous avons bien entendu ce que Tzipi Livni nous a dit. Là, elle s'est prononcée sur la poursuite du moratoire. Je pense que c'est une opinion qu'il faut entendre. Je ne sais pas ce que cela a recueilli dans l'opinion israélienne, mais en tous cas nous avons été heureux de l'entendre. C'est notre collègue, nous avons travaillé, Miguel et moi, des années avec elle, et c'est une voix importante qui s'est fait entendre. Nous en avons d'ailleurs parlé avec le Premier ministre.
Q - Vous a-t-il semblé que le Premier ministre poursuit ses efforts pour essayer, sans le dire, de renouveler le moratoire ?
R - Honnêtement, ce n'est pas l'impression que nous avons eue. Au contraire, nous avons eu l'impression, et c'est peut-être nécessaire, que chacun de part et d'autre a accordé beaucoup d'importance à ce moratoire en négligeant ce qu'on appelle les «core issues», c'est-à-dire tous les problèmes qui étaient déjà discutés par le gouvernement précédent et qui ont abouti à des progrès : les réfugiés, Jérusalem, les frontières, la sécurité, etc., qui pouvaient être remis dans le processus de négociation. Voilà ce que nous avons senti. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura pas de tentative, j'espère couronnée de succès, de poursuivre la discussion au sujet du moratoire. Mais il nous a semblé - et demain ce sera important d'entendre les Palestiniens - que, d'une certaine façon, toutes ces questions tellement importantes que je viens de citer - et il y en a d'autres -, ne trouvaient pas de débouché, ne trouvaient pas de façon d'être discutées, puisque nous étions bloqués. Il ne faut pas non plus exagérer. Je n'ai pas cité la décision de la Ligue arabe, qui est une décision que nous jugeons positive, et Miguel se souvenait lui-même très bien - et moi aussi d'ailleurs -, de ce qu'aurait été une décision de la Ligue arabe il y a cinq, dix ou vingt ans. Une décision prise en Libye disant, je ne sais pas pourquoi un mois, un mois ce n'est peut-être pas grand-chose dans un processus de paix, mais enfin c'est une porte un peu ouverte.
Donc, nous avons parlé de tout cela, bien sûr. Et, encore une fois, nous ne portons pas de jugement moraux, nous essayons d'être utiles. Si on nous convainc que nous ne le sommes pas, une fois de plus, nous recommencerons. Vous savez, au Moyen-Orient on a recommencé souvent.
Q - (Sur l'amendement à la loi israélienne sur la citoyenneté)
R - Je vais vous répondre avec beaucoup de précaution et peut-être un peu de diplomatie pour une fois. Ne compliquons pas les choses. Ce n'est pas une question facile et la poser maintenant ne fait, je crois, que compliquer un peu les choses. L'argument du Premier ministre, que je répète, c'est de dire : On dit que s'il y a un Etat palestinien, il sera palestinien, les Palestiniens pourront y venir. Et la République, après tout, elle est française. Et la Royauté, elle est espagnole. Je ne voudrais pas rentrer dans ce débat. Il est à la fois historiquement abordable et politiquement compliqué.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 octobre 2010